ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
11 décembre 2019 ( *1 )
« Pourvoi – Aides d’État – Production d’aluminium – Tarif préférentiel de fourniture d’électricité octroyé par un contrat – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Résiliation du contrat – Suspension par décision juridictionnelle, en référé, des effets de la résiliation – Décision déclarant l’aide illégale »
Dans l’affaire C‑332/18 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 mai 2018,
Mytilinaios Anonymos Etairia – Omilos Epicheiriseon, établie à Maroussi (Grèce), anciennement Alouminion tis Ellados VEAE, représentée par Mes N. Korogiannakis, N. Keramidas, E. Chrysafis, D. Diakopoulos et A. Komninos, dikigoroi, ainsi que par Me K. Struckmann, Rechtsanwalt,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar et E. Gippini Fournier, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes E. Bourtzalas et D. Waelbroeck, avocats, ainsi que par Mes C. Synodinos, H. Tagaras, E. Salaka, dikigoroi,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J. Malenovský et F. Biltgen (rapporteur), juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 septembre 2019,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Mytilinaios Anonymos Etairia – Omilos Epicheiriseon demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 mars 2018, Alouminion/Commission (T‑542/11 RENV, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:132), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision 2012/339/UE de la Commission, du 13 juillet 2011, concernant l’aide d’État SA.26117 – C 2/2010 (ex NN 62/2009) mise en œuvre par la Grèce en faveur d’Aluminium of Greece SA
(JO 2012, L 166, p. 83, ci-après la « décision litigieuse »).
Les antécédents du litige
2 Alouminion tis Ellados AE, à laquelle Alouminion AE, Alouminion tis Ellados VEAE et Mytilinaios Anonymos Etairia – Omilos Epicheiriseon ont succédé successivement (ci-après, indifféremment, « la requérante »), produit de l’aluminium en Grèce.
3 Au cours de l’année 1960, la requérante a conclu un contrat (ci-après le « contrat de 1960 ») avec la compagnie publique d’électricité Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), en vertu duquel un tarif préférentiel de fourniture d’électricité lui a été accordé (ci-après le « tarif préférentiel »).
4 L’article 2, paragraphe 3, du contrat de 1960 prévoyait la reconduction tacite de celui-ci pour des périodes successives de cinq ans, à moins qu’il ne soit résilié par l’une des parties, avec un préavis de deux ans, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception.
5 En vertu d’un accord passé entre la requérante et l’État grec et formalisé par un décret législatif de 1969 (ci-après le « décret législatif de 1969 »), le contrat de 1960 devait prendre fin le 31 mars 2006, sauf s’il était prolongé conformément à ses dispositions.
6 Par la décision SG (92) D/867, du 23 janvier 1992, Aide litigieuse en faveur de l’entreprise Alouminion tis Ellados AE, aide NN 83/91 (ci‑après la « décision de 1992 »), la Commission européenne a considéré que le tarif préférentiel accordé à cette entreprise constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur.
7 Par la décision du 16 octobre 2002, intitulée « Autorisation des aides d’État dans le cadre des dispositions des articles [107 et 108 TFUE] – Cas à l’égard desquels la Commission ne soulève pas d’objection » (JO 2003, C 9, p. 6), la Commission a approuvé une subvention octroyée par la République hellénique dans le secteur de l’électricité (ci-après la « décision de 2002 »).
8 Au mois de février 2004, DEI a avisé la requérante de son souhait de résilier le contrat de 1960 et a, conformément aux dispositions contractuelles, cessé de lui appliquer le tarif préférentiel à compter du 1er avril 2006.
9 La requérante a contesté cette résiliation devant les juridictions nationales compétentes.
10 Par une ordonnance du 5 janvier 2007 (ci-après la « première ordonnance de référé »), le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce), statuant en référé, a suspendu à titre provisoire et ex nunc les effets de cette résiliation. Cette juridiction a estimé que ladite résiliation n’était pas valide, sur la base des termes du contrat de 1960 et du cadre juridique national applicable.
11 DEI a contesté la première ordonnance de référé devant le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes, Grèce), qui, statuant également en référé, a fait droit, ex nunc, à sa demande de résiliation du contrat de 1960 et de cessation de l’application du tarif préférentiel, par une ordonnance du 6 mars 2008.
12 Ainsi, pendant la période allant du 5 janvier 2007 au 6 mars 2008 (ci‑après la « période en cause »), la requérante a continué à bénéficier du tarif préférentiel.
13 Au mois de juillet 2008, la Commission a été saisie de plusieurs plaintes, relatives, notamment, au tarif préférentiel. Par une lettre du 27 janvier 2010, elle a informé la République hellénique de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et a invité les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d’un mois à compter de la date de publication de celle-ci.
14 Ladite décision a été publiée au Journal Officiel de l’Union européenne le 16 avril 2010 (JO 2010, C 96, p. 7).
15 Dans cette décision, la Commission a exprimé des doutes quant au point de savoir si le tarif préférentiel appliqué par DEI à la requérante durant la période en cause se situait au même niveau que le tarif appliqué aux autres grands consommateurs industriels d’électricité haute tension établis en Grèce, dès lors que l’application du tarif préférentiel, qui aurait dû cesser le 31 mars 2006, avait été prolongée par la première ordonnance de référé.
16 La République hellénique, la requérante et DEI ont adressé leurs observations respectives à la Commission.
17 Par la décision litigieuse, la Commission a considéré que la République hellénique avait illégalement octroyé à la requérante une aide d’État d’un montant de 17,4 millions d’euros, en raison de l’application du tarif préférentiel durant la période en cause. Étant donné que cette aide avait été accordée en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et était, partant, incompatible avec le marché intérieur, la Commission a enjoint à la République hellénique de la récupérer auprès de la
requérante.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, EU:T:2014:859)
18 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 2011, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. La requérante a invoqué dix moyens à l’appui de son recours.
19 Par l’arrêt du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, EU:T:2014:859), le Tribunal a accueilli le premier moyen de ce recours et a annulé la décision litigieuse, sans statuer sur les autres moyens invoqués.
La procédure devant la Cour et l’arrêt attaqué
20 Par une requête déposée au greffe de la Cour le 18 décembre 2014, DEI a formé un pourvoi contre ledit arrêt.
21 Par l’arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados (C‑590/14 P, EU:C:2016:797), la Cour a annulé l’arrêt du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, EU:T:2014:859), a renvoyé l’affaire devant le Tribunal et a réservé les dépens.
22 À la suite de cet arrêt de la Cour, le Tribunal a examiné les deuxième à dixième moyens soulevés par la requérante dans sa requête, sur lesquels il n’avait pas statué dans son arrêt du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, EU:T:2014:859).
23 S’agissant, plus particulièrement, des cinquième et septième moyens, ceux-ci peuvent être résumés comme suit.
24 Par son cinquième moyen, qui comportait trois branches, la requérante reprochait à la Commission une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
25 Par la première branche, la requérante faisait valoir que le tarif préférentiel ne constituait pas un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans le cadre de la deuxième branche, la requérante contestait, en substance, le caractère sélectif de ce tarif. Par la troisième branche, la requérante reprochait à la Commission d’avoir apprécié de manière erronée les effets du tarif préférentiel, ce dernier n’ayant pas, selon elle, affecté les échanges entre les États membres, ni généré
une distorsion de concurrence.
26 Le septième moyen invoqué était tiré d’une violation des droits de la défense.
27 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’ensemble des moyens soulevés par la requérante à l’appui de son recours et, partant, a rejeté ce dernier dans son ensemble.
Les conclusions des parties devant la Cour
28 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de statuer sur le litige, d’annuler la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens.
29 La Commission demande à la Cour de rejeter ce pourvoi comme étant non fondé et de condamner la requérante aux dépens.
30 DEI demande à la Cour de rejeter ledit pourvoi dans son intégralité et de condamner la requérante aux dépens.
Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure
31 Par un courrier déposé au greffe de la Cour le 9 septembre 2019, la requérante a demandé la régularisation du dépôt d’un document qu’elle avait déjà produit devant le Tribunal ou, à défaut, la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, aux fins du dépôt, à titre de régularisation, dudit document.
32 À l’appui de sa demande, la requérante fait valoir que, lors de l’audience devant la Cour, la Commission a relevé que le tableau indiquant, en ce qui concerne la période en cause, les montants résultant de l’application, respectivement, du tarif préférentiel et du tarif appliqué aux autres grands consommateurs industriels d’électricité haute tension, qu’elle avait produit en annexe 12 de sa requête devant le Tribunal, était illisible.
33 La requérante reconnaît que la lecture de ce document pouvait être rendue difficile en raison des couleurs utilisées et des nombreuses photocopies et numérisations successives dont il avait fait l’objet et elle a demandé, par conséquent, l’autorisation de produire à nouveau ce document, dans une version dont les ombres préexistantes avaient été éliminées, afin d’améliorer la lisibilité et la prise en considération de celui-ci par la Cour.
34 Il importe de souligner que, dans la mesure où la demande de régularisation du dépôt du document en cause a été rejetée par la Cour comme étant tardive, le courrier de la requérante doit être regardé comme constituant une demande de réouverture de la procédure orale.
35 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 28 et jurisprudence citée).
36 En l’occurrence, la requérante ne sollicite la réouverture de la procédure orale qu’aux fins d’être autorisée à déposer, à titre de régularisation, le document en cause, dans une version de celui-ci qui, selon elle, est lisible, cela afin d’assurer sa prise en compte par la Cour.
37 Or, il y a lieu de relever que le tableau figurant sur ce document était, en ce qui concerne les données pertinentes aux fins de la solution du litige dont la Cour est saisie, suffisamment lisible dans sa version figurant à l’annexe 12 de la requête introduite devant le Tribunal. Partant, ledit document a pu être pris en considération par la Cour.
38 Il s’ensuit que la Cour est suffisamment éclairée et dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le présent pourvoi.
39 Il convient, dès lors, M. l’avocat général entendu, de rejeter la demande tendant à ce que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur le pourvoi
40 La requérante invoque trois moyens à l’appui de son pourvoi, par lesquels elle critique, en substance, le raisonnement par lequel le Tribunal a rejeté les cinquième et septième moyens qu’elle avait soulevés devant lui.
41 Le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est divisé en trois branches qui portent sur l’appréciation, par le Tribunal, respectivement, de l’existence d’un avantage, de la sélectivité de l’avantage invoqué, ainsi que de l’incidence de la mesure en cause sur les échanges entre les États membres et sur la concurrence.
42 Le deuxième moyen est tiré d’une violation, par le Tribunal, de l’obligation de motivation qui lui incombe.
43 Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal en ce qu’il a écarté le septième moyen soulevé devant lui, tiré d’une violation des droits de la défense.
44 En vue de faciliter l’analyse du bien-fondé du présent pourvoi, il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen, ensuite, la deuxième branche et la troisième branche du premier moyen et, enfin, la première branche du premier moyen et le deuxième moyen du pourvoi conjointement.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
45 Par son troisième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en rejetant, aux points 179 à 200 de l’arrêt attaqué, son argumentation tirée d’une violation des droits de la défense.
46 La requérante reproche au Tribunal d’avoir, notamment, considéré, d’une part, que les droits de la défense dont peut se prévaloir le bénéficiaire de l’aide se limitent au droit de participer à la procédure administrative et, d’autre part, qu’elle n’a pas invoqué d’éléments prouvant que, en l’absence de l’irrégularité alléguée, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.
47 Elle souligne, à cet égard, que, en général, l’absence de garanties procédurales en faveur du bénéficiaire, dans la procédure de contrôle des aides d’État, est compensée par le fait que les États membres ont des intérêts coïncidant avec ceux du bénéficiaire de l’aide, de telle sorte qu’ils préparent les dossiers en commun, fournissent des éléments et, si nécessaire, présentent une défense commune contre les éventuels griefs de la Commission.
48 Or, la requérante aurait déjà souligné, devant le Tribunal, que tel n’était pas le cas en l’espèce. En effet, ses intérêts, en tant que bénéficiaire de l’aide en cause, ne coïncideraient pas avec ceux de l’État grec et c’est pour cette raison que, contrairement à DEI, elle n’avait ni participé à la procédure suivie devant la Commission, ni été sollicitée afin de fournir des éléments, ni été tenue informée de l’enquête diligentée. Ainsi, elle n’aurait pris connaissance de l’existence de cette
enquête que lorsque la communication relative à l’enquête approfondie a été publiée.
49 La requérante ajoute que, dès lors que la Commission n’avait pas fait référence, dans cette communication, à la décision de 2002, qui constituerait le pilier principal de la décision litigieuse, elle n’avait été mise en mesure de présenter ses arguments à cet égard que dans le cadre de son recours devant le Tribunal. Or, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 197 de l’arrêt attaqué, celui-ci ayant rejeté ses arguments au motif qu’ils avaient été invoqués hors délai, la requérante
n’aurait pas été entendue et les droits de la défense auraient, partant, été violés.
50 En outre, la requérante soutient que c’est à tort que le Tribunal a considéré qu’elle n’avait pas avancé d’arguments tirés de ce que le résultat aurait été différent si elle avait eu la possibilité de présenter ses arguments au sujet de la décision de 2002. En effet, elle aurait fait valoir, devant le Tribunal, que, si les droits de la défense avaient été respectés, cette décision n’aurait pas pu faire partie de la motivation de la décision litigieuse, puisqu’elle ne mentionnait pas, selon elle,
que le tarif préférentiel constituait une aide d’État. En tout état de cause, la décision de 2002 ne lui serait pas opposable.
51 La Commission et DEI estiment que ce moyen doit être écarté comme étant non fondé.
Appréciation de la Cour
52 Il importe de rappeler, d’emblée, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, d’ailleurs citée par le Tribunal au point 194 de l’arrêt attaqué, que, dans la procédure de contrôle des aides d’État, le bénéficiaire de l’aide n’exerce pas de rôle particulier parmi les intéressés et ne peut se prévaloir des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, point 83)
53 Cependant, en tant que bénéficiaire de l’aide en cause, la requérante pouvait, ainsi que le Tribunal l’a jugé au point 196 de l’arrêt attaqué, soumettre des observations dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, ce droit étant consacré, notamment, à l’article 108, paragraphe 2, TFUE
54 Or, il ressort du dossier soumis à la Cour et ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience devant la Cour, dans le cadre de cette procédure, la requérante a été en mesure de soumettre des observations.
55 Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 197 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’était pas fondée à invoquer une violation des droits de la défense dans le cadre de ladite procédure.
56 S’agissant de la décision de 2002, il convient de relever, comme l’a fait le Tribunal au point 187 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de présenter, dans sa communication relative à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, une analyse aboutie en ce qui concerne l’aide en cause.
57 En tout état de cause, dès lors que la décision de 2002 a été publiée au Journal Officiel des Communautés européennes et que, par conséquent, la requérante pouvait y avoir accès, cette dernière ne saurait valablement soutenir que l’absence de référence à cette décision dans ladite communication l’avait empêchée d’avoir connaissance de l’existence de ladite décision, ni que ladite décision ne lui était pas opposable.
58 Quant au reproche tiré de ce que le Tribunal aurait, à tort, considéré que la requérante n’avait pas fait valoir, devant lui, que le résultat aurait été différent si elle avait eu la possibilité de présenter ses arguments à l’égard de la décision de 2002, ce reproche repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
59 En effet, au point 199 de cet arrêt, le Tribunal a relevé non pas que la requérante n’avait pas invoqué d’éléments en ce sens, mais que celle-ci n’avait fait valoir aucun élément susceptible de démontrer que, en l’absence de l’irrégularité alléguée, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.
60 Par conséquent, il y a lieu d’écarter le troisième moyen du pourvoi comme étant non fondé.
Sur la deuxième branche du premier moyen
Argumentation des parties
61 Par la deuxième branche de son premier moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir, aux points 146 à 148 de l’arrêt attaqué, commis des erreurs de droit lors de l’appréciation qu’il a faite de la sélectivité de l’avantage en cause.
62 Selon la requérante, le Tribunal s’est concentré, à tort, sur le fait que, durant la période en cause, elle était la seule entreprise ayant bénéficié du tarif préférentiel et il a omis de prendre en compte la nature juridique et les raisons ayant conduit à l’adoption de la mesure en cause.
63 La requérante rappelle que, dans l’arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL (C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 60), la Cour a précisé que la sélectivité d’une mesure spécifique doit être appréciée dans le contexte dans lequel s’inscrit le cadre procédural dans lequel cette mesure a été prise. Ainsi, la Cour aurait jugé que l’exigence de sélectivité diverge selon que la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide ou comme une aide individuelle. Dans ce dernier cas, l’identification de
l’avantage économique permettrait, en principe, de présumer sa sélectivité. En revanche, lors de l’examen d’un régime général d’aide, il serait nécessaire de déterminer si la mesure en cause, nonobstant le fait qu’elle procure un avantage de portée générale, bénéficie de manière exclusive à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activités.
64 La requérante en déduit que le Tribunal était tenu d’examiner le point de savoir si, lorsque le juge national a rendu la première ordonnance de référé, celui-ci a établi des différenciations entre les entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation comparable et, partant, lui a procuré, de manière sélective, un avantage susceptible de la favoriser par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation comparable.
65 Or, dans la mesure où le juge national, statuant en référé et prononçant des mesures provisoires de protection, a simplement appliqué les dispositions générales du droit grec qui protègent toute partie qui invoque une privation de ses droits contractuels, rien n’indiquerait que, dans une situation comparable, des mesures analogues à celles accordées à la requérante par la première ordonnance de référé n’auraient pas été accordées à toute autre entreprise, notamment à Larko, qui est le deuxième
plus grand consommateur d’électricité haute tension établi en Grèce et qui, comme la requérante, a bénéficié d’un tarif préférentiel, excepté durant la période en cause. Par conséquent, l’adoption de la mesure en cause ne comporterait aucun élément de sélectivité.
66 La Commission et DEI considèrent que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Appréciation de la Cour
67 Il importe de rappeler qu’il ressort de l’arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL (C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 60), que l’exigence de sélectivité diverge selon que la mesure en cause est envisagée comme un régime général d’aide ou comme une aide individuelle. Dans ce dernier cas, l’identification de l’avantage économique permet, en principe, de présumer sa sélectivité.
68 En l’occurrence, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, la mesure en cause, à savoir celle résultant de la première ordonnance de référé, constitue non pas un régime général d’aide, mais une aide individuelle.
69 Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 147 de l’arrêt attaqué, la première ordonnance de référé a produit ses effets ex nunc de telle sorte que ceux-ci ont été cantonnés aux seules parties au litige en cause, à savoir la requérante et DEI. Ladite mesure ne saurait, dès lors, être envisagée comme constituant un régime général d’aide.
70 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel Larko, qui est un autre grand consommateur industriel, client de DEI et ayant bénéficié d’un tarif préférentiel, aurait pu obtenir, auprès du juge national statuant en référé, des mesures analogues à celles accordées à la requérante par la première ordonnance de référé.
71 En effet, le juge des référés dispose d’une marge d’appréciation pour accorder ou non des mesures destinées à protéger les intérêts des parties au litige qui lui est soumis, laquelle varie en fonction des circonstances particulières qui caractérisent ce litige. Dans ce contexte, il ne saurait être présumé qu’une entreprise autre que la requérante ait pu, si elle en avait fait la demande, obtenir des mesures analogues à celles accordées à cette dernière par la première ordonnance de référé.
72 Dès lors que l’argumentation invoquée par la requérante dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen du pourvoi repose sur la prémisse erronée, selon laquelle la mesure en cause constitue un régime général d’aide, celle-ci doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur la troisième branche du premier moyen
Argumentation des parties
73 Par la troisième branche de son premier moyen, la requérante reproche au Tribunal plusieurs erreurs de droit ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve dans l’appréciation qu’il a faite des effets de la mesure en cause sur le commerce et la concurrence.
74 La requérante affirme avoir invoqué, devant le Tribunal, la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission (730/79, EU:C:1980:209, point 11), selon laquelle la Commission a l’obligation de prouver que la mesure en cause a renforcé ou pouvait renforcer sa position par rapport à celle d’autres industries du secteur de l’aluminium dans les échanges entre les États membres.
75 La requérante soutient que la mesure en cause ne pouvait avoir cet effet, dès lors que l’aluminium traité est un produit uniforme, dont le prix est déterminé, en substance, par les marchés internationaux, de telle sorte que toute réduction des coûts résultant du tarif préférentiel qui lui a été appliqué ne pouvait être répercutée sur le prix de vente de ses produits. En outre, il ressortirait, notamment, de la décision de 1992 que, durant la période en cause, le tarif préférentiel avait été
significativement supérieur au prix de l’électricité payé par ses concurrents internationaux.
76 La requérante fait valoir que c’est à tort que, aux points 159 à 164 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la question de savoir si la mesure en cause pouvait renforcer sa position économique en raison de l’application du tarif préférentiel. En effet, le Tribunal aurait dû examiner le point de savoir si l’avantage dont elle a bénéficié pouvait avoir une incidence sur sa position concurrentielle, par rapport aux autres producteurs d’aluminium exerçant leur activité sur les marchés européen et
mondial.
77 Or, le Tribunal se serait borné à considérer que l’aide en cause ne pouvait affecter la concurrence par l’effet de prix de vente inférieurs à ceux des concurrents de la requérante, ces prix ayant été fixés par le marché, indépendamment de la volonté de la requérante. Le Tribunal aurait ainsi, à l’instar de la Commission, constaté une distorsion de la concurrence et une incidence sur les échanges, en se fondant uniquement sur le fait que la réduction des coûts de production avait dû conduire la
requérante à réaliser soit des bénéfices plus importants, soit des pertes plus faibles au cours de la période en cause, sans toutefois vérifier si celle-ci était en mesure d’utiliser l’avantage économique procuré pour améliorer sa position concurrentielle sur le marché de l’aluminium.
78 La requérante ajoute que, aux points 165 et 166 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, à tort et sans motivation, ses arguments relatifs à la décision de 1992 et aux autres données économiques produits devant lui, et qu’il a, pour cette raison, commis une erreur de droit.
79 Selon la requérante, la décision de 1992 est pertinente, dès lors qu’elle reconnaît indirectement que sa position concurrentielle sur le marché ne pouvait être affectée que si DEI était en mesure de lui fournir de l’électricité à un prix inférieur à celui payé par ses principaux concurrents. Les données économiques écartées par le Tribunal, au motif qu’elles concernaient des périodes différentes de la période en cause seraient également pertinentes, dès lors qu’elles concerneraient un secteur
dans lequel les investissements seraient réalisés et les contrats conclus pour plusieurs décennies.
80 La requérante ajoute que le Tribunal a ignoré, à tort, qu’elle avait fourni, devant lui, des éléments de preuve relatifs à la période en cause, notamment un rapport concernant les prix payés par ses principaux concurrents pour leur consommation d’électricité et les prix pratiqués au niveau mondial durant l’année 2006. Or, ce seraient les données économiques constatées à la date de l’adoption de la première ordonnance de référé, soit celles relatives à l’année 2006, qui seraient pertinentes pour
déterminer les effets potentiels de la mesure en cause sur le commerce et la concurrence.
81 La Commission et DEI considèrent que la troisième branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
Appréciation de la Cour
82 Il importe de rappeler, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour à laquelle le Tribunal a fait référence au point 157 de l’arrêt attaqué, que la Commission est tenue non pas d’établir une incidence réelle des aides sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de concurrence, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêts du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, EU:C:2004:234,
point 44, et du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, EU:C:2005:768, point 111).
83 Or, lorsqu’une aide renforce la position d’une entreprise par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intérieurs de l’Union, ces derniers doivent être considérés comme influencés par cette aide (arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 11, et du 20 novembre 2003, GEMO, C‑126/01, EU:C:2003:622, point 41).
84 En l’occurrence, il convient de relever que, après avoir considéré, aux points 159 et 160 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait de la décision litigieuse que la requérante était présente dans un secteur où les produits faisaient l’objet d’échanges intensifs entre les États membres, l’aluminium étant produit dans neuf États membres autres que la République hellénique, et que la mesure en cause renforçait la position de la requérante par rapport aux autres entreprises concurrentes dans les échanges
entre les États membres, le Tribunal a validé la constatation de la Commission, selon laquelle lesdites entreprises étaient lésées par la mesure en cause et que, partant, le critère relatif à la distorsion de la concurrence et à l’incidence sur les échanges entre les États membres était rempli.
85 À cet égard, le Tribunal a écarté les arguments soulevés par la requérante en considérant, aux points 161 à 164 de l’arrêt attaqué, d’une part, qu’il ne saurait être sérieusement contesté que le tarif préférentiel avait réduit les coûts de production de la requérante, indépendamment des coûts de production des entreprises concurrentes établies dans des États membres autres que la République hellénique et, d’autre part, que, même si les prix de vente des produits en cause étaient fixés par la
Bourse, au niveau international, ne permettant pas, ainsi, à la requérante de répercuter, sur le prix de vente desdits produits, l’économie réalisée sur ses coûts de production, celle-ci était néanmoins en mesure de réaliser un bénéfice en raison du tarif préférentiel accordé par DEI, à la différence des entreprises concurrentes établies dans ces autres États membres.
86 Il y a lieu, dès lors, de constater que le raisonnement suivi par le Tribunal, en ce qu’il visait à établir que la mesure en cause était susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence, est conforme à la jurisprudence constante de la Cour rappelée aux points 82 et 83 du présent arrêt.
87 L’argumentation de la requérante, tirée de ce que le Tribunal aurait dû vérifier si cette dernière était effectivement en mesure d’utiliser l’avantage économique procuré par l’application du tarif préférentiel pour améliorer sa position concurrentielle sur le marché de l’aluminium, ne saurait, partant, prospérer.
88 Quant aux arguments relatifs à la décision de 1992 et aux données économiques fournies par la requérante, notamment le rapport comportant des données statistiques relatives à l’année 2006, il suffit de constater que celles-ci concernent des périodes autres que la période en cause, qui est comprise entre le 5 janvier 2007 et le 6 mars 2008, et qu’elles sont, par conséquent, dénuées de pertinence. Partant, c’est à bon droit que le Tribunal les a écartées au point 165 de l’arrêt attaqué.
89 Il résulte de ce qui précède que l’appréciation par le Tribunal des effets de la mesure en cause sur le commerce et la concurrence n’est entachée ni d’une dénaturation des éléments de preuve ni d’erreurs de droit.
90 Par conséquent, la troisième branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
Sur la première branche du premier moyen et le deuxième moyen
91 Par la première branche de son premier moyen et son deuxième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir, aux points 117 à 138 de l’arrêt attaqué, d’une part, commis plusieurs erreurs de droit et de s’être livré à une dénaturation des faits dans l’appréciation qu’il a portée sur l’existence d’un avantage et, d’autre part, d’avoir violé l’obligation de motivation qui lui incombe.
92 Il convient d’examiner, en premier lieu, l’argumentation tirée d’erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal, et, en second lieu, celle tirée d’une dénaturation des faits ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation.
Sur les prétendues erreurs de droit commises par le Tribunal
– Argumentation des parties
93 En premier lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir, aux points 115 à 138 de l’arrêt attaqué, examiné de manière séparée et successivement la question de savoir si elle avait bénéficié de coûts de production inférieurs, résultant de l’application du tarif préférentiel, la question de la justification de l’avantage procuré par des raisons économiques et celle de l’application du critère de l’investisseur privé. Ce faisant, le Tribunal aurait omis de vérifier si le tarif préférentiel
pouvait être considéré comme compatible avec les conditions normales de marché.
94 Cette approche serait contraire à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 21, 23 et 66), dans lequel la Cour aurait jugé que ces éléments doivent être examinés simultanément et en commun, afin d’établir qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage. Dans cet arrêt, la Cour aurait également précisé, d’une part, que les conditions que doit remplir une mesure pour relever de la notion d’« aide », au sens de
l’article 107 TFUE, ne sont pas satisfaites si l’entreprise bénéficiaire pouvait obtenir le même avantage dans des circonstances correspondant aux conditions normales de marché et, d’autre part, que l’examen du critère de l’investisseur privé ne constitue pas une exception ne s’appliquant que lorsqu’il est vérifié qu’il existe une aide, mais figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une aide.
95 En deuxième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir refusé d’examiner la justification économique de l’avantage en cause et d’avoir appliqué de manière erronée les règles relatives à la charge de la preuve d’une telle justification.
96 À cet égard, la requérante soutient que c’est à tort que, aux points 125 à 127 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, d’une part, que, dès lors que l’existence d’un avantage a été constatée, il n’appartient pas à la Commission de vérifier d’office la présence de justifications économiques, la preuve desdites justifications incombant à l’État membre en cause, s’il entend contester l’appréciation de la Commission, et, d’autre part, que la Commission était en droit de se limiter, dans ce contexte,
aux éléments présentés par l’État membre au cours de la procédure administrative et que la République hellénique n’ayant pas invoqué d’arguments en ce sens, la décision litigieuse ne pouvait être critiquée sur ce point.
97 Selon la requérante, le raisonnement suivi par le Tribunal est entaché d’une erreur de droit en ce qu’il renverse la charge de la preuve de l’existence d’une aide et limite, à tort, l’obligation de la Commission à la seule appréciation des arguments avancés par l’État membre concerné au cours de la procédure administrative.
98 Ce raisonnement serait contraire à ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 23 à 26), et à l’obligation faite à la Commission d’effectuer une enquête diligente et impartiale, ainsi que cela ressortirait du point 90 de l’arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott (C‑290/07 P, EU:C:2010:480). En effet, à supposer que la Commission ne soit pas obligée de vérifier d’office la présence de justifications économiques, elle
serait tenue d’examiner les arguments que le bénéficiaire de l’aide en cause a invoqués devant elle durant la phase précontentieuse.
99 La requérante ajoute que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant, au point 128 de l’arrêt attaqué, que DEI, en tant que fournisseur d’électricité de la requérante, avait soutenu sans la moindre ambiguïté que le tarif préférentiel se situait, durant la période en cause, en deçà de ses coûts de production et n’était pas compensé par ailleurs. Cette affirmation constituerait une substitution de motivation non valide, dès lors que, dans la décision litigieuse, la Commission se serait
abstenue d’examiner le point de savoir si, au cours de la période en cause, le tarif préférentiel se situait effectivement en deçà des coûts de production de DEI.
100 En outre, le Tribunal n’aurait ni vérifié la véracité de ces éléments matériels, ni pris en compte les éléments de preuve produits par la requérante à cet égard. Or, ceux-ci démontreraient que le tarif préférentiel couvrait les coûts de production de DEI et lui assurait un bénéfice raisonnable, notamment par la participation de cette dernière aux bénéfices de la requérante.
101 En troisième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis plusieurs erreurs de droit dans l’appréciation qu’il a faite du critère de l’investisseur privé.
102 La requérante, qui se réfère à l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 43 et 48), soutient que, en l’espèce, le Tribunal était tenu de prendre en compte ce critère et que c’est à tort qu’il a émis des doutes quant à son applicabilité et qu’il n’a pas tenu compte de l’importance de ce critère aux fins d’évaluer si la mesure en cause reflétait les conditions normales de marché.
103 Selon la requérante, le Tribunal n’a pas pris en considération de manière détaillée les circonstances très particulières de l’espèce, qu’elle avait invoquées devant lui, notamment le fait que, ainsi que l’auraient reconnu les autorités grecques et de l’Union compétentes en matière de protection de la concurrence, DEI est une entreprise dominante, abusant de manière systématique de sa position sur le marché depuis plusieurs décennies au moyen de sa politique tarifaire. Le Tribunal aurait
également omis de tenir compte du fait que la requérante ne dispose pas d’une source alternative de fourniture d’électricité, de telle sorte qu’elle devrait cesser ses activités si elle ne se fournissait plus auprès de DEI.
104 En outre, le Tribunal se serait fondé, à tort, sur la prémisse selon laquelle la requérante relève obligatoirement de l’application du tarif réglementé A-150, réservé, en Grèce, aux grands consommateurs industriels, sans qu’existe une possibilité légale de déroger à cette obligation. Or, une telle prémisse ne ressortant pas de la décision litigieuse, le Tribunal aurait effectué une substitution de motivation non valide.
105 En tout état de cause, le tarif réglementé A-150 ne constituerait pas le cadre de référence adéquat pour apprécier, en l’espèce, l’existence d’un avantage. Dès lors, selon la requérante, qui se réfère à l’ordonnance du 21 janvier 2016, Alcoa Trasformazioni/Commission (C‑604/14 P, non publiée, EU:C:2016:54, points 38 et 39), ainsi qu’à l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706), la Commission était tenue, à cet égard, d’effectuer une analyse sur la base du
prix hypothétique du marché.
106 La requérante ajoute, en se fondant sur l’arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF (C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 78), que le résultat de la procédure visant à évaluer si une mesure procure un avantage dépend de la question de savoir si cet avantage pourrait exister dans des circonstances correspondant aux conditions normales de marché. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce.
107 En ce qui concerne les points 132 et 133 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal, d’une part, a exclu qu’un investisseur privé ait entendu pratiquer un tarif tel que le tarif préférentiel, plutôt que de se soumettre au tarif normal, d’un montant supérieur, sauf à envisager des compensations, et, d’autre part, a jugé que la requérante n’avait nullement fait état de telles compensations, cette dernière soutient que, ce faisant, le Tribunal s’est livré à une dénaturation des faits.
108 En effet, le Tribunal aurait ignoré que la requérante a présenté de manière détaillée des arguments à cet égard, et a, notamment, démontré que la méthode de tarification prévue par le contrat de 1960 permettait à DEI de participer indirectement aux bénéfices de la requérante, issus de la vente d’aluminium, en pratiquant des prix plus élevés pour la fourniture d’électricité, lorsque les prix, sur le marché des métaux, étaient plus élevés.
109 En outre, l’affirmation du Tribunal méconnaîtrait le fait que, pendant cinq mois au cours de la période en cause, y compris lors de l’adoption de la première ordonnance de référé, le tarif préférentiel était supérieur au tarif normal A-150, de telle sorte que l’application du tarif préférentiel n’aurait fait bénéficier la requérante d’aucun avantage.
110 En ce qui concerne la période pertinente pour apprécier l’existence d’un avantage, la requérante fait valoir que le Tribunal aurait dû prendre en compte non pas la période, d’une durée de quatorze mois, pendant laquelle la première ordonnance de référé a produit des effets, mais toute la période pendant laquelle ladite ordonnance était susceptible de produire des effets, cette période s’étendant jusqu’à l’intervention éventuelle d’un jugement statuant sur la validité de la résiliation du contrat
de 1960, dans le cadre de la procédure juridictionnelle ordinaire.
111 En outre, selon les arrêts du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, EU:C:2002:294, point 71), et du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke (C‑129/12, EU:C:2013:200, point 40), le moment déterminant pour apprécier si, en l’occurrence, l’État membre concerné avait adopté ou non le comportement d’un investisseur avisé dans une économie de marché et, partant, si l’application de la méthode de tarification prévue par le contrat de 1960 constituait un avantage qui n’existerait pas dans les
conditions normales de marché, correspondrait non pas au mois de février 2004, au cours duquel la résiliation de ce contrat par DEI a été notifiée, mais au mois de janvier 2007, au cours duquel la première ordonnance de référé est intervenue, puisque, conformément à cette jurisprudence de la Cour, le moment déterminant est celui où le droit de recevoir l’aide a été conféré au bénéficiaire en vertu de la réglementation nationale applicable.
112 S’agissant de l’affirmation du Tribunal selon laquelle la résiliation du contrat de 1960 par DEI démontrerait que, au mois de janvier 2007, un organisme privé n’accepterait pas l’application de la méthode de tarification prévue par le contrat de 1960, liant celui-ci au prix de l’aluminium sur le marché, la requérante soutient que celle-ci est erronée.
113 En effet, au mois de janvier 2007, l’application de ladite méthode aurait abouti à un prix de l’électricité plus élevé que celui résultant du tarif réglementé A-150. En outre, avant et après la période en cause, DEI aurait appliqué à la requérante un tarif liant également le prix de la fourniture d’électricité à celui de l’aluminium sur le marché international et donnant lieu à un prix significativement inférieur à celui résultant de l’application du tarif préférentiel. Ce dernier tarif aurait,
ainsi, été considéré par la Commission comme ne constituant pas une aide d’État.
114 La requérante ajoute que DEI n’a pas demandé immédiatement le retrait de la première ordonnance de référé, ce qui démontrerait que, pendant l’année 2007, le tarif préférentiel était attractif d’un point de vue commercial. La Commission aurait, par ailleurs, constaté, dans sa décision de 1992, que DEI avait réalisé des bénéfices importants pendant des périodes significatives et pouvait, par conséquent, fournir de l’électricité à un prix réduit à certains consommateurs importants, tels que la
requérante.
115 Selon cette dernière, le Tribunal a également commis une erreur de droit en jugeant, au point 134 de l’arrêt attaqué, que l’invocation du droit dérivé en matière d’électricité, des décisions de la Rythmistiki Archi Energeias (Autorité de régulation de l’énergie, Grèce) et de la violation de l’article 102 TFUE ne saurait affecter l’appréciation selon laquelle un investisseur privé ne souhaiterait pas appliquer un tarif tel que le tarif préférentiel.
116 Dans son mémoire en réplique, la requérante ajoute, en se référant aux arrêts du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 99), ainsi que du 5 juin 2012, Commission/EDF (C‑124/10 P, EU:C:2012:318), que, à supposer que la mesure en cause soit constituée non pas par le tarif préférentiel, mais par la première ordonnance de référé, le fait qu’une juridiction ne se fonde pas sur les paramètres commerciaux ne ferait pas
obstacle à l’application du critère de l’investisseur privé, puisque l’article 107 TFUE n’établirait pas de distinction selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définirait celles-ci en fonction de leurs effets.
117 La Commission et DEI considèrent que la première branche du premier moyen et le deuxième moyen doivent être écartés comme étant non fondés.
– Appréciation de la Cour
118 En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation tirée de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en examinant, de manière séparée et successivement, la question de savoir si la requérante avait bénéficié de coûts de production inférieurs, résultant de l’application du tarif préférentiel, la question de la justification de l’avantage par des raisons économiques et celle de l’application du critère de l’investisseur privé, il suffit de constater que cet argument repose sur une lecture
erronée de l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706).
119 En effet, contrairement à ce qu’affirme la requérante, il ne ressort pas dudit arrêt que le Tribunal soit tenu d’examiner ces éléments de manière conjointe.
120 Par conséquent, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit à cet égard.
121 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argument tiré de ce que le Tribunal a refusé d’examiner la justification économique de l’avantage en cause, il convient de constater que celui-ci repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, puisqu’il ressort clairement des points 124 à 130 de ce dernier que le Tribunal a examiné la question de savoir si, en l’espèce, le tarif préférentiel pouvait être justifié par des raisons économiques.
122 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argumentation tirée d’une application erronée des règles relatives à la charge de la preuve de la justification économique dudit avantage, plus particulièrement, de l’argument selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que, lors de la procédure administrative, la Commission devait uniquement tenir compte des arguments relatifs à la justification économique avancés par l’État membre concerné, il importe de rappeler que, certes, comme
le Tribunal l’a jugé au point 125 de l’arrêt attaqué, il n’appartient pas à la Commission de vérifier d’office la présence de justifications économiques.
123 Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de conduire la procédure d’examen des mesures incriminées de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles (arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90 et
jurisprudence citée). Ainsi, il découle du principe de bonne administration que la Commission est, en principe, tenue de prendre en considération les justifications économiques avancées, le cas échéant, par le bénéficiaire de l’aide durant la procédure d’examen.
124 Il s’ensuit que c’est à tort que, au point 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la Commission était en droit de se limiter aux éléments présentés par l’État membre au cours de la procédure administrative.
125 Il convient, cependant, de constater que cette erreur n’est pas de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
126 En effet, lors de l’audience devant la Cour, la Commission a confirmé que, comme elle l’avait fait valoir devant le Tribunal, les arguments invoqués par la requérante, relatifs à la justification économique de l’avantage en cause, ont été présentés de manière tardive et étaient, dès lors, irrecevables.
127 Compte tenu de ces circonstances, la Commission n’était pas tenue, en l’occurrence, de prendre en considération les arguments relatifs à la justification économique audit avantage, avancés par la requérante durant la procédure administrative.
128 S’agissant de l’argument tiré d’une substitution de motivation non valide, effectuée par le Tribunal, ce dernier ayant affirmé, au point 128 de l’arrêt attaqué, que, même à considérer que la Commission était tenue de vérifier la présence de justifications, DEI, en tant que fournisseur d’électricité de la requérante, soutenait, sans la moindre ambiguïté, que le tarif préférentiel se situait, durant la période en cause, en deçà de ses coûts de production correspondants et qu’il n’était pas
compensé par ailleurs, il importe de souligner qu’il découle des considérations figurant au point 129 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la Commission avait pu retenir qu’il ressortait de la résiliation du contrat de 1960 par DEI que le tarif préférentiel ne pouvait être justifié par des raisons économiques la concernant, que la constatation effectuée par le Tribunal au point 128 dudit arrêt visait, en réalité, à confirmer le bien-fondé de la conclusion à laquelle la Commission était parvenue
dans la décision litigieuse, s’agissant de la justification économique de l’avantage octroyé par la mesure en cause.
129 En effet, dans la décision litigieuse, la Commission a constaté, d’une part, que le tarif préférentiel avait permis à la requérante de réduire ses dépenses courantes et que le comportement de DEI, notamment la circonstance que cette dernière avait décidé de résilier le contrat de 1960 dès que cela avait été possible, démontrait clairement que le tarif préférentiel ne correspondait pas au prix du marché et, d’autre part, que les autorités grecques n’avaient fourni aucune preuve du caractère
justifié de l’application du tarif préférentiel.
130 En outre, la Commission a fait référence à la décision de 2002, dont il ressort, selon elle, que DEI a dû accorder un tarif préférentiel à la requérante, alors qu’elle n’aurait pas dû le faire dans des conditions normales de marché. La Commission a rappelé, à cet égard, que ladite décision est relative à une subvention que la République hellénique devait octroyer à DEI et qui avait pour objet de permettre à cette dernière d’être indemnisée pour les coûts échoués qu’elle avait supportés en raison
de l’application du tarif préférentiel à la requérante, et qu’elle avait approuvé cette subvention, dès lors qu’elle constituait une compensation du désavantage subi par DEI.
131 Aux points 128 et 129 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la conclusion à laquelle la Commission était parvenue dans la décision litigieuse, selon laquelle il ressortait de la résiliation, par DEI, du contrat de 1960 que le tarif préférentiel ne pouvait être justifié par des raisons économiques, était corroborée par les arguments soulevés devant lui par DEI. Il ne saurait, dès lors, être reproché au Tribunal d’avoir, ce faisant, procédé à une substitution de motifs non valide.
132 Quant à l’argumentation de la requérante, tirée de ce que le Tribunal n’a pas vérifié la véracité des éléments matériels avancés par DEI, ni pris en compte les éléments de preuve contraires que la requérante avait invoqués devant lui, il suffit de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, dès lors qu’il appartient au seul Tribunal d’apprécier les éléments de preuve produits devant lui, celui-ci ne saurait être tenu de motiver de manière expresse ses appréciations en ce qui
concerne la valeur de chaque élément de preuve qui lui a été soumis (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, EU:C:2000:321, points 50 et 51, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 110). Cette argumentation doit, dès lors, être écartée comme étant inopérante.
133 En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’argumentation de la requérante relative à l’application, par le Tribunal, du critère de l’investisseur privé, il importe de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’applicabilité de ce critère dépend de ce que l’État membre concerné accorde en sa qualité d’actionnaire, et non pas en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise lui appartenant. Ainsi, pour déterminer si ledit critère est applicable, il
appartient à la Commission d’effectuer une appréciation globale prenant en compte tout élément lui permettant de déterminer si la mesure en cause ressortit à la qualité d’actionnaire ou à celle de puissance publique de l’État membre concerné. Peuvent être pertinents, à cet égard, la nature et l’objet de cette mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrit, ainsi que l’objectif poursuivi et les règles auxquelles ladite mesure est soumise (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF,
C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 79 à 81 et 86).
134 En l’occurrence, il convient de constater que la mesure en cause, à savoir une ordonnance rendue par un juge national statuant en référé, octroyant à la requérante des mesures provisoires visant à protéger ses intérêts financiers découlant du contrat de 1960, présente, au regard de sa nature, du contexte dans lequel elle s’inscrit, de son objectif ainsi que des règles auxquelles elle est soumise, les caractéristiques d’un acte juridictionnel relevant des prérogatives de puissance publique de
l’État membre concerné. Par conséquent, le critère de l’investisseur privé ne saurait lui être applicable.
135 Il s’ensuit que c’est à bon droit que, au point 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a implicitement jugé que le critère de l’investisseur privé n’était pas applicable en l’espèce.
136 Partant, l’argumentation soulevée par la requérante à cet égard doit être écartée comme étant non fondée.
137 En tout état de cause, il convient de relever qu’il résulte du membre de phrase « même à considérer le critère de l’investisseur privé applicable dans les circonstances très particulières de l’espèce », figurant au point 132 de l’arrêt attaqué, que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal a, aux points 132 à 136 dudit arrêt, appliqué ce critère. Partant, l’argumentation soulevée par la requérante n’est pas susceptible, en tout état de cause, d’entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué et
doit, dès lors, être écartée comme étant inopérante (arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 148 et jurisprudence citée).
Sur les prétendues dénaturation et violation de l’obligation de motivation commises par le Tribunal
– Argumentation des parties
138 La requérante soutient que, aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est livré à une dénaturation en qualifiant plusieurs éléments de fait de « constants », dans le sens de « non contestés » par la requérante, tirés de ce que, premièrement, le tarif préférentiel appliqué à la requérante par DEI en application d’un décret législatif dérogeait à la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire, deuxièmement, la requérante relevait de la catégorie des
grands consommateurs industriels d’électricité, clients de DEI, et, troisièmement, à tout le moins durant la période concernée, le tarif préférentiel était inférieur au tarif normal appliqué à ces grands consommateurs industriels, alors que ledit tarif normal, réglementé au niveau national, s’imposait à DEI et auxdits grands consommateurs industriels.
139 Ce faisant, le Tribunal aurait également violé l’obligation de motivation qui lui incombe, en ce qu’il n’aurait pas effectué une analyse approfondie à cet égard. En effet, le Tribunal ne mentionnerait ni les positions contraires des parties, notamment les arguments que la requérante avait invoqués pour contester ces éléments de fait devant lui, ni les éléments de preuve l’ayant conduit à qualifier ces éléments de fait de « non contestés ».
140 En ce qui concerne, en premier lieu, l’affirmation du Tribunal figurant au point 117 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il est constant que, antérieurement à l’année 2006, le tarif préférentiel appliqué en vertu d’un décret législatif dérogeait à la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire, la requérante affirme avoir invoqué de manière répétée, dans sa requête devant le Tribunal, le fait que le contrat de 1960, conclu entre elle-même et DEI, n’avait pas
introduit de dérogation au tarif normal obligatoire, à savoir le tarif réglementé A-150.
141 En effet, ledit tarif, qui s’appliquerait aux autres consommateurs industriels, aurait été élaboré et mis en place par le Conseil national de l’énergie (Grèce) au cours de l’année 1977, sans prise en compte du profil de consommation de la requérante ni de celui de Larko, ces deux entreprises ayant déjà conclu des contrats avec DEI, prévoyant l’application d’un tarif préférentiel. Partant, le tarif réglementé A-150 aurait été élaboré pour des consommateurs présentant un profil de consommation
différent de ceux de la requérante et de Larko.
142 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’affirmation figurant au point 119 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il est constant que, à tout le moins durant la période concernée, la requérante relevait de la catégorie des grands consommateurs industriels, celle-ci fait valoir qu’elle avait invoqué, devant le Tribunal, le fait qu’elle se distinguait de tous les autres consommateurs industriels en raison de son profil de consommation unique.
143 La requérante aurait fait référence, à cet égard, à plusieurs décisions de la Commission reconnaissant que les industries de l’aluminium ne peuvent être comparées à tout autre consommateur d’énergie électrique, à des décisions de l’Autorité de régulation de l’énergie ainsi qu’à une décision de la Commission de la concurrence (Grèce) selon lesquelles le fait qu’un client soit raccordé directement au réseau haute tension ne signifie pas automatiquement que celui-ci consomme un grand volume
d’énergie, équivalent à ceux consommés par elle ou par Larko, dès lors que des entreprises consommant un volume beaucoup plus faible d’énergie se raccordent également à ce réseau.
144 La requérante aurait également soutenu, devant le Tribunal, que la législation grecque applicable à la période en cause prévoyait que DEI pouvait proposer des termes individualisés pour le volet commercial des tarifs de fourniture d’électricité aux clients du réseau haute tension, dans la mesure où la différenciation des caractéristiques de la courbe de charge ou d’autres termes du contrat justifiaient une telle différenciation, ce que l’Autorité de régulation de l’énergie aurait, par ailleurs,
reconnu au cours de l’année 2010.
145 En outre, la requérante soutient que c’est à tort que le Tribunal a omis d’analyser le point de savoir si, au regard de la définition de la notion de « grand consommateur industriel » figurant dans les dispositions nationales pertinentes, la requérante relevait effectivement de cette notion.
146 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’affirmation du Tribunal figurant au point 118 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il est constant que la requérante a bénéficié d’un avantage prenant la forme d’un tarif de fourniture d’électricité inférieur au tarif normal appliqué aux grands consommateurs industriels, clients de DEI, dès lors que, durant la période en cause, le tarif préférentiel a été inférieur à ce tarif normal qui était réglementé au niveau national, la requérante affirme avoir
vivement contesté ces éléments devant le Tribunal. Cette dernière soutient avoir produit, à cet égard, des documents et des éléments de preuve démontrant que la méthode de tarification prévue par le contrat de 1960 a conduit, en réalité, à un tarif supérieur au tarif réglementé A‑150 durant au moins cinq des quatorze mois que comptait la période en cause.
147 La requérante fait valoir que la variation significative du tarif préférentiel durant ladite période s’explique par le fait que la méthode de tarification était étroitement liée au prix international de l’aluminium à la Bourse des métaux de Londres (Royaume-Uni), qui lui-même variait et a baissé sensiblement durant cette période, ce que la Commission aurait, par ailleurs, mentionné dans la décision de 2002.
148 La Commission et DEI considèrent que les arguments soulevés par la requérante doivent être écartés.
– Appréciation de la Cour
149 Il convient, d’emblée, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est seule compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux‑ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au
contrôle de la Cour (arrêt du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 78 et jurisprudence citée).
150 À cet égard, il importe néanmoins de relever qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 80 et jurisprudence citée).
151 En l’occurrence, il suffit de constater que, indépendamment de la question de savoir si c’est à tort que le Tribunal a considéré, aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué, que plusieurs éléments de fait relatifs au tarif préférentiel n’étaient pas contestés par la requérante, il découle de l’argumentation invoquée par cette dernière dans son pourvoi, telle que résumée aux points 140 à 147 du présent arrêt, que la requérante cherche, en réalité, à obtenir une nouvelle appréciation de ces éléments
de fait, ce qui échappe à la compétence de la Cour.
152 Par conséquent, l’argumentation tirée d’une dénaturation des faits doit être écartée comme étant irrecevable.
153 Quant à l’argumentation tirée d’une violation, par le Tribunal, de son obligation de motivation aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué, en ce que celui-ci n’aurait mentionné ni les arguments que la requérante avait invoqués devant lui pour contester les éléments de fait relatifs au tarif préférentiel, ni les éléments de preuve l’ayant conduit à qualifier ces éléments de fait de « constants », dans le sens de « non contestés », il convient de constater qu’il ressort des points 120, 121 et 123 de
l’arrêt attaqué, notamment de l’utilisation des membres de phrase « la requérante admettant elle-même que » ou « [l]es arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause cette appréciation », que le Tribunal a fait référence aux arguments soulevés par la requérante à cet égard et les a, par conséquent, pris en considération.
154 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il appartient au seul Tribunal d’apprécier les éléments de preuve produits devant lui. Celui-ci ne saurait, sous réserve de l’obligation de respecter les principes généraux et les règles de procédure en matière de charge et d’administration de la preuve et de ne pas dénaturer les éléments de preuve, être tenu de motiver de manière expresse ses appréciations en ce qui concerne la valeur de chaque élément de preuve qui lui a été soumis,
notamment lorsqu’il considère que ceux-ci sont sans intérêt ou dépourvus de pertinence pour la solution du litige (arrêt du 26 avril 2018, Cellnex Telecom et Telecom Castilla-La Mancha/Commission, C‑91/17 P et C‑92/17 P, non publié, EU:C:2018:284, point 76 ainsi que jurisprudence citée).
155 Par conséquent, l’argumentation soulevée par la requérante à cet égard doit être écartée comme étant non fondée.
156 En tout état de cause, il convient de constater que, même si, comme le fait valoir la requérante, la motivation retenue par le Tribunal et figurant aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué devait être considérée comme étant insuffisante, cette insuffisance de motivation ne saurait entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
157 En effet, en ce qui concerne, en premier lieu, l’affirmation du Tribunal figurant au point 119 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, durant la période en cause, la requérante relevait de la catégorie des grands consommateurs industriels, il convient de souligner que celle-ci soutient qu’elle-même et Larko présentent des caractéristiques qui les distinguent des autres consommateurs industriels, en raison de leur profil de consommation unique.
158 Or, lors de l’audience devant la Cour, la Commission et DEI ont confirmé que, durant la période en cause, Larko s’était vu appliquer le tarif A-150, qui constitue le tarif normal obligatoire, prévu par la réglementation tarifaire de droit commun applicable aux grands consommateurs industriels, ce que la requérante n’a, d’ailleurs, pas contesté.
159 Compte tenu de cette circonstance, Larko doit être considérée comme faisant partie de la catégorie des grands consommateurs industriels.
160 Dès lors que la requérante reconnaît, tant dans sa requête introduite devant le Tribunal que dans ses observations écrites soumises à la Cour, qu’elle présente des caractéristiques analogues à celles de Larko, il convient de constater que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que, durant la période en cause, la requérante relevait de la catégorie des grands consommateurs industriels, clients de DEI.
161 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’affirmation du Tribunal figurant au point 117 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, antérieurement à ladite période, le tarif préférentiel appliqué en vertu d’un décret législatif dérogeait à la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire, ce tarif normal ayant été élaboré pour des consommateurs présentant des profils de consommation différents de ceux de la requérante et de Larko, il convient de relever que, dans la mesure
où le contrat de 1960 accordait à la requérante un tarif préférentiel pour la fourniture d’électricité, qui, conformément au décret législatif de 1969, devait prendre fin le 31 mars 2006, ledit contrat a mis en place, en faveur de la requérante, un régime tarifaire distinct de celui applicable aux autres grands consommateurs industriels, clients de DEI. Ainsi, lorsque la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire a été mise en place, au cours de l’année 1977,
la requérante ne s’est pas vu appliquer ce tarif, dès lors qu’elle bénéficiait du tarif préférentiel, conformément au contrat de 1960 et au décret législatif de 1969.
162 Par conséquent, c’est à bon droit que, au point 117 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, antérieurement à la période en cause, le contrat de 1960 et le décret législatif de 1969 avaient établi un régime tarifaire en faveur de la requérante, dérogeant à la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire.
163 Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel le tarif normal obligatoire prévu par la réglementation tarifaire de droit commun aurait été élaboré pour des consommateurs présentant des profils de consommation différents du sien et de celui de Larko.
164 En effet, ainsi qu’il a été constaté aux points 159 et 160 du présent arrêt, la requérante et Larko doivent être considérées comme relevant de la catégorie des grands consommateurs industriels, clients de DEI, et, par voie de conséquence, de la réglementation tarifaire de droit commun prévoyant un tarif normal obligatoire, a fortiori dès lors qu’il a été confirmé, lors de l’audience devant la Cour, que Larko s’était vu appliquer ce tarif normal durant la période en cause.
165 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’affirmation du Tribunal figurant au point 118 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, durant la période en cause, le tarif préférentiel avait été inférieur au tarif normal appliqué aux grands consommateurs industriels, clients de DEI, il convient de relever que la requérante admet que, durant neuf des quatorze mois que compte la période en cause, le tarif préférentiel était inférieur au tarif normal obligatoire.
166 Il importe de souligner, à cet égard, que, lors de l’audience devant la Cour, la Commission a fait valoir que, pendant ces neuf mois, la différence entre le tarif préférentiel et le tarif normal obligatoire était particulièrement élevée, correspondant à plusieurs millions d’euros, alors que, lorsque le tarif préférentiel était supérieur au tarif normal obligatoire, la différence entre ces deux tarifs était nettement plus faible, correspondant à quelques centaines d’euros seulement. Or, la
requérante n’a pas contesté ces données lors de cette audience.
167 En tout état de cause, lesdites données ne sont pas contredites par le tableau figurant à l’annexe 12 de la requête introduite devant le Tribunal, qui indique les montants résultant de l’application, respectivement, du tarif préférentiel et du tarif normal obligatoire durant la période en cause. En effet, s’il ressort de ce tableau que, lorsque le tarif préférentiel était supérieur au tarif normal obligatoire, la différence entre ces deux tarifs correspondait non pas à plusieurs centaines
d’euros, mais à plusieurs milliers d’euros, il n’en demeure pas moins que, durant les neuf mois de la période en cause pendant lesquels le tarif préférentiel était inférieur au tarif normal obligatoire, la différence entre ces deux tarifs était particulièrement élevée et a correspondu, pendant deux mois, à plusieurs dizaines de milliers d’euros, pendant deux autres mois, à plusieurs centaines de milliers d’euros, et pendant cinq mois, à plusieurs millions d’euros.
168 Il convient d’ajouter que la requérante n’a pas contesté, que ce soit devant le Tribunal ou devant la Cour, le montant de 17,4 millions d’euros, qui, selon la Commission, correspond au montant total de la différence entre le tarif préférentiel et le tarif normal obligatoire durant la période en cause, et qui constitue l’avantage économique procuré à la requérante durant cette période en raison de l’application, par DEI, du tarif préférentiel en faveur de celle-ci.
169 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de constater que, durant une partie substantielle de la période en cause, la requérante a bénéficié d’un tarif nettement inférieur au tarif normal, ce qui lui a permis d’alléger considérablement ses coûts de production.
170 Il s’ensuit que la circonstance que le Tribunal a jugé, au point 118 de l’arrêt attaqué, que, pendant la période en cause, le tarif préférentiel avait été inférieur au tarif normal, alors que tel était effectivement et uniquement le cas durant une partie substantielle de celle-ci, n’est pas susceptible de remettre en cause la constatation effectuée par le Tribunal, figurant au point 122 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, durant ladite période, la requérante a vu ses coûts de production allégés
en raison de l’application du tarif préférentiel.
171 Il découle de ces éléments que l’argumentation de la requérante tirée d’une violation, par le Tribunal, de l’obligation de motivation qui lui incombe, doit, en tout état de cause, être écartée comme étant inopérante.
172 Par conséquent, la première branche du premier moyen et le deuxième moyen du pourvoi doivent être écartés comme étant en partie irrecevables et en partie non fondés ou, en tout état de cause, comme étant inopérants.
173 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
174 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission et DEI ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu
de la condamner aux dépens de la présente procédure.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Mytilinaios Anonymos Etairia – Omilos Epicheiriseon est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le grec.