ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
13 juin 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Articles 18, 21 et 165 TFUE – Règlement d’une fédération sportive – Participation au championnat national d’un État membre d’un athlète amateur ayant la nationalité d’un autre État membre – Traitement différent en raison de la nationalité – Restriction à la libre circulation »
Dans l’affaire C‑22/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Darmstadt (tribunal de district de Darmstadt, Allemagne), par décision du 2 novembre 2017, parvenue à la Cour le 11 janvier 2018, dans la procédure
TopFit eV,
Daniele Biffi
contre
Deutscher Leichtathletikverband eV,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2018,
considérant les observations présentées :
– pour TopFit eV et M. Biffi, par Me G. Kornisch, Rechtsanwalt,
– pour Deutscher Leichtathletikverband eV, par Me G. Engelbrecht, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. M. Kellerbauer et Mme I. Rubene, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mars 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 21 et 165 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TopFit eV et M. Daniele Biffi à la Deutscher Leichtathletikverband eV (Fédération nationale d’athlétisme allemande, ci-après la « DLV »), au sujet des conditions de participation des ressortissants d’autres États membres à des championnats nationaux de sport amateur dans la catégorie senior.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 165 TFUE, figurant sous le titre XII du traité FUE, intitulé « Éducation, formation professionnelle, jeunesse et sport », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. [...]
L’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative.
2. L’action de l’Union vise :
[...]
– à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux. »
La réglementation de la DLV
4 L’article 5.2.1 de la Deutsche Leichtathletikordnung (règlement d’athlétisme allemand, ci-après le « règlement d’athlétisme »), relatif au droit de participer à des championnats allemands, dispose, dans sa version du 17 juin 2016 :
« Tous les championnats sont en principe ouverts à tous les athlètes qui ont la nationalité allemande et un droit valide de participation au titre d’une association ou communauté d’athlètes allemande ».
5 Ce règlement contenait précédemment un article 5.2.2, en vertu duquel les citoyens de l’Union avaient le droit de participer aux championnats allemands s’ils disposaient d’un droit de participation au titre d’une association ou d’une communauté d’athlètes allemande et que ce droit existait depuis au moins un an. Cet article a été abrogé le 17 juin 2016 et n’a pas été remplacé.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6 M. Biffi est un ressortissant italien, né en 1972, qui vit en Allemagne depuis 2003. Il pratique, en amateur, la course à pied en compétition sur des distances de 60 m, de 100 m, de 200 m et de 400 m, dans la catégorie senior (plus de 35 ans). M. Biffi est membre de TopFit, une association sportive ayant son siège à Berlin (Allemagne) et membre de la Berliner Leichtathletik-Verband (fédération d’athlétisme de Berlin), laquelle est, elle-même, membre de la DLV.
7 La DLV regroupe l’ensemble des fédérations d’athlétisme existant au niveau des Länder. Elle organise des championnats nationaux d’athlétisme pour trois catégories d’athlètes, à savoir les jeunes de moins de 20 ans, les jeunes athlètes de la catégorie « élite » et les seniors.
8 Depuis 2012, M. Biffi, qui n’est plus affilié à la Fédération nationale d’athlétisme italienne, a participé en Allemagne à des championnats nationaux seniors.
9 Jusqu’au 17 juin 2016, l’article 5.2.2 du règlement d’athlétisme prévoyait que la participation aux championnats allemands était ouverte aux citoyens de l’Union ne possédant pas la nationalité allemande s’ils disposaient d’un droit de participation au titre d’une association ou d’une communauté d’athlètes allemande et que ce droit existait depuis au moins un an.
10 À cette date, la DLV a modifié ce règlement en abrogeant cette disposition. L’article 5.2 dudit règlement ne mentionne plus que les nationaux et, selon les lignes directrices de la DLV, ce sont donc les athlètes de nationalité allemande qui sont sélectionnés en priorité pour participer aux championnats nationaux.
11 La juridiction de renvoi expose que la DLV a justifié cette modification en faisant valoir que le champion d’Allemagne devrait être uniquement un athlète de nationalité allemande susceptible de participer à des championnats sous l’abréviation « GER », qui renvoie au mot « Germany », c’est-à-dire à l’Allemagne. Il ne serait pas possible d’instaurer pour les seniors des dérogations par rapport aux règles applicables aux autres catégories de sportifs, à savoir aux jeunes de moins de 20 ans et à la
catégorie « élite ».
12 Dans ses observations écrites, la DLV apporte des précisions sur la réglementation en expliquant que des étrangers qui possèdent un droit de participation au titre d’un club ou d’une communauté d’athlètes sur le territoire de la DLV ou au titre d’une autre fédération nationale peuvent, dans des cas motivés, se voir accorder un droit de participation sans classement, lorsqu’ils obtiennent une autorisation à cet effet avant la date de clôture des inscriptions à la manifestation sportive en
question. Dans ce cas, ils ne peuvent participer qu’au premier tour d’une compétition de course à pied ou aux trois premiers essais d’une compétition technique.
13 TopFit a inscrit M. Biffi au championnat d’Allemagne pour seniors, en salle, dans les disciplines du 60 m, du 200 m et du 400 m, qui s’est tenu à Erfurt les 4 et 5 mars 2017. Cette inscription a toutefois été rejetée par la DLV, de sorte que M. Biffi a été totalement exclu de ce championnat alors qu’il remplissait toutes les conditions, hormis celle de la nationalité, pour y participer. TopFit et M. Biffi ont en vain introduit une réclamation contre la décision de rejet devant la commission
juridique de la fédération.
14 Un autre championnat d’Allemagne pour seniors a été organisé par la DLV, du 30 juin au 2 juillet 2017, à Zittau, pour lequel M. Biffi avait accompli les performances minimales permettant de participer aux courses sur 100 m, 200 m et 400 m. Toutefois, M. Biffi n’ayant eu le droit de participer à ces championnats que « hors classement » ou « sans classement », il a introduit, conjointement avec TopFit, une demande en référé devant la juridiction de renvoi afin d’assurer sa pleine participation à ce
championnat. Cette demande a été rejetée.
15 M. Biffi a été autorisé à participer à ces courses, mais de manière partielle, c’est-à-dire sans être classé, que ce soit dans les épreuves contre la montre ou dans celles comprenant une finale, comme pour le 100 m, dans le cadre duquel il n’a été admis à participer qu’aux tours qualificatifs sans accès à la finale.
16 En conséquence, M. Biffi et TopFit ont introduit une demande devant la juridiction de renvoi tendant à ce qu’il soit admis à participer aux futurs championnats allemands d’athlétisme pour seniors et à pouvoir obtenir un classement à ces championnats. Ils font valoir qu’il remplit toutes les conditions requises par la DLV, notamment en matière de performances, hormis celle relative à la possession de la nationalité allemande.
17 La juridiction de renvoi se demande si une telle condition de nationalité constitue une discrimination illicite, contraire aux règles du traité.
18 Elle expose que, selon la DLV, le règlement d’athlétisme n’est pas contraire aux dispositions du traité, car la pratique sportive en question ne constituerait pas une activité économique et, ainsi, ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union.
19 Tout en soulignant que M. Biffi est un sportif senior qui, malgré des performances considérables, demeure un sportif amateur n’exerçant aucune activité économique lorsqu’il participe à des championnats, cette juridiction se demande si l’application du droit de l’Union dans le domaine du sport est toujours subordonnée à l’exercice d’une telle activité. Elle mentionne, à cet égard, que le droit de l’Union se réfère désormais de manière expresse au sport à l’article 165 TFUE et que le droit des
citoyens de l’Union de séjourner dans un autre État membre sans discrimination, tel qu’il ressort des articles 18, 20 et 21 TFUE, ne dépendrait pas de l’exercice d’une activité économique.
20 Tout en éprouvant un doute à ce sujet, ladite juridiction estime que la participation aux championnats sportifs d’un État membre de ressortissants d’autres États membres devrait en principe être admise. Des exceptions pourraient s’appliquer, notamment lorsqu’il est question de titres et de championnats nationaux, mais les restrictions devraient être proportionnées et ne devraient pas aller au-delà de ce qui est absolument nécessaire pour garantir la compétition sportive.
21 C’est dans ces conditions que l’Amtsgericht Darmstadt (tribunal de district de Darmstadt, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter les articles 18, 21 et 165 TFUE en ce sens qu’une disposition du règlement d’athlétisme d’une fédération d’un État membre qui assortit la participation à des championnats nationaux d’une condition de nationalité de cet État membre constitue une discrimination illicite ?
2) Convient-il d’interpréter les articles 18, 21 et 165 TFUE en ce sens qu’une fédération [sportive] d’un État membre opère à l’encontre des sportifs amateurs n’ayant pas la nationalité de cet État membre une discrimination illicite lorsqu’elle leur permet, certes, de participer à des championnats nationaux, mais que ce n’est que “hors classement” ou “sans classement” qu’elle les admet au départ et qu’elle ne leur permet pas de participer à des courses ou à des épreuves finales ?
3) Convient-il d’interpréter les articles 18, 21 et 165 TFUE en ce sens qu’une fédération [sportive] d’un État membre opère à l’encontre des sportifs amateurs n’ayant pas la nationalité de cet État membre une discrimination illicite en les excluant de l’attribution de titres nationaux ou du classement ? »
Sur la demande de réouverture de la procédure orale
22 À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, la DLV a, par lettre du 20 mars 2019, demandé la réouverture de la phase orale de la procédure au motif que ces conclusions sont principalement fondées sur l’article 49 TFUE, alors que les questions posées portent uniquement sur les articles 18, 21 et 165 TFUE et que les parties n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer sur l’éventuelle incidence de cet article 49 TFUE sur l’issue du litige au principal.
23 À cet égard, l’article 83 du règlement de procédure de la Cour permet à la Cour, l’avocat général entendu, d’ordonner à tout moment la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties.
24 En l’espèce, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions qui lui sont posées et que l’affaire ne doit pas être tranchée sur la base d’un argument tiré de l’article 49 TFUE qui n’aurait pas été débattu entre les parties.
25 Partant, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur les questions préjudicielles
26 Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 18, 21 et 165 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’une fédération sportive nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, qui réside depuis de nombreuses années sur le territoire de l’État membre où est établie cette fédération où il pratique la course à
pied en amateur dans la catégorie senior ne peut pas participer aux championnats nationaux dans ces disciplines au même titre que les nationaux, en ce sens que, même s’il remplit toutes les conditions requises sauf celle de la nationalité, il ne peut participer à ces championnats que « hors classement » ou « sans classement », sans avoir accès à la finale et sans pouvoir obtenir le titre de champion national et qu’il peut même ne pas être admis à participer à ces championnats.
27 À cet égard, il convient de relever qu’un citoyen de l’Union, tel que M. Biffi, ressortissant italien qui s’est déplacé en Allemagne où il réside depuis 15 ans, a exercé son droit à la libre circulation, au sens de l’article 21 TFUE.
28 Conformément à une jurisprudence constante, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31).
29 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la situation d’un citoyen de l’Union qui a fait usage de sa liberté de circulation relève du champ d’application de l’article 18 TFUE, qui consacre le principe de non-discrimination en raison de la nationalité (arrêt du 13 novembre 2018, Raugevicius, C‑247/17, EU:C:2018:898, point 27).
30 Cet article a vocation à s’appliquer à un citoyen de l’Union qui, à l’instar de M. Biffi, réside dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, dans lequel il entend participer à des compétitions sportives en tant qu’amateur.
31 En outre, la Cour a déjà jugé que le droit de l’Union garantit à tout ressortissant d’un État membre tant la liberté de se rendre dans un autre État membre pour y exercer une activité salariée ou non salariée que celle d’y résider après y avoir exercé une telle activité et que l’accès aux activités de loisirs offertes dans cet État constitue le corollaire de la liberté de circulation (arrêt du 7 mars 1996, Commission/France, C‑334/94, EU:C:1996:90, point 21).
32 La Cour a également jugé que les droits conférés à un citoyen de l’Union par l’article 21, paragraphe 1, TFUE tendent, notamment, à favoriser l’intégration progressive du citoyen de l’Union concerné dans la société de l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, Lounes, C‑165/16, EU:C:2017:862, point 56).
33 De plus, l’article 165 TFUE reflète l’importance sociale considérable du sport dans l’Union, notamment du sport amateur, laquelle avait été mise en avant dans la déclaration no 29 relative au sport figurant à l’annexe de l’acte final de la conférence ayant arrêté le texte du traité d’Amsterdam (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, point 106, ainsi que du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C‑176/96, EU:C:2000:201, point 33), et le rôle du sport
comme facteur d’intégration dans la société de l’État membre d’accueil.
34 Il résulte donc d’une lecture combinée de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 165 TFUE que la pratique d’un sport amateur, notamment au sein d’un club sportif, permet au citoyen de l’Union qui réside dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité de créer des liens avec la société de l’État dans lequel il s’est déplacé et réside ou de consolider ceux-ci. Cela vaut également en ce qui concerne la participation à des compétitions sportives de tout niveau.
35 Il s’ensuit qu’un citoyen de l’Union, tel que M. Biffi, peut légitimement se prévaloir des articles 18 et 21 TFUE dans le cadre de sa pratique d’un sport amateur en compétition dans la société de l’État membre d’accueil.
36 La question se pose néanmoins de savoir si les règles des fédérations nationales sportives sont soumises aux règles du traité au même titre que les règles d’origine étatique.
37 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le respect des libertés fondamentales et l’interdiction de la discrimination sur le fondement de la nationalité prévus par le traité s’imposent aussi aux réglementations de nature non publique qui visent à régler de façon collective le travail salarié et les prestations de services (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, EU:C:1974:140, point 17 ; du 15 décembre 1995, Bosman,
C‑415/93, EU:C:1995:463, point 82 ; du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C‑341/05, EU:C:2007:809, point 98, ainsi que du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais, C‑325/08, EU:C:2010:143, point 30).
38 La Cour a ainsi jugé que l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et à la libre prestation des services, objectif fondamental de la Communauté européenne, énoncé à l’article 3, sous c), du traité CEE (abrogé par le traité de Lisbonne), remplacé en substance par les articles 3 à 6 TFUE, serait compromise si l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l’exercice de leur autonomie juridique par des
associations ou des organismes ne relevant pas du droit public (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, EU:C:1974:140, point 18).
39 Le principe consacré par cette jurisprudence de la Cour trouve également à s’appliquer lorsqu’un groupe ou une organisation exerce un certain pouvoir sur les particuliers et est en mesure de leur imposer des conditions qui nuisent à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2000, Ferlini, C‑411/98, EU:C:2000:530, point 50).
40 Il en résulte que les règles d’une fédération sportive nationale, telle que celles en cause au principal, qui régissent l’accès des citoyens de l’Union aux compétitions sportives, sont soumises aux règles du traité, notamment aux articles 18 et 21 TFUE.
41 Il convient dès lors d’examiner si de telles règles sont conformes à ces articles.
42 La juridiction de renvoi expose, à cet égard, qu’un citoyen de l’Union tel que M. Biffi est traité différemment d’un national depuis le changement du règlement d’athlétisme introduit par la DLV le 17 juin 2016.
43 Selon cette juridiction, un tel citoyen, même s’il remplit les conditions relatives aux performances sportives requises et s’il dispose d’un droit de participation à des épreuves sportives au titre d’un club affilié à la fédération d’athlétisme nationale depuis au moins un an, peut, en raison de sa nationalité, se voir refuser la participation à un championnat national amateur de course à pied sur de courtes distances en catégorie senior ou n’être que partiellement admis à y participer.
44 Il convient de relever qu’une telle différence de traitement est susceptible de créer une restriction à la liberté de circulation de ce citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, Raugevicius, C‑247/17, EU:C:2018:898, point 28).
45 Il ressort, en l’occurrence, de la décision de renvoi qu’un sportif amateur tel que M. Biffi n’a pas accès aux championnats nationaux organisés par la DLV dans la catégorie senior dans les mêmes conditions que les ressortissants allemands, bien que ces championnats fassent partie des compétitions les plus importantes à l’échelon national. Lorsqu’il est autorisé à participer à ces championnats, il ne peut désormais prendre part qu’aux tours qualificatifs sans classement et donc sans accès à la
finale ou qu’aux épreuves contre la montre, mais hors classement.
46 Une réglementation telle que celle en cause au principal peut également conduire, ainsi que l’exposent TopFit et M. Biffi dans leurs observations écrites, à ce que les athlètes ressortissants d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne soient moins bien soutenus par les clubs sportifs auxquels ils sont rattachés que les athlètes nationaux, car ces clubs auront moins d’intérêt à investir dans un athlète qui n’a pas vocation à participer aux championnats nationaux. Dans ce cas,
les athlètes ressortissants d’autres États membres, tels que M. Biffi, pourraient moins bien s’intégrer dans leur club sportif de rattachement et, par conséquent, dans la société de leur État membre de résidence.
47 Il y a lieu de constater que de tels effets sont susceptibles de rendre moins attrayant l’exercice du sport amateur par les citoyens de l’Union et constituent, partant, une restriction à la liberté de circulation de ces derniers au sens de l’article 21 TFUE.
48 Or, une restriction à la liberté de circulation des citoyens de l’Union ne peut être justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, Raugevicius, C‑247/17, EU:C:2018:898, point 31).
49 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le domaine du sport, la Cour a itérativement jugé que les dispositions du droit de l’Union en matière de libre circulation des personnes et des services ne s’opposent pas à des réglementations ou à des pratiques justifiées par des motifs tenant au caractère et au cadre spécifiques de certaines rencontres sportives, telles que des matchs entre équipes nationales de différents pays. Toutefois, cette restriction du champ d’application des dispositions
en cause doit rester limitée à son objectif propre et ne peut être invoquée pour exclure toute une activité sportive du champ d’application du traité (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, points 76 et 127).
50 Or, dès lors que, à première vue, l’attribution du titre de champion national dans une certaine discipline sportive ne couvre pas toutes les compétitions se déroulant au niveau national dans cette discipline, cette attribution a un effet limité sur la pratique de la discipline sportive en cause. Par ailleurs, à l’instar de ce qui a été jugé au sujet de la composition des équipes nationales, il apparaît légitime de réserver l’attribution du titre de champion national dans une certaine discipline
sportive à un ressortissant national, cet élément national pouvant être considéré comme une caractéristique même du titre de champion national. Toutefois, il importe que les restrictions qui découlent de la poursuite dudit objectif soient conformes au principe de proportionnalité.
51 En l’espèce, la DLV estime, de manière générale, que, en tant que fédération sportive, elle jouit d’une autonomie dans l’établissement de ses règles et que le public s’attend à ce que le champion national d’un État soit un ressortissant de cet État. Cette fédération fait valoir, par ailleurs, deux explications spécifiques visant à justifier sa réglementation. Premièrement, la désignation du champion national et des deuxième et troisième meilleurs athlètes nationaux servirait à sélectionner les
athlètes qui représenteront leur pays aux championnats internationaux tels que les championnats d’Europe, en l’occurrence sous l’abréviation « GER » qui renvoie au mot « Germany », c’est-à-dire l’Allemagne. Deuxièmement, la DLV indique qu’il n’est pas possible de distinguer selon les catégories d’âge et de prévoir une dérogation pour les seniors par rapport aux jeunes de moins de 20 ans et à ceux de la catégorie « élite ».
52 S’agissant, tout d’abord, de l’affirmation selon laquelle les fédérations sportives sont libres d’établir leurs règles, il convient de rappeler, ainsi qu’il a déjà été exposé au point 40 du présent arrêt, que l’autonomie dont disposent ces associations privées pour adopter des réglementations sportives ne saurait les autoriser à limiter l’exercice des droits conférés par le traité aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, point 81).
53 Il convient de souligner que le fait qu’une règle soit purement sportive n’implique pas qu’elle soit exclue d’emblée du champ d’application du traité (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C‑519/04 P, EU:C:2006:492, point 33).
54 Par conséquent, l’argument selon lequel le public s’attend à ce que le champion national d’un pays ait la nationalité de ce pays ne justifie pas n’importe quelle restriction à la participation des non-nationaux aux championnats nationaux.
55 Il convient dès lors, encore, d’examiner les justifications spécifiques invoquées par la DLV.
56 S’agissant de la première de ces justifications, à savoir la désignation du champion national qui représentera son pays aux championnats internationaux, il ressort de l’audience devant la Cour que la DLV ne sélectionne pas elle-même les participants à des championnats internationaux de la catégorie senior, mais que les athlètes qui appartiennent à un club affilié à la DLV et qui remplissent les conditions de performance peuvent, quelle que soit leur nationalité, participer à ces championnats et
s’y inscrivent eux-mêmes. Ainsi, un ressortissant d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne peut devenir champion d’Europe senior de course à pied en concourant pour l’Allemagne. Selon les propres indications de la DLV, celle-ci ne sélectionne les meilleurs athlètes nationaux afin de participer à des championnats internationaux que dans la catégorie « élite ».
57 En ce qui concerne la seconde justification invoquée par la DLV, à savoir la nécessité d’adopter les mêmes règles pour toutes les catégories d’âge, il découle du point précédent qu’elle n’est pas étayée par les déclarations de la DLV sur le mécanisme de sélection des athlètes au niveau international, dont il ressort qu’il ne concernerait que la catégorie « élite ».
58 Ainsi, aucune des deux justifications avancées par la DLV n’apparaît fondée sur des considérations objectives.
59 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe d’autres justifications des règles de non-admission partielle des non-nationaux aux championnats nationaux.
60 À cet égard, il convient encore de rappeler que, s’il revient aux entités concernées, telles que les organisateurs des championnats ou les fédérations sportives, d’édicter les règles appropriées pour assurer le bon déroulement des compétitions (arrêt du 11 avril 2000, Deliège, C‑51/96 et C‑191/97, EU:C:2000:199, point 67), ces règles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C‑176/96,
EU:C:2000:201, point 56).
61 En ce qui concerne l’argument selon lequel il s’agit d’un sport individuel par élimination progressive, en l’occurrence la course à pied sur courtes distances qui se court sur huit couloirs, il y a lieu de constater que la présence d’un ou de plusieurs non-nationaux dans l’épreuve finale est susceptible d’empêcher un national de remporter le championnat et de faire obstacle à la désignation des meilleurs nationaux.
62 Toutefois, même dans le cadre de tels sports, la non-admission des non-nationaux à l’épreuve finale ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. À cet égard, il faut tenir compte du fait que, dans l’État membre en cause dans la présente affaire, cette exclusion n’a pas existé pendant des années pour la catégorie senior.
63 Il appartient à la juridiction nationale appelée à examiner l’existence d’éventuelles autres justifications d’effectuer cet examen en tenant compte de l’objectif découlant d’une lecture combinée des dispositions de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 165 TFUE d’ouvrir davantage les compétitions et de l’importance d’intégrer les résidents, surtout ceux de longue durée, comme en l’occurrence M. Biffi, dans l’État membre d’accueil.
64 S’agissant, ensuite, de la non-admission totale aux championnats nationaux, la DLV considère qu’elle ne se pose pas dans la présente affaire, dès lors que M. Biffi devrait pouvoir continuer à participer à ces championnats. Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que M. Biffi n’a pas été admis à participer à un championnat national en 2017. De plus, selon les précisions relatives au cadre réglementaire apportées par la DLV dans ses observations écrites, la participation des non-nationaux,
membres d’un club affilié à la DLV, étant subordonnée à une autorisation, une telle exclusion resterait possible.
65 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour qu’un tel régime d’autorisation préalable soit justifié au regard des articles 18 et 21 TFUE, il doit, en tout état de cause, être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation de la DLV afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire (voir en ce sens, notamment, arrêt du 20 février 2001, Analir e.a., C‑205/99, EU:C:2001:107, point 38).
66 Il convient, en outre, de relever que, dès lors qu’il existe un mécanisme relatif à la participation d’un athlète non-national à un championnat national, à tout le moins aux tours qualificatifs et/ou hors classement, la non-admission totale d’un tel athlète à ces championnats en raison de sa nationalité apparaît, en tout état de cause, disproportionnée.
67 Il y a lieu, par conséquent, de répondre aux questions posées que les articles 18, 21 et 165 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’une fédération sportive nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, qui réside depuis de nombreuses années sur le territoire de l’État membre où est établie cette fédération où il pratique la course à pied en amateur dans la catégorie
senior, ne peut pas participer aux championnats nationaux dans ces disciplines au même titre que les nationaux ou ne peut y participer que « hors classement » ou « sans classement », sans avoir accès à la finale et sans pouvoir obtenir le titre de champion national, à moins que cette réglementation ne soit justifiée par des considérations objectives et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
Les articles 18, 21 et 165 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’une fédération sportive nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un citoyen de l’Union européenne, ressortissant d’un autre État membre, qui réside depuis de nombreuses années sur le territoire de l’État membre où est établie cette fédération où il pratique la course à pied en amateur dans la catégorie senior, ne peut pas participer aux championnats nationaux
dans ces disciplines au même titre que les nationaux ou ne peut y participer que « hors classement » ou « sans classement », sans avoir accès à la finale et sans pouvoir obtenir le titre de champion national, à moins que cette réglementation ne soit justifiée par des considérations objectives et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.