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19/12/2019 | CJUE | N°C-465/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, AV et BU contre Comune di Bernareggio., 19/12/2019, C-465/18


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Cession d’une pharmacie dans le cadre d’une procédure d’adjudication – Législation nationale – Droit de préemption pour les employés de la pharmacie cédée »

Dans l’affaire C‑465/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 31 mai 2018, parvenue à la Cour le 16 juillet 2

018, dans la procédure

AV,

BU

contre

Comune di Bernareggio,

en présence de :

CT,

LA COUR (quatrièm...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Cession d’une pharmacie dans le cadre d’une procédure d’adjudication – Législation nationale – Droit de préemption pour les employés de la pharmacie cédée »

Dans l’affaire C‑465/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 31 mai 2018, parvenue à la Cour le 16 juillet 2018, dans la procédure

AV,

BU

contre

Comune di Bernareggio,

en présence de :

CT,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. S. Rodin, D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juillet 2019,

considérant les observations présentées :

– pour AV et BU, par Mes E. Beacco et A. Barletta, avvocati,

– pour le Comune di Bernareggio, par Me F. Pintucci, avvocato,

– pour CT, par Me G. Pini, avvocato,

– pour la Commission européenne, par MM. L. Malferrari et H. Støvlbæk ainsi que par Mme L. Armati, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 octobre 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 45, 49 à 56 et 106 TFUE ainsi que des articles 15 et 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AV et BU au Comune di Bernareggio (commune de Bernareggio, Italie) au sujet de la décision d’adjudication de la propriété d’une pharmacie municipale à un pharmacien employé de cette dernière à la suite de l’exercice de son droit de préemption prévu par le droit national.

Le cadre juridique

3 L’article 9 de la legge n. 475 – Norme concernenti il servizio farmaceutico (loi no 475, portant dispositions relatives au service pharmaceutique), du 2 avril 1968 (GURI no 107, du 27 avril 1968, p. 2638), telle que modifiée, dispose :

« La propriété des pharmacies qui deviennent vacantes et de celles nouvellement créées à la suite d’une modification du plan de répartition des pharmacies (pianta organica) peut être acquise, pour la moitié d’entre-elles, par la commune. Les pharmacies dont les communes sont propriétaires peuvent être gérées, conformément à la loi no 142, du 8 juin 1990 [...] »

4 L’article 12 de la loi no 475, du 2 avril 1968, portant dispositions relatives au service pharmaceutique prévoit :

« 1.   Le transfert de la propriété de la pharmacie est permis après 3 ans à compter de son acquisition.

2.   Le transfert peut s’opérer seulement en faveur d’un pharmacien qui a déjà été propriétaire ou qui a obtenu l’habilitation à l’acquisition dans le cadre d’un concours précédent.

[...]

11.   Le transfert de la propriété des pharmacies n’est pas considéré comme juridiquement valable à tous les effets si le transfert du droit d’exploitation de la pharmacie ne s’accompagne pas de celui du fonds de commerce y afférent, sous peine de déchéance. »

5 La legge n. 362 – Norme di riordino del settore farmaceutico (loi no 362, portant dispositions de réorganisation du secteur pharmaceutique), du 8 novembre 1991 (GURI no 269, du 16 novembre 1991, p. 3, ci-après la « loi no 362/1991 »), telle que modifiée, dispose, à son article 4, intitulé « Procédures de concours » :

« 1.   L’attribution des officines pharmaceutiques vacantes ou nouvellement créées disponibles pour l’exploitation par des particuliers se fait par concours sur titres et examens organisés, au niveau provincial, avant le mois de mars de chaque année impaire, par les régions et par les provinces autonomes de Trente et de Bolzano.

2.   Sont admis au concours prévu au paragraphe 1 les ressortissants d’un État membre de [l’Union] européenne majeurs, en possession de leurs droits civils et politiques et inscrits au tableau professionnel des pharmaciens, qui n’ont pas encore atteint l’âge de soixante ans à la date d’expiration du délai pour la présentation des demandes. »

6 L’article 7 de cette loi, intitulé « Propriété et exploitation de la pharmacie », prévoit :

« 1.   L’exploitation d’une pharmacie privée est réservée aux personnes physiques, conformément aux dispositions en vigueur, ainsi qu’aux sociétés de personnes et aux sociétés coopératives à responsabilité limitée.

[...]

8.   Le transfert de la propriété d’une pharmacie privée est permis trois ans après la délivrance de l’autorisation correspondante par l’autorité compétente, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 9 et 10.

[...] »

7 Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991, intitulé « Transfert de la propriété des pharmacies gérées par la commune », « en cas de transfert de la propriété de la pharmacie municipale, les salariés ont un droit de préemption et les dispositions de l’article 7 leur sont applicables ».

8 En vertu de l’article 2112, premier alinéa, du Codice civile (code civil), « en cas de transfert d’entreprise, la relation de travail se poursuit avec le cessionnaire et le travailleur conserve tous les droits qui en découlent ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Par avis du 31 janvier 2014, la commune de Bernareggio a ouvert une procédure d’appel d’offres aux fins de la vente d’une pharmacie municipale.

10 L’appel d’offres prévoyait, notamment, que la cession de la licence de cette pharmacie serait octroyée à l’offre comprenant le prix le plus élevé, à partir d’une valeur de base du marché fixée à 580000 euros.

11 Il était également précisé que, en application de l’article 12 de la loi no 362/1991, le transfert de la propriété de la pharmacie à l’adjudicataire provisoire serait subordonné à l’absence d’exercice du droit de préemption par l’entreprise municipale gérant les pharmacies de Vimercate (Italie) et par les pharmaciens employés à durée indéterminée par cette dernière et qui satisfont aux exigences légales.

12 L’offre faite par AV et BU s’est avérée être la plus avantageuse économiquement de telle sorte que ces derniers ont été désignés adjudicataires provisoires.

13 Par décision du 12 mai 2014, l’adjudication a cependant été attribuée à CT, pharmacien employé de l’entreprise municipale gérant les pharmacies de Vimercate. Ce pharmacien, bien que n’ayant pas participé à l’appel d’offres, s’est en effet vu accorder la priorité en application de l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991.

14 AV et BU ont introduit un recours en annulation de cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie), faisant valoir que l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991 était contraire aux principes de libre concurrence et d’égalité de traitement prévus par le droit de l’Union. Ils ont, notamment, soutenu que le droit de préemption, prévu par cette disposition, en faveur des pharmaciens employés de la
pharmacie municipale n’est pas justifié puisque les droits de ces derniers sont protégés, en cas de privatisation de la pharmacie, en vertu de l’article 2112 du code civil, lequel transpose la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82 p. 16).

15 À la suite du rejet de leur recours en annulation, AV et BU ont interjeté appel de la décision de rejet devant la juridiction de renvoi. Cette dernière indique partager les observations formulées par les requérants concernant l’incompatibilité du droit de préemption en cause avec le droit de l’Union.

16 La juridiction de renvoi, se fondant sur la jurisprudence de la Cour, relève, en premier lieu, que la règle de mise en concurrence applicable en cas d’attribution des pharmacies nouvellement créées comme en cas de cession de la propriété, ou de la simple gestion, d’une pharmacie municipale peut subir des aménagements justifiés par des exigences supérieures tenant à la protection de l’intérêt général, tant que la réglementation nationale en cause ne vise pas, en réalité, à protéger des intérêts
économiques sectoriels (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie, C‑531/06, EU:C:2009:315, ainsi que du 16 février 2012, Costa et Cifone, C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80).

17 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi rappelle qu’un droit de préemption constitue un droit préférentiel à la conclusion d’un contrat, octroyé à certaines catégories de personnes et visant, concomitamment à la réalisation de l’intérêt privé de ces personnes, la poursuite d’intérêts d’une portée plus générale. Il ressortirait ainsi de sa jurisprudence que, s’agissant du droit de préemption prévu à l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991, la préférence accordée au salarié met en jeu
des intérêts qui relèvent de l’exigence d’une meilleure gestion du service pharmaceutique [arrêt du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), cinquième chambre, no 5329, du 5 octobre 2005]. Cette disposition légale partirait de l’idée que le pharmacien qui était déjà employé auprès de la pharmacie cédée offrirait une garantie de continuité et de valorisation fructueuse de l’expérience déjà acquise dans la gestion de celle-ci.

18 Cependant, la juridiction de renvoi estime, d’une part, que la garantie de continuité offerte par le maintien de la relation de travail des salariés pharmaciens serait déjà assurée efficacement par l’article 2112 du code civil qui transpose la directive 2001/23, de telle sorte que le droit de préemption prévu à l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991 serait superflu.

19 Elle estime, d’autre part, que la valorisation de l’expérience professionnelle pourrait être assurée suivant d’autres modalités, telles qu’un mécanisme d’attribution de points supplémentaires, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, en faveur des pharmaciens employés de la pharmacie. Par ailleurs, elle fait part de ses doutes sur le fait que l’expérience professionnelle acquise au service de la pharmacie municipale mérite une telle valorisation. À cet égard, elle souligne que la
profession de pharmacien est une profession réglementée, que le transfert d’une pharmacie ne peut s’opérer qu’au profit d’un pharmacien inscrit au tableau de l’ordre des pharmaciens, ayant déjà obtenu l’habilitation à l’acquisition d’une pharmacie ou ayant au moins deux ans de pratique professionnelle. De même, une expérience en tant que pharmacien employé d’une pharmacie municipale ne permettrait de tirer aucune conclusion sur la capacité de cet employé à gérer une pharmacie.

20 La juridiction de renvoi considère ainsi que le droit de préemption prévu à l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991 s’analyse en un droit de préférence inconditionnel qui n’est pas justifié, et ce d’autant plus qu’il ne tient nullement compte d’indices effectifs témoignant d’une bonne gestion de la pharmacie ni de l’expérience concrètement acquise par les employés de la pharmacie municipale.

21 Elle en déduit que ce droit de préemption est disproportionné dans la mesure où il ne repose sur aucun critère de mérite. Elle se fonde, dans ce cadre, sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle une appréciation différente des expériences professionnelles acquises par des ressortissants de l’Union aux fins de la participation à des concours constitue une violation de l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2005, Commission/Italie, C‑278/03, EU:C:2005:281, point 22).

22 De même, la Cour aurait jugé que la régulation et l’encadrement de l’activité pharmaceutique peuvent être justifiés aux fins de la protection de la santé, mais à condition que les effets de la réglementation nationale n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à la poursuite d’un tel objectif (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, EU:C:2009:141, points 44, 46 et 47, ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316,
points 25, 27 et 28).

23 En troisième lieu, la juridiction de renvoi précise que le litige en cause présente un intérêt transfrontalier puisque tout citoyen de l’Union qui répond aux exigences professionnelles requises à l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 362/1991 peut soumissionner à l’appel d’offres. Elle souligne, en outre, que la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22), telle que
modifiée par la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 354, p. 132), permet d’appliquer le principe de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles à la profession de pharmacien.

24 Elle rappelle, à cet égard, la jurisprudence de la Cour dont il ressort que, si tous les éléments d’un litige sont circonscrits à l’intérieur d’un État membre, il n’en demeure pas moins que la réglementation en cause est susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à l’intérieur de cet État membre dans la mesure où il ne saurait être exclu que des ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à ouvrir ou à reprendre des pharmacies dans ledit
État membre (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 40).

25 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes de liberté d’établissement, de non-discrimination, d’égalité de traitement, de protection de la concurrence et de libre circulation des travailleurs, visés aux articles 45, 49 à 56 et 106 TFUE ainsi qu’aux articles 15 et 16 de la Charte, ainsi que le principe de proportionnalité et du caractère raisonnable qui en découle, s’opposent-ils à une disposition nationale telle que celle de l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991, qui, en cas de transfert de la propriété de la
pharmacie municipale, accorde le droit de préemption aux salariés de ladite pharmacie ? »

Observations liminaires

Sur la disposition du droit de l’Union pertinente

26 À titre liminaire, il importe de préciser quelles dispositions du droit de l’Union mentionnées par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle sont susceptibles d’être pertinentes pour trancher le litige au principal.

27 Dans ce cadre, il convient d’indiquer, d’abord, que l’acquisition d’une pharmacie en ce qu’elle permet l’exercice d’une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée relève du champ d’application de l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, EU:C:1995:411, point 39, ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, points 23 et 24).

28 Il en résulte que ni l’article 45 TFUE, qui garantit la libre circulation des travailleurs, ni l’article 56 TFUE, relatif à la libre prestation de services, ne trouvent à s’appliquer à l’affaire au principal.

29 Ensuite, s’agissant de l’application des articles 15 et 16 de la Charte, dès lors qu’ils reconnaissent des droits faisant l’objet de dispositions dans les traités de l’Union, comme, dans l’affaire au principal, l’article 49 TFUE, ils doivent s’exercer, conformément à l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, « dans les conditions et limites définies par [ces traités] ».

30 Enfin, en ce qui concerne l’article 106 TFUE, ainsi que le relève M. l’avocat général, au point 33 de ses conclusions, les éléments du dossier soumis à la Cour ne permettent pas de considérer que le litige au principal porte directement ou indirectement sur la gestion d’entreprises publiques ou privées auxquelles un État membre a accordé des droits spéciaux ou exclusifs, ou d’entreprises en charge de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole
fiscal conformément à l’article 106 TFUE.

31 Partant, il y a lieu de constater que, eu égard aux interrogations de la juridiction de renvoi, seul l’article 49 TFUE est susceptible d’être pertinent afin de trancher le litige au principal.

Sur la recevabilité

32 Dans la mesure où tous les éléments du litige au principal se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre alors que, en principe, les dispositions du traité FUE en matière de libertés de circulation ne trouvent pas à s’appliquer à une situation purement interne (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 47), il convient de s’interroger sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

33 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, bien que tous les éléments d’un litige soient cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre, une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation des dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales peut être déclarée recevable au motif qu’il ne saurait être exclu que des ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire usage de ces libertés pour exercer des activités sur le territoire de
l’État membre ayant édicté la réglementation en cause et, partant, que cette réglementation, indistinctement applicable aux ressortissants nationaux comme à ceux des autres États membres, soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet État membre (arrêts du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 40 ; du 5 décembre 2013, Venturini e.a., C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, points 25 et 26, ainsi que du 15 novembre 2016, Ullens
de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 50).

34 Il convient encore de préciser que, comme l’a relevé la juridiction de renvoi, dans cette hypothèse, la Cour, saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation purement interne, ne saurait, sans indication de cette juridiction autre que le fait que la réglementation nationale en cause au principal est indistinctement applicable aux ressortissants de l’État membre concerné et aux ressortissants d’autres États membres, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle
portant sur les libertés fondamentales est nécessaire à la solution du litige pendant devant la juridiction de renvoi. Les éléments concrets permettant d’établir un lien entre, d’une part, l’objet ou les circonstances d’un litige relevant d’une situation purement interne et, d’autre part, les dispositions du traité doivent, en effet, ressortir de la décision de renvoi (arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54).

35 Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi indique que la valeur de la pharmacie municipale, objet de la procédure d’adjudication, s’élève à 580000 euros. Elle souligne, également, que l’affaire présente un caractère transfrontalier dans la mesure où, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 362/1991, l’acquisition d’une pharmacie est ouverte à tous les citoyens de l’Union disposant des titres professionnels requis. Elle ajoute, encore, que la directive 2005/36, telle que
modifiée par la directive 2013/53, organise la reconnaissance mutuelle de la qualification professionnelle des pharmaciens.

36 Partant, la demande préjudicielle posée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) est recevable.

Sur la question préjudicielle

37 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale qui accorde un droit de préemption inconditionnel en faveur des pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication.

38 Pour répondre à cette question, il importe d’examiner si le droit de préemption, prévu à l’article 12, paragraphe 2, de la loi no 362/1991, constitue une restriction à la liberté d’établissement et, dans l’affirmative, si cette restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, points 22 et 25).

39 S’agissant, dans un premier temps, de l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement, il convient de rappeler que l’article 49 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union de la liberté d’établissement (arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 22).

40 À cet égard, comme le souligne M. l’avocat général, au point 47 de ses conclusions, compte tenu du temps et de l’argent que nécessite la participation à une procédure d’appel d’offres, le droit de préemption inconditionnel accordé aux pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière est susceptible de dissuader les pharmaciens en provenance d’autres États membres de participer à une telle procédure.

41 Un tel constat s’impose d’autant plus que le fait de présenter l’offre économiquement la plus avantageuse n’assure pas de remporter l’appel d’offres. En effet, le pharmacien employé de la pharmacie municipale, sans même participer à ladite procédure d’appel d’offres, peut exercer son droit de préemption en s’alignant sur l’offre économiquement la plus avantageuse et, ainsi, obtenir la cession de cette pharmacie.

42 Il en résulte que le droit de préemption inconditionnel accordé aux pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication, en octroyant un avantage à tout pharmacien employé d’une pharmacie municipale, tend à dissuader, voire à empêcher, les pharmaciens, en provenance d’autres États membres, d’acquérir un établissement stable dédié à l’exercice de leur activité professionnelle sur le territoire italien.

43 Par conséquent, un tel droit de préemption constitue une restriction à la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE.

44 S’agissant, dans un second temps, de l’existence d’une justification à cette restriction, il convient de déterminer, en premier lieu, si la mesure nationale poursuit un objectif légitime (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 25).

45 Il ressort de la décision de renvoi que le droit de préemption accordé aux pharmaciens employés de la pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication vise à assurer une meilleure gestion du service pharmaceutique, d’une part en garantissant la continuité de la relation de travail des pharmaciens salariés et, d’autre part, en valorisant l’expérience de gestion acquise par ces derniers.

46 Un tel objectif en ce qu’il rejoint celui de la protection de la santé publique, expressément visé à l’article 52, paragraphe 1, TFUE, peut justifier une restriction à la liberté d’établissement. Il a également été jugé qu’une restriction à la liberté d’établissement peut être justifiée par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité, lequel constitue une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013,
Venturini e.a., C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, points 40 et 41).

47 Partant, il convient, en second lieu, d’examiner si la restriction à la liberté d’établissement que constitue le droit de préemption inconditionnel accordé aux pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et, le cas échéant, si cette restriction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, à savoir s’il n’existe pas des mesures moins restrictives
de la liberté garantie à l’article 49 TFUE qui permettraient de l’atteindre de manière aussi efficace (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, points 25 et 52).

48 S’agissant de la continuité de la relation de travail afin d’assurer une meilleure gestion du service pharmaceutique, elle ne peut être considérée comme étant apte à garantir l’objectif de protection de la santé publique.

49 En effet, la juridiction de renvoi relève que l’objectif de maintien des droits des employés d’une pharmacie municipale, en cas de cession de celle-ci, est, en principe, assuré par l’application de l’article 2112 du code civil qui transpose la directive 2001/23.

50 S’agissant de la valorisation de l’expérience professionnelle acquise en vue d’assurer une meilleure gestion du service pharmaceutique, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que le droit de préemption inconditionnel accordé aux pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication instaure une présomption irréfragable selon laquelle ces employés sont les mieux à même de gérer, en tant que propriétaires, ladite pharmacie. Un tel
droit de préemption ne repose sur aucune appréciation concrète de l’expérience effectivement acquise, de la qualité du service presté, ni des fonctions concrètement exercées au sein de la pharmacie municipale. Partant, il ne peut être considéré comme propre à atteindre l’objectif de protection de la santé publique.

51 En tout état de cause, il convient de relever que, au regard du droit national, la cession d’une pharmacie ne peut s’opérer qu’au profit d’un pharmacien inscrit au tableau de l’ordre des pharmaciens, ayant déjà obtenu l’habilitation à l’acquisition d’une pharmacie ou ayant au moins deux ans de pratique professionnelle. Outre que la profession de pharmacien est une profession réglementée, ces conditions offrent, en tant que telles, certaines garanties relatives à l’aptitude professionnelle des
acquéreurs potentiels d’une pharmacie municipale. En outre, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, un tel objectif de valorisation de l’expérience professionnelle peut être atteint par des mesures moins contraignantes telles que l’attribution de points supplémentaires, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, en faveur des soumissionnaires apportant la preuve d’une expérience dans la gestion d’une pharmacie.

52 Il y a donc lieu de considérer que le droit de préemption inconditionnel accordé aux pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication, en ce qu’il vise à assurer une meilleure gestion du service pharmaceutique, à supposer qu’il poursuive effectivement un objectif tenant à la protection de la santé publique, n’est pas propre à garantir la réalisation de cet objectif et, en tout état de cause, va au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre un tel objectif.

53 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale qui accorde un droit de préemption inconditionnel en faveur des pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication.

Sur les dépens

54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale qui accorde un droit de préemption inconditionnel en faveur des pharmaciens employés d’une pharmacie municipale en cas de cession de cette dernière par voie d’adjudication.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-465/18
Date de la décision : 19/12/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato.

Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Cession d’une pharmacie dans le cadre d’une procédure d’adjudication – Législation nationale – Droit de préemption pour les employés de la pharmacie cédée.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : AV et BU
Défendeurs : Comune di Bernareggio.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan
Rapporteur ?: Piçarra

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:1125

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