ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
4 juin 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Centrales d’achat – Petites communes – Limitation à seulement deux modèles organisationnels pour les centrales d’achat – Interdiction de faire appel à une centrale d’achat de droit privé et avec la participation d’entités privées – Limitation territoriale de l’activité des centrales d’achat »
Dans l’affaire C‑3/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 20 septembre 2018, parvenue à la Cour le 3 janvier 2019, dans la procédure
Asmel Soc. cons. a r.l.
contre
Autorità Nazionale Anticorruzione (ANAC),
en présence de :
Associazione Nazionale Aziende Concessionarie Servizi entrate (Anacap),
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts (rapporteur), président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz et A. Kumin, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. R. Schiano, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 janvier 2020,
considérant les observations présentées :
– pour Asmel Soc. cons. a r.l., par Mes M. Chiti, A. Sandulli, L. Lentini et B. Cimino, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes C. Colelli et C. Pluchino, avvocatesse dello Stato,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara et P. Ondrůšek ainsi que par Mme L. Haasbeek, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 avril 2020,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 10, et de l’article 11 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), telle que modifiée par le règlement (UE) no 1336/2013 de la Commission, du 13 décembre 2013 (JO 2013, L 335, p. 17) (ci-après la « directive 2004/18 »), ainsi que
des principes de la libre prestation des services et de la plus grande ouverture à la concurrence dans le domaine des marchés publics de services. La directive 2004/18 a été abrogée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (JO 2014, L 94, p. 65).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Asmel Soc. cons. a r.l. (ci-après « Asmel ») à l’Autorità Nazionale Anticorruzione (ANAC) [Autorité nationale de lutte contre la corruption, Italie] au sujet de la décision no 32, adoptée par l’ANAC, le 30 avril 2015, par laquelle celle-ci a prononcé à l’encontre d’Asmel une interdiction d’exercer l’activité d’intermédiaire dans la passation de marchés publics et a déclaré comme étant illégaux les appels d’offres mis en œuvre par
cette société, en raison du non-respect par celle-ci des modèles d’organisation pour les centrales d’achat prévus par le droit italien (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes du considérant 2 de la directive 2004/18, applicable à la date des faits en cause au principal :
« La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence.
Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux autres
règles du traité. »
4 Le considérant 16 de cette directive énonce :
« Afin de tenir compte des diversités existant dans les États membres, il convient de laisser à ces derniers le choix de prévoir la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de recourir à des accords-cadres, à des centrales d’achat, à des systèmes d’acquisition dynamiques, à des enchères électroniques et au dialogue compétitif, tels que définis et réglementés par la présente directive. »
5 L’article 1er, paragraphes 8 à 10, de ladite directive dispose :
« 8. Les termes “entrepreneur”, “fournisseur” et “prestataire de services” désignent toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes et/ou organismes qui offre, respectivement, la réalisation de travaux et/ou d’ouvrages, des produits ou des services sur le marché.
Le terme “opérateur économique” couvre à la fois les notions d’entrepreneur, fournisseur et prestataire de services. Il est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte.
[...]
9. Sont considérés comme “pouvoirs adjudicateurs” : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.
Par “organisme de droit public”, on entend tout organisme :
a) créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
b) doté de la personnalité juridique, et
c) dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.
[...]
10. Une “centrale d’achat” est un pouvoir adjudicateur qui :
– acquiert des fournitures et/ou des services destinés à des pouvoirs adjudicateurs, ou
– passe des marchés publics ou conclut des accords-cadres de travaux, de fournitures ou de services destinés à des pouvoirs adjudicateurs. »
6 L’article 2 de cette même directive, intitulé « Principes de passation des marchés », prévoit :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »
7 Conformément à l’article 7, sous b), premier tiret, de la directive 2004/18, celle-ci est notamment applicable aux marchés publics de fournitures et de services d’une valeur (hors taxe sur la valeur ajoutée) égale ou supérieure à 207000 euros passés par les adjudicateurs autres que ceux visés à l’annexe IV de cette directive. En ce qui concerne les marchés publics de travaux, l’article 7, sous c), de celle-ci fixe ce seuil à 5186000 euros.
8 L’article 11 de ladite directive, intitulé « Marchés publics et accords-cadres passés par les centrales d’achat », est ainsi libellé :
« 1. Les États membres peuvent prévoir la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d’acquérir des travaux, des fournitures et/ou des services en recourant à des centrales d’achat.
2. Les pouvoirs adjudicateurs qui acquièrent des travaux, des fournitures et/ou des services en recourant à une centrale d’achat dans les hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 10, sont considérés comme ayant respecté la présente directive, pour autant que cette centrale d’achat l’ait respectée. »
Le droit italien
Le décret législatif no 267/2000
9 L’article 30, premier alinéa, du decreto legislativo n. 267 – Testo unico delle leggi sull’ordinamento degli enti locali (décret législatif no 267, portant texte unique des lois sur le régime des collectivités locales), du 18 août 2000 (GURI no 227, du 28 septembre 2000, ci-après le « décret législatif no 267/2000 »), énonce :
« Afin d’exercer de façon coordonnée des fonctions et des services déterminés, les collectivités locales peuvent conclure entre elles des conventions appropriées. »
10 Aux termes de l’article 31, premier alinéa, de ce décret législatif, intitulé « Groupements (Consorzi) » :
« Pour assurer la gestion en commun d’un ou de plusieurs services et l’exercice en commun de certaines fonctions, les collectivités locales peuvent constituer un groupement (consorzio), conformément aux dispositions de l’article 114 relatives aux entreprises spéciales, dans la mesure de leur compatibilité. D’autres personnes morales de droit public peuvent participer au groupement (consorzio) si les dispositions légales auxquelles elles sont soumises les y autorisent ».
11 L’article 32, premier alinéa, dudit décret législatif définit l’« union de communes » comme « une collectivité locale constituée par au moins deux communes, en principe limitrophes, pour mettre en commun l’exercice de certaines fonctions et la prestation de certains services ».
Le décret législatif no 163/2006
12 L’article 3, paragraphe 25, du decreto legislativo n. 163 – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE (décret législatif no 163, portant création du code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures transposant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE), du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 100, du 2 mai 2006, ci-après le « décret législatif no 163/2006 »), définit le « pouvoir
adjudicateur » comme étant « les administrations de l’État ; les collectivités territoriales ; les autres collectivités publiques non économiques ; les organismes de droit public ; les associations, unions, groupements, quelle que soit leur appellation, formés par ceux-ci ».
13 Aux termes de l’article 3, paragraphe 34, du décret législatif no 163/2006, il convient d’entendre par « centrale d’achat » :
« Un pouvoir adjudicateur qui :
– acquiert des fournitures ou des services destinés à des pouvoirs adjudicateurs ou à d’autres entités adjudicatrices, ou
– passe des marchés publics ou conclut des accords-cadres de travaux, de fournitures ou de services destinés à des pouvoirs adjudicateurs ou à d’autres entités adjudicatrices ».
14 L’article 33, paragraphe 3 bis, de ce décret législatif, inséré par le decreto-legge n. 201 – Disposizioni urgenti per la crescita, l’equità e il consolidamento dei conti pubblici (décret-loi no 201, portant dispositions urgentes pour la croissance, l’équité et la consolidation des comptes publics), du 6 décembre 2011 (supplément ordinaire à la GURI no 284, du 6 décembre 2011), converti, avec modifications, en loi par la legge n. 214 (loi no 214), du 22 décembre 2011 (supplément ordinaire à la
GURI no 300, du 27 décembre 2011), énonce :
« Les communes dont la population ne dépasse pas 5000 habitants et qui sont situées sur le territoire de chaque province confient obligatoirement à une seule centrale d’achat l’acquisition de travaux, de services et de fournitures dans le cadre des unions de communes, définies à l’article 32 du [décret législatif no 267/2000] lorsque ces unions existent, ou en constituant à cette fin un accord de groupement entre elles et en recourant à leurs services compétents ».
15 L’article 9, paragraphe 4, du decreto-legge no 66 – Misure urgenti per la competitività e la giustizia sociale (décret-loi no 66, portant mesures urgentes pour la compétitivité et la justice sociale), du 24 avril 2014 (GURI no 95, du 24 avril 2014), converti, avec modifications, en loi par la loi no 89 du 23 juin 2014 (GURI no 143, del 23 giugno 2014), a modifié ledit article 33, paragraphe 3 bis, comme suit :
« Les communes qui ne sont pas chef-lieu de province procèdent à l’acquisition de travaux, de biens et de services dans le cadre des unions de communes, définies à l’article 32 du décret législatif [no 267/2000] lorsque ces unions existent, ou en constituant à cette fin un accord de groupement entre elles et en recourant à leurs services compétents ou à ceux des provinces, ou en faisant appel à un organisme centralisateur ou aux provinces, conformément à la loi no 56 du 7 avril 2014. [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Asmel, société d’entreprises à responsabilité limitée, fondée le 23 janvier 2013, est détenue à 51 % par la commune de Caggiano (Italie), à 25 % par l’association de droit privé Asmel, qui compte, parmi ses associés, l’Associazione nazionale piccoli comuni italiani (association nationale des petites communes italiennes), et à 24 % par le Consorzio Asmel, un consortium d’entreprises privées et de communes.
17 Asmel a exercé, par le passé, des activités en tant que centrale d’achat pour diverses collectivités locales. En particulier, elle a organisé un appel d’offres portant sur la conclusion d’accords-cadres afin d’attribuer le service de contrôle de l’imposition communale sur des biens immobiliers et de recouvrement forcé des dettes fiscales, ainsi que 152 procédures d’appel d’offres télématique pour la passation de marchés de plusieurs types.
18 Selon les modalités de fonctionnement d’Asmel, les collectivités locales adhèrent, par décision du conseil communal, à l’association Asmel, et, par la suite, en vertu d’une décision du collège communal, confient leurs fonctions d’acquisition à Asmel. Cette dernière est rémunérée pour les services fournis par une plateforme télématique à hauteur de 1,5 % du montant du marché, mis à la charge de l’adjudicataire du marché.
19 À la suite de plusieurs plaintes, l’ANAC a ouvert une enquête, au terme de laquelle elle a conclu qu’Asmel ne respectait pas les modèles d’organisation pour les centrales d’achat prescrits à l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006.
20 Selon l’ANAC, Asmel était une entité de droit privé alors que, pour une centrale d’achat, le droit italien impose des formes publiques d’action par l’intermédiaire d’entités publiques ou d’associations entre les collectivités locales, telles que les unions de communes ou les groupements de communes créés en vertu d’accords conclus sur le fondement de l’article 30 du décret législatif no 267/2000. Elle a également relevé que, s’il est possible de recourir à des entités privées, celles-ci
devraient, en tout état de cause, être des organismes internes (in house), dont l’activité est limitée au territoire des communes fondatrices, alors que, en l’occurrence, les conditions relatives au contrôle analogue et à la délimitation territoriale de l’activité exercée n’étaient pas remplies.
21 L’ANAC a, en outre, constaté que la participation des collectivités locales à la centrale d’achat n’était qu’indirecte, en ce que celles-ci adhéraient dans un premier temps à l’association Asmel et, par la suite, en vertu d’une décision du collège communal, chargeaient Asmel de procéder à des acquisitions.
22 Concernant la nature juridique d’Asmel, puisque cette société n’exerce qu’indirectement son activité pour les besoins des collectivités locales adhérentes, et ne pourvoit donc pas directement aux besoins d’intérêt général auxquels ces collectivités sont tenues de satisfaire, l’ANAC a exclu que celle-ci puisse être qualifiée d’« organisme de droit public ».
23 En conséquence, l’ANAC a adopté la décision litigieuse.
24 Asmel a contesté la décision litigieuse devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie). Elle a fait valoir que, même si elle était une entité de droit commun, elle disposait de la personnalité juridique, satisfaisait des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, était financée par les collectivités locales adhérentes et opérait sous leur influence dominante. Par conséquent, elle serait un
organisme de droit public et, partant, un pouvoir adjudicateur remplissant les conditions pour être qualifié de « centrale d’achat ».
25 Par un jugement du 22 février 2016, le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a rejeté le recours introduit par Asmel. Il a exclu, compte tenu du mode de financement et du contrôle de la gestion de cette société, que celle-ci puisse être qualifiée d’« organisme de droit public », à défaut de satisfaire à la condition d’influence publique dominante. Il a, en outre, constaté qu’Asmel n’était pas conforme aux modèles organisationnels des
centrales d’achat imposés par le décret législatif no 163/2006 et que son champ d’action devait être limité au territoire des communes fondatrices.
26 Asmel a interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), soutenant, en particulier, d’une part, qu’il est erroné de considérer que le modèle organisationnel consistant en un consortium (consorzio) de droit privé sous la forme d’une société est incompatible avec les dispositions du décret législatif no 163/2006 sur les centrales d’achat et, d’autre part, que ce décret législatif n’impose aucune limitation territoriale des activités des centrales d’achat.
27 Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) relève que, si, en vertu des dispositions du décret législatif no 163/2006 sur les centrales d’achat, tout pouvoir adjudicateur peut assumer la fonction de centrale d’achat, l’article 33, paragraphe 3 bis, de ce décret législatif déroge à cette règle en ce qu’il prévoit que les petites communes ne peuvent recourir qu’à des centrales d’achat configurées selon deux modèles d’organisation précis, à savoir celui de l’union des communes visée à l’article 32 du
décret législatif no 267/2000 ou celui de groupement (consorzio) entre les collectivités locales visé à l’article 31 de ce décret législatif. De l’avis du Consiglio di Stato (Conseil d’État), cette obligation imposée aux petites communes semble contrevenir à la possibilité de recourir à des centrales d’achat sans limitation quant aux formes de coopération prévue par la directive 2004/18.
28 En outre, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) éprouve des doutes, en ce qui concerne les groupements (consorzi) de communes, sur l’obligation imposée aux petites communes de faire appel à des modèles d’organisation du droit public, en excluant la participation d’entités privées. Une telle exclusion pourrait être contraire aux principes de libre prestation des services et d’ouverture la plus large possible des procédures de passation de marchés à la concurrence, consacrés par le droit de
l’Union, en réservant aux seules entités de droit public italien, limitativement énumérées, l’exercice d’une prestation de services susceptible d’être qualifiée d’« activité économique », et qui, dans cette perspective, se prêterait mieux à un exercice en régime de libre concurrence sur le marché intérieur.
29 Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) expose, en outre, que, si le droit interne ne définit pas le champ d’action des centrales d’achat, il établit une correspondance entre le territoire des petites communes qui font appel aux centrales d’achat et le champ d’action de ces dernières. Ce champ d’action est donc circonscrit au territoire des communes membres de l’union de communes ou du groupement (consorzio). Cette délimitation pourrait, de l’avis du Consiglio di Stato (Conseil d’État), être
contraire aux principes de libre prestation des services et d’ouverture la plus large possible des procédures de passation de marchés à la concurrence, puisqu’elle créerait des zones d’exclusivité pour l’activité des centrales d’achat.
30 Dans ces circonstances, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une disposition nationale telle que l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006, qui limite l’autonomie d’organisation des communes pour faire appel à une centrale d’achat à seulement deux modèles d’organisation, à savoir l’union de communes si cette union existe déjà ou le groupement (consorzio) de communes à constituer, est-elle contraire au droit [de l’Union] ?
2) Une disposition nationale telle que l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006, qui, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 25, du décret législatif no 163/2006, pour ce qui concerne le modèle d’organisation des groupements (consorzi) de communes, exclut la possibilité de constituer des personnes de droit privé, comme un groupement (consorzio) de droit commun auquel participeraient également des personnes de droit privé, est-elle contraire au droit [de l’Union]
et, en particulier, aux principes de la libre circulation des services et de la plus grande ouverture de la concurrence dans le domaine des marchés publics de services ?
3) Une disposition nationale telle que l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006, qui, s’il est interprété en ce sens qu’il permet aux groupements (consorzi) de communes, qui sont des centrales d’achat, d’opérer sur un territoire correspondant à celui des communes qui en sont membres, considéré globalement, et, partant, au maximum sur le territoire de la province, limite le champ d’action de ces centrales d’achat, est-elle contraire au droit [de l’Union] et, en particulier,
aux principes de la libre circulation des services et de la plus grande ouverture de la concurrence dans le domaine des marchés publics de services ? »
Sur la recevabilité
31 En premier lieu, le gouvernement italien soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, car hypothétique.
32 Il fait valoir que la juridiction de renvoi se fonde sur la double prémisse selon laquelle, d’une part, l’activité d’acquisition des biens et des services pour le compte d’un pouvoir adjudicateur constitue une activité économique, à savoir un service, au sens de l’article 57 TFUE, et, d’autre part, Asmel, qui ne satisfait pas aux conditions posées par le droit de l’Union et le droit italien pour être qualifiée de « centrale d’achat », doit nécessairement être qualifiée d’« opérateur économique ».
Or, à supposer même que la Cour serait amenée à répondre que le droit de l’Union s’oppose aux dispositions de droit italien en cause au principal, cette réponse ne permettrait pas de faire droit à l’appel interjeté devant la juridiction de renvoi, puisque les services d’acquisition en cause au principal n’ont pas été confiés à Asmel à l’issue d’une procédure de mise en concurrence conforme au droit de l’Union.
33 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que s’il
apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 27 novembre 2019, Tedeschi et Consorzio Stabile Istant Service, C‑402/18, EU:C:2019:1023, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
34 Conformément à une jurisprudence également constante, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
35 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal, dont la juridiction de renvoi est saisie, porte sur la question de la légalité de l’exclusion d’Asmel du nombre des entités qui peuvent exercer la fonction de centrale d’achat au profit des petites collectivités locales. Selon les indications de la juridiction de renvoi, cette exclusion est motivée par les limitations imposées par les dispositions du décret législatif no 163/2006 relatives aux
centrales d’achat. Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi invite la Cour à se prononcer précisément sur le point de savoir si le droit de l’Union s’oppose à de telles limitations.
36 Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que les questions préjudicielles concernent un problème de nature hypothétique.
37 La présomption de pertinence attachée aux questions préjudicielles ne saurait être renversée, en l’occurrence, par l’argumentation du gouvernement italien selon laquelle la réponse de la Cour ne permettrait pas à la juridiction de renvoi de faire droit à l’appel interjeté par Asmel, puisque l’activité d’acquisition de biens et de services n’aurait pas été confiée à cette société à l’issue d’une procédure de mise en concurrence conforme au droit de l’Union, dès lors qu’il ressort de la demande de
décision préjudicielle que la décision litigieuse interdit à Asmel, de manière générale, et non pas à l’occasion d’un marché particulier, d’exercer une activité de centrale d’achats pour les collectivités locales alors que, selon cette société, cette interdiction viole le droit de l’Union.
38 En second lieu, dans ses observations écrites, la Commission européenne a exprimé des doutes sur la pertinence des questions préjudicielles pour la solution du litige au principal, au motif que l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006, visé dans le libellé des questions préjudicielles, a été abrogé ultérieurement par le législateur italien, si bien que le litige au principal pourrait ne plus avoir d’objet.
39 Il convient de relever, à cet égard, que, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour de préciser les dispositions nationales pertinentes applicables au principal. Une telle prérogative relève de la seule juridiction de renvoi qui, tout en dressant le cadre juridique interne, laisse à la Cour la possibilité de fournir tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union permettant à la juridiction de renvoi d’apprécier la
conformité d’une législation nationale avec la réglementation de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C‑41/18, EU:C:2019:507, point 22 et jurisprudence citée).
40 Partant, la recevabilité des questions préjudicielles ne saurait être mise en doute en raison de l’abrogation ultérieure de la disposition du droit national que la juridiction de renvoi a indiquée comme étant applicable au litige au principal.
41 De surcroît, interrogé sur le point de vue exprimé par la Commission au sujet de la pertinence des questions préjudicielles pour la solution du litige au principal, le gouvernement italien a précisé, lors de l’audience, que la nouvelle réglementation en matière de centrales d’achat, qui abroge et remplace l’article 33, paragraphe 3 bis, du décret législatif no 163/2006, ne prendra pas effet avant le 31 décembre 2020, de sorte que le litige au principal demeure régi par cette disposition, ce que
la Commission a également reconnu lors de l’audience.
42 Compte tenu des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle ne saurait être rejetée comme étant irrecevable.
43 Le gouvernement italien et la Commission ont également émis des doutes concernant la recevabilité de la troisième question préjudicielle, au motif que la limitation territoriale du champ d’action des centrales d’achat créées par des collectivités locales sur laquelle s’interroge la juridiction de renvoi pourrait constituer un avantage pour une centrale d’achat, selon les indications figurant dans la décision de renvoi. En particulier, ce gouvernement relève l’existence d’une contradiction dans
cette décision concernant le point de savoir si cette limitation territoriale constituerait un désavantage ou un avantage pour cette centrale. Il convient d’aborder ces éléments dans le cadre de l’examen de la troisième question.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
44 Dans ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi se réfère, de manière générale, au droit de l’Union ainsi qu’aux principes de la libre prestation des services et de la plus grande ouverture à la concurrence des procédures de passation de marchés publics de services. Cependant, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette juridiction s’interroge plus précisément sur l’article 56 TFUE consacrant la libre prestation des services ainsi que sur l’article 1er, paragraphe 10,
et l’article 11 de la directive 2004/18, relatifs aux centrales d’achat.
45 À cet égard, en ce qui concerne la détermination des dispositions de droit primaire ou de droit dérivé qu’il y a lieu d’interpréter en vue d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de relever, premièrement, que les questions préjudicielles visent à lui permettre d’apprécier la compatibilité du décret législatif no 163/2006 avec le droit de l’Union. Or, il ressort du titre même de ce décret que celui-ci constitue une mise en œuvre de la directive 2004/18.
46 Deuxièmement, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la notion de « centrale d’achat », prévue à l’article 1er, paragraphe 10, et à l’article 11 de la directive 2004/18, se trouve au cœur du litige au principal.
47 Enfin, troisièmement, les seuils d’application de l’article 7 de la directive 2004/18 sont atteints. D’une part, il ressort des pièces du dossier dont dispose la Cour que, s’agissant d’un certain nombre des 152 procédures d’appel d’offres lancées par Asmel au cours de la période comprise entre le mois de mai 2013 et celui de février 2014, frappées par une illégalité en vertu de la décision litigieuse, la valeur du marché dépasse les seuils pertinents de ladite disposition. D’autre part, la
décision litigieuse interdit à Asmel d’exercer toute activité d’intermédiaire dans les procédures de passation de marchés publics indépendamment de la valeur de ceux-ci.
48 Dans ces conditions, il convient d’examiner les questions préjudicielles seulement à la lumière de la directive 2004/18 et, notamment, de l’article 1er, paragraphe 10, ainsi que de l’article 11 de celle-ci.
Sur le fond
Sur les première et deuxième questions
49 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition du droit national qui limite l’autonomie d’organisation des petites collectivités locales pour faire appel à une centrale d’achat à seulement deux modèles d’organisation exclusivement publique, sans la participation de personnes ou
d’entreprises privées.
50 Afin de répondre à ces questions, il convient de relever, en premier lieu, que la notion de « centrale d’achat » est définie à l’article 1er, paragraphe 10, de la directive 2004/18 et désigne un pouvoir adjudicateur qui acquiert des fournitures et/ou des services destinés à des pouvoirs adjudicateurs, ou passe des marchés publics, ou conclut des accords-cadres de travaux, de fournitures ou de services destinés à des pouvoirs adjudicateurs.
51 Il s’ensuit que la notion de « centrale d’achat » est définie dans la directive 2004/18 par référence à la notion de « pouvoir adjudicateur ».
52 Cette dernière notion est, pour sa part, définie à l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18 et, conformément au premier alinéa de cette disposition, désigne l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.
53 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, de la directive 2004/18, il convient d’entendre par « organisme de droit public » tout organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, doté de la personnalité juridique, et dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces
derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.
54 La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’article 1er, paragraphe 9, de cette directive définit la notion de « pouvoir adjudicateur » dans un sens large et fonctionnel, pour garantir les objectifs de ladite directive visant à exclure, à la fois, le risque qu’une préférence soit accordée aux soumissionnaires ou aux candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs et la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’État, les collectivités
territoriales ou d’autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu’économiques (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, LitSpecMet, C‑567/15, EU:C:2017:736, point 31 et jurisprudence citée). Par ailleurs, cette disposition n’impose aucune obligation de respecter des modèles d’organisation spécifique pour répondre à la notion de « pouvoir adjudicateur ».
55 Il importe de relever, en deuxième lieu, que, aux termes du considérant 16 de la directive 2004/18, « [a]fin de tenir compte des diversités existant dans les États membres, il convient de laisser à ces derniers le choix de prévoir la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de recourir [...] à des centrales d’achat [...] tel[les] que défini[e]s et réglementé[e]s par la présente directive ». Ainsi, conformément à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2004/18, les États membres peuvent
prévoir la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d’acquérir des travaux, des fournitures et/ou des services en recourant à des centrales d’achat. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, les pouvoirs adjudicateurs qui acquièrent des travaux, des fournitures et/ou des services en recourant à une centrale d’achat dans les hypothèses visées à l’article 1er, paragraphe 10, de la même directive sont considérés comme ayant respecté la directive 2004/18, pour autant que cette centrale d’achat
l’ait respectée.
56 Il résulte de l’article 11 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphes 9 et 10, de la directive 2004/18 ainsi qu’avec le considérant 16 de celle-ci, que la seule limite que cette directive impose sur le choix d’une centrale d’achat est celle tenant à ce que cette centrale doit avoir la qualité de « pouvoir adjudicateur ». Cette large marge d’appréciation s’étend également à la définition des modèles d’organisation des centrales d’achat, pour autant que les mesures
prises par les États membres pour la mise en œuvre de l’article 11 de la directive 2004/18 respectent la limite posée par cette directive, tenant à la qualité de pouvoir adjudicateur de l’entité à laquelle les pouvoirs adjudicateurs entendent faire appel en tant que centrale d’achat. Ainsi, une entité n’ayant pas la qualité de pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18, ne pourrait pas être reconnue par une réglementation nationale comme ayant la qualité
de « centrale d’achat », aux fins de l’application de cette directive.
57 En troisième lieu, une telle interprétation de la directive 2004/18 est, par ailleurs, conforme aux principes qui la sous-tendent, à savoir les principes de libre prestation des services et d’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres, énoncés au considérant 2 de cette directive.
58 Si l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2004/18 dispense les pouvoirs adjudicateurs eux-mêmes qui ont recours à une centrale d’achat, dans les hypothèses visées à cette disposition, de l’application des procédures de passation de marchés publics prévues par ladite directive, il impose en même temps à cette centrale d’achat l’obligation qui incombe aux pouvoirs adjudicateurs de respecter les procédures prévues par cette même directive. De cette manière, l’objectif principal des règles de
l’Union en matière de passation de marchés publics, à savoir la libre prestation des services et l’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2016, Undis Servizi, C‑553/15, EU:C:2016:935, point 28 et jurisprudence citée), est garanti.
59 Ne s’oppose pas à cette conclusion l’arrêt du 20 octobre 2005, Commission/France (C‑264/03, EU:C:2005:620), dans lequel la Cour a jugé que le contrat de mandat de maîtrise délégué, régi par la réglementation française en matière d’urbanisme, qui réservait le rôle de mandataire à des catégories de personnes morales de droit français limitativement énumérées, constitue un marché public de services aux fins de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de
passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1), et, en ce qu’il ne prévoit aucune procédure de mise en concurrence pour le choix du mandataire, méconnaît cette directive.
60 En effet, cet arrêt ne porte pas sur les dispositions de la directive 2004/18 qui prévoient expressément la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de recourir à des centrales d’achat. En tout état de cause, il ressort de cet arrêt que les attributions du mandataire comportaient diverses missions constituant des prestations de services qui avaient été attribuées en dehors de toute procédure de mise en concurrence prévue par la directive 92/50 (arrêt du 20 octobre 2005, Commission/France,
C‑264/03, EU:C:2005:620, points 46, 51 et 55).
61 Compte tenu de la large marge d’appréciation dont disposent les États membres, mentionnée au point 56 du présent arrêt, rien dans la directive 2004/18 ni dans les principes qui la sous-tendent ne fait non plus obstacle à ce que les États membres puissent adapter les modèles d’organisation de ces centrales d’achat en fonction de leurs propres besoins et aux circonstances particulières qui prévalent dans un État membre, en prescrivant, à cette fin, des modèles d’organisation exclusivement publique,
sans la participation de personnes ou d’entreprises privées.
62 Dans ce contexte, le gouvernement italien a précisé que le législateur italien, d’abord en encourageant le recours des collectivités locales à des centrales d’achat, créées selon des modèles d’organisation définies, puis en imposant aux petites collectivités locales l’obligation de faire appel à de telles centrales, a cherché non seulement à prévenir le risque d’infiltrations mafieuses, mais aussi à prévoir un instrument de contrôle des dépenses.
63 En tout état de cause, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 70 à 72 de ses conclusions, compte tenu du lien étroit existant entre la notion de « pouvoir adjudicateur » et celle de « centrale d’achat », exposé aux points 51 à 58 du présent arrêt, les centrales d’achat ne peuvent être considérées comme offrant des services sur un marché ouvert à la concurrence des entreprises privées.
64 En effet, une centrale d’achat agit en qualité de pouvoir adjudicateur, afin de pourvoir aux besoins de celui-ci, et non en tant qu’opérateur économique, dans son propre intérêt commercial.
65 Ainsi, une réglementation nationale qui limite la liberté du choix des petites collectivités locales de recourir à une centrale d’achat, en prescrivant à cette fin deux modèles d’organisation exclusivement publique, sans la participation de personnes ou d’entreprises privées, ne méconnaît pas l’objectif de libre prestation des services et d’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres, poursuivi par la directive 2004/18, dès lors qu’elle ne place aucune entreprise privée
dans une situation privilégiée au regard de ses concurrents.
66 Par ailleurs, ladite réglementation nationale n’accorde aucune préférence à une entreprise soumissionnaire nationale. Au contraire, elle concourt à l’objectif visé au point précédent en ce qu’elle met les petites collectivités locales à l’abri du risque d’une entente entre une centrale d’achat et une entreprise privée détenant une participation dans cette centrale d’achat.
67 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une disposition de droit national qui limite l’autonomie d’organisation des petites collectivités locales pour faire appel à une centrale d’achat à seulement deux modèles d’organisation exclusivement publique, sans la participation de personnes ou
d’entreprises privées.
Sur la troisième question
68 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition de droit national qui limite le champ d’action des centrales d’achat créées par des collectivités locales au territoire de ces collectivités locales.
69 À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que, en l’absence d’une disposition expresse de la directive 2004/18 régissant les limites territoriales du champ d’action d’une centrale d’achat, cette question relève de la mise en œuvre des dispositions de cette directive relatives aux centrales d’achat, à l’égard de laquelle, ainsi que cela ressort du point 56 du présent arrêt, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation.
70 Une mesure par laquelle un État membre limite le champ d’action territorial des centrales d’achat aux territoires respectifs des collectivités locales qui les ont créées, afin de s’assurer que ces centrales d’achat agissent dans l’intérêt public de ces collectivités, et non pas dans leur propre intérêt commercial, au-delà de ces territoires, doit être considérée comme étant cohérente avec l’article 1er, paragraphe 10, de la directive 2004/18, qui prévoit qu’une centrale d’achat doit avoir la
qualité de pouvoir adjudicateur et doit, à ce titre, répondre aux conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 9, de cette directive. Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, conformément à cette dernière disposition, un pouvoir adjudicateur est une entité qui remplit une fonction d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial. Un tel organisme n’exerce pas, à titre principal, une activité lucrative sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2009, CoNISMa,
C‑305/08, EU:C:2009:807, point 38). Une disposition de droit national, telle que celle en cause au principal, doit, dès lors, être considérée comme respectant les limites de la marge d’appréciation dont les États membres disposent dans la mise en œuvre de la directive 2004/18.
71 Pour ce qui concerne, en second lieu, les doutes de la juridiction de renvoi quant à la compatibilité de la limitation territoriale en cause au principal, qui aboutirait à des zones d’action exclusives pour les centrales d’achat, avec les principes de la libre prestation des services et de la plus grande ouverture à la concurrence dans le domaine des marchés publics de services qui sous-tendent la directive 2004/18, il convient de considérer, compte tenu des motifs exposés dans le cadre de
l’examen des première et deuxième questions, qu’une disposition de droit national qui limite le champ d’action des centrales d’achat aux territoires respectifs des collectivités locales qui les ont créées ne place, de ce fait, aucune entreprise privée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents, en méconnaissance de ces principes.
72 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une disposition de droit national qui limite le champ d’action des centrales d’achat créées par des collectivités locales au territoire de ces collectivités locales.
Sur les dépens
73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée par le règlement (UE) no 1336/2013 de la Commission, du 13 décembre 2013, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une disposition de droit national qui limite l’autonomie d’organisation des petites collectivités
locales pour faire appel à une centrale d’achat à seulement deux modèles d’organisation exclusivement publique, sans la participation de personnes ou d’entreprises privées.
2) L’article 1er, paragraphe 10, et l’article 11 de la directive 2004/18, telle que modifiée par le règlement no 1336/2013, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une disposition de droit national qui limite le champ d’action des centrales d’achat créées par des collectivités locales au territoire de ces collectivités locales.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.