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18/09/2019 | CJUE | N°C-47/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Skarb Pánstwa Rzeczpospolitej Polskiej – Generalny Dyrektor Dróg Krajowych i Autostrad contre Stephan Riel., 18/09/2019, C-47/18


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2, sous b) – Faillites, concordats et autres procédures analogues – Exclusion – Action visant à faire constater l’existence d’une créance aux fins de son enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité – Application du règlement (CE) no 1346/2000 – Article 41 – Contenu de la production d’une cr

ance – Procédure principale et
procédure secondaire d’insolvabilité – Litispendance et connexité – Application...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2, sous b) – Faillites, concordats et autres procédures analogues – Exclusion – Action visant à faire constater l’existence d’une créance aux fins de son enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité – Application du règlement (CE) no 1346/2000 – Article 41 – Contenu de la production d’une créance – Procédure principale et
procédure secondaire d’insolvabilité – Litispendance et connexité – Application par analogie de l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 – Inadmissibilité »

Dans l’affaire C‑47/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), par décision du 17 janvier 2018, parvenue à la Cour le 26 janvier 2018, dans la procédure

Skarb Państwa Rzeczypospolitej Polskiej – Generalny Dyrektor Dróg Krajowych i Autostrad

contre

Stephan Riel, agissant en qualité d’administrateur judiciaire d’Alpine Bau GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente de la Cour, Mme C. Toader, MM. A. Rosas et M. Safjan, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le Skarb Państwa Rzeczypospolitej Polskiej – Generalny Dyrektor Dróg Krajowych i Autostrad, par M. A. Freytag, Rechtsanwalt,

– pour M. Riel, agissant en qualité d’administrateur judiciaire d’Alpine Bau GmbH, par Me S. Riel, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement espagnol, par M. M. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement suisse, par M. M. Schöll, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 avril 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), et de l’article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), ainsi que de l’article 41 du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000,
L 160, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Skarb Państwa Rzeczypospolitej Polskiej – Generalny Dyrektor Dróg Krajowych i Autostrad (Trésor public de la République de Pologne – Directeur national des routes nationales et autoroutes) à M. Stephan Riel, agissant en qualité d’administrateur judiciaire dans la procédure principale d’insolvabilité ouverte en Autriche contre Alpine Bau GmbH, au sujet d’une action tendant à la constatation de l’existence de créances.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1215/2012

3 L’article 1er du règlement no 1215/2012 dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).

2.   Sont exclus de son application :

[...]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

[...] »

4 Aux termes de l’article 29 de ce règlement :

« 1.   Sans préjudice de l’article 31, paragraphe 2, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

2.   Dans les cas visés au paragraphe 1, à la demande d’une juridiction saisie du litige, toute autre juridiction saisie informe sans tarder la première juridiction de la date à laquelle elle a été saisie conformément à l’article 32.

3.   Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci. »

5 L’article 30 dudit règlement est ainsi libellé :

« 1.   Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

2.   Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.

3.   Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »

Le règlement no 1346/2000

6 Les considérants 2, 6, 8, 12, 18, 19 et 21 du règlement no 1346/2000 énoncent :

« (2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement et l’adoption du présent règlement est nécessaire pour atteindre cet objectif [...]

[...]

(6) Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.

[...]

(8) Pour réaliser l’objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte juridique communautaire qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre.

[...]

(12) Le présent règlement permet d’ouvrir les procédures d’insolvabilité principales dans l’État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Ces procédures ont une portée universelle et visent à inclure tous les actifs du débiteur. En vue de protéger les différents intérêts, le présent règlement permet d’ouvrir des procédures secondaires parallèlement à la procédure principale. Des procédures secondaires peuvent être ouvertes dans l’État membre dans lequel le débiteur a un
établissement. Les effets des procédures secondaires se limitent aux actifs situés dans cet État. Des règles impératives de coordination avec les procédures principales satisfont l’unité nécessaire au sein de la Communauté.

[...]

(18) Après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale, le présent règlement ne fait pas obstacle à la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans l’État membre où le débiteur a un établissement. Le syndic de la procédure principale ou toute autre personne habilitée à cet effet par la législation nationale de cet État membre peut demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité secondaire.

(19) Hormis la protection des intérêts locaux, les procédures d’insolvabilité secondaires peuvent poursuivre d’autres objectifs. Ce pourrait être le cas lorsque le patrimoine du débiteur est trop complexe pour être administré en bloc, ou lorsque les différences entre les systèmes juridiques concernés sont à ce point importantes que des difficultés peuvent résulter de l’extension des effets de la loi de l’État d’ouverture aux autres États où se trouvent les actifs. Pour cette raison, le syndic de
la procédure principale peut demander l’ouverture d’une procédure secondaire dans l’intérêt d’une administration efficace du patrimoine.

[...]

(21) Tout créancier, ayant sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans la Communauté, devrait avoir le droit de déclarer ses créances dans toute procédure d’insolvabilité pendante dans la Communauté en ce qui concerne les biens du débiteur. [...] »

7 L’article 3 de ce règlement est rédigé comme suit :

« 1.   Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2.   Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.

3.   Lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte en application du paragraphe 1, toute procédure d’insolvabilité ouverte ultérieurement en application du paragraphe 2 est une procédure secondaire. Cette procédure doit être une procédure de liquidation.

[...] »

8 L’article 4 dudit règlement prévoit :

« 1.   Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé “État d’ouverture”.

2.   La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :

[...]

h) les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ;

[...] »

9 Aux termes de l’article 27 du même règlement :

« La procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, qui est ouverte par une juridiction d’un État membre et reconnue dans un autre État membre (procédure principale) permet d’ouvrir, dans cet autre État membre, dont une juridiction serait compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 2, une procédure secondaire d’insolvabilité sans que l’insolvabilité du débiteur soit examinée dans cet autre État. [...] Ses effets sont limités aux biens du débiteur situés sur le territoire de cet autre État
membre. »

10 L’article 31 du règlement no 1346/2000 énonce :

« 1.   Sous réserve des règles limitant la communication de renseignements, le syndic de la procédure principale et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir d’information réciproque. Ils doivent communiquer sans délai tout renseignement qui peut être utile à l’autre procédure, notamment l’état de la production et de la vérification des créances et les mesures visant à mettre fin à la procédure.

2.   Sous réserve des règles applicables à chacune des procédures, le syndic de la procédure principale et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir de coopération réciproque.

[...] »

11 L’article 39 de ce règlement dispose :

« Tout créancier qui a sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans un État membre autre que l’État d’ouverture, y compris les autorités fiscales et les organismes de sécurité sociale des États membres, ont le droit de produire leurs créances par écrit dans la procédure d’insolvabilité. »

12 Aux termes de l’article 40 dudit règlement :

« 1.   Dès qu’une procédure d’insolvabilité est ouverte dans un État membre, la juridiction compétente de cet État ou le syndic nommé par celle-ci informe sans délai les créanciers connus qui ont leur résidence habituelle, leur domicile ou leur siège dans les autres États membres.

2.   Cette information, assurée par l’envoi individuel d’une note, porte notamment sur les délais à observer, les sanctions prévues quant à ces délais, l’organe ou l’autorité habilité à recevoir la production des créances et les autres mesures prescrites. Cette note indique également si les créanciers dont la créance est garantie par un privilège ou une sûreté réelle doivent produire leur créance. »

13 L’article 41 du même règlement énonce :

« Le créancier envoie une copie des pièces justificatives, s’il en existe, et indique la nature de la créance, sa date de naissance et son montant; il indique également s’il revendique, pour cette créance, un privilège, une sûreté réelle ou une réserve de propriété, et quels sont les biens sur lesquels porte la garantie qu’il invoque. »

14 L’article 42 du règlement no 1346/2000 est libellé comme suit :

« 1.   L’information prévue à l’article 40 est assurée dans la ou dans une des langue(s) officielle(s) de l’État d’ouverture. Un formulaire portant, dans toutes les langues officielles des institutions de l’Union européenne, le titre “Invitation à produire une créance. Délais à respecter”, est utilisé à cet effet.

2.   Tout créancier qui a sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans un autre État membre que l’État d’ouverture peut produire sa créance dans la ou dans une des langue(s) officielle(s) de cet autre État. Dans ce cas, la production de sa créance doit néanmoins porter le titre “Production de créance” dans la ou dans une des langue(s) officielle(s) de l’État d’ouverture. En outre, une traduction dans la ou une des langue(s) officielle(s) de l’État d’ouverture peut lui être réclamée. »

Le droit autrichien

15 L’article 102 de l’Insolvenzordnung (loi relative à l’insolvabilité), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« IO »), énonce :

« Les créanciers sont tenus de faire valoir leurs créances dans la procédure d’insolvabilité conformément aux dispositions qui suivent, même si elles font l’objet d’un litige. »

16 L’article 103, paragraphe 1, de l’IO dispose :

« La déclaration doit indiquer le montant de la créance et les faits sur lesquels elle est fondée, ainsi que le rang revendiqué ; elle doit préciser les éléments de preuve qui peuvent être produits à l’appui de la créance alléguée. »

17 L’article 110, paragraphe 1, de l’IO est ainsi libellé :

« Les titulaires de créances dont l’exactitude ou le rang demeurent litigieux peuvent agir en constatation de l’existence de celles-ci, lorsque la voie de droit contentieuse est recevable, en dirigeant leur action contre tous les contestants [...]. Les prétentions formulées dans le cadre de cette action ne peuvent être fondées que sur le motif invoqué dans le cadre de la déclaration et lors de l’audience de vérification ; elles ne peuvent pas viser un montant plus élevé que celui qui a été
indiqué à cette occasion. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 La partie demanderesse au principal, chargée de l’administration de la voirie étatique polonaise, a confié à Alpine Bau la réalisation de plusieurs projets de construction routière en Pologne, ces marchés ayant été attribués à la suite d’appels d’offres publics. Les contrats relatifs à ces projets comportaient des clauses détaillées concernant les dommages et intérêts à verser en cas de retard dans leur exécution.

19 Le 19 juin 2013, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte en Autriche à l’égard d’Alpine Bau et M. Riel a été désigné administrateur judiciaire de cette société.

20 Le 4 juillet 2013, cette procédure a été requalifiée en « procédure de faillite ». Le lendemain, en application d’une décision du Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche), il a été indiqué dans le fichier des procédures d’insolvabilité qu’il s’agissait d’une procédure principale d’insolvabilité, au sens du règlement no 1346/2000.

21 Une procédure secondaire d’insolvabilité a été ouverte en Pologne contre Alpine Bau devant le Sad Rejonowy Poznān-Stare Miasto w Poznaniu (tribunal d’arrondissement de Poznān-Stare Miasto, Pologne).

22 Des créances ont été produites par la partie demanderesse au principal, les 16 août 2013 et 22 juin 2016, à la procédure principale d’insolvabilité ouverte en Autriche ainsi que les 16 mai 2014 et 16 juin 2015 à la procédure secondaire d’insolvabilité ouverte en Pologne.

23 La plupart des créances ainsi produites ont été contestées par M. Riel, désigné dans le cadre de la procédure principale d’insolvabilité autrichienne, et par l’administrateur judiciaire désigné dans le cadre de la procédure secondaire polonaise.

24 Le 1er avril 2015, la partie demanderesse au principal a introduit, en Pologne, une action en constatation de l’existence d’une créance d’un montant de 309663865 zloty polonais (PLN) (environ 73898402 euros).

25 Le 31 octobre 2016, elle a également introduit, devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne), une action tendant à la constatation de l’existence d’une créance d’un montant de 64784879,43 euros, en demandant qu’il soit, conformément aux articles 29 et 30 du règlement no 1215/2012, sursis à statuer jusqu’à ce que la décision dans les procédures pendantes en Pologne, relatives à la vérification des créances, ait acquis l’autorité de la chose jugée.

26 Par un jugement interlocutoire du 25 juillet 2017, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) a rejeté la requête de la partie demanderesse au principal à hauteur d’un montant de 265132, 81 euros, sans se prononcer sur sa demande de sursis à statuer.

27 La partie demanderesse au principal a fait appel de ce jugement devant l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), invoquant, notamment, un vice de procédure en ce que le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) avait refusé de surseoir à statuer, en violation de l’article 29 du règlement no 1215/2012.

28 La juridiction de renvoi se demande, en premier lieu, si l’action en constatation de l’existence d’une créance dont elle est saisie relève du champ d’application du règlement no 1215/2012 ou de celui du règlement no 1346/2000.

29 En deuxième lieu, elle s’interroge sur l’application, éventuellement par analogie, des règles relatives à la litispendance prévues par le règlement no 1215/2012, en cas d’application du règlement no 1346/2000.

30 En troisième lieu, elle exprime des doutes concernant la portée des exigences figurant à l’article 41 du règlement no 1346/2000 relatives au contenu de la production d’une créance par des créanciers établis dans un État membre.

31 C’est dans ces conditions que l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’une action en constatation d’une créance au titre du droit autrichien concerne l’insolvabilité au sens de [cette disposition] et qu’elle est, par conséquent, exclue du champ d’application matériel de ce règlement ?

2) (uniquement dans le cas où la première question appellerait une réponse affirmative) :

L’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être appliqué par analogie aux actions annexes relevant du champ d’application du règlement no 1346/2000 ?

3) (uniquement dans le cas où la première question appellerait une réponse négative ou dans celui où la deuxième question appellerait une réponse affirmative) :

L’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’une demande ayant le même objet et la même cause est formée entre les mêmes parties lorsqu’un créancier – la [partie demanderesse au principal] –, qui a produit une créance identique (en substance) dans la procédure principale d’insolvabilité autrichienne et dans la procédure secondaire d’insolvabilité polonaise, créance qui a été contestée (pour l’essentiel) par les administrateurs judiciaires
concernés, intente, tout d’abord en Pologne contre l’administrateur judiciaire de la procédure secondaire polonaise, puis en Autriche contre l’administrateur judiciaire de la procédure principale – [M. Riel] –des actions en constatation de l’existence de créances d’un certain montant ?

4) L’article 41 du règlement no 1346/2000 doit-il être interprété en ce sens qu’il est satisfait à l’exigence tenant à l’indication de la “nature de la créance, sa date de naissance et son montant” lorsque

a) – comme en l’espèce – le créancier ayant son siège dans un État membre autre que l’État d’ouverture – la [partie demanderesse au principal] – se borne, dans sa déclaration de créance dans la procédure principale d’insolvabilité, à décrire la créance en indiquant un montant concret, mais pas la date à laquelle elle est née (en employant par exemple les termes “créance du sous-traitant JSV Slawomir Kubica au titre de l’exécution de travaux routiers”)

b) et que, si aucune date de naissance de la créance n’est indiquée dans la déclaration elle-même, une date de naissance peut néanmoins être déduite des annexes jointes à la déclaration de créance (par exemple au vu de la date figurant sur la facture produite) ?

5) L’article 41 du règlement no 1346/2000 doit-il être interprété en ce sens que cette disposition ne s’oppose pas à l’application de dispositions nationales plus favorables, in concreto, au créancier déclarant ayant son siège dans un État membre autre que l’État d’ouverture – en ce qui concerne, par exemple, l’exigence de l’indication de la date de naissance de la créance ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation de l’existence de créances aux fins de leur enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en cause au principal, est exclue du champ d’application de ce règlement.

33 À cet égard, il convient de rappeler que les règlements nos1215/2012 et 1346/2000 doivent être interprétés de façon à éviter tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique. Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012, du champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des « faillites, concordats et autres procédures analogues », entrent dans le champ d’application du règlement
no 1346/2000. Symétriquement, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement no 1215/2012 (arrêts du 20 décembre 2017, Valach e.a., C‑649/16, EU:C:2017:986, point 24, ainsi que du 4 octobre 2018, Feniks, C‑337/17, EU:C:2018:805, point 30).

34 Il en résulte que les champs d’application respectifs de ces deux règlements sont clairement délimités et qu’une action qui dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement relève non pas du champ d’application du règlement no 1215/2012, mais de celui du règlement no 1346/2000 (arrêt du 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte, C‑296/17, EU:C:2018:902, point 31).

35 Dans ce contexte, la Cour a pris en considération le fait que les divers types d’actions dont elle avait eu à connaître étaient exercés à l’occasion d’une procédure d’insolvabilité. Par ailleurs, elle s’est surtout attachée à déterminer à chaque fois si l’action en cause trouvait son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité ou dans d’autres règles (arrêts du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 26, ainsi que du 4 décembre 2014, H, C‑295/13,
EU:C:2014:2410, point 18).

36 En particulier, l’élément déterminant retenu par la Cour pour identifier le domaine dont relève une action est le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité (arrêts du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 27 ; du
11 juin 2015, Comité d’entreprise de Nortel Networks e.a., C‑649/13, EU:C:2015:384, point 28 ; du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 22, ainsi que du 20 décembre 2017, Valach e.a., C‑649/16, EU:C:2017:986, point 29).

37 En l’occurrence, il convient de relever que, outre la circonstance que l’action en constatation de l’existence de créances prévue à l’article 110 de l’IO, exercée par la requérante au principal, constitue un élément de la législation autrichienne en matière d’insolvabilité, il résulte des termes de cette disposition que cette action a vocation à être exercée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, par des créanciers participant à celle-ci, en cas de contestation portant sur l’exactitude ou
le rang de créances déclarées par ces créanciers.

38 Dès lors, il apparaît que, compte tenu de ces caractéristiques, l’action en constatation de l’existence de créances prévue à l’article 110 de l’IO dérive directement d’une procédure d’insolvabilité, s’y insère étroitement et trouve son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité.

39 Par conséquent, ladite action relève non pas du champ d’application du règlement no 1215/2012, mais de celui du règlement no 1346/2000.

40 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation de l’existence de créances aux fins de leur enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en cause au principal, est exclue du champ d’application de ce règlement.

Sur la deuxième question

41 Par sa deuxième question, qu’elle pose uniquement pour le cas où une réponse affirmative serait donnée à la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique par analogie à une action telle que celle en cause au principal, exclue du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du règlement no 1346/2000.

42 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en prévoyant que, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie, l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 vise à éviter que des décisions inconciliables soient rendues concernant ces demandes.

43 Il convient également de relever que, dans la mesure où le législateur de l’Union a explicitement exclu certaines matières du champ d’application du règlement no 1215/2012, les dispositions de celui-ci, y compris celles présentant un caractère purement procédural, ne s’appliquent pas par analogie à ces matières.

44 Par ailleurs, une telle application méconnaîtrait le système du règlement no 1346/2000 et porterait, dès lors, atteinte à l’effet utile des dispositions de celui-ci, notamment en ce que, conformément aux articles 3 et 27 de ce règlement, lus à la lumière des considérants 12, 18 et 19 de celui-ci, des procédures secondaires d’insolvabilité peuvent être ouvertes parallèlement à la procédure principale d’insolvabilité, ce que l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 ne permet pas.

45 En outre, ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations écrites, s’agissant du système du règlement no 1346/2000, l’article 31 de celui-ci permet d’éviter le risque de décisions inconciliables en établissant des règles en matière d’information et de coopération en cas de procédures d’insolvabilité parallèles.

46 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas, ni même par analogie, à une action telle que celle en cause au principal, exclue du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du règlement no 1346/2000.

Sur la troisième question

47 La troisième question n’étant posée que pour le cas où une réponse négative serait donnée à la première question ou pour celui où une réponse affirmative serait donnée à la deuxième question, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur les quatrième et cinquième questions

48 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 41 du règlement no 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’un créancier peut, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer formellement la date de naissance de celle-ci, lorsque la loi de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure a été ouverte le permet et que cette date peut être déduite des pièces
justificatives visées à cet article 41.

49 Il ressort des considérants 2 et 8 du règlement no 1346/2000 que celui-ci a pour objectif de permettre un fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité transfrontalières ainsi que d’améliorer et d’accélérer celles-ci.

50 En particulier, ainsi qu’il résulte notamment du considérant 21 et de l’article 39 de ce règlement, ce dernier tend à assurer l’égalité de traitement des créanciers au sein de l’Union et à faciliter l’exercice de leurs droits.

51 L’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement no 1346/2000 énonce le principe selon lequel les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances sont déterminées par la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité est ouverte. L’article 41 de ce règlement, figurant au chapitre IV de celui-ci, intitulé « Information des créanciers et production de leurs créances », énonce cependant certaines exigences relatives au contenu de la production
d’une créance, qui, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 59 et 72 de ses conclusions, doivent être regardées comme constituant des exigences maximales, relatives au contenu de la production d’une créance, pouvant être imposées par une réglementation nationale aux créanciers ayant leur résidence habituelle, leur domicile ou leur siège dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte.

52 Parmi ces exigences, cet article 41 prévoit, notamment, que le créancier envoie une copie des pièces justificatives, s’il en existe, et qu’il indique la date de naissance de la créance.

53 Par ailleurs, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 51 du présent arrêt, les règles concernant la vérification et l’admission des créances demeurent, conformément au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement no 1346/2000, déterminées par la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte.

54 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 41 du règlement no 1346/2000 ne doit pas faire l’objet d’une interprétation ayant pour effet d’écarter la production d’une créance au motif que la déclaration de créance en cause ne comporte pas l’une des indications énoncées à cet article 41, lorsque la mention de cette indication n’est pas imposée par la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte et que ladite indication peut, sans difficulté
particulière, être déduite des pièces justificatives visées audit article 41, ce qu’il appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des créances, d’apprécier.

55 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 41 du règlement no 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’un créancier peut, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer formellement la date de naissance de celle-ci, lorsque la loi de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure a été ouverte n’impose pas l’obligation d’indiquer cette date et que cette dernière peut, sans difficulté particulière,
être déduite des pièces justificatives visées à cet article 41, ce qu’il appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des créances, d’apprécier.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation de l’existence de créances aux fins de leur enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en cause au principal, est exclue du champ d’application de ce
règlement.

  2) L’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas, ni même par analogie, à une action telle que celle en cause au principal, exclue du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du règlement no 1346/2000.

  3) L’article 41 du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens qu’un créancier peut, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer formellement la date de naissance de celle-ci, lorsque la loi de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure a été ouverte n’impose pas l’obligation d’indiquer cette date et que cette dernière peut, sans difficulté particulière, être
déduite des pièces justificatives visées à cet article 41, ce qu’il appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des créances, d’apprécier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-47/18
Date de la décision : 18/09/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Wien.

Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) n° 1215/2012 – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2, sous b) – Faillites, concordats et autres procédures analogues – Exclusion – Action visant à faire constater l’existence d’une créance aux fins de son enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité – Application du règlement (CE) n° 1346/2000 – Article 41 – Contenu de la production d’une créance – Procédure principale et procédure secondaire d’insolvabilité – Litispendance et connexité – Application par analogie de l’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 – Inadmissibilité.

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Parties
Demandeurs : Skarb Pánstwa Rzeczpospolitej Polskiej – Generalny Dyrektor Dróg Krajowych i Autostrad
Défendeurs : Stephan Riel.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:754

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