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30/01/2020 | CJUE | N°C-725/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Anton van Zantbeek VOF contre Ministerraad., 30/01/2020, C-725/18


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

30 janvier 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 56 TFUE – Article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen – Libre prestation des services – Taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées dans un État membre – Différence de traitement au détriment de destinataires de services faisant appel à des intermédiaires professionnels non-résidents – Restriction – Justification »

Dans l’affaire C‑725/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudi

cielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique), par décision d...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

30 janvier 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 56 TFUE – Article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen – Libre prestation des services – Taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées dans un État membre – Différence de traitement au détriment de destinataires de services faisant appel à des intermédiaires professionnels non-résidents – Restriction – Justification »

Dans l’affaire C‑725/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique), par décision du 8 novembre 2018, parvenue à la Cour le 22 novembre 2018, dans la procédure

Anton van Zantbeek VOF

contre

Ministerraad,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, MM. C. Vajda et A. Kumin, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Anton van Zantbeek VOF, par Mes A. Maelfait et S. van Bree, advocaten,

– pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet ainsi que par MM. P. Cottin et J.-C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Me C. Decordier, avocate,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et R. Pethke, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 56 et 63 TFUE ainsi que des articles 36 et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci‑après l’« accord EEE »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Anton van Zantbeek VOF au Ministerraad (Conseil des ministres, Belgique) au sujet d’un recours en annulation de dispositions de droit national étendant le champ d’application d’une taxe sur les opérations de bourse.

Le droit belge

3 Les articles 122 et 123 de la loi-programme du 25 décembre 2016 (Moniteur belge du 29 décembre 2016, p. 90879, ci-après la « loi-programme ») ont modifié le Code des droits et taxes divers, en insérant, respectivement, un second alinéa aux articles 120 et 126/2de ce code.

4 L’article 120 du Code des droits et taxes divers, tel que modifié par la loi-programme (ci-après le « CDTD »), dispose :

« Sont soumises à la taxe sur les opérations de bourse, lorsqu’elles portent sur des fonds publics belges ou étrangers, les opérations conclues ou exécutées en Belgique ci-après :

1° toute vente, tout achat et, plus généralement, toute cession et toute acquisition à titre onéreux ;

[...]

3° tout rachat de ses actions, par une société d’investissement, lorsque l’opération porte sur des actions de capitalisation ;

[...]

Les opérations visées à l’alinéa 1er sont également réputées être conclues ou exécutées en Belgique lorsque l’ordre relatif aux opérations est donné directement ou indirectement à un intermédiaire établi à l’étranger :

– soit par une personne physique ayant sa résidence habituelle en Belgique ;

– soit par une personne morale pour le compte d’un siège ou d’un établissement de celle-ci en Belgique. »

5 L’article 125, paragraphe 1, du CDTD prévoit :

« La taxe est payable au plus tard le dernier jour ouvrable :

1° du deuxième mois suivant celui au cours duquel l’opération a été conclue ou exécutée, lorsque le donneur d’ordre est le redevable de la taxe ;

2° du mois suivant celui au cours duquel l’opération a été conclue ou exécutée, dans les autres cas.

La taxe est acquittée par versement ou virement au compte bancaire du bureau compétent.

Le jour du paiement, le redevable dépose à ce bureau une déclaration faisant connaître la base de perception ainsi que tous les éléments nécessaires à sa détermination. »

6 Aux termes de l’article 126/2 du CDTD :

« Les intermédiaires professionnels sont personnellement tenus des droits pour les opérations qu’ils font, soit pour le compte de tiers, soit pour leur compte propre.

Toutefois, lorsque l’intermédiaire professionnel est établi à l’étranger, le donneur d’ordre est redevable de la taxe et est assujetti aux obligations visées à l’article 125, sauf s’il peut établir que la taxe a été acquittée. »

7 L’article 126/3 du CDTD est libellé comme suit :

« Les intermédiaires professionnels non établis en Belgique peuvent avant d’exécuter ou conclure des opérations de bourse en Belgique faire agréer par le ministre des Finances ou son délégué un représentant responsable établi en Belgique. Ce responsable s’engage solidairement, envers l’État belge, au paiement des droits sur les opérations faites par l’intermédiaire professionnel, soit pour le compte de tiers, soit pour son compte propre, et à l’exécution de toutes les obligations dont
l’intermédiaire professionnel est tenu conformément au présent titre.

En cas de décès du représentant responsable, de retrait de son agréation ou d’événement entraînant son incapacité, il est pourvu immédiatement à son remplacement.

Le Roi fixe les conditions et modalités d’agréation du représentant responsable. »

8 L’article 127 du CDTD dispose :

« Au plus tard le jour ouvrable qui suit celui où l’opération est exécutée, l’intermédiaire est tenu de délivrer à tout donneur d’ordre un bordereau indiquant les noms du bénéficiaire et de l’intermédiaire, la spécification des opérations, le montant ou la valeur de celles-ci et le montant de la taxe due. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Par requête du 20 juin 2017, Anton van Zantbeek, société établie en Belgique, a saisi la juridiction de renvoi, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique), d’un recours tendant à l’annulation des articles 122 et 123 de la loi-programme, ayant introduit, respectivement, un second alinéa aux articles 120 et 126/2 du CDTD.

10 La juridiction de renvoi expose que ces dispositions ont élargi le champ d’application de la taxe sur les opérations de bourse (ci-après la « TOB »), à laquelle sont soumises les opérations qui sont conclues ou exécutées en Belgique et qui portent sur des fonds publics belges ou étrangers, dans la mesure où l’opération est effectuée grâce à un intermédiaire professionnel. Cette juridiction précise que, en vertu desdites dispositions, ces opérations ne sont plus les seules à être soumises à cette
taxe, les opérations « réputées être conclues ou exécutées en Belgique » étant également visées, de telle sorte que ladite taxe est également due lorsque l’ordre d’achat ou de vente est donné à un intermédiaire professionnel non-résident par un donneur d’ordre résident, à savoir par « une personne physique ayant sa résidence habituelle en Belgique » ou « une personne morale pour le compte d’un siège ou d’un établissement de celle-ci en Belgique ». Ladite juridiction ajoute que, dans ce dernier
cas, le donneur d’ordre devient redevable de la TOB au lieu de l’intermédiaire professionnel, les intermédiaires professionnels non-résidents ne pouvant être contraints de respecter les dispositions fiscales belges. Ce donneur d’ordre serait tenu de déclarer et de payer cette taxe dans les deux mois suivant l’opération en cause, sauf s’il peut établir qu’elle a déjà été acquittée, par cet intermédiaire ou par son représentant responsable.

11 À l’appui de son recours, Anton van Zantbeek fait valoir que les articles 122 et 123 de la loi-programme, en ce qu’ils établissent une différence de traitement entre donneurs d’ordre belges, selon que ces derniers font appel à un intermédiaire professionnel établi ou non en Belgique, sont contraires, d’une part, au principe d’égalité, garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution belge et, d’autre part, à ces dispositions constitutionnelles, lues en combinaison avec l’article 56 TFUE
et l’article 36 de l’accord EEE, consacrant la libre prestation des services, ou avec l’article 63 TFUE et l’article 40 de l’accord EEE, relatifs à la libre circulation des capitaux.

12 À cet égard, Anton van Zantbeek soutient que si un donneur d’ordre résidant en Belgique fait appel à un intermédiaire professionnel qui n’est pas établi dans cet État membre, ce donneur d’ordre sera traité comme un intermédiaire professionnel, dans la mesure où il sera, d’une part, tenu aux obligations de déclaration ainsi que de paiement de la TOB et, d’autre part, passible de sanctions administratives quasiment identiques à celles pesant sur les intermédiaires professionnels belges. Il serait
dès lors nettement plus risqué, coûteux et lourd sur le plan administratif, pour un tel donneur d’ordre résidant en Belgique, de faire appel à un intermédiaire professionnel non-résident, ce qui constituerait une restriction à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, ne pouvant être justifiée par des objectifs d’intérêt général.

13 Le Conseil des ministres conteste cette argumentation, en précisant que le régime fiscal issu des articles 120 et 126/2 du CDTD s’applique indistinctement à tous les prestataires d’opérations de bourse, quel que soit leur lieu de résidence, mais que seuls les intermédiaires professionnels établis en Belgique sont tenus de prélever la TOB sur les opérations exécutées. La situation du donneur d’ordre résident faisant appel à un intermédiaire professionnel résident ne serait dès lors pas comparable
à celle d’un même donneur d’ordre ayant recours à un intermédiaire professionnel non-résident. Subsidiairement, la différence de traitement invoquée reposerait sur un critère objectif, poursuivrait un but légitime et ne serait pas disproportionnée.

14 La juridiction de renvoi relève que le législateur belge a entendu étendre le champ d’application de la TOB dans la mesure où, lorsqu’un donneur d’ordre établi en Belgique s’adressait à un intermédiaire professionnel non-résident, l’opération était généralement réalisée sur une place étrangère, ne rendant pas la taxe exigible. Ce législateur aurait également constaté une concurrence déloyale de certains intermédiaires professionnels non-résidents par rapport aux intermédiaires professionnels
belges, lesquels prélèvent cette taxe. Cette juridiction ajoute que les articles 120 et 126/2 du CDTD pourraient avoir pour effet de restreindre la liberté des résidents belges de choisir un intermédiaire professionnel pour effectuer leurs opérations de bourse, eu égard notamment à la responsabilité qui découle, pour le donneur d’ordre, du recours à un intermédiaire professionnel non-résident en cas d’absence ou de retard de déclaration relative à la TOB ou de paiement de celle-ci.

15 La juridiction de renvoi précise encore que, afin de faciliter l’administration de la preuve du paiement de cette taxe, permettant d’exonérer le donneur d’ordre, les intermédiaires professionnels non-résidents peuvent faire agréer un représentant responsable, lequel sera chargé d’accomplir, pour leur compte, les obligations déclaratives et administratives liées à ce paiement. La désignation d’un tel représentant ne pourrait toutefois pas être imposée à ces intermédiaires. En outre, s’il nommait
un mandataire afin de satisfaire à ses obligations relatives à la TOB, le donneur d’ordre resterait responsable à l’égard de l’État belge. Ledit donneur d’ordre pourrait établir que cette taxe a été acquittée en produisant un bordereau conforme à l’article 127 du CDTD, indiquant notamment la valeur de l’opération à la base de ladite taxe, ainsi que la preuve du paiement à son intermédiaire, au moyen, par exemple, d’un extrait de compte.

16 Dans ces conditions, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 56 [TFUE] et l’article 36 de l’[accord EEE] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui instaure une taxe sur les opérations de bourse, comme celle visée aux articles 120 et 126/2 du [CDTD], et qui a pour conséquence que le donneur d’ordre belge est redevable de cette taxe lorsque l’intermédiaire professionnel est établi à l’étranger ?

2) L’article 63 [TFUE] et l’article 40 de l’[accord EEE] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui instaure une taxe sur les opérations de bourse, comme celle visée aux articles 120 et 126/2 du [CDTD], et qui a pour conséquence que le donneur d’ordre belge est redevable de cette taxe lorsque l’intermédiaire professionnel est établi à l’étranger ?

3) Si, sur la base des réponses données à la première ou à la deuxième question préjudicielle, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) devait parvenir à la conclusion que les articles attaqués méconnaissent une ou plusieurs des obligations découlant des dispositions mentionnées dans ces questions, pourrait-il maintenir provisoirement les effets des articles 120 et 126/2 du [CDTD] afin d’éviter une insécurité juridique et afin de permettre au législateur de les mettre en conformité avec ces
obligations ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

17 À titre liminaire, il convient d’observer que, selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, les dispositions nationales contestées dans le cadre du litige au principal, à savoir l’article 120, second alinéa, et l’article 126/2, second alinéa, du CDTD, ont modifié le champ d’application de la TOB et les critères d’assujettissement à cette taxe. En vertu de ces dispositions, d’une part, sont soumises à ladite taxe, outre les opérations boursières conclues ou exécutées
en Belgique, dans la mesure où l’opération est effectuée grâce à un intermédiaire professionnel, les opérations qui sont « réputées être conclues ou exécutées » dans cet État membre, à savoir celles dont l’ordre est donné par un résident belge à un intermédiaire professionnel non-résident. D’autre part, lorsque l’intermédiaire professionnel est établi à l’étranger, ce n’est plus celui-ci qui est redevable de la TOB supportée par son client ainsi que des obligations déclaratives qui en sont le
corollaire, mais le donneur d’ordre lui-même.

18 Il en résulte que, par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 56 et 63 TFUE ainsi que les articles 36 et 40 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui instaure une taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées sur ordre d’un résident de cet État membre par un intermédiaire professionnel non-résident, ayant pour conséquence
qu’un tel donneur d’ordre est redevable de cette taxe et des obligations déclaratives qui sont liées à ladite taxe.

19 Afin de répondre à ces questions, il convient, en premier lieu, de constater qu’une telle réglementation nationale est susceptible d’affecter tant la libre prestation des services que la libre circulation des capitaux.

20 À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée [voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2006, Fidium Finanz,
C‑452/04, EU:C:2006:631, point 34 ; du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 39, ainsi que du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 25].

21 Dans l’affaire au principal, il apparaît que l’aspect de la libre prestation des services prévaut sur celui de la libre circulation des capitaux. En effet, si une imposition telle que la TOB est susceptible d’affecter la libre circulation des capitaux en ce qu’elle porte sur des opérations boursières, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que cette taxe ne s’applique que si un intermédiaire professionnel intervient dans l’opération. En outre, cette juridiction
s’interroge sur la restriction qui pourrait résulter du fait que le donneur d’ordre, lorsqu’il fait appel à un prestataire de services d’intermédiation financière non-résident, devient redevable de ladite taxe alors que tel n’est pas le cas lorsqu’il s’adresse à un prestataire de services résident. Or, une telle conséquence concerne de manière prépondérante la libre prestation des services, alors que les effets sur la libre circulation des capitaux ne sont qu’une conséquence inéluctable de
l’éventuelle restriction imposée aux prestations des services.

22 Il s’ensuit que la réglementation en cause au principal doit être examinée uniquement au regard de l’article 56 TFUE et de l’article 36 de l’accord EEE.

23 En deuxième lieu, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie (arrêts du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 34, ainsi que du 22 novembre 2018, Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank, C‑625/17, EU:C:2018:939,
point 28). Constituent des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 35, ainsi que du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 46 et jurisprudence citée).

24 En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 56 TFUE confère des droits non seulement au prestataire de services lui-même, mais également au destinataire desdits services (arrêts du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, 286/82 et 26/83, EU:C:1984:35, point 10 ; du 18 octobre 2012, X, C‑498/10, EU:C:2012:635, point 23, ainsi que du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 26).

25 En l’occurrence, Anton van Zantbeek soutient que la réglementation nationale en cause au principal porte atteinte à la libre prestation des services en ce qu’elle établit une différence de traitement injustifiée entre les donneurs d’ordre résidant en Belgique selon qu’ils font appel, pour effectuer des opérations boursières, à un intermédiaire professionnel établi dans ce même État membre ou à l’étranger. Cette réglementation nationale aurait pour effet, pour un donneur d’ordre résident,
d’augmenter le risque, le coût et la lourdeur du recours à un intermédiaire non-résident et, partant, à rendre un tel recours moins attrayant.

26 À cet égard, il convient d’observer que les donneurs d’ordre résidents qui, en tant que destinataires de services d’intermédiation financière, décident de recourir aux services d’un intermédiaire résident pour effectuer leurs opérations de bourse se trouvent dans une situation comparable à ceux qui préfèrent recourir aux services d’un intermédiaire non-résident.

27 Si, certes, la réglementation nationale en cause au principal a pour effet de soumettre à une imposition identique les donneurs d’ordre résidents indépendamment du lieu de l’établissement de ces intermédiaires, elle a également pour conséquence d’imposer une responsabilité et des obligations supplémentaires à de tels donneurs d’ordre qui décideraient de faire appel à un intermédiaire non-résident.

28 En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les donneurs d’ordre résidents deviennent, dans ce dernier cas, redevables de la TOB et des obligations déclaratives qui sont liées à cette taxe en vertu de l’article 126/2 du CDTD, alors que s’ils avaient fait appel à un intermédiaire résident, c’est ce dernier qui aurait été tenu de ces obligations et de prélever ladite taxe à la source. Ainsi, les donneurs d’ordre résidents recourant aux services d’un intermédiaire non-résident
sont tenus, en particulier, de déclarer eux-mêmes la même taxe au moyen d’un bordereau comportant les mentions visées à l’article 127 du CDTD et de la payer dans un délai de deux mois, sous peine d’amendes, sauf s’ils apportent la preuve qu’elle a déjà été payée, par cet intermédiaire ou par le représentant responsable de celui-ci en Belgique.

29 Une telle réglementation nationale établit, partant, une différence de traitement entre destinataires de services d’intermédiation financière résidant en Belgique de nature à les dissuader de recourir aux services de prestataires non-résidents, tout en rendant plus difficile, pour ces derniers, de proposer leurs services dans cet État membre. Dès lors, une telle réglementation nationale est constitutive d’une restriction à la libre prestation des services.

30 En troisième lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une telle restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il que l’application de cette restriction soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêts du 7 septembre 2006, N, C‑470/04, EU:C:2006:525, point 40 ; du 13 juillet 2016, Brisal et KBC Finance Ireland,
C‑18/15, EU:C:2016:549, point 29, ainsi que du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 52 et jurisprudence citée).

31 Il convient d’examiner, tout d’abord, si la restriction à la libre prestation des services qu’entraîne la réglementation nationale en cause au principal répond à des raisons impérieuses d’intérêt général.

32 En l’occurrence, le gouvernement belge indique que cette réglementation nationale vise à garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt ainsi que des contrôles fiscaux et à lutter contre l’évasion fiscale.

33 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, constituent des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice de la libre prestation des services tant la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt et des contrôles fiscaux (voir en ce sens, notamment, arrêt du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, points 53 et 57 ainsi que jurisprudence citée), ces derniers visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales [voir, en ce sens, arrêts
du 5 juillet 2012, SIAT, C‑318/10, EU:C:2012:415, point 44, et du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C‑135/17, EU:C:2019:136, point 74], que la lutte contre l’évasion fiscale (voir, notamment, arrêt du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

34 Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle et confirmées par le gouvernement belge, il ressort des travaux préparatoires relatifs aux articles 122 et 123 de la loi-programme que ces dispositions visent, notamment, à éviter toute concurrence déloyale entre les intermédiaires professionnels résidents et non-résidents, dans la mesure où les premiers sont obligés de procéder à la retenue à la source de la TOB pour le compte de leur client lors de l’exécution des
opérations de bourse, conformément au CDTD, tandis que les seconds ne sont pas obligés de le faire sur les transactions effectuées pour des clients belges, et permettent d’assurer l’efficacité du recouvrement de l’impôt ainsi que des contrôles fiscaux.

35 De tels motifs, qui, en l’occurrence, sont étroitement liés, répondent à la notion de « raisons impérieuses d’intérêt général », au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 33 du présent arrêt, de telle sorte qu’ils sont susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services.

36 Ensuite, s’agissant de l’aptitude de cette réglementation à atteindre les objectifs poursuivis, il convient de relever que l’assujettissement à la TOB du donneur d’ordre recourant aux services d’un intermédiaire non-résident est de nature à assurer que les opérations de bourse concernées n’échapperont pas à l’impôt (voir, par analogie, arrêt du 18 octobre 2012, X, C‑498/10, EU:C:2012:635, point 39 et jurisprudence citée), en rendant plus efficaces les contrôles fiscaux et plus difficile le
contournement de cette taxe, dont la charge est supportée par le donneur d’ordre.

37 Il s’ensuit qu’une telle réglementation nationale est propre à atteindre les objectifs qu’elle poursuit.

38 Quant à la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, il y a lieu de constater d’emblée, ainsi que l’a noté la Commission européenne, que les informations nécessaires à l’établissement et au contrôle d’une taxe telle que la TOB, visant chaque opération de bourse, ne peuvent pas être obtenues par la seule coopération administrative ainsi que par l’échange automatique et obligatoire d’informations
dans le domaine fiscal, prévus, en particulier, par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014 (JO 2014, L 359, p. 1).

39 En outre, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la réglementation nationale en cause au principal, bien qu’ayant pour effet de rendre le donneur d’ordre belge redevable de la TOB lorsque l’intermédiaire professionnel est établi à l’étranger, limite toutefois la charge résultant de cet assujettissement à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés.

40 Notamment, en application de l’article 126/2du CDTD, le donneur d’ordre est exonéré du paiement de cette taxe et des obligations déclaratives qui sont liées à ladite taxe s’il établit que celle-ci a déjà été acquittée. À cet effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle qu’il suffit à ce donneur d’ordre de produire le bordereau visé à l’article 127 du CDTD, indiquant le nom de l’intermédiaire professionnel non-résident, le type et la valeur de l’opération ainsi que la valeur de la
même taxe, accompagné, par exemple, d’un extrait de compte prouvant le paiement de celle-ci.

41 Il apparaît, par ailleurs, que le donneur d’ordre résident peut convenir avec l’intermédiaire professionnel non-résident auquel il fait appel que ce dernier se chargera de lui fournir un relevé de compte des opérations faisant apparaître le paiement de la TOB, comme les intermédiaires établis en Belgique en ont l’obligation. La juridiction de renvoi relève également que l’intermédiaire professionnel non-résident a la possibilité de désigner un mandataire aux fins d’effectuer ces formalités.

42 Il ressort également de la demande de décision préjudicielle que, par l’introduction de l’article 126/3 du CDTD, le législateur belge a également cherché à simplifier l’administration de la preuve en matière de paiement de la TOB. Cet article permet, sans les y obliger, aux intermédiaires non-résidents de faire agréer un représentant établi en Belgique aux fins d’accomplir, pour leur compte, les obligations déclaratives liées au paiement de cette taxe et qui en sera responsable. Cette faculté est
notamment de nature à pallier la difficulté liée à la nécessité de remplir le bordereau visé à l’article 127 du CDTD dans une langue qui n’est pas celle de l’intermédiaire professionnel non-résident.

43 Dans ces circonstances, un tel choix d’options, au profit tant des donneurs d’ordre résidents que des intermédiaires professionnels non-résidents, qui leur permet d’adopter, parmi ces options, la solution qui leur apparaît la moins contraignante, limite la restriction à la libre prestation des services résultant de la réglementation nationale en cause au principal à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’elle poursuit, de sorte que ladite réglementation, qui offre ainsi à ces
donneurs d’ordre et auxdits intermédiaires professionnels des facilités, tant en ce qui concerne les obligations déclaratives liées à la TOB que son paiement, ne paraît pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser ces objectifs.

44 Enfin, s’agissant de l’article 36 de l’accord EEE, il y a lieu de relever que cette disposition est analogue à celle établie à l’article 56 TFUE, de sorte que les considérations relatives à ce dernier article, énoncées aux points 23 à 43 du présent arrêt, valent également en ce qui concerne ledit article 36.

45 Par conséquent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 56 TFUE et l’article 36 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui instaure une taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées sur ordre d’un résident de cet État membre par un intermédiaire professionnel non-résident, ayant pour conséquence une restriction à la libre prestation des services fournis par de tels intermédiaires
professionnels, pour autant que cette réglementation offre à un tel donneur d’ordre et auxdits intermédiaires professionnels des facilités, tant en ce qui concerne les obligations déclaratives liées à cette taxe que son paiement, qui limitent cette restriction à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis par ladite réglementation.

Sur la troisième question

46 Compte tenu de la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 56 TFUE et l’article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui instaure une taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées sur ordre d’un résident de cet État membre par un intermédiaire professionnel non-résident, ayant pour conséquence une restriction à la libre prestation des services fournis par de tels intermédiaires professionnels, pour autant que
cette réglementation offre à un tel donneur d’ordre et auxdits intermédiaires professionnels des facilités, tant en ce qui concerne les obligations déclaratives liées à cette taxe que son paiement, qui limitent cette restriction à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis par ladite réglementation.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-725/18
Date de la décision : 30/01/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Grondwettelijk Hof.

Renvoi préjudiciel – Article 56 TFUE – Article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen – Libre prestation des services – Taxe sur les opérations de bourse conclues ou exécutées dans un État membre – Différence de traitement au détriment de destinataires de services faisant appel à des intermédiaires professionnels non-résidents – Restriction – Justification.

Libre circulation des capitaux

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Anton van Zantbeek VOF
Défendeurs : Ministerraad.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe
Rapporteur ?: von Danwitz

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:54

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