ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
5 septembre 2019 (*)
« Manquement d’État – Environnement – Directive 92/43/CEE – Faune et flore sauvages – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Article 4, paragraphe 4 – Annexes I et II – Sites d’importance communautaire – Non-désignation – Zones spéciales de conservation – Mesures nécessaires – Non-adoption »
Dans l’affaire C‑290/18,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 avril 2018,
Commission européenne, représentée par M^me P. Costa de Oliveira et M. C. Hermes, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République portugaise, représentée par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et J. Reis Silva ainsi que par M^mes H. Almeida, A. Pimenta et P. Barros da Costa, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M^me K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,
avocat général : M^me J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :
– en n’ayant pas désigné comme zones spéciales de conservation (ZSC), le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, sept sites d’importance communautaire (SIC) pour la région biogéographique atlantique retenus par la décision 2004/813/CE de la Commission, du 7 décembre 2004, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2004, L 387, p. 1), et 54 SIC pour la région
biogéographique méditerranéenne retenus par la décision 2006/613/CE de la Commission, du 19 juillet 2006, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO 2006, L 259, p. 1) (ci-après, ensemble, les « SIC en cause »), la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la
conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” ») ;
– en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces visées à l’annexe II de cette directive présents sur les SIC en cause, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Les sixième et huitième considérants de la directive « habitats » sont libellés comme suit :
« [...] en vue d’assurer le rétablissement ou le maintien des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable, il y a lieu de désigner des [ZSC] afin de réaliser un réseau écologique européen cohérent suivant un calendrier défini ;
[...]
[...] il convient, dans chaque zone désignée, de mettre en œuvre les mesures nécessaires eu égard aux objectifs de conservation visés ;
[...] »
3 L’article 1^er de cette directive, qui définit les principales notions utilisées dans celle-ci, dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
g) espèces d’intérêt communautaire : celles qui, sur le territoire visé à l’article 2, sont :
i) en danger, excepté celles dont l’aire de répartition naturelle s’étend de manière marginale sur ce territoire et qui ne sont ni en danger ni vulnérables dans l’aire du paléarctique occidental
ou
ii) vulnérables, c’est-à-dire dont le passage dans la catégorie des espèces en danger est jugé probable dans un avenir proche en cas de persistance des facteurs qui sont cause de la menace
ou
iii) rares, c’est-à-dire dont les populations sont de petite taille et qui, bien qu’elles ne soient pas actuellement en danger ou vulnérables, risquent de le devenir. Ces espèces sont localisées dans des aires géographiques restreintes ou éparpillées sur une plus vaste superficie
ou
iv) endémiques et requièrent une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat et/ou des incidences potentielles de leur exploitation sur leur état de conservation.
Ces espèces figurent ou sont susceptibles de figurer à l’annexe II et/ou IV ou V ;
[...]
j) site : une aire géographiquement définie, dont la surface est clairement délimitée ;
k) [SIC] : un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d’habitat naturel de l’annexe I ou une espèce de l’annexe II dans un état de conservation favorable et peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de “Natura 2000” visé à l’article 3, et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions biogéographiques concernées.
Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les [SIC] correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ;
l) [ZSC] : un [SIC] désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ;
[...] »
4 Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la même directive :
« 1. La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.
2. Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire. »
5 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » dispose :
« 1. Un réseau écologique européen cohérent de [ZSC], dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.
Le réseau Natura 2000 comprend également les zones de protection spéciale classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409/CEE [du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1)].
2. Chaque État membre contribue à la constitution de Natura 2000 en fonction de la représentation, sur son territoire, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces visés au paragraphe 1. Il désigne à cet effet, conformément à l’article 4, des sites en tant que [ZSC], et tenant compte des objectifs visés au paragraphe 1. »
6 La procédure de désignation des ZSC est fixée à l’article 4 de la directive « habitats » et se déroule en quatre étapes.
7 En ce qui concerne, en premier lieu, l’identification des sites et leur notification à la Commission, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et
reproduction. Pour les espèces aquatiques qui occupent de vastes territoires, ces sites ne sont proposés que s’il est possible de déterminer clairement une zone qui présente les éléments physiques et biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Les États membres suggèrent, le cas échéant, l’adaptation de cette liste à la lumière des résultats de la surveillance visée à l’article 11.
La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. Ces informations comprennent une carte du site, son appellation, sa localisation, son étendue ainsi que les données résultant de l’application des critères spécifiés à l’annexe III (étape 1) et sont fournies sur la base d’un formulaire établi par la Commission selon la procédure visée à l’article 21. »
8 En deuxième lieu, lorsque l’État membre concerné a transmis la liste des sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent, la Commission établit, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, de ladite directive, à partir de cette liste et en accord avec l’État membre concerné, un projet de liste des SIC.
9 En troisième lieu, la Commission arrête, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, et paragraphe 3, de la même directive, la liste des sites sélectionnés comme SIC selon la procédure visée à l’article 21 de celle-ci. En vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la directive « habitats », dès qu’un site est inscrit sur cette liste, il est soumis aux dispositions de l’article 6, paragraphes 2 à 4, de ladite directive.
10 En quatrième lieu, aux termes de l’article 4, paragraphe 4, de la même directive :
« Une fois qu’un [SIC] a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme [ZSC] le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation
ou de destruction qui pèsent sur eux. »
11 Aux termes de l’article 6 de la directive « habitats » :
« 1. Pour les [ZSC], les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.
2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les [ZSC], la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.
[...] »
12 En application de cette directive, les décisions 2004/813 et 2006/613 ont inscrit, pour le Portugal, 7 et 54 sites sur les listes des SIC, respectivement, pour les régions biogéographiques atlantique et méditerranéenne.
Le droit portugais
13 La directive « habitats » a été transposée en droit portugais par le décret-loi n^o 140/99, du 24 avril 1999 (Diário da República I, série I-A, n^o 96, du 24 avril 1999), modifié et republié par le décret-loi n^o 49/2005 du 24 février 2005 (Diário da República I, série I-A, n^o 39, du 24 février 2005).
14 L’article 5 de ce décret-loi, relatif au classement en ZSC, dispose, à ses paragraphes 5 et 6 :
« 5. Les sites de la liste nationale qui sont reconnus en tant que [SIC] par les organes compétents de l’Union européenne sont publiés par arrêté du ministre de l’environnement et de l’aménagement du territoire.
6. Les [SIC] visés au paragraphe précédent sont classés, dans un délai de six ans suivant la date de leur reconnaissance, en tant que ZSC, par décret réglementaire. »
15 L’article 7 dudit décret-loi définit le régime des ZSC comme suit :
« 1. Les ZSC font l’objet de mesures de conservation qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe B-I et des espèces de l’annexe B-II présents sur les sites.
2. Afin d’éviter la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs du présent décret-loi, les mesures appropriées sont arrêtées, notamment dans les domaines suivants :
a) aménagement du territoire, aux termes de l’article 8 ;
b) gestion, aux termes de l’article 9 ;
c) étude d’impact environnemental et analyse des incidences sur l’environnement, aux termes de l’article 10 ;
d) surveillance, aux termes de l’article 20 bis ;
e) contrôle d’application, aux termes de l’article 21 et des autres dispositions législatives applicables.
3. Sans préjudice des dispositions du paragraphe précédent, des mesures de conservation complémentaires peuvent être prises, par l’adoption :
a) de plans de gestion définissant les mesures et les actions de conservation appropriées, par arrêté conjoint du ministre de l’environnement et de l’aménagement du territoire et des ministres de tutelle des secteurs d’intérêt pour la ZSC visée, et précédés d’une consultation publique qui suit les procédures prévues par le régime juridique des instruments de gestion territoriale pour les plans spéciaux d’aménagement du territoire ;
b) d’autres mesures réglementaires, administratives ou contractuelles qui répondent aux objectifs de conservation poursuivis par le présent décret-loi. »
16 L’article 8 du même décret-loi, relatif à l’aménagement du territoire, prévoit, à ses paragraphes 4, 6 et 7 :
« 4. La mise en œuvre du réseau Natura 2000 fait l’objet d’un plan sectoriel [...], en tenant compte du développement économique et social des zones couvertes et en fixant des orientations pour :
a) la gestion territoriale sur les sites de la liste nationale de sites, sur les [SIC] ainsi que dans les ZSC et les ZPS ;
b) les mesures relatives à la conservation des espèces de faune et de flore et des habitats.
[...]
6. Les modalités d’adaptation des plans spéciaux et des plans communaux d’aménagement du territoire existants sont définies dans le plan sectoriel prévu au paragraphe 4 [...]
7. L’adaptation des plans spéciaux et des plans communaux d’aménagement du territoire existants, en application des dispositions du paragraphe précédent, est effectuée dans un délai de six ans suivant l’adoption du plan sectoriel. »
17 Le plan sectoriel du réseau Natura 2000 (ci-après le « PSRN2000 ») a été adopté par résolution du conseil des ministres n^o 115-A/2008, du 5 juin 2008 (Diário da República, 1^re série, n^o 139, du 21 juillet 2008).
La procédure précontentieuse
18 Le 23 avril 2013, la Commission a demandé à la République portugaise de lui fournir des informations sur les mesures prises pour se conformer aux dispositions de l’article 4, paragraphe 4, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et, en particulier, sur l’état d’avancement de la désignation comme ZSC des SIC en cause, inscrits sur les listes des régions biogéographiques atlantique et méditerranéenne, situées sur le territoire portugais, ainsi que sur l’état de
préparation des plans de gestion de ces sites ou d’autres mesures de conservation.
19 Eu égard à la réponse de la République portugaise du 3 juillet 2013, la Commission a estimé que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des dispositions susmentionnées et lui a adressé, le 27 février 2015, une lettre de mise en demeure.
20 Après avoir analysé la réponse fournie par la République portugaise par une lettre du 27 avril 2015, la Commission a émis, le 27 mai 2016, un avis motivé en application de l’article 258, premier alinéa, TFUE, faisant grief à cet État membre d’avoir manqué à l’obligation de désigner comme ZSC, conformément aux exigences de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, les SIC en cause et d’avoir manqué à l’obligation
d’adopter, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les mesures de conservation nécessaires à l’égard de ces sites.
21 Dans cet avis motivé, la Commission a fait valoir, notamment, que la République portugaise n’avait, en effet, contrairement à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », désigné aucun des SIC en cause comme ZSC. S’agissant des mesures de conservation nécessaires, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, la Commission a estimé que les mesures prises par la République portugaise dans ce contexte, notamment celles prévues dans le PSRN2000 et dans les plans
sectoriels de la chasse, du tourisme, de l’énergie et de l’eau ainsi que dans le programme de développement rural (ci-après le « Proder ») et les projets « LIFE », étaient soit trop générales et ne reposaient pas sur des objectifs de conservation détaillés et spécifiques aux habitats et aux espèces présents sur les SIC en cause, soit n’abordaient pas de manière exhaustive l’ensemble des habitats et des espèces pour lesquels ces sites avaient été désignés en tant que SIC.
22 Dans sa réponse du 7 juillet 2016, la République portugaise a, en ce qui concerne les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », mis en exergue la complexité du processus de désignation des SIC en cause comme ZSC et indiqué que les travaux de planification nécessaires progressaient. Pour ce qui concerne les obligations mises à sa charge au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, cet État membre a affirmé qu’il respectait celles-ci. La
République portugaise a, en outre, présenté un nouveau calendrier pour l’adoption de l’ensemble des plans de gestion, organisé en trois phases.
23 Le 7 juillet 2017, une réunion a eu lieu à Lisbonne (Portugal) entre les autorités portugaises et les services de la Commission. Tout en soulignant la complexité du processus et le nombre d’autorités concernées, les autorités portugaises ont informé la Commission des mesures en cours d’élaboration en vue de la désignation requise des ZSC et se sont engagées à transmettre à la Commission, au plus tard à la mi-septembre 2017, le modèle pour les plans de gestion ainsi que la liste de toutes les
mesures de conservation existantes pour les sites Natura 2000, y compris celles adoptées dans le cadre du Proder.
24 Par lettres du 9 novembre 2017 et du 31 janvier 2018, la République portugaise a informé la Commission de l’état d’avancement des procédures relatives à la désignation des SIC en cause en tant que ZSC et, en particulier, sur l’évolution de plusieurs procédures de passation de marchés publics liées à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage concernés.
25 Estimant que la République portugaise n’avait, ainsi, pas pris les mesures requises pour se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », la Commission a introduit, le 26 avril 2018, le présent recours.
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats »
Argumentation des parties
26 La Commission reproche à la République portugaise d’avoir violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » en n’ayant pas désigné les SIC en cause en tant que ZSC, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans à compter de la date d’adoption des décisions 2004/813 et 2006/613.
27 À cet égard, la Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable. Cette institution rappelle plus particulièrement que, à propos de la directive 79/409, la Cour a jugé, au point 22 de l’arrêt du 27 février 2003, Commission/Belgique (C‑415/01, EU:C:2003:118), que la délimitation géographique des ZPS devait revêtir une forme contraignante incontestable. Selon la
Commission, cette jurisprudence trouve également à s’appliquer à la directive « habitats ».
28 Or, la République portugaise reconnaîtrait n’avoir encore désigné aucun des SIC en cause comme ZSC.
29 S’agissant de l’argument avancé par cet État membre selon lequel il n’est question que d’un acte « purement formel » de désignation, dont l’absence n’affecterait en rien la garantie des valeurs de la faune et de la flore présentes sur ces SIC, la Commission souligne qu’une telle absence de désignation dans le délai et dans les conditions fixées par l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » constitue en soi un manquement aux obligations incombant à la République portugaise en
vertu de cette disposition.
30 Sans contester formellement de ne pas avoir désigné en tant que ZSC les SIC en cause, la République portugaise souligne qu’elle s’efforce de satisfaire à toutes les obligations lui incombant en vertu de la directive « habitats ».
31 L’acte de désignation des SIC en cause en tant que ZSC serait de nature purement formelle et devrait être adopté lors de la mise en place des mesures plus détaillées de protection, dont l’élaboration serait en cours. En tout état de cause, indépendamment du fait que les sites énumérés dans la liste remise par la République portugaise en application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « habitats » ont ou non été classés en tant que SIC par la Commission, la protection accordée à
leur égard par le droit portugais serait plus grande que celle résultant de la directive « habitats ». En effet, des mesures et programmes de conservation nationaux existants, liant juridiquement l’administration publique, s’appliqueraient aux SIC en cause, et ce depuis la communication de cette liste à la Commission.
Appréciation de la Cour
32 Il convient de rappeler que l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive « habitats » prévoit la constitution d’un réseau écologique européen cohérent de ZSC, dénommé « Natura 2000 », qui est formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des habitats des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive (arrêt du 18 octobre 2018, Commission/Royaume-Uni, C‑669/16, EU:C:2018:844, point 58).
33 L’article 3, paragraphe 2, de la directive « habitats » impose aux États membres de contribuer à la constitution du réseau Natura 2000 en fonction de la représentation, sur leurs territoires respectifs, de tels types d’habitats naturels et de tels habitats d’espèces, et de désigner, à cet effet, conformément à l’article 4 de ladite directive et au terme de la procédure établie par celle-ci, des sites en tant que ZSC (arrêt du 18 octobre 2018, Commission/Royaume-Uni, C‑669/16, EU:C:2018:844,
point 59).
34 La procédure de désignation des sites en tant que ZSC, telle que prévue à l’article 4 de la directive « habitats », se déroule en quatre étapes. À cet égard, il ressort du paragraphe 4 de cette disposition que, une fois qu’un SIC a été retenu par la Commission en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2 de celle-ci, l’État membre désigne ce site comme ZSC le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans suivant la décision de la Commission concernée.
35 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique (arrêt du 17 mai 2001, Commission/Italie, C‑159/99, EU:C:2001:278, point 32 et jurisprudence citée).
36 En outre, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et des changements législatifs ou réglementaires intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg, C‑23/05, EU:C:2005:660, point 9, et du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, EU:C:2007:274, point 50).
37 En l’espèce, en soutenant qu’il restait à achever les procédures de désignation des SIC en cause en tant que ZSC d’un point de vue formel, la République portugaise ne conteste pas que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, elle n’avait pas encore désigné ces SIC en tant que ZSC.
38 Il y a donc lieu de constater que, en n’ayant pas désigné les SIC en cause en tant que ZSC, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans suivant la date d’adoption des décisions 2004/813 et 2006/613, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».
Sur le second grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats »
Argumentation des parties
39 La Commission reproche à la République portugaise d’avoir manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II de cette directive pour les SIC retenus, respectivement, par les décisions 2004/813 et 2006/613.
40 La Commission fait valoir, tout d’abord, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » impose l’adoption de mesures de conservation nécessaires, ce qui exclut toute marge d’appréciation à cet égard dans le chef des États membres.
41 Pour que ces mesures répondent aux exigences écologiques visées à cette disposition, il faudrait qu’elles reposent sur des connaissances scientifiques et qu’elles s’appuient sur des informations de base de qualité concernant l’état des sites, les espèces qui y sont présentes ainsi que les principales pressions et menaces susceptibles de les affecter. Il s’ensuivrait que de telles mesures devraient être établies au cas par cas, en fonction d’objectifs de conservation spécifiques définis pour
chaque site.
42 Lesdites mesures devraient, enfin, être précises et suffisamment claires pour que leur application permette la réalisation des objectifs de conservation poursuivis pour chaque site.
43 Toutefois, la Commission considère que la République portugaise n’a pas pris les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Les mesures de conservation indiquées par cet État membre ne répondraient pas aux exigences écologiques spécifiques des types d’habitats naturels et des espèces visés, respectivement, aux annexes I et II de cette directive.
44 En ce qui concerne, en particulier, le PSRN2000, la Commission fait état, notamment, du caractère trop général et lacunaire des mesures qui y sont prévues, ce qui ressortirait des termes mêmes de ce plan. S’agissant de plusieurs sites, les mesures de conservation générales ne seraient même pas établies pour l’ensemble des types d’habitats naturels visés à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces visées à l’annexe II de celle-ci présents sur les sites concernés.
45 De l’avis de la Commission, les autres instruments et mesures de conservation mentionnés par la République portugaise, à savoir les plans sectoriels de la chasse, du tourisme, de l’énergie et de l’eau ainsi que le programme Proder et les projets LIFE, manquent également de spécificité, de précision et de clarté et n’abordent pas de manière exhaustive l’ensemble des habitats et des espèces pour lesquels les SIC en cause ont été désignés. De surcroît, ces mesures ne reposeraient pas sur des
objectifs spécifiques aux sites.
46 La République portugaise fait état des difficultés rencontrées dans l’établissement des plans de gestion qui sont dues à l’exigence de procédures complexes et lentes, inhérentes au régime des marchés publics. Elle aurait, toutefois, dès l’année 2008, adopté le PSRN2000, qui lierait juridiquement les organismes de l’administration publique et leurs actes à l’égard des agents privés et contiendrait notamment des fiches de sites (et de ZSC) qui identifieraient les espèces et les habitats de
gestion prioritaire de chaque site. Le PSRN2000 établirait les orientations de gestion pour chacun d’entre eux, en fonction des exigences écologiques de chacun des habitats visés à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces visées à l’annexe II de celle-ci. Ce plan satisferait donc aux exigences de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.
47 Contrairement à ce que la Commission laisserait entendre, l’obligation de fixer des objectifs de conservation par site ne trouverait aucun fondement direct dans le texte de ladite directive, mais figurerait uniquement dans d’anciennes notes d’orientation, adoptées par la Commission au cours des années 2012 et 2013.
48 La République portugaise conteste également l’affirmation de la Commission selon laquelle les mesures de conservation adoptées par les États membres devraient couvrir l’ensemble des habitats et des espèces protégés qui sont présents sur des SIC. Selon cet État membre, il ressort d’une note de la Commission relative à l’établissement de mesures de conservation pour les sites Natura 2000 qu’il n’est pas nécessaire d’arrêter des mesures de conservation spécifiques pour les espèces ou types
d’habitats dont la présence sur le site est jugée non significative. Or, le PSRN2000 viserait toutes les espèces et habitats pertinents, à l’exclusion, toutefois, de ceux dont la présence sur le site concerné est jugée non significative.
49 En outre, la République portugaise souligne que sont en cours les travaux en vue, notamment, du développement des plans de gestion requis et, en même temps, de la désignation comme ZSC des SIC en cause. Ainsi, parallèlement à la procédure d’élaboration des plans de gestion des SIC en cause, une cartographie des zones de présence des habitats naturels et semi-naturels, protégés par la directive « habitats », sur les territoires couverts par les sites de la liste nationale des sites classés
sur le territoire continental serait à établir, le degré de conservation d’une partie de ces valeurs naturelles serait déterminé et une cartographie d’un ensemble sélectionné d’espèces de la flore protégée par la directive « habitats » serait également établie.
Appréciation de la Cour
50 Il convient de rappeler que l’article 6 de la directive « habitats » impose aux États membres une série d’obligations et de procédures spécifiques visant à assurer, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union, en vue d’atteindre l’objectif plus général de ladite directive qui est de
garantir un niveau élevé de protection de l’environnement s’agissant des sites protégés en vertu de celle-ci (arrêt du 7 novembre 2018, Holohan e.a., C‑461/17, EU:C:2018:883, point 30).
51 Plus particulièrement, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », il incombe aux États membres d’établir, pour chaque ZSC, les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive présents sur le site concerné [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 207].
52 En l’occurrence, il convient de relever, à titre liminaire, que, ainsi qu’il a été constaté au point 39 du présent arrêt, la République portugaise a omis de désigner les SIC en cause comme ZSC. Or, les mesures de conservation nécessaires, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », doivent être établies et mises en œuvre dans le cadre de ces ZSC. C’est ce qui ressort, notamment, de l’article 1^er, paragraphe 1, sous l), de cette directive, lu à la lumière du huitième
considérant de celle-ci, selon lesquels une ZSC est un SIC dans lequel sont « appliquées » des mesures de conservation et il convient, dans chaque zone désignée, de « mettre en œuvre » les mesures nécessaires eu égard aux objectifs de conservation visés [voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 214].
53 Ensuite, il y a lieu de souligner qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les obligations qui incombent aux États membres en vertu de l’article 6 de la directive « habitats », y compris l’obligation d’adopter des mesures de conservation nécessaires prévue au paragraphe 1 de cet article, doivent être mises en œuvre d’une manière effective et par des mesures complètes, claires et précises [voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, EU:C:2007:274, point 73,
ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 213].
54 Or, il ressort, notamment, des indications fournies par la Commission que les mesures que la République portugaise a présentées à titre de mesures de conservation, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, ne satisfont pas à ces exigences.
55 En effet, outre le caractère générique et d’orientation de ces mesures, notamment le PSRN2000, lesquelles exigent, de plus, à bien des égards, des mesures de concrétisation en vue de leur mise en œuvre effective, il convient de constater qu’elles sont lacunaires en ce qu’elles ne comportent pas systématiquement des mesures de conservation établies en fonction des exigences écologiques de chaque espèce et de chaque type d’habitat présents dans chacun des SIC en cause.
56 Enfin, tout en faisant état des difficultés, notamment d’ordre administratif, rencontrées lors de l’adoption des mesures nécessaires, la République portugaise reconnaît que des travaux importants en vue de l’adoption de toutes les mesures de conservation requises à l’égard des SIC en cause sont encore en cours.
57 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé. En outre, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’absence de mise en œuvre d’une directive dans le délai prescrit (voir, en ce
sens, arrêts du 28 novembre 2002, Commission/Espagne, C‑392/01, EU:C:2002:721, point 9, et du 20 mars 2003, Commission/Italie, C‑143/02, EU:C:2003:178, point 11).
58 Il convient dès lors de considérer que le grief tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » est fondé.
59 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en n’ayant pas désigné les SIC en cause en tant que ZSC, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans suivant la date d’adoption des décisions 2004/813 et 2006/613, et, en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I de la directive « habitats » et des espèces visées à l’annexe II de cette directive présents
sur ces SIC, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive.
Sur les dépens
60 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) En n’ayant pas désigné comme zones spéciales de conservation 61 sites d’importance communautaire, qui ont été retenus par la Commission européenne dans la décision 2004/813/CE de la Commission, du 7 décembre 2004, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique, et dans la décision 2006/613/CE de la Commission, du 19 juillet 2006, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du
Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans suivant la date d’adoption de ces décisions, et, en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la
flore sauvages, et des espèces visées à l’annexe II de cette directive présents sur ces sites d’importance communautaire, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive.
2) La République portugaise est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : le portugais.