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18/09/2019 | CJUE | N°C-32/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Tiroler Gebietskrankenkasse contre Michael Moser., 18/09/2019, C-32/18


ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 60 – Prestations familiales – Droit au paiement de la différence entre le montant de l’allocation parentale versée dans l’État membre prioritairement compétent et l’allocation de garde d’enfant prévue par l’État membre compétent à titre subsidiaire »

Dans l’affaire C‑32/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre d

e l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 20 décembre 2017, parvenu...

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 60 – Prestations familiales – Droit au paiement de la différence entre le montant de l’allocation parentale versée dans l’État membre prioritairement compétent et l’allocation de garde d’enfant prévue par l’État membre compétent à titre subsidiaire »

Dans l’affaire C‑32/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 20 décembre 2017, parvenue à la Cour le 18 janvier 2018, dans la procédure

Tiroler Gebietskrankenkasse

contre

Michael Moser,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, MM. J. Malenovský et C. G. Fernlund, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2019,

considérant les observations présentées :

– pour M. Moser, par Mes E. Suitner et P. Wallnöfer, Rechtsanwälte,

– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Pavliš et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Kellerbauer, D. Martin et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mars 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Tiroler Gebietskrankenkasse (caisse d’assurance pour le Land de Tyrol, Autriche) à M. Michael Moser au sujet de la demande de ce dernier de se voir attribuer le paiement de la différence entre l’allocation parentale allemande et l’allocation de garde d’enfant autrichienne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 883/2004

3 Aux termes du considérant 10 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), « le principe d’assimilation de certains faits ou événements survenus sur le territoire d’un autre État membre à des faits ou événements semblables survenus sur le territoire de l’État membre dont la législation est applicable ne devrait pas interférer avec le
principe de totalisation des périodes d’assurances, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre avec les périodes accomplies sous la législation de l’État membre compétent. En conséquence, la prise en compte de périodes accomplies sous la législation de tout autre État membre ne devrait relever que de l’application du principe de totalisation des périodes ».

4 L’article 5 de ce règlement, intitulé « Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements », prévoit :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent :

a) si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre État membre ou de revenus acquis dans un autre État membre ;

b) si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet État membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre État membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »

5 L’article 67 dudit règlement dispose :

« Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. [...] »

6 L’article 68 de ce même règlement fixe les règles de priorité en cas de cumul comme suit :

« 1.   Si, pour la même période et pour les mêmes membres de la famille, des prestations sont prévues par la législation de plus d’un État membre, les règles de priorité ci-après s’appliquent :

a) si des prestations sont dues par plus d’un État membre à des titres différents, l’ordre de priorité est le suivant : en premier lieu, les droits ouverts au titre d’une activité salariée ou non salariée, deuxièmement les droits ouverts au titre de la perception d’une pension et enfin les droits ouverts au titre de la résidence ;

b) si des prestations sont dues par plus d’un État membre à un même titre, l’ordre de priorité est établi par référence aux critères subsidiaires suivants :

i) s’il s’agit de droits ouverts au titre d’une activité salariée ou non salariée : le lieu de résidence des enfants, à condition qu’il y ait une telle activité [...]

[...]

2.   En cas de cumul de droits, les prestations familiales sont servies conformément à la législation désignée comme étant prioritaire selon le paragraphe 1. Les droits aux prestations familiales dues en vertu de la ou des autres législations en présence sont suspendus jusqu’à concurrence du montant prévu par la première législation et servis, le cas échéant, sous forme de complément différentiel, pour la partie qui excède ce montant. [...] »

Le règlement no 987/2009

7 Aux termes de l’article 60, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 :

« La demande d’octroi de prestations familiales est adressée à l’institution compétente. Aux fins de l’application des articles 67 et 68 du règlement de base, la situation de l’ensemble de la famille est prise en compte comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné et y résidaient, en particulier pour ce qui concerne le droit d’une personne à demander de telles prestations. Lorsqu’une personne pouvant prétendre au bénéfice des prestations
n’exerce pas son droit, une demande d’octroi de prestations familiales présentée par l’autre parent, une personne considérée comme telle ou une personne ou l’institution exerçant la tutelle sur l’enfant ou les enfants est prise en compte par l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable. »

Le droit autrichien

8 Le Kinderbetreuungsgeldgesetz (loi relative à l’allocation de garde d’enfant) a instauré, au titre des prestations familiales, l’allocation de garde d’enfant. L’octroi de cette allocation n’est pas subordonné à l’exercice d’une activité professionnelle antérieure à la naissance de l’enfant ouvrant droit à celle-ci.

9 Initialement, cette loi permettait aux parents bénéficiaires de choisir entre trois options et l’allocation était versée sous la forme de trois montants forfaitaires correspondant à trois périodes de couverture différentes liées à l’âge de l’enfant.

10 À la suite d’une modification de ladite loi, une quatrième option a été introduite. L’allocation de garde d’enfant peut désormais également être accordée en tant que prestation de remplacement du revenu professionnel jusqu’à ce que l’enfant atteigne 12 mois ou, au maximum 14 mois. Le montant de l’allocation qui est versée dépend, pour cette option, du montant du revenu professionnel antérieur.

11 L’article 6, paragraphe 3, de cette même loi, dans sa version applicable aux faits en cause au principal (ci–après le « KBGG »), prévoit :

« S’il existe un droit à des prestations familiales comparables à l’étranger, le droit à l’allocation de garde d’enfant est suspendu, jusqu’à concurrence du montant des prestations étrangères. Après la fin des prestations familiales étrangères, le montant différentiel entre les prestations familiales étrangères comparables et l’allocation de garde d’enfant est pris en compte aux fins de l’allocation de garde d’enfant. »

12 Aux termes de l’article 24 du KBGG :

« (1)   Un parent a droit pour son enfant à l’allocation de garde d’enfant conformément à la présente section [...], lorsque :

1. les conditions d’octroi prévues à l’article 2, paragraphe 1, points 1, 2, 4 et 5, sont remplies,

2. ce parent a exercé continuellement une activité professionnelle au sens du paragraphe 2, pendant les six mois précédant immédiatement la naissance de l’enfant pour lequel cette allocation devrait être perçue, et n’a perçu aucune prestation d’assurance-chômage durant cette période ; cependant, des interruptions de tout au plus 14 jours civils au total n’affectent pas ce droit [...]

[...]

(2)   On entend par activité professionnelle au sens de la présente loi fédérale l’exercice effectif d’une activité professionnelle assujettie à la sécurité sociale en Autriche [...] »

13 L’article 24a du KBGG dispose :

« (1)   Le montant journalier des allocations familiales s’élève :

1. pour une bénéficiaire de l’indemnité d’accouchement, à 80 % du montant de l’indemnité journalière de maternité qui lui est accordée en vertu de la législation autrichienne pour la naissance de l’enfant pour lequel l’allocation de garde d’enfant est demandée, [...]

[...]

3. pour un père [...], à 80 % du montant fictif de l’indemnité journalière de maternité qui serait versée à une femme pour la naissance de l’enfant pour lequel l’allocation de garde d’enfant est demandée.

[...]

(2)   L’allocation de garde d’enfant au sens du paragraphe 1 équivaut en tout cas au moins au taux journalier visé au paragraphe 1, point 5, sans dépasser toutefois 66 euros par jour.

[...] »

14 Aux termes de l’article 24b du KBGG, « [l]orsqu’un seul parent fait valoir le droit à l’allocation de garde d’enfant [...], le versement de celle-ci prend fin au plus tard lorsque l’enfant atteint l’âge de 12 mois. Lorsque le second parent souhaite également bénéficier de cette prestation, le droit à l’allocation est prorogé [...] à concurrence de la période au titre de laquelle le second parent sollicite l’octroi de cette allocation, sans toutefois pouvoir excéder les 14 mois de l’enfant. Seules
les périodes de perception effective de la prestation sont considérées comme demandées ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Les époux Moser résident en Allemagne avec leurs deux filles. Depuis 1992, M. Moser exerce une activité salariée en Allemagne, tandis que Mme Moser est employée, depuis le 1er juillet 1996, en Autriche.

16 À la suite de la naissance, le 14 juin 2011, de sa première fille, Mme Moser a bénéficié d’un congé parental jusqu’au 31 janvier 2013. Après la naissance, le 29 août 2013, de sa seconde fille, elle a convenu avec son employeur autrichien d’un autre congé parental allant jusqu’au 28 mai 2015.

17 Dès la fin de la période relevant de la protection de la maternité, Mme Moser a perçu l’allocation parentale allemande ainsi que l’allocation allemande destinée aux parents dont les enfants ne sont pas placés dans une structure d’accueil.

18 En outre, la caisse d’assurance pour le Land de Tyrol a versé à Mme Moser, pour la période allant du 25 octobre 2013 au 31 mai 2014, une prestation compensatoire au titre de l’allocation autrichienne de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu.

19 À la suite d’une demande introduite par Mme Moser devant le Landesgericht Innsbruck (tribunal régional d’Innsbruck, Autriche), aux fins de se voir accorder une prestation compensatoire supplémentaire, pour une période allant au-delà de celle pour laquelle la première prestation compensatoire lui avait été accordée, à savoir pour les périodes allant du 25 octobre 2013 au 28 juin 2014 ainsi que du 29 août au 28 octobre 2014, à laquelle la juridiction saisie a fait droit, la caisse d’assurance pour
le Land de Tyrol lui a versé la prestation demandée.

20 M. Moser, quant à lui, a bénéficié d’un congé parental entre le 29 juin et le 28 août 2014, période durant laquelle il a perçu l’allocation parentale allemande.

21 M. Moser a également formé une demande devant le Landesgericht Innsbruck (tribunal régional d’Innsbruck), aux fins d’obtenir, en ce qui le concerne, le versement de la prestation compensatoire supplémentaire constituée par la différence entre le montant de l’allocation parentale allemande perçue et celui de l’allocation autrichienne de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu, d’un montant de 66 euros par jour pour la période correspondant à son congé parental allant du 29 juin au 28 août
2014.

22 Par jugement du 10 novembre 2015, cette juridiction a rejeté sa demande.

23 Saisi d’un appel interjeté par ce dernier, l’Oberlandesgericht Innsbruck (tribunal régional supérieur d’Innsbruck) a, par décision du 27 avril 2017, partiellement fait droit à ladite demande et a condamné la caisse d’assurance pour le Land de Tyrol au paiement d’une prestation compensatoire journalière de 29,86 euros, soit un total de 1.821,46 euros.

24 Cette caisse a formé un recours en Revision contre cette décision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), en soutenant, d’une part, que M. Moser ne remplissait pas les conditions requises par la réglementation autrichienne pour bénéficier d’un versement compensatoire et que, d’autre part, l’élément transfrontalier au sens du règlement no 883/2004 faisait défaut.

25 M. Moser estime que l’obligation de versement de la prestation compensatoire par l’institution autrichienne découle de la relation d’emploi continue de son épouse avec son employeur autrichien et que toute autre interprétation de l’article 24, paragraphe 2, du KBGG serait contraire au droit de l’Union.

26 La juridiction de renvoi relève que M. Moser remplit les conditions requises par la réglementation autrichienne pour bénéficier de l’allocation portant sur la période de congé minimale de référence de deux mois ainsi que sur l’exercice continu d’une activité professionnelle pendant 6 mois au moins avant la naissance de l’enfant. Elle précise que, ainsi que cela ressort de sa propre jurisprudence, la limitation instaurée par l’article 24, paragraphe 1, point 2, du KBGG, lu en combinaison avec le
paragraphe 2 de ce même article, aux termes duquel le bénéfice de l’allocation de garde d’enfant est subordonné à l’exercice effectif d’une activité professionnelle assujettie à la sécurité sociale en Autriche, a été jugée contraire au droit de l’Union.

27 Par conséquent, la juridiction de renvoi considère que le litige pendant devant elle porte uniquement sur la question de savoir si le droit de l’Union, qui prévoit, à l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 987/2009, l’obligation de prendre en compte la situation de l’ensemble de la famille, accorde au père le droit au montant différentiel de l’allocation autrichienne de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu, lorsque la République d’Autriche est compétente à titre
subsidiaire conformément à l’article 68, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, en tant qu’État membre d’emploi de la mère, alors que celle-ci a déjà bénéficié d’un versement compensatoire de l’allocation de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu.

28 Se référant à la jurisprudence de la Cour, la juridiction de renvoi rappelle que des conditions restrictives relatives à l’octroi ou au montant des allocations familiales, qui empêchent ou dissuadent le travailleur d’exercer son droit à la libre circulation, sont contraires au droit de l’Union et doivent être laissées inappliquées (arrêts du 10 octobre 1996, Hoever et Zachow, C‑245/94 et C‑312/94, EU:C:1996:379, points 34 à 36, ainsi que du 15 décembre 2011, Bergström, C‑257/10, EU:C:2011:839,
points 43 et 44). En vertu de la fiction prévue à l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 987/2009, la Cour aurait jugé qu’il est sans importance de savoir lequel des parents était, en vertu du droit national, considéré comme la personne ayant le droit de percevoir de telles prestations (arrêt du 22 octobre 2015, Trapkowski, C‑378/14, EU:C:2015:720, point 49).

29 La juridiction de renvoi précise toutefois que les affaires ayant donné lieu à ces arrêts concernaient des allocations forfaitaires et que l’affaire pendante devant elle a trait à une prestation familiale liée au revenu. Selon elle, il n’existe par ailleurs en l’espèce aucune menace ou aucune restriction à la libre circulation du père en raison du refus, en Autriche, du versement de l’allocation de garde d’enfant complémentaire.

30 Dans l’hypothèse où, en application du droit de l’Union, le père aurait droit au versement du montant différentiel de l’allocation autrichienne de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu, la juridiction de renvoi se demande si cette allocation doit être calculée selon le revenu effectivement obtenu dans l’État membre d’emploi ou s’il convient de prendre en compte le revenu obtenu pour une activité salariée comparable hypothétique dans l’État membre compétent à titre subsidiaire. Nonobstant
l’arrêt de la Cour du 15 décembre 2011, Bergström (C‑257/10, EU:C:2011:839, point 53), cette juridiction estime que l’assimilation des prestations, des faits ou des événements telle que prévue à l’article 5 du règlement no 883/2004 militerait en faveur d’une interprétation selon laquelle la base de calcul doit être constituée par les revenus effectivement perçus en Allemagne.

31 C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 987/2009, en ce sens qu’un État membre compétent à titre subsidiaire (la République d’Autriche) est tenu de payer comme prestation familiale, à un parent résidant et travaillant dans un État membre compétent à titre prioritaire en vertu de l’article 68, paragraphe 1, sous b), point i), du règlement no 883/2004 (la République fédérale d’Allemagne), la différence entre le montant de l’allocation parentale
[Elterngeld] versée dans l’État membre compétent à titre prioritaire et l’allocation de garde d’enfant [Betreuungsgeld] dans sa variante liée au revenu prévue dans l’autre État membre, lorsque les deux parents résident avec les enfants communs dans l’État membre compétent à titre prioritaire et que seul le second parent exerce une activité professionnelle dans l’État membre compétent à titre subsidiaire, en tant que travailleur frontalier ?

2) Dans l’affirmative, convient-il de calculer l’allocation de garde d’enfant dans sa variante liée au revenu en fonction du revenu effectivement perçu dans l’État d’emploi (la République fédérale d’Allemagne) ou en fonction du revenu qui serait hypothétiquement perçu dans l’État membre compétent à titre subsidiaire (la République d’Autriche) pour une activité professionnelle comparable ? »

Sur la première question

32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens que l’obligation, prévue à cette disposition, de prendre en compte, aux fins de déterminer l’étendue du droit aux prestations familiales d’une personne, « l’ensemble de la famille [...] comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné » s’applique tant dans l’hypothèse
où les prestations sont servies conformément à la législation désignée comme étant prioritaire en vertu de l’article 68, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, que dans celle où les prestations sont dues conformément à une ou à plusieurs autres législations.

33 Il convient de rappeler que l’article 60, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 prévoit que la demande d’octroi de prestations familiales est adressée à l’institution compétente et que, aux fins de l’application des articles 67 et 68 du règlement no 883/2004, la situation de l’ensemble de la famille est prise en compte comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné et y résidaient, en particulier pour ce qui concerne le droit d’une personne à
demander de telles prestations.

34 Ainsi qu’il ressort du libellé même de cet article 60, le sens et la portée de cet article doivent, en raison du renvoi aux articles 67 et 68 du règlement no 883/2004 auquel il procède, être examinés par rapport aux dispositions de ces derniers articles.

35 L’article 67 du règlement no 883/2004 instaure le principe en vertu duquel une personne peut prétendre aux prestations familiales pour les membres de sa famille qui résident dans un État membre autre que celui qui est compétent pour verser ces prestations, comme si ceux-ci résidaient dans ce dernier État membre (arrêt du 22 octobre 2015, Trapkowski, C‑378/14, EU:C:2015:720, point 35).

36 La Cour a précisé, s’agissant de l’article 73 du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), auquel a succédé l’article 67 du règlement no 883/2004 et dont le contenu
est, en substance, identique à ce dernier, que cet article vise à faciliter aux travailleurs migrants la perception des allocations familiales dans l’État où ils sont employés, lorsque leur famille ne s’est pas déplacée avec eux, et en particulier à empêcher qu’un État membre puisse faire dépendre l’octroi ou le montant de prestations familiales de la résidence des membres de la famille du travailleur dans l’État membre prestataire (arrêt du 14 octobre 2010, Schwemmer, C‑16/09, EU:C:2010:605,
point 41 et jurisprudence citée).

37 Ainsi, l’article 67 du règlement no 883/2004 est applicable à un travailleur qui, à l’instar de Mme Moser dans l’affaire au principal, travaille dans un État membre, mais vit avec sa famille dans un État membre autre que celui dont la législation lui est applicable (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2002, Maaheimo, C‑333/00, EU:C:2002:641, point 32).

38 Lorsque tel est le cas, le conjoint du travailleur est également en droit d’invoquer ledit article (arrêt du 7 novembre 2002, Maaheimo, C‑333/00, EU:C:2002:641, point 33), conformément à la fiction instaurée par l’article 67 du règlement no 883/2004, en vertu de laquelle l’ensemble de la famille est prise en compte comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné et y résidaient.

39 Dans l’hypothèse où l’octroi d’une prestation familiale est subordonné à la condition que l’intéressé ait exercé un travail sur le territoire national de l’État membre compétent, telle que celle prévue à l’article 24, paragraphe 1, point 2, du KBGG dans l’affaire au principal, qui conditionne le bénéfice de l’allocation à l’accomplissement de périodes d’assurances sur le territoire autrichien, cette condition doit être considérée comme étant remplie lorsque l’intéressé a travaillé sur le
territoire d’un autre État membre.

40 Il importe toutefois de préciser que le principe de l’assimilation instauré par l’article 67 du règlement no 883/2004 n’est pas absolu, en ce sens que, lorsque plusieurs droits sont dus en vertu de différentes législations, les règles d’anti-cumul prévues par l’article 68 du règlement no 883/2004 s’appliquent (voir, s’agissant de l’article 73 du règlement no 1408/71, arrêt du 14 octobre 2010, Schwemmer, C‑16/09, EU:C:2010:605, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

41 Conformément à l’article 68, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, si, pour la même période et les mêmes membres de la famille, des prestations sont prévues par la législation de plus d’un État membre à un même titre, la priorité des droits ouverts au titre d’une activité salariée ou non salariée est accordée à la législation de l’État membre du lieu de résidence des enfants. Le paragraphe 2 dudit article prévoit que, en cas de cumul de droits, les prestations familiales sont servies
selon la législation ainsi désignée comme étant prioritaire, les droits aux prestations familiales dues en vertu d’autres législations étant suspendus jusqu’à concurrence du montant prévu par la première législation et servis, le cas échéant, sous forme de complément différentiel, pour la partie qui excède ce montant.

42 La Cour a jugé qu’une telle règle anti-cumul vise à garantir au bénéficiaire de prestations versées par plusieurs États membres un montant total des prestations qui est identique au montant de la prestation la plus favorable qui lui est due en vertu de la législation d’un seul de ces États (arrêt du 30 avril 2014, Wagener, C‑250/13, EU:C:2014:278, point 46 et jurisprudence citée).

43 Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi a indiqué que la République fédérale d’Allemagne a été reconnue, conformément à la règle de priorité énoncée au point 41 du présent arrêt, comme étant l’État membre dont la législation est prioritaire, de sorte que les prestations familiales dues en vertu d’une autre législation, à savoir, celle de la République d’Autriche, sont suspendues et versées, le cas échéant, sous forme de complément différentiel.

44 S’agissant de l’article 60, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, il y a lieu de constater que les parents de l’enfant au titre duquel les prestations familiales sont demandées relèvent de la notion de « personnes concernées » et sont donc autorisés à demander l’octroi de ces prestations. La Cour a déjà précisé que la fiction prévue à la deuxième phrase de cet article conduit à reconnaître le droit aux prestations familiales à une personne n’ayant pas sa résidence sur le territoire de l’État
membre compétent pour verser ces prestations, lorsque toutes les autres conditions pour l’octroi desdites prestations, prévues par le droit national, sont remplies (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Trapkowski, C‑378/14, EU:C:2015:720, points 39 et 41).

45 Dès lors que les termes « législation de l’État concerné », figurant à l’article 60 du règlement no 987/2009, ne sont assortis d’aucune limitation quant à l’État membre en cause, cet article doit être interprété en ce sens qu’il s’applique tant dans l’hypothèse où la prestation est octroyée en vertu de la législation désignée comme étant prioritaire que dans le cas où elle est servie sous forme de complément différentiel par la législation d’un État membre compétent à titre subsidiaire.

46 Toute autre interprétation de l’article 60 du règlement no 987/2009, qui limiterait l’application de la fiction au seul État membre dont la législation est compétente à titre prioritaire, serait contraire non seulement au principe de l’assimilation tel qu’édicté à l’article 67 du règlement no 883/2004, dont l’article 60, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 est appelé à assurer la mise en œuvre, mais encore à la règle anti-cumul prévue à l’article 68 du règlement no 883/2004, cette
interprétation visant à garantir au bénéficiaire de prestations versées par plusieurs États membres un montant total identique au montant de la prestation la plus favorable qui lui est due en vertu de la législation d’un seul de ces États.

47 À cet égard, il convient d’ajouter que l’application de l’article 60 du règlement no 987/2009, comme le versement du complément différentiel qui en découle, n’est pas soumis à l’exigence d’un élément transfrontalier dans le chef du bénéficiaire en cause.

48 Il résulte de ce qui précède que l’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens que l’obligation, prévue à cette disposition, de prendre en compte, aux fins de déterminer l’étendue du droit aux prestations familiales d’une personne, « l’ensemble de la famille [...] comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné » s’applique tant dans l’hypothèse où les prestations sont servies conformément
à la législation désignée comme étant prioritaire en vertu de l’article 68, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, que dans celle où les prestations sont dues conformément à une ou à plusieurs autres législations.

Sur la seconde question

49 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 68 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que le montant du complément différentiel doit être calculé en fonction du revenu effectivement perçu dans l’État d’emploi ou d’un revenu équivalent perçu dans l’État membre compétent à titre subsidiaire pour une activité professionnelle comparable.

50 Au titre de cette question, la juridiction de renvoi s’est référée à l’arrêt de la Cour du 15 décembre 2011, Bergström (C‑257/10, EU:C:2011:839, point 53), tout en suggérant que, en raison de l’assimilation des prestations, des faits ou des événements, prévue à l’article 5 du règlement no 883/2004, la base de calcul du complément différentiel pourrait être constituée par les revenus effectivement perçus en Allemagne.

51 Il convient de constater que la présente affaire se distingue de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 2011, Bergström, C‑257/10 (C‑257/10, EU:C:2011:839), en ce sens que l’interprétation retenue dans cet arrêt, consistant à calculer le montant d’une allocation parentale par rapport à un revenu de référence sans lien avec les revenus effectivement perçus, n’est pas transposable à la situation en cause au principal, dans laquelle M. Moser peut prétendre au bénéfice d’une prestation
familiale en application des articles 67 et 68 du règlement no 883/2004.

52 En effet, conformément à la jurisprudence citée au point 42 du présent arrêt, cet article 68 vise à garantir au bénéficiaire un montant total de prestations de différents États membres identique au montant de la prestation la plus favorable qui lui est due en vertu de la législation d’un seul de ces États.

53 Dans ces circonstances, hormis les difficultés pratiques auxquelles pourraient être confrontés les organismes compétents aux fins du calcul des prestations par rapport aux revenus de référence des intéressés, l’interprétation consistant à déterminer le montant du complément différentiel en fonction du revenu effectivement perçu dans l’État d’emploi est conforme à l’objectif visé tant par la législation nationale en cause que par les dispositions du droit de l’Union en matière de sécurité sociale
des travailleurs migrants.

54 En effet, ainsi qu’il ressort du point 10 du présent arrêt, l’allocation de garde d’enfant autrichienne, dans sa variante liée au revenu, constitue une prestation de remplacement du revenu professionnel, permettant ainsi au travailleur de percevoir une prestation d’un montant proportionné au montant de la rémunération qu’il percevait au moment de l’octroi de cette allocation. En conséquence, pour atteindre cet objectif, les conditions de rémunération doivent être appréciées dans l’État d’emploi,
d’autant plus que, dans le cadre de situations frontalières, le salaire est, de manière générale, plus élevé dans l’État d’emploi du travailleur.

55 Il résulte de ce qui précède que l’article 68 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que le montant du complément différentiel à octroyer à un travailleur en vertu de la législation d’un État membre compétent à titre subsidiaire, conformément à cet article, doit être calculé par rapport au revenu effectivement perçu par ledit travailleur dans son État d’emploi.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 60, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens que l’obligation, prévue à cette disposition, de prendre en compte, aux fins de déterminer l’étendue du droit aux prestations familiales d’une personne, « l’ensemble de la famille [...] comme si toutes les
personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné » s’applique tant dans l’hypothèse où les prestations sont servies conformément à la législation désignée comme étant prioritaire en vertu de l’article 68, paragraphe 1, sous b), point i), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, que dans celle où les prestations sont dues conformément à une ou à plusieurs
autres législations.

  2) L’article 68 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que le montant du complément différentiel à octroyer à un travailleur en vertu de la législation d’un État membre compétent à titre subsidiaire, conformément à cet article, doit être calculé par rapport au revenu effectivement perçu par ledit travailleur dans son État d’emploi.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-32/18
Date de la décision : 18/09/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 60 – Prestations familiales – Droit au paiement de la différence entre le montant de l’allocation parentale versée dans l’État membre prioritairement compétent et l’allocation de garde d’enfant prévue par l’État membre compétent à titre subsidiaire.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Tiroler Gebietskrankenkasse
Défendeurs : Michael Moser.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:752

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