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29/07/2019 | CJUE | N°C-659/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) contre Azienda Napoletana Mobilità SpA., 29/07/2019, C-659/17


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Aides à l’emploi – Exonération de charges sociales liées à des contrats de formation et de travail – Décision 2000/128/CE – Régimes d’aide portant mesures pour l’emploi mis à exécution par l’Italie – Aides en partie incompatibles avec le marché intérieur – Applicabilité de la décision 2000/128/CE à une entreprise fournissant de manière exclusive des services de transport public local lui ayant été directement attribués par

une commune – Article 107,
paragraphe 1, TFUE – Notion de “distorsion de la concurrence” – Notion d’“affectation...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Aides à l’emploi – Exonération de charges sociales liées à des contrats de formation et de travail – Décision 2000/128/CE – Régimes d’aide portant mesures pour l’emploi mis à exécution par l’Italie – Aides en partie incompatibles avec le marché intérieur – Applicabilité de la décision 2000/128/CE à une entreprise fournissant de manière exclusive des services de transport public local lui ayant été directement attribués par une commune – Article 107,
paragraphe 1, TFUE – Notion de “distorsion de la concurrence” – Notion d’“affectation des échanges” entre États membres »

Dans l’affaire C‑659/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 4 juillet 2017, parvenue à la Cour le 24 novembre 2017, dans la procédure

Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)

contre

Azienda Napoletana Mobilità SpA,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 avril 2019,

considérant les observations présentées :

– pour l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), par Mes A. Sgroi, L. Maritato et C. D’Aloisio, avvocati,

– pour l’Azienda Napoletana Mobilità SpA, par Mes M. Malena et S. Miccoli, avvocati,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mmes D. Recchia et F. Tomat, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juin 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de la décision 2000/128/CE de la Commission, du 11 mai 1999, concernant les régimes d’aide mis à exécution par l’Italie portant mesures pour l’emploi (JO 2000, L 42, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) à l’Azienda Napoletana Mobilità SpA (ci-après l’« ANM ») au sujet d’une éventuelle obligation, mise à la charge d’ANM, de verser des charges sociales à l’INPS liées à des contrats de formation et de travail conclus par l’ANM entre les années 1997 et 2001.

Le cadre juridique

La décision 2000/128

3 Les points 62 à 67 des motifs de la décision 2000/128 énoncent, s’agissant de la réglementation italienne relative aux contrats de formation et de travail :

« (62) Les contrats de formation et de travail, tels qu’ils étaient régis par la [legge n. 863 – Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 30 ottobre 1984, n. 726, recante misure urgenti a sostegno e ad incremento dei livelli occupazionali (loi no 863 convertissant en loi, avec modifications, le décret-loi no 726, du 30 octobre 1984, portant mesures urgentes concernant le soutien et la hausse des niveaux d’emploi), du 19 décembre 1984 (GURI no 351, du 22 décembre 1984, p. 10691)],
ne constituaient pas une aide au titre de l’article 87, paragraphe 1, du traité [CE], mais une mesure générale. Les avantages prévus étaient en effet applicables de manière uniforme, automatique, non discrétionnaire et sur la base de critères objectifs à l’ensemble des entreprises.

(63) Les modifications apportées en 1990 par la [legge n. 407 – Disposizioni diverse per l’attuazione della manovra di finanza pubblica 1991-1993 (loi no 407, portant dispositions diverses pour la mise en œuvre de la politique de finances publiques 1991-1993), du 29 décembre 1990 (GURI no 303, du 31 décembre 1990, p. 3)] ont changé la nature de ces mesures. Ces dispositions ont modulé les réductions en fonction du lieu d’installation de l’entreprise bénéficiaire, ainsi qu’en fonction du secteur
auquel l’entreprise bénéficiaire appartient. De ce fait, certaines entreprises bénéficient de réductions plus importantes que celles qui sont accordées à des entreprises concurrentes.

(64) Les réductions sélectives qui favorisent certaines entreprises par rapport à d’autres du même État membre, que cette sélectivité se réalise au niveau individuel, régional ou sectoriel, constituent, pour la partie différentielle de la réduction, des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité [CE] qui faussent la concurrence et sont susceptibles d’affecter les échanges entre les États membres.

En effet, ledit différentiel favorise les entreprises qui opèrent dans certaines zones du territoire de l’Italie, dans la mesure où il n’est pas accordé aux entreprises en dehors de ces zones.

(65) Cette aide fausse la concurrence, étant donné qu’elle renforce la situation financière et les possibilités d’action des entreprises bénéficiaires par rapport à leurs concurrents qui n’en bénéficient pas. Dans la mesure où cet effet se produit dans le cadre des échanges intracommunautaires, ceux-ci sont affectés par l’aide.

(66) En particulier, ces aides faussent la concurrence et affectent les échanges entre États membres dans la mesure où les entreprises bénéficiaires exportent une partie de leur production dans les autres États membres ; en outre, même si ces entreprises n’exportent pas, la production nationale est favorisée du fait que les possibilités des entreprises établies dans d’autres États membres d’exporter leurs produits sur le marché italien en sont diminuées.

(67) Pour les raisons ci-dessus, les mesures sous examen sont en principe interdites par l’article 87, paragraphe 1, du traité [CE] et par l’article 62, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »)] et ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun que si elles peuvent bénéficier d’une des dérogations prévues par ledit traité ou ledit accord. »

4 En ce qui concerne la réglementation italienne relative à la transformation de contrats de formation et de travail en contrats à durée indéterminée, les points 97 et 98 des motifs de cette décision sont libellés comme suit :

« (97) S’agissant d’une prolongation pour un an des aides prévues pour les contrats de formation et de travail et ces aides présentant un caractère de sélectivité encore plus accentué, puisqu’elles sont limitées aux seules zones de l’objectif no 1, l’analyse quant au caractère d’aide développée au point V.1.a) est encore plus pertinente à l’égard de ces interventions.

(98) Par conséquent, il résulte des considérations susmentionnées que les mesures en question sont susceptibles d’affecter les échanges au sein de la Communauté. Compte tenu des éléments d’aide contenus dans ces mesures, il faut considérer que les interventions en question rentrent dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE et de l’article 62, paragraphe 1, de l’accord EEE, puisqu’elles constituent des aides d’État qui faussent la concurrence dans une mesure
susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires, et qu’elles ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun que si elles peuvent bénéficier d’une des dérogations prévues. »

5 L’article 1er de ladite décision dispose :

« 1.   Les aides illégalement accordées depuis novembre 1995 par l’Italie pour l’embauche de travailleurs par des contrats de formation et de travail, prévues par [la loi no 863, du 19 décembre 1984, la loi no 407, du 29 décembre 1990, la legge n. 169 – Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 29 marzo 1991, n. 108, recante disposizioni urgenti in materia di sostegno dell’occupazione (loi no 169, convertissant en loi, avec modifications, le décret-loi no 108, du 29 mars 1991,
portant dispositions urgentes concernant le soutien à l’emploi), du 1er juin 1991 (GURI no 129, du 4 juin 1991, p. 4) et la legge n. 451 – Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 16 maggio 1994, n. 299, recante disposizioni urgenti in materia di occupazione e di fiscalizzazione degli oneri sociali (loi no 451, convertissant en loi, avec modifications, le décret-loi no 299, du 16 mai 1994, portant dispositions urgentes concernant l’emploi et la fiscalisation des charges
sociales), du 19 juillet 1994 (GURI no 167, du 19 juillet 1994, p. 3)], sont compatibles avec le marché commun et avec l’accord EEE pour autant qu’elles concernent :

– la création de nouveaux postes de travail dans l’entreprise bénéficiaire en faveur de travailleurs qui n’ont pas encore obtenu d’emploi ou qui ont perdu leur emploi précédent, au sens des lignes directrices concernant les aides à l’emploi [(JO 1995, C 334, p. 4)],

– l’embauche de travailleurs éprouvant des difficultés particulières à s’insérer ou à se réinsérer dans le marché du travail. Aux fins de la présente décision, on entend par “travailleurs éprouvant des difficultés particulières à s’insérer ou à se réinsérer dans le marché du travail” les jeunes de moins de 25 ans, les titulaires d’un diplôme universitaire long (laurea) jusqu’à 29 ans compris et les chômeurs de longue durée, c’est-à-dire ceux qui sont au chômage depuis au moins un an.

2.   Les aides octroyées au moyen de contrats de formation et de travail ne remplissant pas les conditions mentionnées au paragraphe 1 sont incompatibles avec le marché commun. »

6 Aux termes de l’article 2 de la même décision :

« 1.   Les aides octroyées par l’Italie en vertu de l’article 15 de la [legge n. 196 – Norme in materia di promozione dell’occupazione (loi no 196 portant mesures pour l’emploi), du 24 juin 1997 (Supplément ordinaire à la GURI no 154, du 4 juillet 1997)] pour la transformation de contrats de formation et de travail en contrats à durée indéterminée sont compatibles avec le marché commun et avec l’accord EEE à condition qu’elles respectent la condition de la création nette d’emploi telle que définie
dans les lignes directrices concernant les aides à l’emploi.

L’effectif de l’entreprise est calculé déduction faite des emplois bénéficiant de la transformation et des emplois créés au moyen de contrats à durée déterminée ou ne garantissant pas une certaine pérennité de l’emploi.

2.   Les aides à la transformation de contrats de formation et de travail en contrats à durée indéterminée ne remplissant pas la condition mentionnée au paragraphe 1 sont incompatibles avec le marché commun. »

7 L’article 3 de la décision 2000/128 prévoit :

« L’Italie prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides ne remplissant pas les conditions énoncées aux articles 1er et 2 déjà illégalement accordées.

La récupération a lieu conformément aux procédures du droit national. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à leur récupération effective. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale. »

Le droit italien

8 La République italienne a, par la loi no 863, du 19 décembre 1984, introduit le « contrat de formation et de travail ». Il s’agissait, initialement, d’un contrat à durée déterminée, assorti d’une période de formation, prévu pour l’embauche de chômeurs n’ayant pas plus de 29 ans. Les embauches effectuées au moyen de ce type de contrat bénéficiaient, pour une période de deux ans, d’une exonération de charges sociales dues par l’employeur. Cette exonération s’appliquait de manière uniforme,
automatique et non discrétionnaire sur tout le territoire national.

9 Les règles applicables aux contrats de formation et de travail ont été modifiées successivement par la loi no 407, du 29 décembre 1990 (ci-après la « loi no 407/1990 »), qui a introduit une modulation régionale des exonérations de charges sociales, par la loi no 169, du 1er juin 1991, qui a porté à 32 ans l’âge maximal des travailleurs pouvant être embauchés au moyen de ce type de contrat, et par la loi no 451, du 19 juillet 1994 (ci-après la « loi no 451/1994 »), qui a introduit le contrat de
formation et de travail limité à un an et qui a fixé un nombre minimal d’heures de formation à respecter.

10 Ces lois modificatives ont permis l’embauche, par contrats de formation et de travail, de jeunes âgés de 16 à 32 ans, cette limite d’âge pouvant être relevée à la discrétion des autorités régionales compétentes et ont prévu l’exonération totale de charges sociales, notamment, pour une période de formation de deux ans, en faveur des entreprises opérant dans des zones dont le taux de chômage était supérieur à la moyenne nationale italienne, cette période pouvant être prolongée d’un an en cas de
transformation de tels contrats en contrats de travail à durée indéterminée.

Le litige au principal et la question préjudicielle

11 L’ANM a été constituée en 1995, à la suite de la transformation d’une société créée sous la forme d’un consortium de droit public, pour la gestion unitaire et intégrée des services de transport public local de la commune de Naples (Italie). Elle a été transformée en 2001 en société par actions, ayant cette commune comme actionnaire unique, et a pour objet la gestion des services de transport public de personnes et de marchandises effectués par tous moyens sur le territoire de ladite commune.

12 Dans le cadre de cette activité, l’ANM a procédé, entre les mois de novembre 1995 et de mai 2001, à l’embauche de personnes en vue de leur assurer une formation professionnelle et de les intégrer par la suite dans l’entreprise. Ces embauches ont été effectuées au moyen de contrats de formation et de travail, au sens de la loi no 863, du 19 décembre 1984, telle que modifiée par les lois nos 407/1990, 169 du 1er juin 1991 et 451/1994. La transformation de ces contrats en contrats de travail à durée
indéterminée a été effectuée conformément à la loi no 451/1994. L’ANM a bénéficié, pour lesdits contrats de formation et de travail ainsi que pour leur transformation consécutive, d’exonérations de charges sociales prévues par la réglementation italienne en cause au principal.

13 La Commission européenne ayant déclaré cette réglementation en partie incompatible avec l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’INPS a adressé, en tant qu’autorité nationale chargée de l’exécution de la décision 2000/128, à l’ANM deux avis de paiement dont les montants s’élèvent respectivement à 7429436,76 euros pour les embauches effectuées au moyen de contrats de formation et de travail au cours des années 1997 à 2001 et à 2266014,05 euros pour les transformations de ces
contrats en contrats de travail à durée indéterminée couvrant les années 1999 à 2001.

14 L’ANM a demandé au Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie) qu’il constate l’absence d’obligation, à sa charge, de payer ces montants. Cette juridiction a fait droit aux recours de l’ANM, au motif que la décision 2000/128 n’exerçait pas d’effet direct dans l’ordre juridique italien, dès lors qu’elle n’imposait pas à la République italienne une obligation suffisamment précise et inconditionnelle.

15 L’INPS a interjeté appel du jugement du Tribunale di Napoli (tribunal de Naples) devant la Corte d’appello di Napoli (Cour d’appel de Naples, Italie), laquelle a confirmé ce jugement tout en réformant sa motivation. Selon cette juridiction, la décision 2000/128 fait certes partie de l’ordre juridique italien, mais elle n’est pas applicable à l’ANM. L’avantage économique que représentaient les exonérations de charges sociales ne serait pas de nature à affecter les échanges entre les États membres
ni à porter atteinte à la concurrence, dès lors qu’elles concernaient les activités de transport public local exercées en régime de non-concurrence, par suite de leur attribution directe à l’ANM.

16 L’INPS a saisi la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) d’un pourvoi en cassation, en faisant valoir que l’arrêt de la Corte d’appello di Napoli (Cour d’appel de Naples) est entaché d’erreurs concernant l’interprétation de l’article 107 TFUE et de la décision 2000/128, cette dernière étant pleinement applicable à l’ANM.

17 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La décision [2000/128] est-elle également applicable aux employeurs exerçant une activité de transport public local – en régime essentiellement de non-concurrence, en raison du caractère exclusif du service [effectué] – qui ont bénéficié de réductions de charges sociales [à la suite de] la conclusion de contrats de formation et de travail, à partir de la date d’entrée en vigueur de la loi [no 407/1990], en ce qui concerne, en l’espèce, la période allant de 1997 à mai 2001 ? »

Sur la question préjudicielle

18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision 2000/128 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à une entreprise, telle que celle en cause au principal, qui a fourni, sur le fondement d’une attribution directe par une commune et de manière exclusive des services de transport public local et qui a bénéficié de réductions de charges sociales au titre d’une réglementation nationale que cette décision a déclaré partiellement incompatible avec
l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

19 En particulier, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si ladite décision trouve à s’appliquer au secteur du transport public local et si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, les conditions de l’affectation de la concurrence et des échanges entre États membres énoncées à ladite disposition sont remplies.

20 Selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou
menacer de fausser la concurrence (arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 43 et jurisprudence citée).

21 En l’occurrence, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a constaté, aux points 63, 64 et 97 des motifs de la décision 2000/128, que la réglementation italienne en cause au principal remplit les première et troisième conditions énoncées au point précédent.

22 Ensuite, aux points 65 et 97 des motifs de cette décision, cette institution a considéré que les deuxième et quatrième conditions sont également remplies au motif, pour la deuxième, que l’aide renforce la situation financière et les possibilités d’action des entreprises bénéficiaires et « dans la mesure où », pour la quatrième, cet effet se produit dans le cadre des échanges au sein du marché intérieur.

23 Aux points 66 et 97 des motifs de ladite décision, il est précisé que, « en particulier », la concurrence est faussée et les échanges entre États membres sont affectés « dans la mesure où » les entreprises bénéficiaires exportent une partie de leur production dans les autres États membres ou, lorsque ces entreprises n’exportent pas, la production nationale est favorisée du fait que les possibilités des entreprises établies dans d’autres États membres d’exporter leurs produits sur le marché
italien en sont diminuées.

24 Or, d’une part, contrairement à ce que prétend l’ANM, il ne saurait être déduit des termes du point 66 des motifs de la décision 2000/128 que la Commission aurait restreint le champ d’application de cette décision aux secteurs directement impliqués dans les échanges de produits ou de services au sein du marché intérieur, à l’exclusion des secteurs des services locaux, tels que celui du transport public local.

25 En effet, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le constater, la Commission a expliqué au point 65 des motifs de ladite décision, en termes généraux, que les réductions de charges sociales sélectives prévues par la réglementation italienne en cause au principal faussent la concurrence et que, dans la mesure où cet effet se produit dans le cadre des échanges entre États membres, ceux-ci sont affectés, le point 66 des motifs de ladite décision ne venant qu’illustrer cette appréciation en
utilisant l’exemple du secteur de la production (arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 88).

26 D’autre part, il résulte des points 65, 66 et 97 des motifs de la décision 2000/128 que les deuxième et quatrième conditions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne sont remplies que dans la mesure où les entreprises bénéficiaires des réductions de charges sociales sont exposées à la concurrence sur un marché libéralisé, même partiellement.

27 En effet, il est de jurisprudence constante que, dans le cas d’un régime d’aides, tel que celui en cause au principal, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, la Commission, dans une
décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Comitato  Venezia vuole vivere  e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63 ainsi que jurisprudence citée).

28 Par conséquent, avant de procéder à la récupération d’un avantage, les autorités nationales de l’État membre concerné sont tenues de vérifier, dans chaque cas individuel, si l’avantage accordé était, dans le chef de son bénéficiaire, susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Comitato  Venezia vuole vivere  e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, points 64 et 115).

29 À cet égard, il importe de rappeler que, aux fins de la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide en cause sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 78 et jurisprudence
citée).

30 En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position de certaines entreprises par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges entre les États membres, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide. À cet égard, il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes aux échanges entre les États membres. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à des entreprises, l’activité intérieure peut s’en
trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 79 et jurisprudence citée).

31 Dès lors, la condition selon laquelle l’aide doit être de nature à affecter les échanges entre les États membres ne dépend pas de la nature locale ou régionale des services de transport fournis (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 82, et du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 69).

32 Quant à la condition de la distorsion de la concurrence, il convient de souligner que les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent en principe les conditions de concurrence (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 80 et jurisprudence citée).

33 En l’occurrence, il apparaît constant que les charges sociales pour lesquelles l’ANM a bénéficié des réductions litigieuses au principal sont des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales.

34 En revanche, tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour, l’ANM fait valoir qu’elle n’a été exposée, au cours de la période allant de l’année 1997 à l’année 2001, à aucune concurrence concernant les services de transport public local en cause au principal et que, au cours de cette même période, le marché italien du transport public local n’était pas libéralisé, même partiellement.

35 Or, contrairement à l’ANM, le gouvernement italien a fait valoir devant la Cour que, au cours de la période litigieuse au principal, le marché italien du transport public local était ouvert à la concurrence. En outre, selon ce gouvernement, aucune interdiction d’offrir de tels services en Italie n’aurait été applicable aux opérateurs d’autres États membres et il existerait des exemples de fourniture de tels services par de tels opérateurs.

36 À cet égard, il importe de rappeler que plusieurs États membres ont commencé, dès l’année 1995, à ouvrir certains marchés de transport à la concurrence d’entreprises établies dans d’autres États membres, de sorte que plusieurs entreprises offraient déjà, au cours de ladite période, leurs services de transports urbains, suburbains ou régionaux dans des États membres autres que leur État d’origine (voir, en ce sens, arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00,
EU:C:2003:415, point 79).

37 Quant à la question de savoir si l’ANM était ou non, au cours de cette période, exposée à une concurrence en ce qui concerne les services de transport public local en cause au principal, il ressort, certes, du dossier soumis à la Cour que ces services ont été attribués exclusivement et directement à l’ANM, sans qu’une procédure de passation de marché public ait été organisée au préalable.

38 Toutefois, aucun élément de ce dossier n’établit que la commune de Naples aurait été tenue, par des mesures législatives ou réglementaires, d’attribuer ces services de manière exclusive à cette entreprise, de sorte qu’il apparaît qu’il aurait également été loisible à cette commune d’attribuer ces services à un autre prestataire, notamment par la voie de l’organisation d’une procédure de passation de marché public à laquelle auraient ainsi pu participer, ainsi que l’a fait valoir le gouvernement
italien devant la Cour, des opérateurs d’autres États membres.

39 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 33 à 35 et 38 de ses conclusions, en l’absence d’une telle obligation législative ou réglementaire, force est de constater qu’une concurrence pour les services en cause au principal était possible, de sorte qu’il ne saurait être exclu ni que la réduction des charges sociales dont a bénéficié l’ANM ait procuré à cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents potentiels, même provenant d’autres États membres, ni que, partant, la
concurrence pour ce marché ait été faussée et les échanges entre États membres aient été affectés par ces réductions.

40 Il incombe ainsi à la juridiction de renvoi, qui est la seule à avoir une connaissance directe du litige au principal, de procéder aux vérifications nécessaires afin de déterminer si, au cours de la période litigieuse au principal, le marché italien du transport public local était ouvert à la concurrence et permettait donc aux opérateurs d’autres États membres d’offrir leurs prestations en vue d’assurer les services en cause au principal ou si la commune de Naples était soumise à une obligation
législative ou réglementaire d’attribuer ces services exclusivement à l’ANM.

41 En outre, eu égard aux circonstances relevées par M. l’avocat général aux points 40 et 41 de ses conclusions, relatives au statut de l’ANM et au contenu du contrat de services en cause au principal, il incombe le cas échéant également à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires afin de déterminer si l’ANM a exercé, au cours de la période allant de l’année 1997 à l’année 2001, des activités sur d’autres marchés de produits ou de services ou encore sur d’autres marchés
géographiques ouverts à une concurrence effective.

42 En effet, s’il était avéré que l’ANM a exercé, au cours de cette période, des activités sur de tels autres marchés, il ne saurait être exclu que les réductions des charges sociales dont cette entreprise a bénéficié au titre de la réglementation italienne en cause au principal aient faussé la concurrence et aient affecté les échanges entre États membres sur ces autres marchés, à moins que ces activités n’aient pas bénéficié desdites réductions et que tout risque de subventions croisées ait été
exclu, moyennant la démonstration qu’une comptabilité séparée appropriée ait assuré que lesdites réductions n’ont pas pu bénéficier auxdites activités (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 51, et du 23 janvier 2019, Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑387/17, EU:C:2019:51, point 42).

43 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, la décision 2000/128 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à une entreprise, telle que celle en cause au principal, qui a fourni, sur le fondement d’une attribution directe par une commune et de manière exclusive des services de transport public local et qui a bénéficié de réductions de charges
sociales au titre d’une réglementation nationale que cette décision a déclaré partiellement incompatible avec l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Sur les dépens

44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  Sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, la décision 2000/128/CE de la Commission, du 11 mai 1999, concernant les régimes d’aide mis à exécution par l’Italie portant mesures pour l’emploi, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à une entreprise, telle que celle en cause au principal, qui a fourni, sur le fondement d’une attribution directe par une commune et de manière exclusive des services de transport public local et qui a bénéficié de
réductions de charges sociales au titre d’une réglementation nationale que cette décision a déclaré partiellement incompatible avec l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-659/17
Date de la décision : 29/07/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione.

Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Aides à l’emploi – Exonération de charges sociales liées à des contrats de formation et de travail – Décision 2000/128/CE – Régimes d’aide portant mesures pour l’emploi mis à exécution par l’Italie – Aides en partie incompatibles avec le marché intérieur – Applicabilité de la décision 2000/128/CE à une entreprise fournissant de manière exclusive des services de transport public local lui ayant été directement attribués par une commune – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion de “distorsion de la concurrence�� – Notion d’“affectation des échanges” entre États membres.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
Défendeurs : Azienda Napoletana Mobilità SpA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:633

Source

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