ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
23 janvier 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Prestations de chômage – Calcul – Défaut de prise en compte du dernier salaire perçu dans l’État membre de résidence – Période de référence trop courte – Salaire perçu postérieurement à la cessation de la relation de travail – Personne ayant auparavant exercé une activité salariée en Suisse »
Dans l’affaire C‑29/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundessozialgericht (Cour fédérale du contentieux social, Allemagne), par décision du 23 octobre 2018, parvenue à la Cour le 16 janvier 2019, dans la procédure
ZP
contre
Bundesagentur für Arbeit,
LA COUR (huitième chambre),
composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur) et N. Wahl, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour ZP, par Me M. Hanke, Rechtsanwalt,
– pour la Bundesagentur für Arbeit, par M. B. Klug, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Pavliš et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Van Hoof et B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ZP à la Bundesagentur für Arbeit (Agence fédérale de l’emploi, Allemagne, ci-après l’« Agence ») au sujet du montant des prestations de chômage que cette dernière lui a accordé en application du droit national.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord sur la libre circulation des personnes
3 L’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’« ALCP »), prévoit :
« Les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale [...] »
4 Aux termes de l’article 1er de l’annexe II de l’ALCP, telle que modifiée par la décision no 1/2012 du comité mixte institué par l’ALCP, du 31 mars 2012 (JO 2012, L 103, p. 51) :
« 1. Les parties contractantes conviennent d’appliquer entre elles, dans le domaine de la coordination des systèmes de sécurité sociale, les actes juridiques de l’Union européenne auxquels il est fait référence dans la section A de la présente annexe, tels que modifiés par celle-ci, ou des règles équivalentes à ceux-ci.
2. Le terme “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de la présente annexe est réputé s’appliquer, outre les États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse. »
5 La section A de ladite annexe II fait référence, notamment, au règlement no 883/2004.
Le règlement no 883/2004
6 Les considérants 4, 32 et 45 du règlement no 883/2004 énoncent :
« (4) Il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination.
[...]
(32) Dans le souci de promouvoir la mobilité des travailleurs, il y a lieu en particulier de faciliter leur recherche d’emploi dans les différents États membres. Il est donc nécessaire d’assurer une coordination plus complète et plus efficace entre les régimes d’assurance chômage et les services de l’emploi de tous les États membres.
[...]
(45) Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe
de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »
7 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement :
« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »
8 Le chapitre 6 du titre III du règlement no 883/2004 contient, aux articles 61 à 65 de celui-ci, les dispositions particulières de ce règlement applicables aux prestations de chômage.
9 L’article 61, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :
« L’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne l’acquisition, le maintien, le recouvrement ou la durée du droit aux prestations à l’accomplissement soit de périodes d’assurance, soit de périodes d’emploi, soit de périodes d’activité non salariée, tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée accomplies sous la législation de tout autre État membre comme si elles avaient été accomplies sous la législation qu’elle
applique.
[...] »
10 L’article 62, paragraphes 1 et 2, du même règlement est libellé comme suit :
« 1. L’institution compétente d’un État membre dont la législation prévoit que le calcul des prestations repose sur le montant du salaire ou du revenu professionnel antérieur tient compte exclusivement du salaire ou du revenu professionnel perçu par l’intéressé pour la dernière activité salariée ou non salariée qu’il a exercé[e] sous cette législation.
2. Le paragraphe 1 s’applique également dans l’hypothèse où la législation appliquée par l’institution compétente prévoit une période de référence définie pour la détermination du salaire servant de base au calcul des prestations et où, pendant la totalité ou une partie de cette période, l’intéressé a été soumis à la législation d’un autre État membre. »
Le droit allemand
11 Sous l’intitulé « Principe », l’article 149 du Drittes Buch Sozialgesetzbuch (code de la sécurité sociale, troisième livre), dans sa version du 20 décembre 2011 (BGBl. 2011 I, p. 2854, ci-après le « SGB III »), dispose :
« L’allocation de chômage s’élève
[...]
2. pour les autres chômeurs, à 60 pour cent (taux de prestation général)
du salaire net forfaitaire (prestation servie à titre de salaire) résultant du salaire brut qui a été perçu par la chômeuse ou le chômeur durant la période de référence (salaire de référence). »
12 L’article 150 du SGB III, intitulé « Période de référence et cadre de référence », énonce :
« (1) La période de référence couvre les périodes de décompte des salaires au titre des emplois, soumis à cotisations obligatoires au cours du cadre de référence, établies à la date de la cessation de la relation de travail concernée. Ce cadre de référence couvre une année ; il prend fin le dernier jour de la dernière relation soumise à cotisations obligatoires précédant la naissance du droit.
[...]
(3) Le cadre de référence est étendu à deux années lorsque
1. la période de référence comprend moins de 150 jours ouvrant droit à un salaire,
[...] »
13 L’article 151 du SGB III, intitulé « Salaire de référence », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le salaire de référence correspond au salaire moyen journalier soumis à cotisations obligatoires que la chômeuse ou le chômeur a perçu durant la période de référence. [...] »
14 Aux termes de l’article 152 du SGB III, intitulé « Calcul fictif » :
« (1) Lorsque, dans le cadre de référence étendu à deux années, une période de référence d’au moins 150 jours ouvrant droit à un salaire ne peut pas être constatée, il convient de prendre pour base, en tant que salaire de référence, un salaire fictif. […]
(2) Aux fins de déterminer le salaire fictif, il convient de rattacher la chômeuse ou le chômeur à un groupe de qualification correspondant à la qualification professionnelle exigée pour l’emploi pour lequel l’Agentur für Arbeit [Agence de l’emploi, Allemagne] doit en première ligne déployer ses efforts de placement de la chômeuse ou du chômeur. [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Le requérant au principal est de nationalité allemande et réside en Allemagne. Entre le 1er juillet 1990 et le 31 octobre 2014, il a travaillé en tant que travailleur frontalier dans une entreprise située en Suisse. À partir du 1er novembre 2014, il a exercé une activité salariée en Allemagne, à laquelle son employeur a mis fin avec effet au 24 novembre 2014. Le salaire devant être versé au requérant au principal au titre du mois de novembre 2014 a été établi et payé le 11 décembre 2014.
16 Par décision du 2 janvier 2015, l’Agence a accordé au requérant au principal, à compter du 25 novembre 2014 et pour une période de deux ans, une allocation de chômage s’élevant à 29,48 euros par jour, calculée sur la base d’un salaire journalier de référence fictif de 73,73 euros. Le salaire perçu par le requérant au principal au titre de son activité salariée effectuée en Suisse n’ayant pas été retenu comme base de calcul de cette allocation de chômage, celui-ci a formé une réclamation auprès de
l’Agence, qui a été rejetée par décision du 16 janvier 2015.
17 Aux fins de conclure que le requérant au principal avait acquis le droit à une allocation de chômage, l’Agence a pris en compte les périodes d’emploi accomplies en vertu de la législation suisse, conformément à l’article 61, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’ALCP. En ce qui concerne le calcul du montant de cette allocation de chômage, l’Agence a, en application de l’article 152, paragraphe 1, du SGB III, pris comme salaire de référence un salaire fictif, estimant
que le requérant au principal ne pouvait se prévaloir d’une « période de référence » au sens du droit national applicable, à savoir une période d’emploi soumise à des cotisations obligatoires au titre de l’article 150, paragraphe 1, du SGB III, d’au moins 150 jours ouvrant droit à salaire en Allemagne. En outre, l’Agence a considéré que le salaire perçu au mois de décembre 2014, au titre de l’activité salariée effectuée en Allemagne au mois de novembre 2014, ne pouvait être pris en compte, au
motif que cette disposition visait les seuls salaires ayant déjà été établis à la fin de la relation de travail.
18 Le Sozialgericht Konstanz (tribunal du contentieux social de Constance, Allemagne) a, par jugement du 19 janvier 2016, partiellement accueilli le recours introduit par le requérant au principal contre lesdites décisions de l’Agence et a enjoint à l’Agence de calculer le montant de l’allocation de chômage en prenant comme base un salaire de référence de 93,03 euros.
19 Le Landessozialgericht Baden-Württemberg (tribunal supérieur du contentieux social du Bade-Wurtemberg, Allemagne) a rejeté les appels interjetés par le requérant au principal et l’Agence contre ce jugement. Selon cette juridiction, le calcul du montant de l’allocation de chômage ne doit reposer, en vertu de l’article 62 du règlement no 883/2004, que sur le montant du salaire perçu par le requérant au principal au titre du dernier emploi occupé en Allemagne, et non sur un salaire fictif tel que
celui qui a été calculé en application des dispositions du droit national, ce règlement primant ces dernières dispositions.
20 Saisi d’un recours en « Revision » formé par l’Agence contre l’arrêt de cette dernière juridiction, le Bundessozialgericht (Cour fédérale du contentieux social, Allemagne) estime qu’une interprétation stricte du libellé de l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 rejoint celle retenue dans cette affaire par les juridictions nationales inférieures. La juridiction de renvoi relève, toutefois, que tant l’article 48 TFUE que ce règlement ne prévoient qu’une coordination, et non une
harmonisation, des droits des États membres en matière de sécurité sociale, ces derniers restant compétents pour fixer les conditions auxquelles le droit interne soumet les prestations de sécurité sociale. Dès lors, cette juridiction se demande si la mention, à l’article 62 dudit règlement, du salaire perçu pour la dernière activité ne constitue qu’un rattachement de principe aux fins de la coordination du droit social qui n’affecte pas les règles de calcul des prestations sociales appliquées par
les États membres.
21 Dans ces conditions, le Bundessozialgericht (Cour fédérale du contentieux social) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions combinées de l’article 62, paragraphe 1, et de l’article 62, paragraphe 2, du règlement no 883/2004 doivent-elles être interprétées en ce sens que, en cas de chômage d’un travailleur, l’institution compétente de l’État membre de résidence doit faire reposer le calcul des prestations sur le “salaire”“perçu” par l’intéressé pour la dernière activité exercée sur le territoire de ladite institution même si, en vertu des dispositions en matière d’indemnisation du chômage de la
législation nationale en vigueur pour l’institution compétente, ce salaire, faute d’une durée suffisante de perception de celui-ci, ne peut pas être pris en compte et qu’à titre subsidiaire un calcul fictif des prestations est prévu ?
2) Les dispositions combinées de l’article 62, paragraphe 1, et de l’article 62, paragraphe 2, du règlement no 883/2004 doivent-elles être interprétées en ce sens que, en cas de chômage d’un travailleur, l’institution compétente de l’État membre de résidence doit faire reposer le calcul des prestations sur le “salaire”“perçu” par l’intéressé pour la dernière activité exercée sur le territoire de ladite institution même si, en vertu des dispositions de la législation nationale en vigueur pour
l’institution compétente, ce salaire, faute d’avoir fait l’objet d’un décompte en temps utile, ne peut pas être intégré en tant que base de calcul dans la période de référence et qu’à titre subsidiaire un calcul fictif de la prestation est prévu ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
22 Il y a lieu de rappeler que le règlement no 883/2004 s’applique, conformément à son article 2, paragraphe 1, aux ressortissants d’un État membre qui sont ou qui ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres.
23 Pour sa part, l’ALCP dispose, à son article 8, que les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II de cet accord, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer, notamment, la détermination de la législation applicable et le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes. Or, la section A, point 1, de cette annexe II prévoit l’application, entre les parties contractantes, du règlement no 883/2004. Ainsi, et dès
lors que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite annexe II, « [l]e terme “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de cette annexe est réputé s’appliquer, outre [aux] États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse », les dispositions de ce règlement couvrent également la Confédération suisse (arrêt du 14 mars 2019, Dreyer, C‑372/18, EU:C:2019:206, point 29 et jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que le requérant au principal est un ressortissant allemand qui, antérieurement à l’exercice d’une activité professionnelle en Allemagne à l’issue de laquelle il a perçu une allocation de chômage au titre de la législation de cet État membre, a été soumis à la législation de la Confédération suisse.
25 Dans ces conditions, la situation du requérant au principal relève du champ d’application du règlement no 883/2004.
Sur la première question
26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque la durée de perception du salaire versé à l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation n’atteint pas la
période de référence prévue par ladite législation pour la détermination du salaire servant de base au calcul des prestations de chômage, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité.
27 Il ressort sans équivoque de l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 que, lorsque la législation d’un État membre prévoit que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, il doit être tenu compte exclusivement du salaire perçu par l’intéressé pour la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation.
28 Il y a lieu de constater que l’exigence visée à cette disposition n’est assortie d’aucune dérogation. À cet égard, l’exception figurant à la disposition correspondante du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du
Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), à savoir l’article 68, paragraphe 1, de celui-ci, qui prévoyait une autre base de calcul des prestations de chômage lorsque l’intéressé n’avait pas exercé son dernier emploi pendant quatre semaines au moins sur le territoire de l’État membre dont la législation était applicable aux fins de ces prestations, n’a pas été reprise à l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
29 En outre, conformément à l’article 62, paragraphe 2, de ce règlement, l’exigence consistant à tenir compte exclusivement du salaire afférent à la dernière activité salariée exercée sous la législation dudit État membre s’applique également dans l’hypothèse où cette législation prévoit une période de référence définie pour la détermination du salaire servant de base au calcul des prestations et où, pendant la totalité ou une partie de cette période, l’intéressé a été soumis à la législation d’un
autre État membre.
30 Il découle de cette dernière disposition que, si la législation d’un État membre peut définir une période de référence pour déterminer le salaire servant de base au calcul des prestations, les périodes pendant lesquelles l’intéressé a été soumis à la législation d’un autre État membre doivent être prises en compte aux fins de cette période de référence.
31 Il s’ensuit que ladite disposition s’oppose à une législation d’un État membre en application de laquelle, afin de déterminer si la période de référence qu’elle prescrit a été atteinte, seules les périodes d’emploi dans cet État membre sont prises en compte, à l’exclusion de celles accomplies sous la législation d’un autre État membre ou, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, de la Confédération suisse en vertu de l’ALCP.
32 Par conséquent, il résulte de l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 que, d’une part, lorsque la législation d’un État membre prévoit que le calcul des prestations repose sur le montant du salaire antérieur, il doit être tenu compte exclusivement du salaire perçu par l’intéressé pour la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation et, d’autre part, si celle-ci prévoit et fixe une période de référence aux fins de la détermination du salaire servant de base
au calcul, cette période de référence doit comprendre les périodes d’emploi accomplies tant sous ladite législation que sous celle d’autres États membres.
33 Cette interprétation est également conforme aux objectifs du règlement no 883/2004 qui, ainsi qu’il découle de ses considérants 4 et 45, a pour objet de coordonner les systèmes de sécurité sociale en place dans les États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes (arrêt du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 31). À cette fin, ce règlement vise à éviter qu’un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a
occupé des emplois dans plus d’un État membre fasse, sans justification objective, l’objet d’un traitement moins favorable que le travailleur qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, van den Berg e.a., C‑95/18 et C‑96/18, EU:C:2019:767, point 75 ainsi que jurisprudence citée).
34 Dans ce contexte, la Cour a jugé, au regard de l’ALCP, que la liberté de circulation des personnes garantie par cet accord serait entravée si un ressortissant d’une partie contractante subissait un désavantage dans son État d’origine en raison du seul fait d’avoir exercé son droit à la libre circulation (arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 53 et jurisprudence citée).
35 S’agissant, plus particulièrement, du calcul des prestations de chômage prévu à l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la disposition correspondante du règlement no 1408/71 avait comme objectif de faciliter la mobilité des travailleurs, en assurant aux intéressés le bénéfice de prestations qui tenaient compte, dans toute la mesure du possible, des conditions d’emploi, et notamment de rémunération, dont ils bénéficiaient sous la
législation de l’État membre du dernier emploi (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 1980, Fellinger, 67/79, EU:C:1980:59, point 7).
36 Or, d’une part, le fait de tenir compte exclusivement du dernier salaire perçu par l’intéressé sous cette législation aux fins du calcul du montant de l’allocation de chômage à laquelle il a droit en vertu de celle-ci vise à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des travailleurs, notamment, ainsi que l’indique le considérant 32 du règlement no 883/2004, en facilitant la recherche d’emploi dans cet État membre.
37 D’autre part, l’absence de prise en compte dudit salaire au motif que, pendant une partie de la période de référence prévue par l’État membre concerné aux fins du calcul du montant de l’allocation de chômage, l’intéressé a été soumis à la législation d’autres États membres, a pour conséquence qu’un travailleur qui a fait usage de son droit de libre circulation fait l’objet d’un traitement moins favorable que le travailleur qui a effectué toute sa carrière dans ce seul État membre.
38 Ne saurait être retenue l’argumentation de l’Agence selon laquelle le règlement no 883/2004 visant à coordonner, et non pas à harmoniser, les systèmes de sécurité sociale des États membres, l’exigence qui consiste à tenir compte exclusivement du dernier salaire perçu sous la législation nationale pertinente prévue à l’article 62, paragraphe 1, de ce règlement ne constitue qu’une règle de principe qui laisse subsister des dispositions particulières de la législation nationale, telle que celle
prévoyant le recours à un calcul du montant de l’allocation de chômage sur la base d’un salaire fictif, prévue à l’article 152 du SGB III.
39 À cet égard, il y a lieu, certes, de rappeler que ledit règlement n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale (arrêt du 28 juin 2018, Crespo Rey,
C‑2/17, EU:C:2018:511, point 45 et jurisprudence citée).
40 Toutefois, il découle du libellé même de l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 que, si certains aspects du calcul des prestations de chômage, notamment le choix de prévoir que ce calcul repose sur le montant du salaire antérieur, relèvent effectivement de la compétence des États membres, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’un État membre a opéré un tel choix dans sa législation, ces dispositions garantissent qu’il soit tenu compte exclusivement du salaire perçu par
l’intéressé pour la dernière activité salariée exercée sous cette législation (voir, par analogie, arrêt du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 46).
41 En outre, il est de jurisprudence constante que, dans l’exercice de leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, les États membres doivent respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (arrêt du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 40 et jurisprudence citée).
42 Or, une législation d’un État membre qui prévoit que le calcul du montant de l’allocation de chômage doit, dans des situations telles que celle du litige au principal, être effectué sur la base d’un salaire fictif est susceptible, pour les raisons exposées au point 37 du présent arrêt, d’entraver la libre circulation des personnes soumises à cette législation.
43 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque la durée de perception du salaire versé à l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation n’atteint pas la
période de référence prévue par ladite législation pour la détermination du salaire servant de base au calcul des prestations de chômage, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité.
Sur la seconde question
44 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque le salaire perçu par l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation n’a été établi et payé qu’après la
cessation de sa relation de travail, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité.
45 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que l’article 150, paragraphe 1, du SGB III prévoit que la période de référence pour déterminer le calcul des allocations de chômage « couvre les périodes de décompte des salaires au titre des emplois [...] établis à la date de la cessation de la relation de travail concernée ». En application de cette disposition, l’Agence n’a pas tenu compte du salaire afférent à l’emploi exercé par le requérant au principal en Allemagne au mois de novembre 2014,
dès lors que ce salaire n’avait été établi et payé à ce dernier que le mois suivant, soit postérieurement à la cessation de sa relation de travail.
46 Or, ainsi qu’il découle de la réponse apportée à la première question, l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 s’oppose à une législation d’un État membre en vertu de laquelle, pour le calcul des prestations de chômage, il n’est pas tenu compte du salaire perçu par l’intéressé pour la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation.
47 Certes, la version en langue allemande dudit article 62, paragraphe 1, prévoit, à la différence des autres versions linguistiques de celui-ci, la prise en compte exclusive du salaire perçu par l’intéressé « pendant » la dernière activité salariée qu’il a exercée sous ladite législation (« [...] berücksichtigt ausschließlich das Entgelt [...], das die betreffende Person während ihrer letzten Beschäftigung [...] nach diesen Rechtsvorschriften erhalten hat»), ainsi que l’Agence le relève à l’appui
de son argument selon lequel l’absence de prise en compte du salaire établi et payé à l’intéressé postérieurement à la cessation de sa dernière activité est conforme à cette disposition.
48 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent, en effet, être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies
dans toutes les langues de l’Union. En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 12 septembre 2019, A e.a., C‑347/17, EU:C:2019:720, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
49 Compte tenu des objectifs du règlement no 883/2004 et, en particulier, de l’article 62, paragraphe 1, de celui-ci, tels que rappelés aux points 33 et 35 du présent arrêt, il ne saurait être considéré que cette disposition subordonne la prise en compte du salaire afférent à la dernière activité salariée de l’intéressé à la circonstance que ce salaire ait été établi et perçu par l’intéressé au plus tard le dernier jour d’exercice de cette activité.
50 En effet, la date à laquelle le salaire est versé à l’intéressé n’a aucune incidence sur la poursuite de l’objectif consistant à assurer à celui-ci le bénéfice de prestations qui tiennent compte, dans toute la mesure du possible, des conditions d’emploi, et notamment de rémunération, dont il bénéficiait sous la législation de l’État membre du dernier emploi. En revanche, le fait de faire dépendre le droit garanti à l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 de la date d’établissement et
de paiement du salaire est susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs dans l’Union.
51 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque le salaire perçu par l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation n’a été établi et payé qu’après la cessation de
sa relation de travail, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
1) L’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque la durée de perception du salaire versé à l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a
exercée sous cette législation n’atteint pas la période de référence prévue par ladite législation pour la détermination du salaire servant de base au calcul des prestations de chômage, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité.
2) L’article 62, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui, tout en prévoyant que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, ne permet pas, lorsque le salaire perçu par l’intéressé au titre de la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation n’a été établi et payé qu’après la cessation de sa relation de travail, de tenir compte du salaire perçu par
l’intéressé pour cette activité.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.