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16/07/2020 | CJUE | N°C-550/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Irlande., 16/07/2020, C-550/18


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 juillet 2020 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Absence de transposition et/ou de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire »

Dans l’affaire C‑550/18,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et

de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 27 août 2018,

Commission européenne, représentée par MM. T. S...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 juillet 2020 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Absence de transposition et/ou de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire »

Dans l’affaire C‑550/18,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 27 août 2018,

Commission européenne, représentée par MM. T. Scharf, L. Flynn et G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mmes G. Hodge et M. Browne ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme G. Gilmore, BL, et de M. P. McGarry, SC,

partie défenderesse,

soutenue par :

République d’Estonie, représentée par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

République française, représentée par Mme A.-L. Desjonquères ainsi que par MM. B. Fodda et J.-L. Carré, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, M. M. Vilaras, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J. Malenovský, L. Bay Larsen, T. von Danwitz, F. Biltgen (rapporteur), A. Kumin, N. Jääskinen et N. Wahl, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 décembre 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :

– de constater que, en n’ayant pas adopté, au plus tard le 26 juin 2017, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE
du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73), ou, en tout état de cause, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 67, paragraphe 1, de la directive 2015/849 ;

– d’infliger à cet État membre, conformément aux dispositions de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le paiement d’une astreinte de 17190,60 euros, avec effet à compter de la date du prononcé du présent arrêt, pour manquement à l’obligation de communiquer les mesures de transposition de cette directive ;

– d’imposer audit État membre, conformément aux dispositions de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le paiement d’une somme forfaitaire, sur la base d’un montant journalier de 4701,20 euros multiplié par le nombre de jours de persistance de l’infraction, sous réserve que la somme forfaitaire minimale de 1685000 euros soit dépassée, et

– de condamner l’Irlande aux dépens.

Le cadre juridique

2 Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2015/849 :

« 1.   La présente directive vise à prévenir l’utilisation du système financier de l’Union aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

2.   Les États membres veillent à ce que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme soient interdits. »

3 L’article 67 de cette directive prévoit :

« 1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 26 juin 2017. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.   Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive. »

4 La directive 2015/849 a été modifiée par la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, modifiant la directive 2015/849 ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE (JO 2018, L 156, p. 43). La directive 2018/843 est entrée en vigueur le 9 juillet 2018.

5 Aux termes de l’article 1er, point 42, de ladite directive :

« La directive (UE) 2015/849 est modifiée comme suit :

[...]

42) À l’article 67, le paragraphe 1 est remplacé par le texte suivant :

“1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 26 juin 2017.

Les États membres appliquent l’article 12, paragraphe 3, à partir du 10 juillet 2020.

Les États membres mettent en place les registres visés à l’article 30, au plus tard le 10 janvier 2020, les registres visés à l’article 31 au plus tard le 10 mars 2020 et les mécanismes automatisés centralisés visés à l’article 32 bis au plus tard le 10 septembre 2020.

La Commission assure l’interconnexion des registres visés aux articles 30 et 31, en coopération avec les États membres, au plus tard le 10 mars 2021.

Les États membres communiquent immédiatement à la Commission le texte des dispositions visées au présent paragraphe.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.” »

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

6 Le 23 février 2017, l’Irlande a notifié, à titre de transposition de la directive 2015/849, les European Union (Anti-Money Laundering : Beneficial Ownership of Corporate Entities) Regulations 2016 [règlement de 2016 de l’Union européenne (lutte contre le blanchiment de capitaux : propriété effective des sociétés)]. Cette mesure ne constituant, selon la Commission, qu’une transposition de l’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/849, et l’Irlande n’ayant pas informé cette
institution de l’existence d’autres mesures adoptées pour se conformer à cette directive, la Commission a, le 19 juillet 2017, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre.

7 La réponse de l’Irlande, datant du 13 septembre 2017, a fait apparaître que, à cette date, des mesures de transposition de ladite directive étaient en cours d’adoption. Aucun projet de texte législatif n’a pourtant été fourni quant aux règlements projetés concernant les fiducies et les structures de gestion collective des actifs.

8 Considérant que la transposition de la directive 2015/849 demeurait incomplète, la Commission a, le 8 mars 2018, adressé un avis motivé à l’Irlande invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences de cette directive dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

9 L’Irlande a répondu audit avis par courrier du 4 mai 2018, en informant la Commission qu’un projet d’acte, intégrant la directive 2015/849 dans la législation nationale, avait été préparé et que les autorités irlandaises accordaient une très haute priorité à son adoption. Ainsi, le débat parlementaire sur le projet de texte déjà publié, et transmis à la Commission, devait commencer au mois de mai 2018.

10 Considérant que l’Irlande n’avait pas adopté les mesures nationales nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2015/849 ni communiqué ces mesures, la Commission a introduit le présent recours, demandant à la Cour de constater le manquement reproché et d’infliger à cet État membre le paiement non seulement d’une somme forfaitaire, mais également d’une astreinte journalière.

11 Lors de l’audience qui s’est tenue le 10 décembre 2019, la Commission a informé la Cour qu’elle se désistait partiellement de son recours en ce qu’elle ne demandait plus l’imposition d’une astreinte journalière, cette demande étant devenue sans objet à la suite de la transposition complète de la directive 2015/849 en droit irlandais. En même temps, elle a précisé que le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle elle demandait la condamnation en l’espèce s’élevait à 2766992 euros et
couvrait la période allant du 27 juin 2017 au 2 décembre 2019.

12 Par décisions du président de la Cour des 12 et 11 février 2019, la République d’Estonie et la République française ont, respectivement, été admises à intervenir au soutien de l’Irlande.

Sur le recours

Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE

Argumentation des parties

13 Selon la Commission, en n’ayant pas adopté, au plus tard le 26 juin 2017, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2015/849 ou, en tout état de cause, en ne lui ayant pas communiqué ces dispositions, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 67 de cette directive.

14 En effet, à la date de l’introduction du présent recours, la Commission n’aurait, en dehors des informations concernant les mesures adoptées pour assurer la transposition de l’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/849, reçu aucune autre indication de la part de l’Irlande permettant de considérer que cette directive avait été transposée en droit irlandais.

15 S’agissant des prétendues mesures nationales de transposition de la directive 2015/849 notifiées après le dépôt de la requête et auxquelles se réfère l’Irlande dans son mémoire en défense, la Commission reconnaît que, avec la communication, le 29 novembre 2018, de plusieurs mesures de transposition de cette directive, l’Irlande a en effet largement transposé celle-ci. Toutefois, à la date du dépôt du mémoire en réplique, des lacunes auraient subsisté en ce qui concerne l’article 30, paragraphe 1,
second alinéa, et paragraphes 2 et 7, l’article 31, paragraphes 1 à 3 et 7, l’article 47, paragraphes 2 et 3, l’article 48, paragraphes 5 à 9, l’article 61, paragraphe 3, et l’article 62, paragraphe 2, de ladite directive.

16 La Commission réfute par ailleurs l’allégation selon laquelle la directive 2015/849 ne serait qu’une simple actualisation, assortie de modifications, de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (JO 2005, L 309, p. 15), déjà transposée en droit irlandais. La directive 2015/849 constituerait une évolution significative des règles
de l’Union en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux par rapport aux dispositions de la directive 2005/60 dès lors que, notamment, la directive 2015/849 élargit le champ d’application des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux en étendant à plusieurs égards la notion d’« entités assujetties » qui sont soumises à ces règles. Elle prévoirait explicitement l’inclusion des infractions fiscales pénales dans la liste des infractions principales en matière de
blanchiment de capitaux et étendrait la définition des personnes politiquement exposées pour y inclure les ressortissants nationaux. Cette directive trouverait sa source dans une actualisation de l’environnement réglementaire en matière de blanchiment de capitaux et refléterait ce contexte. De surcroît, au cours de la procédure précontentieuse, l’Irlande n’aurait jamais notifié la moindre mesure nationale de transposition de la directive 2005/60 dans le cadre de la transposition de la directive
2015/849 et n’aurait pas davantage fourni de tableau de correspondance démontrant la pertinence de telles mesures nationales et expliquant le lien entre celles-ci et les dispositions de cette directive.

17 La Commission rappelle, à cet égard, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, d’une part, il appartient aux États membres d’adopter un acte positif de transposition lorsque, comme la directive 2015/849 le fait à son article 67, une directive impose expressément aux États membres de veiller à ce que les dispositions nécessaires à sa mise en œuvre contiennent une référence à celle-ci ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. D’autre part, les
dispositions d’une directive devraient être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable et avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique qui requiert que, au cas où la directive en cause vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de ceux-ci. Or, en l’espèce, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 8 mars 2018, ces exigences n’auraient
pas été respectées.

18 L’Irlande considère qu’il convient de rejeter le recours de la Commission, dès lors qu’elle a satisfait, depuis le 29 novembre 2018, aux obligations prévues à l’article 67 de la directive 2015/849. Elle précise ainsi que, avec l’entrée en vigueur, le 26 novembre 2018, du Criminal Justice (Money Laundering and Terrorist Financing) (Amendment) Act 2018 [loi de 2018 sur la justice pénale (blanchiment de capitaux et financement du terrorisme) (amendement), ci-après la « loi de 2018 »] et l’adoption
du Criminal Justice (Money Laundering and Terrorist Financing) Act 2010 (Section 25) (Prescribed Class of Designated Person) Regulations 2018 [règlement de 2018 relatif à la loi de 2010 sur la justice pénale (blanchiment de capitaux et financement du terrorisme) (article 25) (catégorie réglementaire de personnes concernées)], elle a assuré la transposition complète de la directive 2015/849.

19 L’Irlande fait néanmoins valoir que la directive 2015/849 ne fait que mettre à jour en grande partie, avec des amendements, les dispositions de la troisième directive sur le blanchiment de capitaux, à savoir la directive 2005/60. Or, les trois premières directives sur le blanchiment de capitaux auraient été transposées par la législation irlandaise encore en vigueur, notamment par le Criminal Justice (Money Laundering and Terrorist Financing) Act 2010 [loi de 2010 sur la justice pénale
(blanchiment de capitaux et financement du terrorisme), ci-après la « loi de 2010 »]. Cette dernière couvrirait une grande partie des exigences fondamentales de la directive 2015/849, de telle sorte que, même sans les amendements législatifs introduits par la loi de 2018, la loi de 2010 comporte déjà 122 articles, dont 85 concernent les entités assujetties et leurs obligations. Or, le nombre significatif de mesures de transposition déjà en vigueur liées à la série de directives sur le blanchiment
de capitaux ne serait pas reflété dans la requête.

20 L’Irlande aurait également communiqué à la Commission, le 23 février 2017, le règlement de 2016 mentionné au point 6 du présent arrêt. Ce règlement donnerait effet à l’obligation posée par la directive 2015/849 d’obliger les entreprises et les autres entités juridiques établies dans l’État membre concerné à obtenir et à conserver des informations appropriées, actuelles et exactes concernant les bénéficiaires effectifs. Or, les dispositions introduites par ledit règlement constitueraient une
mesure de transposition importante de cette directive.

21 S’ajouterait à ces mesures la loi de 2018, qui introduit des amendements à la loi de 2010. L’Irlande fait valoir que l’adoption de la loi de 2018 requérait une procédure de transposition plus longue afin de garantir l’effectivité des dispositions de la directive 2015/849, qu’elle a donné priorité à l’adoption de la proposition de loi de transposition de cette directive et que cette proposition se trouvait déjà à un stade avancé de la procédure législative lorsque la Commission a introduit le
présent recours.

22 L’Irlande ajoute qu’un certain nombre de dispositions de la directive 2015/849 ne requièrent aucune mesure de transposition.

23 Partant, tout en reconnaissant que la transposition de certaines dispositions de la directive 2015/849 faisait défaut jusqu’à l’entrée en vigueur, le 26 novembre 2018, de la loi de 2018, l’Irlande, d’une part, considère qu’il ne saurait être soutenu, ainsi que le fait la Commission, que, à la date de l’introduction du présent recours, la majeure partie de cette directive n’était pas transposée dans le droit irlandais et, d’autre part, affirme avoir notifié à la Commission la transposition
partielle de ladite directive avant l’expiration du délai prévu à l’article 67, paragraphe 1, de celle-ci.

24 En ce qui concerne les lacunes dans la transposition de la directive 2015/849 ayant prétendument subsisté après l’entrée en vigueur, le 26 novembre 2018, de la loi de 2018, l’Irlande fait valoir, pour ce qui est des dispositions de l’article 30, paragraphe 1, second alinéa, et paragraphes 2 et 7, ainsi que de l’article 31, paragraphes 1 à 3 et 7, de cette directive, qu’elle avait considéré que le délai pour leur transposition avait été étendu par la modification de l’article 67, paragraphe 1, de
ladite directive par la directive 2018/843. En tout état de cause, certaines de ces dispositions auraient déjà été entièrement ou partiellement transposées en droit national par la loi de 2010.

25 Au sujet de l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2015/849, cet État membre soutient que la loi de 2018 a introduit des dispositions relatives à l’immatriculation pour les bureaux d’encaissement de chèques, mais que, aucun bureau tel que ceux-ci n’étant immatriculé sur son territoire, il n’a pas été jugé utile d’adopter une disposition concernant la compétence et l’honorabilité propre aux bureaux d’encaissement de chèques.

26 Quant à l’article 47, paragraphe 3, de la directive 2015/849, l’Irlande rappelle que, dans le tableau de correspondance communiqué avec la loi de 2018, elle a fait état de la circonstance que les organes professionnels concernés soumettent leurs membres à un contrôle concernant des condamnations pénales. En effet, en ce qui concerne les entités visées à cette disposition, il serait établi que les auditeurs, les notaires et les membres de professions juridiques indépendantes doivent tous être
membres des organes professionnels concernés et sont, en cette qualité, soumis à un contrôle concernant des condamnations pénales. Partant, le respect des obligations découlant de l’article 47, paragraphe 3, de cette directive serait assuré.

27 Concernant l’article 48, paragraphes 5 à 9, de la directive 2015/849, l’Irlande soutient que ces dispositions n’exigent pas l’imposition d’obligations particulières dans des dispositions légales spécifiques. À supposer que de telles obligations découlent des paragraphes 5 à 8 de cet article, l’Irlande les aurait comprises comme étant secondaires et accessoires par rapport aux fonctions générales des autorités compétentes qui sont établies à l’article 63 de la loi de 2010. Les dispositions de
l’article 48, paragraphe 9, de cette directive étant, par nature, optionnelles, elles n’exigeraient pas de mesure distincte de transposition.

28 S’agissant de l’article 61, paragraphe 3, de la directive 2015/849, l’Irlande soutient que l’article 54 de la loi de 2010, tel que modifié par l’article 26 de la loi de 2018, contient des obligations pesant sur les personnes visées par cette disposition. La protection des lanceurs d’alerte, auxquels la Commission fait référence dans son mémoire en réplique, serait, pour sa part, régie par la législation nationale existante, à savoir le Protected Disclosures Act 2014 (loi de 2014 relative aux
divulgations protégées).

29 Au sujet de l’article 62, paragraphe 2, de la directive 2015/849, cet État membre soutient que sa transposition est assurée par la réglementation existante dès lors que c’est la Banque centrale d’Irlande qui, sur la base des Fitness and Probity Standards (code issued under Section 50 of the Central Bank Reform Act 2010) [Règles d’honorabilité et de compétence (code adopté en vertu de l’article 50 de la loi de 2010 relative à la réforme de la Banque centrale)] adoptés par cette banque au cours de
l’année 2014, impose des sanctions administratives.

Appréciation de la Cour

30 Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêts du 30 janvier 2002, Commission/Grèce, C‑103/00, EU:C:2002:60, point 23 ; du 18 octobre 2018, Commission/Roumanie, C‑301/17, non publié, EU:C:2018:846, point 42, et du 8 juillet 2019,
Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 23].

31 La Cour a par ailleurs itérativement jugé que si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 1997,
Commission/Allemagne, C‑137/96, EU:C:1997:566, point 8 ; du 18 décembre 1997, Commission/Espagne, C‑360/95, EU:C:1997:624, point 13, et du 11 juin 2015, Commission/Pologne, C‑29/14, EU:C:2015:379, point 49).

32 En l’espèce, la Commission a transmis son avis motivé à l’Irlande le 8 mars 2018, de telle sorte que le délai de deux mois qui y était fixé venait à échéance le 8 mai 2018. C’est donc au vu de l’état de la législation interne en vigueur à cette date qu’il convient d’apprécier l’existence ou non du manquement allégué [voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 24 et jurisprudence citée].

33 À cet égard, d’une part, il ressort de la réponse de l’Irlande du 4 mai 2018 que, à cette date, et nonobstant l’adoption d’une mesure nationale transposant l’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/849, une transposition complète dans le droit national de cette directive n’avait pas été réalisée. Or, il n’est pas contesté que cette situation n’avait pas évolué au 8 mai 2018, les mesures qui, même d’après l’Irlande, étaient nécessaires pour assurer la transposition intégrale
de ladite directive n’ayant été communiquées à la Commission que le 29 novembre 2018.

34 D’autre part, il est constant que, en dehors de la mesure assurant la transposition de l’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/849, les autres mesures nationales dont l’Irlande estime qu’elles assuraient, de fait, une transposition partielle de cette directive à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé du 8 mars 2018 n’ont non seulement pas été communiquées à la Commission à ce titre, mais en plus ne contiennent, contrairement à ce que prescrit l’article 67 de la même
directive, aucune référence à celle-ci.

35 Il s’ensuit que les mesures en question ne sauraient être considérées comme constituant un acte positif de transposition au sens de la jurisprudence mentionnée au point 31 du présent arrêt.

36 Pour le surplus, il suffit de constater que les mesures notifiées le 29 novembre 2018 ainsi que les 30 janvier, 27 mars, 27 novembre et 3 décembre 2019 ont été adoptées et sont entrées en vigueur bien après l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé du 8 mars 2018, de sorte que, en tout état de cause, il ne saurait en être tenu compte pour apprécier l’existence du manquement reproché à la fin de ce délai.

37 Il convient donc de conclure que, à l’expiration du délai fixé dans ledit avis motivé, l’Irlande n’avait ni adopté toutes les mesures nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2015/849 ni, partant, communiqué ces mesures de transposition à la Commission.

38 Dès lors, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas, à l’échéance du délai imparti dans l’avis motivé du 8 mars 2018, adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2015/849 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 67 de cette directive.

Sur le manquement au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

Sur l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

– Argumentation des parties

39 Selon la Commission, l’article 260, paragraphe 3, TFUE a été introduit par le traité de Lisbonne dans le but de renforcer le dispositif de sanction préalablement institué par le traité de Maastricht. Compte tenu du caractère novateur de cette disposition et de la nécessité de préserver la transparence et la sécurité juridique, cette institution a adopté la communication intitulée « Mise en œuvre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE » (JO 2011, C 12, p. 1, ci-après la « communication de 2011 »).

40 Cette disposition aurait pour objectif d’inciter plus fortement les États membres à transposer les directives dans les délais fixés par le législateur de l’Union et de garantir l’application de la législation de l’Union.

41 La Commission considère que l’article 260, paragraphe 3, TFUE s’applique tant en cas d’absence totale de communication des mesures de transposition d’une directive qu’en cas de communication partielle de ces mesures.

42 Cette institution estime par ailleurs que, dès lors que l’article 260, paragraphe 3, TFUE évoque le manquement d’un État membre à son obligation de communiquer des « mesures de transposition d’une directive », cette disposition ne s’applique pas uniquement en cas d’absence de notification des mesures nationales de transposition d’une directive, mais également en cas de défaut d’adoption de telles mesures. Une interprétation purement formaliste de ladite disposition, selon laquelle cette dernière
vise uniquement à assurer la notification effective de mesures nationales, ne garantirait pas une transposition pertinente de toutes les dispositions de la directive en question et priverait l’obligation de transposition des directives dans le droit national de tout effet utile.

43 En l’espèce, il s’agirait précisément de sanctionner le défaut d’adoption et de publication ainsi que, partant, la non-communication à la Commission, par l’Irlande, de toutes les dispositions juridiques nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2015/849 en droit national.

44 S’agissant des arguments avancés par l’Irlande pour contester l’applicabilité de l’article 260, paragraphe 3, TFUE au cas d’espèce, la Commission relève, d’abord, que cette disposition a un champ d’application spécifique et n’est pas conçue comme une dérogation à une règle générale, de telle sorte qu’elle n’est pas d’interprétation stricte. La transposition, en temps voulu, des directives en droit national serait d’une importance fondamentale et ladite disposition aurait précisément pour objectif
de faire respecter le délai de transposition de celles-ci.

45 La Commission soutient, ensuite, que les notions de « transposition complète », d’une part, et de « transposition correcte », d’autre part, peuvent être clairement distinguées l’une de l’autre. La constatation, par la Commission, de l’existence de lacunes dans la transposition d’une directive en droit national ne signifierait nullement que la Commission ait effectué un contrôle portant sur la conformité des dispositions nationales existantes à cette directive. Cela serait d’autant plus vrai
lorsque, comme en l’espèce, l’État membre défaillant admet lui-même que la transposition de la directive en cause dans son droit national fait encore partiellement défaut. Par ailleurs, eu égard à l’objectif de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, tel que spécifié par la Cour dans son arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit) (C‑543/17, EU:C:2019:573), l’application de cette disposition ne serait pas limitée aux seuls cas d’absence totale
de transposition.

46 La Commission rejette, en outre, l’argument selon lequel elle aurait agi, en l’espèce, de manière disproportionnée en proposant des sanctions financières et aurait manqué aux obligations découlant du devoir de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE. À cet égard, elle souligne ne jamais avoir contesté que l’Irlande avait agi de bonne foi et avait loyalement coopéré. Par ailleurs, il n’y aurait pas lieu d’examiner l’applicabilité de l’article 260, paragraphe 3, TFUE à la lumière
de la bonne foi de l’État membre concerné dès lors qu’il est constant que l’Irlande avait pris du retard dans l’adoption du principal instrument de droit national qu’elle avait choisi pour donner effet à la plupart des dispositions de la directive 2015/849, à savoir la loi de 2018. Cette approche s’imposerait avec d’autant plus de vigueur que l’objectif même de l’article 260, paragraphe 3, TFUE est d’inciter les États membres à transposer en temps utile l’ensemble des dispositions d’une
directive. Il n’y aurait pas lieu de craindre que les États membres privilégient le respect du délai de transposition des directives au détriment de la qualité de cette transposition, dès lors que le législateur de l’Union a prévu les délais nécessaires pour garantir une transposition de qualité et qu’il a pris ces paramètres en considération lors du choix de la date de transposition fixée par les directives. De plus, la Cour aurait jugé que, si le délai pour la mise en œuvre d’une directive
s’avère trop court, la seule voie compatible avec le droit de l’Union consiste, pour l’État membre intéressé, à prendre les initiatives appropriées en vue d’obtenir que soit arrêtée, par l’institution compétente, une prorogation éventuelle de ce délai.

47 La Commission ajoute, enfin, que sa décision de demander systématiquement l’imposition d’une sanction financière en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne saurait être comprise comme une omission de sa part d’exercer son pouvoir d’appréciation. En effet, au point 16 de la communication de 2011, elle aurait explicitement tenu compte du fait que ladite disposition lui confère un large pouvoir discrétionnaire, analogue au pouvoir discrétionnaire d’engager ou non une procédure
d’infraction en application de l’article 258 TFUE. Ainsi, la décision politique de recourir, par principe, à l’instrument prévu à l’article 260, paragraphe 3, TFUE dans toutes les affaires concernant les manquements visés à cette disposition aurait été adoptée dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si la Commission n’exclut pas que des cas particuliers puissent surgir dans lesquels une demande de sanction au titre de ladite disposition lui paraisse inappropriée, elle précise que tel
n’est pas le cas en l’occurrence.

48 À cet égard, la Commission conteste l’argument de l’Irlande et des États membres intervenants selon lequel elle fonderait sa demande d’imposition d’une sanction pécuniaire à un État membre sur le comportement d’autres États membres. Au contraire, selon la méthode de calcul appliquée, elle veillerait à proposer des sanctions adaptées à une infraction donnée et le fait d’avoir établi un cadre général qui lui permette d’appliquer, de manière non discriminatoire, sa méthode dans chaque cas individuel
ne saurait infirmer cette conclusion.

49 L’Irlande, tout en admettant qu’elle n’avait que partiellement transposé la directive 2015/849 à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé, conteste l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE en l’espèce.

50 À l’appui de sa position, cet État membre soutient, notamment, que, depuis le 29 novembre 2018, il avait complètement transposé la directive 2015/849, alors que, de l’avis de la Commission, ce n’est qu’à partir du 3 décembre 2019 que la transposition de cette directive en droit irlandais a été pleinement assurée. L’argumentation de la Commission relative à la période postérieure au 29 novembre 2018 reposerait sur une analyse qualitative de la transposition de ladite directive, ce qui prouve qu’il
est difficile de distinguer entre une « transposition complète » d’une directive et une « transposition incorrecte » de celle-ci. Dans un tel cas, un État membre serait empêché de savoir si un manquement donné relève ou non du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE et, dans l’affirmative, pendant quelle période ce manquement a perduré. À supposer que, en l’espèce, il y ait encore eu des lacunes dans la transposition de la directive 2015/849 après le 26 novembre 2018, ce que
l’Irlande conteste, ces lacunes seraient attribuables à une mauvaise interprétation par l’Irlande de certaines obligations lui incombant, à une inadvertance ou à un tableau de correspondance incorrectement rempli. Or, s’appuyer, ainsi que le fait la Commission, sur l’article 260, paragraphe 3, TFUE pour sanctionner de prétendus défauts mineurs dans l’appréciation prima facie des obligations incombant à l’Irlande serait contraire à l’objectif de cette disposition.

51 L’Irlande fait également valoir que l’applicabilité de l’article 260, paragraphe 3, TFUE doit être évaluée au cas par cas et en tenant compte de la bonne foi de l’État membre concerné. Le pouvoir conféré à la Commission par cette disposition étant discrétionnaire par nature, il y aurait lieu de conclure que la politique générale de la Commission, telle que décrite dans la communication de la Commission, intitulée « Le droit de [l’Union] : une meilleure application pour de meilleurs résultats »
(JO 2017, C 18, p. 10), consistant à demander de manière systématique l’imposition de sommes forfaitaires et d’astreintes n’est pas conforme à l’objectif de ladite disposition. De surcroît, cette politique ne permettrait pas de tenir compte des efforts accomplis de bonne foi par les États membres. En l’espèce, la Commission aurait été informée de l’avancement de la transposition de la directive 2015/849 et du calendrier établi pour l’adoption des mesures de transposition de celle-ci. Dans de
telles conditions, imposer le paiement d’une somme forfaitaire ne permettrait probablement pas d’obtenir un effet dissuasif tel que la sauvegarde « des intérêts généraux poursuivis par la législation de l’Union » visée par la Commission, mais pourrait, au contraire, encourager les États membres à compromettre la qualité de la transposition des directives au profit d’une transposition de celles-ci en temps voulu. L’approche suivie par la Commission méconnaîtrait donc le principe de
proportionnalité établi à l’article 5, paragraphe 4, TUE. De plus, cette approche ne serait pas compatible avec le devoir de coopération loyale qui incombe à la Commission en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE. La décision de la Commission de demander systématiquement le paiement d’une somme forfaitaire sans motiver cette demande au cas par cas serait d’ailleurs contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’imposition d’une somme forfaitaire ne doit pas avoir de caractère
automatique et doit être décidée en fonction des circonstances de l’espèce. Or, en l’espèce, l’objectif de la Commission serait de faire de l’Irlande un exemple et ainsi d’amener, à l’avenir, les autres États membres à respecter les délais de transposition prévus dans les directives. Cela serait injuste et illégitime. Le comportement de la Commission reposerait, de surcroît, sur la supposition que les États membres cherchent à retarder la transposition des directives, ce qui revient, en fait, à
présumer la mauvaise foi des États membres. Or, une telle présomption serait contraire au devoir de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

52 La République d’Estonie et la République française font valoir, notamment, que la présente affaire démontre à quel point il est difficile pour un État membre de distinguer entre une transposition incomplète d’une directive et une transposition incorrecte de celle-ci. Ainsi, les États membres seraient dans une situation extrêmement difficile, étant donné que, à suivre l’approche préconisée par la Commission, ils ne pourraient jamais être certains que cette institution n’envisage pas de demander
l’imposition d’une sanction pécuniaire à leur égard.

53 De surcroît, selon ces intervenants, en l’espèce, l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne saurait trouver à s’appliquer dès lors que la Commission n’a pas motivé de manière circonstanciée sa décision de demander l’imposition d’une somme forfaitaire. Or, une telle décision devrait, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour en la matière, être spécifiquement justifiée par rapport aux circonstances particulières de chaque affaire. La Commission ne saurait se limiter à recourir, par principe, à
l’instrument prévu à l’article 260, paragraphe 3, TFUE sans contrevenir à cette disposition. En outre, une analyse circonstanciée de chaque cas par la Commission serait de mise dès lors que ces éléments sont nécessaires pour déterminer la nature de la sanction financière qu’il convient d’infliger pour amener l’État membre concerné à mettre un terme au manquement en cause et établir un montant qui soit approprié aux circonstances de l’espèce ainsi que l’exige cette jurisprudence.

– Appréciation de la Cour

54 Il convient de rappeler que l’article 260, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE prévoit que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime
adapté aux circonstances. Conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

55 S’agissant de la portée de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour a jugé qu’il convenait de retenir une interprétation de cette disposition qui, d’une part, permet à la fois de garantir les prérogatives détenues par la Commission en vue d’assurer l’application effective du droit de l’Union et de protéger les droits de la défense ainsi que la position procédurale dont bénéficient les États membres au titre de l’application combinée de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 2, TFUE et,
d’autre part, met la Cour en position de pouvoir exercer sa fonction juridictionnelle consistant à apprécier, dans le cadre d’une seule procédure, si l’État membre concerné a rempli ses obligations en matière de communication des mesures de transposition de la directive en cause et, le cas échéant, à évaluer la gravité du manquement ainsi constaté et à imposer la sanction pécuniaire qu’elle juge la plus adaptée aux circonstances de l’espèce [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique
(Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C-543/17, EU:C:2019:573, point 58].

56 Dans ce contexte, la Cour a interprété les termes « obligation de communiquer des mesures de transposition », figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, en ce sens qu’ils visent l’obligation des États membres de transmettre des informations suffisamment claires et précises quant aux mesures de transposition d’une directive. Afin de satisfaire à l’obligation de sécurité juridique et d’assurer la transposition de l’intégralité des dispositions de cette directive sur l’ensemble du territoire
concerné, les États membres sont tenus d’indiquer, pour chaque disposition de ladite directive, la ou les dispositions nationales assurant sa transposition. Une fois cette communication intervenue, le cas échéant accompagnée de la présentation d’un tableau de correspondance, il incombe à la Commission d’établir, en vue de solliciter l’infliction à l’État membre concerné d’une sanction pécuniaire prévue à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, que certaines mesures de transposition font manifestement
défaut ou ne couvrent pas l’ensemble du territoire de l’État membre concerné, étant entendu qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure juridictionnelle engagée en application de cette disposition, d’examiner si les mesures nationales communiquées à la Commission assurent une transposition correcte des dispositions de la directive en cause [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C-543/17, EU:C:2019:573, point 59].

57 Dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 37 et 38 du présent arrêt, il est établi que, à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé du 8 mars 2018, l’Irlande n’avait pas communiqué à la Commission toutes les mesures de transposition de la directive 2015/849 au sens de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de cette disposition.

58 S’agissant du point de savoir si, ainsi que le font valoir l’Irlande et les États membres intervenus à son soutien, la Commission doit motiver au cas par cas sa décision de solliciter une sanction pécuniaire au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ou si cette institution peut le faire sans motivation, dans tous les cas qui relèvent du champ d’application de cette disposition, il convient de rappeler que la Commission dispose, en tant que gardienne des traités en vertu de l’article 17,
paragraphe 1, deuxième phrase, TUE, d’un pouvoir discrétionnaire pour adopter une telle décision.

59 En effet, l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne saurait être envisagée de manière isolée, mais doit être liée à l’introduction d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE. Or, dans la mesure où la demande de condamnation à une sanction pécuniaire conformément à l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne constitue qu’une modalité accessoire de la procédure en manquement, dont elle doit assurer l’efficacité, et où la Commission dispose, en ce qui concerne l’opportunité
d’engager une telle procédure, d’un pouvoir discrétionnaire sur lequel la Cour ne peut exercer un contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, EU:C:1989:58, point 11 ; du 6 juillet 2000, Commission/Belgique, C‑236/99, EU:C:2000:374, point 28, et du 26 juin 2001, Commission/Portugal, C‑70/99, EU:C:2001:355, point 17), les conditions d’application de cette disposition ne sauraient être plus restrictives que celles présidant à la mise en œuvre
de l’article 258 TFUE.

60 En outre, il importe de relever que, en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seule la Cour est compétente pour infliger une sanction pécuniaire à un État membre. Lorsque la Cour adopte une telle décision au terme d’un débat contradictoire, elle doit motiver celle-ci. Partant, l’absence de motivation par la Commission de son choix de solliciter auprès de la Cour l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE n’affecte pas les garanties procédurales de l’État membre en cause.

61 Il importe d’ajouter que la circonstance que la Commission ne doit pas motiver au cas par cas sa décision de solliciter une sanction pécuniaire au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE n’exonère pas cette institution de l’obligation de motiver la nature et le montant de la sanction pécuniaire sollicitée, en tenant compte à cet égard des lignes directrices qu’elle a adoptées, telles que celles contenues dans les communications de la Commission, qui, tout en ne liant pas la Cour, contribuent à
garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission (voir, par analogie avec l’article 260, paragraphe 2, TFUE, arrêt du 30 mai 2013, Commission/Suède, C‑270/11, EU:C:2013:339, point 41 et jurisprudence citée).

62 Cette exigence de motivation de la nature et du montant de la sanction pécuniaire sollicitée est d’autant plus importante que, à la différence de ce qui est prévu au paragraphe 2 de l’article 260 TFUE, le paragraphe 3 de cet article prévoit que, dans le cadre d’une procédure engagée en application de cette disposition, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré, dès lors que, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission lient la Cour
quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer.

63 En effet, les auteurs de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ont non seulement prévu qu’il incombe à la Commission d’indiquer « le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer » par l’État membre en question, mais ont également précisé que la Cour ne peut infliger le paiement d’une sanction pécuniaire que « dans la limite du montant indiqué » par la Commission. Ils ont ainsi établi une corrélation directe entre la sanction requise par la Commission et celle pouvant être prononcée par
la Cour en application de cette disposition.

64 L’argument selon lequel l’imposition d’une somme forfaitaire ne doit, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, C‑121/07, EU:C:2008:695, point 63), pas avoir de caractère automatique n’est pas davantage de nature à avoir une incidence sur le pouvoir de la Commission d’engager, par principe, une procédure en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE dans tous les cas où elle considère qu’un manquement relève du champ
d’application de cette disposition. En effet, cette jurisprudence vise l’appréciation du bien-fondé d’une requête de la Commission tendant à une « condamnation » au paiement d’une sanction pécuniaire par la Cour et non pas l’opportunité de présenter une telle requête.

65 S’agissant de l’argument de l’Irlande selon lequel l’action de la Commission viserait à faire un exemple, notamment, d’elle-même et de la Roumanie afin d’inciter les autres États membres à respecter les délais de transposition fixés dans les directives, il convient de relever que, d’une part, ainsi que la Commission l’a relevé sans être contredite sur ce point, à la date de l’introduction du présent recours, l’Irlande était, avec la Roumanie, le seul État membre à ne pas avoir entièrement
transposé la directive 2015/849. D’autre part, et en tout état de cause, les considérations qui ont amené la Commission à engager la présente procédure contre l’Irlande, et à le faire à la date qu’elle a choisie, ne sauraient porter atteinte à l’applicabilité de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ou à la recevabilité de l’action engagée au titre de cette disposition.

66 Il y a lieu, dès lors, de constater que l’article 260, paragraphe3, TFUE s’applique dans une situation telle que celle en cause en l’espèce.

Sur l’imposition d’une somme forfaitaire en l’espèce

– Argumentation des parties

67 S’agissant du montant de la sanction pécuniaire à infliger, la Commission considère, conformément à la position reflétée au point 23 de la communication de 2011, que, dans la mesure où un manquement à l’obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive n’est pas moins grave qu’un manquement pouvant faire l’objet des sanctions mentionnées à l’article 260, paragraphe 2, TFUE, les modalités de calcul des sanctions visées à l’article 260, paragraphe 3, TFUE doivent être les mêmes
que celles appliquées dans le cadre de la procédure définie au paragraphe 2 de cet article.

68 En l’espèce, la Commission demande l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant est calculé selon les lignes directrices contenues dans sa communication du 13 décembre 2005, intitulée « Mise en œuvre de l’article [260 TFUE] » [SEC(2005) 1658], telle qu’actualisée par la communication du 13 décembre 2017, intitulée « Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice dans le cadre de procédures
d’infraction » [C(2017) 8720], et dont le montant minimal forfaitaire pour l’Irlande est de 1685000 euros. Ce montant minimal forfaitaire ne trouverait toutefois pas à s’appliquer en l’occurrence dès lors qu’il est inférieur au montant découlant du calcul de la somme forfaitaire conformément à ces communications. Pour déterminer le montant journalier servant de base à ce calcul, il conviendrait de multiplier le forfait de base uniforme, à savoir 230 euros, par le coefficient de gravité et par le
facteur « n », qui est de 2,92 pour l’Irlande. Le coefficient de gravité aurait évolué à la baisse au fur et à mesure que l’Irlande a communiqué des mesures de transposition supplémentaires. Ainsi, pour la période allant du 27 juin 2017 au 28 novembre 2018, le coefficient de gravité serait de 7 sur une échelle allant de 1 à 20, pour la période allant du 29 novembre 2018 au 26 mars 2019, ce coefficient serait de 2, et pour la période allant du 27 mars au 2 décembre 2019, ledit coefficient serait
de 1. L’addition des trois montants correspondant à ces périodes, à savoir 2439922,80 euros, 158497,60 euros et 168571,60 euros, conduit la Commission à demander l’imposition d’une somme forfaitaire totale de 2766992 euros.

69 La Commission conteste, par ailleurs, que l’imposition d’une somme forfaitaire constitue une exception et ne s’impose que dans des circonstances exceptionnelles. En effet, la transposition tardive des directives porterait atteinte non seulement à la sauvegarde des intérêts généraux poursuivis par la législation de l’Union, qui ne pourrait tolérer aucun retard, mais aussi et surtout à la protection des citoyens européens qui tirent des droits subjectifs de cette législation. De surcroît, la
crédibilité du droit de l’Union dans son ensemble serait menacée si des actes législatifs mettaient de longues années à déployer leurs pleins effets juridiques dans les États membres. Par conséquent, les retards de transposition des directives constitueraient des circonstances particulières suffisamment graves pour justifier l’imposition d’une somme forfaitaire.

70 S’agissant du montant de la somme forfaitaire dont le paiement est requis par la Commission, l’Irlande considère que, à l’instar de ce qui a été jugé au sujet de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, la Cour n’est pas liée par les lignes directrices de la Commission et, plus particulièrement, par la somme forfaitaire minimale fixée pour l’Irlande à 1685000 euros. En outre, lorsque le manquement en cause a pris fin avant le prononcé de l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire concernant ce manquement,
la Cour pourrait considérer que le paiement d’une somme forfaitaire n’est pas nécessaire. D’ailleurs, en l’espèce, aucun paiement d’une somme forfaitaire ne devrait être imposé. Pour le surplus, il n’y aurait aucune raison de transposer la méthode de calcul des sanctions pécuniaires imposées en application de l’article 260, paragraphe 2, TFUE à celles infligées en application du paragraphe 3 de cet article, dès lors que la gravité des manquements qu’il s’agit de sanctionner n’est pas la même.

71 L’Irlande fait par ailleurs valoir que le lendemain de la date limite de transposition prévue par la directive 2015/849, à savoir le 27 juin 2017, ne saurait être un point de départ approprié pour évaluer la durée du manquement en cause dès lors que, à cette date, elle ne pouvait savoir que ce manquement relevait du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE et que la Commission allait adopter une politique d’application systématique de cette disposition. En outre, calculer la somme
forfaitaire par référence à un montant journalier, en dépassant la somme forfaitaire minimale proposée par la Commission, serait contraire au principe de sécurité juridique. Pour ce qui est de la fin dudit manquement, l’Irlande rappelle que, selon elle, celle-ci se situe le 29 novembre 2018, et non, comme le soutient la Commission, le 3 décembre 2019. En effet, à cette première date, toutes les dispositions de la directive 2015/849 nécessitant une transposition auraient été pleinement transposées
en droit national. Si, nonobstant le fait que le manquement en cause a pris fin au jour de l’examen des faits par la Cour, celle-ci devait néanmoins décider d’imposer une somme forfaitaire à l’Irlande, cette sanction pécuniaire devrait être minimale.

72 S’agissant du coefficient de gravité, l’Irlande soutient que, au regard de l’importance des règles de l’Union faisant l’objet de l’infraction en cause, des conséquences mineures du défaut de transposition de la directive 2015/849 sur des intérêts d’ordre général ou particulier et des circonstances atténuantes, le coefficient proposé par la Commission est substantiellement trop élevé. Ainsi, en l’espèce, ce coefficient devrait être réduit à 1. Parmi les circonstances atténuantes, l’Irlande relève
plus particulièrement que la loi de 2018 est entrée en vigueur en cours d’instance, qu’une transposition par une législation primaire est liée à la force des mesures de mise en œuvre prévues par la législation en vigueur, qu’elle a donné la priorité à l’adoption de la proposition de loi par les deux chambres du parlement, qu’elle a tenu la Commission informée des avancées législatives et qu’elle a respecté le calendrier indicatif communiqué à cette institution avant l’introduction du présent
recours.

73 La République d’Estonie et la République française estiment que, en l’espèce, le montant de la somme forfaitaire proposé par la Commission doit, en tout état de cause, être revu à la baisse.

– Appréciation de la Cour

74 S’agissant, en premier lieu, de l’argument selon lequel il serait disproportionné d’imposer une somme forfaitaire dès lors que, en cours d’instance, l’Irlande a mis un terme au manquement en cause, il y a lieu de rappeler que, d’une part, le manquement d’un État membre à son obligation de communication des mesures de transposition d’une directive, que ce soit par une absence totale ou partielle d’information ou par une information insuffisamment claire et précise, peut justifier, à lui seul,
l’ouverture de la procédure prévue à l’article 258 TFUE visant à la constatation de ce manquement [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 51]. D’autre part, l’objectif poursuivi par l’introduction du mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait
tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure pour l’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication d’une mesure nationale de transposition d’une directive adoptée conformément à la procédure législative, étant précisé que, antérieurement à l’introduction d’un tel mécanisme, l’infliction d’une sanction financière aux États membres ne s’étant pas conformés dans les délais à un arrêt antérieur de la Cour et n’ayant pas
respecté leur obligation de transposition pouvait n’intervenir que plusieurs années après ce dernier arrêt [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 52].

75 Or, force est de constater que les auteurs de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ont, afin d’atteindre l’objectif poursuivi par cette disposition, prévu deux types de sanctions pécuniaires, à savoir la somme forfaitaire et l’astreinte.

76 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’application de l’une ou de l’autre de ces deux mesures dépend de l’aptitude de chacune à remplir l’objectif poursuivi en fonction des circonstances de l’espèce. Si le prononcé d’une astreinte semble particulièrement adapté pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose
davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période (voir, par analogie avec l’article 260, paragraphe 2, TFUE, arrêt du 12 juillet 2005, Commission/France, C‑304/02, EU:C:2005:444, point 81).

77 Dans ces conditions, une requête qui, comme en l’espèce, demande l’imposition d’une somme forfaitaire ne saurait être rejetée comme étant disproportionnée au seul motif qu’elle a pour objet un manquement qui, tout en ayant perduré dans le temps, a pris fin au moment de l’examen des faits par la Cour.

78 S’agissant, en deuxième lieu, de l’opportunité d’imposer une sanction pécuniaire en l’espèce, il convient de rappeler qu’il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique
(Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 78].

79 Dans la présente affaire, il convient de considérer que, nonobstant le fait que l’Irlande a coopéré avec les services de la Commission tout au long de la procédure précontentieuse et qu’elle a tenu ces derniers informés de l’avancement de la transposition de la directive 2015/849, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté, à savoir le fait que, à la date de l’introduction du présent recours, une seule mesure de transposition ne couvrant que les dispositions
de l’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive avait été communiquée et la circonstance que les dernières mesures de transposition de ladite directive sont entrées en vigueur une semaine avant la tenue de l’audience, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire (voir en ce sens, par analogie
avec l’article 260, paragraphe 2, TFUE, arrêts du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 142, et du 4 décembre 2014, Commission/Suède, C‑243/13, non publié, EU:C:2014:2413, point 63).

80 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation évoquée au point 65 du présent arrêt. En effet, ainsi qu’il a été rappelé à ce point, il appartient à la Commission, notamment, d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre et de choisir le moment où elle initie la procédure en manquement contre celui-ci.

81 S’agissant, en troisième lieu, du calcul de la somme forfaitaire qu’il est approprié d’imposer en l’espèce, il convient de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’elle soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre
part, proportionnée à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constatée, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [voir, par analogie avec l’article 260, paragraphe 2, TFUE, arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 114 et jurisprudence citée].

82 Concernant, premièrement, la gravité de l’infraction, il convient de rappeler que l’obligation d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de communiquer ces mesures à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêt du 8 juillet 2019,
Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 85]. À cela s’ajoute que la directive 2015/849 est un instrument important pour garantir une protection efficace du système financier de l’Union contre les menaces posées par le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’absence ou l’insuffisance d’une telle protection du système financier de l’Union doivent être considérées comme particulièrement graves au vu de leurs
conséquences pour les intérêts publics et privés au sein de l’Union.

83 S’il est vrai que l’Irlande a, en cours d’instance, mis un terme au manquement reproché, il n’en demeure pas moins que ce manquement existait à l’échéance du délai imparti dans l’avis motivé du 8 mars 2018, soit le 8 mai 2018, de telle sorte que l’effectivité du droit de l’Union n’a pas été assurée en tout temps.

84 La gravité de ce manquement est par ailleurs renforcée par la circonstance que, à cette date, l’Irlande n’avait adopté de mesures de transposition de la directive 2015/849 qu’en rapport avec une seule disposition de cette dernière.

85 L’argumentation avancée par l’Irlande pour expliquer le retard pris dans la transposition de la directive 2015/849, à savoir, principalement, que pour l’adoption de la loi de 2018 il était nécessaire de recourir à une procédure de transposition plus longue afin de garantir l’effectivité des dispositions de cette directive, n’est pas de nature à influer sur la gravité de l’infraction en cause dès lors que, selon une jurisprudence constante, des pratiques ou des situations de l’ordre interne d’un
État membre ne sauraient justifier le non-respect des obligations et des délais résultant des directives de l’Union ni, partant, la transposition tardive ou incomplète de celles-ci. De même, il est sans importance que le manquement d’un État membre résulte de difficultés techniques auxquelles il a été confronté (voir, notamment, arrêt du 7 mai 2002, Commission/Pays-Bas, C‑364/00, EU:C:2002:282, point 10 et jurisprudence citée). D’ailleurs, si le délai pour la mise en œuvre d’une directive s’avère
trop court, la seule voie compatible avec le droit de l’Union consiste, pour l’État membre intéressé, à prendre les initiatives appropriées en vue d’obtenir que soit arrêtée, par l’institution compétente, la prorogation éventuelle de ce délai (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 1998, Commission/Espagne, C‑71/97, EU:C:1998:455, point 16).

86 Concernant, deuxièmement, la durée de l’infraction, il importe de rappeler que celle-ci doit, en principe, être évaluée en ayant égard à la date à laquelle la Cour apprécie les faits et non pas à celle où cette dernière est saisie par la Commission [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 87]. Cette appréciation des faits doit être considérée comme intervenant à la date de la clôture de la procédure.

87 En l’espèce, s’il n’est pas contesté entre les parties que la fin du manquement en cause est intervenue à une date antérieure à la clôture de la procédure, il n’en demeure pas moins que les parties divergent sur la date exacte de cette fin, la Commission estimant que ce manquement a pris fin le 3 décembre 2019, alors que l’Irlande soutient que tel était le cas le 29 novembre 2018.

88 À cet égard, et au regard de ce qui a été exposé au point 82 du présent arrêt, il importe de constater que certaines mesures de transposition de la directive 2015/849 faisaient manifestement défaut après la date du 29 novembre 2018. En effet, d’une part, il ressort des pièces soumises à la Cour que les dispositions nationales qui, d’après l’Irlande, transposaient l’article 61, paragraphe 3, et l’article 62, paragraphe 2, de cette directive non seulement n’ont été communiquées qu’avec le mémoire
en duplique le 4 mars 2019, mais en plus ne contiennent aucune référence à ladite directive. D’autre part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions, des mesures nationales assurant la transposition des dispositions de l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2015/849 ne sont entrées en vigueur que le 3 décembre 2019. La même constatation s’applique pour les dispositions de l’article 48, paragraphes 5 à 8, de cette directive, au sujet desquelles l’Irlande a
reconnu ne pas avoir adopté, avant les mesures entrées en vigueur le 3 décembre 2019, de mesure de transposition au motif que ces dispositions étaient, à son avis, secondaires ou accessoires. Or, une telle appréciation faite par un État membre ne saurait manifestement suffire pour décharger celui-ci de son obligation d’adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à une directive ou de son obligation de communiquer à la Commission les
mesures de transposition de cette directive.

89 Il convient, dès lors, de retenir la date du 3 décembre 2019 comme date de fin du manquement à l’obligation visée à l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

90 S’agissant du début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire à infliger en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, il y a lieu de préciser que, à la différence de ce que la Cour a jugé au point 88 de son arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit) (C‑543/17, EU:C:2019:573), relatif à la détermination d’une astreinte journalière à infliger, la date à retenir en vue de
l’évaluation de la durée du manquement en cause pour l’imposition d’une somme forfaitaire en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non pas celle de l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé, mais la date de transposition prévue par la directive en question.

91 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 73 de ses conclusions, cette disposition a pour objectif d’inciter les États membres à transposer les directives dans les délais fixés par le législateur de l’Union et d’assurer la pleine effectivité de la législation de l’Union. Ainsi, si l’élément déclencheur pour la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 260, paragraphe 2, TFUE réside dans le fait qu’un État membre a manqué aux obligations découlant d’un arrêt en
constatation de manquement, celui à la base de la procédure prévue à l’article 260, paragraphe 3, TFUE consiste dans le fait qu’un État membre a manqué à son obligation d’adopter et de communiquer les mesures de transposition d’une directive au plus tard à la date fixée par celle-ci.

92 Toute autre solution reviendrait, d’ailleurs, à remettre en cause l’effet utile des dispositions des directives fixant la date à laquelle les mesures de transposition de celles-ci doivent entrer en vigueur. En effet, dès lors que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’émission d’une lettre de mise en demeure, en application de l’article 258, premier alinéa, TFUE, suppose, au préalable, qu’un manquement à une obligation incombant à l’État membre concerné puisse être valablement allégué
par la Commission [arrêt du 5 décembre 2019, Commission/Espagne (Plans de gestion des déchets), C‑642/18, EU:C:2019:1051, point 17 et jurisprudence citée], les États membres n’ayant pas procédé à la transposition d’une directive à la date fixée par celle-ci bénéficieraient dans ce cas, en tout état de cause, d’un délai de transposition supplémentaire, dont la durée varierait, de surcroît, en fonction de la célérité avec laquelle la Commission engage la procédure précontentieuse, sans qu’il
puisse, pour autant, être tenu compte de la durée de ce délai lors de l’évaluation de la durée du manquement en cause. Or, il est constant que la date à partir de laquelle il convient d’assurer la pleine effectivité d’une directive est la date de transposition fixée dans la directive elle-même et non pas la date d’échéance du délai fixé dans l’avis motivé.

93 Contrairement à ce que fait valoir l’Irlande, cette approche n’est pas de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique, dès lors que, dans une situation telle que celle en cause en l’espèce, l’État membre en question ne saurait valablement soutenir qu’il ignorait avoir manqué, dès la date de transposition fixée dans la directive en question, aux obligations qui lui incombent en application de cette directive. En outre, la protection des droits de la défense de l’État membre en cause
garantie par la procédure précontentieuse ne saurait avoir pour conséquence de prémunir cet État membre contre toute conséquence pécuniaire découlant de ce manquement pour la période précédant l’échéance fixée dans l’avis motivé.

94 À cet égard, il convient d’ajouter que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 74 de ses conclusions et contrairement à ce que l’Irlande a fait valoir lors de l’audience, la publication de la communication de la Commission mentionnée au point 51 du présent arrêt, le 19 janvier 2017, est intervenue avant l’échéance du délai de transposition fixé dans la directive 2015/849. L’Irlande ne saurait donc faire valablement valoir qu’elle ignorait que le manquement en cause en l’espèce pouvait
donner lieu à une action au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

95 Partant, pour assurer la pleine effectivité du droit de l’Union, il convient, lors de l’évaluation de la durée de l’infraction en vue de la détermination du montant de la somme forfaitaire à infliger en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, de tenir compte de la date de transposition prévue par la directive en cause elle-même.

96 En l’espèce, il n’est pas contesté que, à la date de transposition prévue à l’article 67 de la directive 2015/849, à savoir le 26 juin 2017, l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition de cette directive et, partant, n’avait pas communiqué les mesures de transposition de celle-ci à la Commission. Il s’ensuit que le manquement en cause, qui n’a pris fin que le 3 décembre 2019 et donc une semaine avant
l’audience, a perduré pendant presque deux ans et demi.

97 Concernant, troisièmement, la capacité de paiement de l’État membre en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de prendre en compte l’évolution récente du produit intérieur brut (PIB) de cet État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [voir, par analogie avec l’article 260, paragraphe 2, TFUE, arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 124 et jurisprudence citée].

98 Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire dont elle inflige le paiement, dépasser le montant indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle à l’article 67 de la directive 2015/849 et affectant la pleine
effectivité du droit de l’Union est de nature à requérir l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 2000000 d’euros.

99 Il convient, par conséquent, de condamner l’Irlande à payer à la Commission une somme forfaitaire d’un montant de 2000000 d’euros.

Sur les dépens

100 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

101 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la République d’Estonie et la République française supporteront leurs propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

  1) En n’ayant pas, à l’échéance du délai imparti dans l’avis motivé du 8 mars 2018, adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la
directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission européenne, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 67 de la directive 2015/849.

  2) L’Irlande est condamnée à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 2000000 d’euros.

  3) L’Irlande est condamnée aux dépens.

  4) La République d’Estonie et la République française supportent leurs propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-550/18
Date de la décision : 16/07/2020
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État – Article 258 TFUE – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Absence de transposition et/ou de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire.

Ressources propres

Dispositions financières


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Irlande.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:564

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