ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
17 septembre 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Article 3, sous b) – Juridiction du lieu de la résidence habituelle du créancier d’aliments – Action récursoire introduite par un organisme public subrogé dans les droits du créancier d’aliments »
Dans l’affaire C‑540/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 5 juin 2019, parvenue à la Cour le 16 juillet 2019, dans la procédure
WV
contre
Landkreis Harburg,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, Mme L. S. Rossi (rapporteure), MM. F. Biltgen et N. Wahl, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann, U. Bartl et E. Lankenau, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 juin 2020,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, sous b), du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant WV, résidant à Vienne (Autriche), au Landkreis Harburg (arrondissement de Harburg, Allemagne) (ci-après l’« organisme demandeur ») au sujet du versement d’une créance d’aliments au profit de la mère de WV, qui réside en Allemagne et dans les droits de laquelle cet organisme est légalement subrogé.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La convention de Bruxelles
3 L’article 2, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »), énonce :
« Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. »
4 L’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles, prévoit :
« Le défendeur domicilié sur le territoire d’un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant :
[...]
2) en matière d’obligation alimentaire, devant le tribunal du lieu où le créancier d’aliments à son domicile ou sa résidence habituelle ».
Le protocole de La Haye
5 Le protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires, a été approuvé, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17) (ci-après le « protocole de La Haye »).
6 L’article 3 de ce protocole, intitulé « Règle générale relative à la loi applicable », dispose :
« 1. Sauf disposition contraire [dudit protocole], la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires.
2. En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi de l’État de la nouvelle résidence habituelle s’applique à partir du moment où le changement est survenu. »
7 L’article 10 du protocole de La Haye prévoit que le droit de l’organisme public de demander le remboursement de la prestation fournie au créancier en lieu et place d’aliments est soumis à la loi qui régit cet organisme.
Le règlement no 4/2009
8 Les considérants 8, 9, 10, 11, 14, 15, 44 et 45 du règlement no 4/2009 sont libellés comme suit :
« (8) Dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé, la Communauté [européenne] et ses États membres ont participé à des négociations qui ont abouti le 23 novembre 2007 à l’adoption [...] du [protocole de La Haye]. Il convient, dès lors, de tenir compte de [cet] [...] [instrument] dans le cadre du présent règlement.
(9) Un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité.
(10) Afin d’atteindre cet objectif, il est opportun de créer un instrument communautaire en matière d’obligations alimentaires regroupant les dispositions sur les conflits de juridictions, les conflits de lois, la reconnaissance et la force exécutoire, l’exécution, l’aide judiciaire et la coopération entre autorités centrales.
(11) Le champ d’application du présent règlement devrait s’étendre à toutes les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance, et ce afin de garantir une égalité de traitement entre tous les créanciers d’aliments. Aux fins du présent règlement, la notion “d’obligation alimentaire” devrait être interprétée de manière autonome.
[...]
(14) Il convient de prévoir dans le présent règlement que le terme “créancier” inclut, aux fins d’une demande de reconnaissance et d’exécution d’une décision en matière d’obligations alimentaires, les organismes publics qui ont le droit d’agir en lieu et place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou de demander le remboursement de prestations fournies au créancier à titre d’aliments. Lorsqu’un organisme public agit en cette qualité, il devrait avoir droit aux mêmes services et à la même
aide judiciaire qu’un créancier.
(15) Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] devraient être adaptées. La circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans
un État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent règlement les cas dans lesquels une juridiction d’un État membre peut exercer une compétence subsidiaire.
[...]
(44) Le présent règlement devrait modifier le règlement [no 44/2001] en remplaçant les dispositions de celui-ci applicables en matière d’obligations alimentaires. Sous réserve des dispositions transitoires du présent règlement, les États membres devraient, en matière d’obligations alimentaires, appliquer les dispositions du présent règlement sur la compétence, sur la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des décisions et sur l’aide judiciaire à la place de celles du règlement
[no 44/2001] à compter de la date d’application du présent règlement.
(45) Étant donné que les objectifs du présent règlement, à savoir la mise en place d’une série de mesures permettant d’assurer le recouvrement effectif des créances alimentaires dans des situations transfrontalières et dès lors de faciliter la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets du présent règlement, être mieux réalisés au niveau communautaire,
la Communauté peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. [...] »
9 L’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 prévoit :
« Le présent règlement s’applique aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance. »
10 L’article 2 de ce règlement dispose :
« 1. Aux fins du présent règlement on entend par :
1) “décision” : une décision en matière d’obligations alimentaires rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi qu’une décision du greffier fixant le montant des frais du procès. Aux fins des chapitres VII et VIII, on entend par “décision” également une décision en matières d’obligations alimentaires rendue dans un État tiers ;
[...]
10) “créancier” : toute personne physique à qui des aliments sont dus ou sont allégués être dus ;
[...] »
11 L’article 3 du règlement no 4/2009 est libellé comme suit :
« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :
a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou
c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou
d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties. »
12 L’article 15 de ce règlement, intitulé « Détermination de la loi applicable », dispose :
« La loi applicable en matière d’obligations alimentaires est déterminée conformément au [protocole de La Haye] pour les États membres liés par cet instrument. »
13 L’article 64 de ce règlement, intitulé « Organismes publics en qualité de demandeurs », énonce :
« 1. Aux fins d’une demande de reconnaissance et de déclaration constatant la force exécutoire de décisions ou aux fins de l’exécution de décisions, le terme “créancier” inclut un organisme public agissant à la place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou un organisme auquel est dû le remboursement de prestations fournies à titre d’aliments.
2. Le droit d’un organisme public d’agir à la place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou de demander le remboursement de prestations fournies au créancier à titre d’aliments est soumis à la loi qui régit l’organisme.
3. Un organisme public peut demander la reconnaissance et la déclaration constatant la force exécutoire ou demander l’exécution :
a) d’une décision rendue contre un débiteur à la demande d’un organisme public qui poursuit le paiement de prestations fournies à titre d’aliments ;
b) d’une décision rendue entre un créancier et un débiteur, à concurrence des prestations fournies au créancier à titre d’aliments ;
4. L’organisme public qui demande la reconnaissance et la déclaration constatant la force exécutoire ou qui sollicite l’exécution d’une décision, produit, sur demande, tout document de nature à établir son droit en application du paragraphe 2 et le paiement des prestations au créancier. »
Le droit allemand
14 L’article 1601 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), intitulé « Débiteurs d’aliments », dispose :
« Les parents en ligne directe sont réciproquement tenus à une obligation alimentaire. »
15 L’article 94, paragraphe 1, première phrase, du Sozialgesetzbuch XII (douzième livre du code de la sécurité sociale, ci-après le « SGB XII »), intitulé « Transfert de droits à l’encontre d’une personne tenue, en vertu du droit civil, à une obligation alimentaire », énonce :
« Si l’ayant-droit bénéficie, en vertu du droit civil, pour la période durant laquelle des prestations ont été versées, d’une créance alimentaire, celle-ci est transmise, avec le droit à information en matière d’obligations alimentaires, à l’organisme d’aide sociale à concurrence des sommes versées. »
16 Selon le paragraphe 5, troisième phrase, de l’article 94 du SGB XII, les droits cédés en vertu du paragraphe 1, première phrase, de cet article doivent être exercés devant les juridictions civiles.
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 La mère de WV, qui est hébergée dans un établissement de soins pour personnes âgées à Cologne (Allemagne), est titulaire d’une pension alimentaire à titre d’ascendant en ligne directe, en vertu de l’article 1601 du code civil, au versement de laquelle est tenu WV, qui réside à Vienne (Autriche). La mère de WV perçoit cependant régulièrement de l’organisme demandeur une aide sociale en application du SGB XII. Cet organisme fait valoir que, conformément à l’article 94, paragraphe 1, première
phrase, du SGB XII, il est subrogé dans le droit de la bénéficiaire de l’aide sociale à l’égard de WV, pour les prestations alimentaires qu’il a prises en charge au profit de la mère de WV depuis le mois d’avril 2017.
18 Saisi d’une action récursoire dirigée contre WV en matière d’aliments par l’organisme demandeur, l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne) a considéré, en première instance, que les juridictions allemandes n’étaient pas internationalement compétentes pour statuer sur cette action. Selon cette juridiction, la compétence fondée sur l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 ne pourrait être invoquée que par la personne physique à laquelle des aliments sont dus.
19 Dans la procédure en appel, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne) a annulé le jugement de première instance. Cette juridiction a estimé que l’option ouverte au créancier d’aliments par l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 pouvait également être exercée par l’organisme demandeur en tant que cessionnaire des droits d’aliments.
20 Saisi d’un pourvoi en Revision introduit par WV contre la décision de l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne), le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) se demande si l’organisme public qui a versé l’aide sociale peut se prévaloir de la compétence de la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle en application de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, lorsque, par voie de subrogation légale, cet organisme fait valoir à
l’encontre du débiteur d’aliments une créance fondée sur les dispositions du droit civil national portant sur les pensions alimentaires.
21 À cet égard, la juridiction de renvoi expose, à titre liminaire, que la créance dans laquelle l’organisme demandeur est subrogé réunit les conditions pour constituer une obligation alimentaire au sens du règlement no 4/2009, et que cet organisme doit faire valoir une telle créance par la voie civile.
22 Considérant que l’action récursoire en matière d’aliments introduite par l’organisme demandeur relève du champ d’application du règlement no 4/2009, la juridiction de renvoi indique que, si, en ce qui concerne ce règlement, la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la question exposée au point 20 du présent arrêt, la doctrine allemande est divisée sur la réponse à y apporter. En effet, selon la juridiction de renvoi, certains auteurs répondraient par l’affirmative à cette question en mettant en
avant un souci d’efficacité de l’exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires, afin notamment d’éviter que le débiteur d’aliments résidant à l’étranger ne puisse profiter d’un traitement préférentiel découlant de l’intervention de la part d’un organisme public. D’autres auteurs, au contraire, soutiendraient la solution inverse, telle que dégagée dans l’arrêt du 15 janvier 2004, Blijdenstein (C‑433/01, EU:C:2004:21), concernant l’interprétation de l’article 5, point 2, de la
convention de Bruxelles, et qui aurait également vocation à s’appliquer dans le contexte du règlement no 4/2009, ce qui aurait pour conséquence qu’un organisme public qui poursuit, par la voie d’une action récursoire, le recouvrement d’une créance alimentaire ne pourrait pas se prévaloir, à l’encontre du débiteur d’aliments, de la possibilité d’invoquer la compétence des juridictions de la résidence habituelle dudit créancier.
23 La juridiction de renvoi est d’avis que, à la différence du rapport du type « règle/exception » qui prévaut dans le cadre de la convention de Bruxelles, les règles de compétence prévues à l’article 3 du règlement no 4/2009 seraient des règles de compétence générales et alternatives et donc de rang identique. En outre, et quand bien même l’article 2, paragraphe 1, point 10), du règlement no 4/2009 désigne le créancier comme étant une personne physique, ladite juridiction considère que, tant les
dispositions de ce règlement relatives à l’exécution des créances alimentaires, notamment son article 64, que les objectifs poursuivis par ledit règlement militent en faveur d’une solution qui assure l’efficacité du recouvrement des créances alimentaires, en accordant à l’organisme public légalement subrogé dans les droits du créancier d’aliments la possibilité de se prévaloir de la règle de compétence prévue à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009.
24 Éprouvant cependant des doutes quant à l’interprétation qu’il préconise, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Un organisme public, qui a servi à un créancier d’aliments des prestations d’aide sociale en vertu de dispositions du droit public, peut-il se prévaloir du for de la résidence habituelle du créancier d’aliments en vertu de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 lorsqu’il fait valoir, à titre subrogatoire, à l’encontre du débiteur d’aliments, la créance alimentaire de nature civile du créancier d’aliments qui, du fait de l’octroi de l’aide sociale, lui a été transmise par cession
légale ? »
Sur la question préjudicielle
25 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un organisme public qui poursuit, par la voie d’une action récursoire, le recouvrement de sommes versées à titre d’aliments à un créancier d’aliments, dans les droits duquel il est subrogé à l’égard du débiteur d’aliments, est fondé à se prévaloir de la compétence de la juridiction du lieu de la résidence habituelle dudit créancier, prévue à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009.
26 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les éléments du dossier dont dispose la Cour permettent de conclure à l’applicabilité des dispositions du règlement no 4/2009 dans le cadre d’une action récursoire introduite par un organisme public, telle que celle en cause dans l’affaire au principal.
27 En effet, ainsi que le font observer le gouvernement allemand et la Commission européenne, le droit de l’organisme public qui agit en tant que demandeur trouve sa source dans les obligations alimentaires qui découlent des relations de famille et de parenté et qui, dans l’affaire au principal, incombent à WV à l’égard de sa mère. L’exercice d’un tel droit entraîne, à l’égard du débiteur, des obligations alimentaires relevant de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 4/2009.
28 Cela étant, il importe de rappeler que les dispositions relatives aux règles de compétence devant être interprétées de manière autonome en référence notamment aux objectifs et au système du règlement considéré, il y a lieu d’interpréter l’article 3 du règlement no 4/2009 eu égard à son libellé, à ses finalités ainsi qu’au système au sein duquel il s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, points 24 et 25).
29 Il ressort du libellé de l’article 3 du règlement no 4/2009, intitulé « Dispositions générales », que celui-ci pose des critères généraux d’attribution de compétence pour les juridictions des États membres statuant en matière d’obligations alimentaires. À la différence des dispositions pertinentes de la convention de Bruxelles, qui ont été examinées par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 janvier 2004, Blijdenstein (C‑433/01, EU:C:2004:21), ledit article 3 ne contient ni un
principe général, tel que la compétence de la juridiction du domicile du défendeur, ni des règles dérogatoires, devant être interprétées de manière stricte, telles que celle prévue à l’article 5, point 2, de cette convention, mais une pluralité de critères, de rang égal et qui sont alternatifs, ainsi qu’en atteste l’emploi de la conjonction de coordination « ou », après l’exposé de chacun d’entre eux [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, R (Compétence responsabilité parentale et
obligation alimentaire), C‑468/18, EU:C:2019:666, point 29].
30 L’article 3 du règlement no 4/2009 offre ainsi au créancier d’aliments, lorsqu’il agit comme demandeur, la possibilité d’introduire sa demande relative à une obligation alimentaire sur le fondement de divers chefs de compétence, notamment, soit devant la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, conformément au point a) de cet article 3, soit devant la juridiction du lieu où le créancier a sa propre résidence habituelle, conformément au point b) dudit article [voir, en ce
sens, arrêt du 5 septembre 2019, R (Compétence responsabilité parentale et obligation alimentaire), C‑468/18, EU:C:2019:666, points 30 et 31].
31 Le libellé de l’article 3 du règlement no 4/2009 ne spécifiant toutefois pas que les juridictions désignées à ses points a) et b) doivent être saisies par le créancier d’aliments lui-même, cet article n’interdit pas, sous réserve du respect des objectifs et du système de ce règlement, qu’une demande relative à une obligation alimentaire puisse être introduite par un organisme public légalement subrogé dans les droits dudit créancier devant l’une ou l’autre de ces juridictions.
32 Or, ainsi que l’ont fait valoir tant la juridiction de renvoi que l’ensemble des intéressés dans la présente affaire, ni les objectifs ni le système du règlement no 4/2009 ne font obstacle à ce que la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle soit compétente pour statuer sur la demande relative à une obligation alimentaire introduite par un tel organisme public, en application de l’article 3, sous b), de ce règlement.
33 En effet, en premier lieu, admettre la compétence de la juridiction visée à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 pour statuer sur cette demande est conforme aux objectifs poursuivis par ce règlement, au nombre desquels figurent, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, tant la proximité entre la juridiction compétente et le créancier d’aliments que l’objectif, rappelé au considérant 45 dudit règlement, de faciliter le plus possible le recouvrement des créances alimentaires
internationales [voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, points 26, 28, 40 et 41, ainsi que du 4 juin 2020, FX (Opposition à exécution d’une créance d’aliments), C‑41/19, EU:C:2020:425, points 40 et 41].
34 En particulier, accorder à l’organisme public subrogé dans les droits du créancier d’aliments la possibilité de saisir la juridiction du lieu de la résidence habituelle de ce créancier est de nature à assurer l’efficacité du recouvrement des créances alimentaires internationales, objectif qui serait, en revanche, érodé si un tel organisme public se voyait priver du droit de se prévaloir des critères alternatifs de compétence prévus, au profit du demandeur en matière d’obligations alimentaires, à
l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009, tant au sein de l’Union européenne que, le cas échéant, en cas de résidence du défendeur sur le territoire d’un État tiers.
35 À cet égard, il y a notamment lieu de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 38 et 40 de ses conclusions, que, dans la mesure où l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009 ne subordonne pas l’applicabilité de ses règles en matière de compétence judiciaire internationale à la condition que le défendeur soit domicilié dans un État membre, ne pas autoriser l’organisme public subrogé dans les droits du créancier à saisir la juridiction du lieu de la résidence habituelle de ce
dernier, lorsque le débiteur d’aliments est domicilié dans un État tiers, reviendrait très probablement à obliger cet organisme public à faire valoir son action en dehors de l’Union. Cette situation, ainsi que les difficultés juridiques et pratiques qui en résulteraient, telles que celles mises en exergue par M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions, seraient susceptibles de compromettre le recouvrement efficace des créances d’aliments.
36 De plus, admettre que l’organisme public subrogé dans les droits du créancier d’aliments puisse valablement saisir la juridiction désignée à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 n’altère aucunement l’objectif de bonne administration de la justice, également poursuivi par ce règlement.
37 À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, cet objectif doit être entendu non seulement du point de vue d’une optimisation de l’organisation juridictionnelle mais également au regard de l’intérêt des parties, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur à l’action judiciaire, lesquels doivent avoir la possibilité de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité des règles de compétence [voir, arrêts du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13,
EU:C:2014:2461, point 29, ainsi que du 4 juin 2020, FX (Opposition à exécution d’une créance d’aliments), C‑41/19, EU:C:2020:425, point 40].
38 Or, le transfert des droits du créancier d’aliments au profit d’un tel organisme public n’affecte ni les intérêts du débiteur d’aliments ni la prévisibilité des règles de compétence applicables, ce dernier devant, en effet, s’attendre, en tout état de cause, à être attrait soit devant la juridiction du lieu où il a sa résidence habituelle, soit devant celle du lieu de la résidence habituelle du créancier.
39 En second lieu, le fait que l’organisme public subrogé légalement dans les droits du créancier d’aliments soit autorisé à saisir la juridiction du lieu de résidence habituelle de ce dernier est également cohérent avec le système du règlement no 4/2009 ainsi qu’avec son économie, tels que reflétés notamment à son considérant 14.
40 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 64 du règlement no 4/2009 envisage précisément l’intervention d’un organisme public, en tant que demandeur, qui agit à la place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou auquel est dû le remboursement de prestations fournies à titre d’aliments. Ainsi, selon l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 4/2009, un tel organisme est inclus dans la définition du terme « créancier » aux fins d’une demande de reconnaissance et de déclaration
constatant la force exécutoire de décisions ou aux fins de l’exécution de décisions, terme qui, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, point 10, dudit règlement, désigne, en principe, uniquement une personne physique à qui des aliments sont dus ou allégués être dus. En outre et surtout, l’article 64, paragraphe 3, sous a), de ce même règlement précise que cet organisme public est en droit de demander la reconnaissance et la déclaration constatant la force exécutoire ou de demander l’exécution
d’une décision rendue contre un débiteur à la demande d’un organisme public, qui poursuit le paiement de prestations fournies à titre d’aliments.
41 Cette disposition implique qu’un tel organisme public ait été préalablement mis en mesure de saisir la juridiction désignée conformément à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 afin que celle-ci puisse adopter une décision en matière d’obligations alimentaires, au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 1, dudit règlement.
42 Il résulte de l’ensemble des dispositions précitées que, tandis qu’un organisme public subrogé légalement dans les droits d’un créancier d’aliments ne peut lui-même se prévaloir du statut de « créancier » pour faire constater l’existence d’une obligation alimentaire, il doit néanmoins être mis en mesure de saisir, à cet effet, la juridiction compétente de la résidence habituelle du créancier d’aliments, en vertu de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009. Une fois la décision rendue par
cette juridiction dans l’État d’origine, un tel organisme public sera en droit de se voir reconnaître le statut de créancier aux fins, le cas échéant, d’une demande de reconnaissance, de déclaration de la force exécutoire ou d’exécution de cette décision dans l’État requis, en application des dispositions de l’article 64 dudit règlement.
43 Enfin, admettre que l’organisme public subrogé dans les droits du créancier d’aliments ait la possibilité de se prévaloir du for prévu à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est également cohérent avec le protocole de La Haye, auquel il est fait référence à l’article 15 de ce règlement, à propos de la détermination de la loi applicable en matière d’obligations alimentaires. En effet, dans la mesure où, d’une part, l’article 3, paragraphe 1, de ce protocole prévoit que, en principe, la loi
de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires et, d’autre part, l’article 10 dudit protocole, qui a été repris par l’article 64, paragraphe 2, dudit règlement, énonce que le droit au remboursement de l’organisme public ayant versé une prestation au créancier en lieu et place d’aliments est soumis à la loi qui régit ledit organisme, une telle possibilité permet d’assurer, dans la grande majorité des cas, qui sont ceux dans lesquels le siège de l’organisme
public et la résidence habituelle du créancier se trouvent dans le même État membre, un parallélisme entre les règles de désignation du for et celles relatives au droit matériel applicable, propice au règlement des affaires en matière d’obligations alimentaires.
44 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée qu’un organisme public qui poursuit, par la voie d’une action récursoire, le recouvrement de sommes versées à titre d’aliments à un créancier d’aliments, dans les droits duquel il est subrogé à l’égard du débiteur d’aliments, est fondé à se prévaloir de la compétence de la juridiction du lieu de la résidence habituelle dudit créancier, prévue à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009.
Sur les dépens
45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
Un organisme public qui poursuit, par la voie d’une action récursoire, le recouvrement de sommes versées à titre d’aliments à un créancier d’aliments, dans les droits duquel il est subrogé à l’égard du débiteur d’aliments, est fondé à se prévaloir de la compétence de la juridiction du lieu de la résidence habituelle dudit créancier, prévue à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 (CE) du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et
l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.