ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
15 mai 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) –Directive 2006/112/CE – Article 135, paragraphe 1, sous b) – Livraison de biens – Exonérations en faveur d’autres activités – Octroi et négociation de crédits – Cartes de carburant »
Dans l’affaire C‑235/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 23 novembre 2017, parvenue à la Cour le 28 mars 2018, dans la procédure
Vega International Car Transport and Logistic – Trading GmbH
contre
Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. C. G. Fernlund et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Vega International Car Transport and Logistic – Trading GmbH, par Mme J. Pomorska-Porębska, conseillère fiscale,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. R. Lyal et Mme J. Hottiaux, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vega International Car Transport and Logistic – Trading GmbH ayant son siège en Autriche (ci-après « Vega International ») au Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre fiscale de Varsovie, Pologne) au sujet du refus de ce dernier de rembourser à Vega International la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) relative à des opérations d’achat de carburant au moyen de cartes de carburant.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112 dispose :
« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
[...]
c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».
4 L’article 14, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :
« 1. Est considéré comme “livraison de biens” le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.
2. Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :
[...]
c) la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente. »
5 L’article 24, paragraphe 1, de ladite directive est ainsi libellé :
« Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens. »
6 Aux termes de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la même directive :
« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
b) l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés ».
Le droit polonais
7 La directive 2006/112 a été transposée en droit polonais par la ustawa o podatku od towaru i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2011, no 177, position 1054), telle que modifiée (ci-après la « loi sur la TVA »).
8 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, point 1, de la loi sur la TVA :
« [Sont soumises au prélèvement de la TVA] : la livraison de biens et la prestation de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire national. »
9 L’article 7, paragraphes 1 et 8, de cette loi prévoit :
« 1) Constitue une livraison de biens au sens de l’article 5, paragraphe 1, point 1, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien en tant que propriétaire […].
[...]
8) Lorsque plusieurs opérateurs procèdent à la livraison d’un même bien de telle sorte que le premier d’entre eux livre ce bien directement à l’acquéreur final, la livraison des biens est réputée avoir été effectuée par chacun des opérateurs ayant pris part à ces opérations. »
10 L’article 8, paragraphe 1, de ladite loi dispose :
« La prestation de services visée à l’article 5, paragraphe 1, point 1, s’entend de toute prestation effectuée en faveur d’une personne physique ou morale, ou d’une entité sans personnalité juridique, qui ne constitue pas une livraison de biens au sens de l’article 7 [...] »
11 L’article 43, paragraphe 1, point 38, de la même loi, qui transpose l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112, énonce :
« [Sont exonérés de la taxe] les services d’octroi de crédits et de prêts financiers et les services de courtage concernant l’octroi de crédits ou de prêts financiers, ainsi que la gestion de crédits ou de prêts financiers effectuée par l’entité octroyant ces crédits ou ces prêts. »
12 Aux termes de l’article 86, paragraphe 1, de la loi sur la TVA :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés aux fins d’opérations taxées, l’assujetti visé à l’article 15 bénéficie d’un droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable le montant de la taxe en amont [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 Il ressort de la décision de renvoi que Vega International exerce l’activité de transporteur de véhicules utilitaires de constructeurs connus, à partir de l’usine de fabrication à destination des clients. Ce service est assuré au moyen de plusieurs filiales de Vega International, ayant leurs sièges sociaux dans différents États membres, dont la filiale Vega Poland sp. z o.o., établie en Pologne.
14 Vega International organise et gère l’approvisionnement de toutes ses sociétés en cartes de carburant, émises par différents fournisseurs de carburant. Les véhicules transportés par Vega Poland sont ravitaillés moyennant des cartes de carburant personnelles, délivrées aux conducteurs. Pour des raisons d’organisation et compte tenu du montant des frais, toutes les opérations effectuées au moyen de cartes de carburant sont centralisées par la société mère en Autriche, qui reçoit de la part des
fournisseurs de carburant les factures établissant, notamment, l’achat de carburant avec TVA. Ensuite, à la fin de chaque mois, Vega International refacture à ses filiales, dont Vega Poland, le carburant mis à disposition aux fins de la fourniture du service de transport des véhicules avec majoration de 2 %. Ces filiales sont autorisées à compenser les factures relatives à l’utilisation des cartes de carburant avec des factures adressées à la société autrichienne ou à régler ces factures dans un
délai allant d’un à trois mois à compter de leur réception.
15 Par décision du 11 août 2014, le Naczelnik Drugiego Urzędu Skarbowego Warszawa-Śródmieście (directeur du deuxième centre des impôts Varsovie-Śródmieście, Pologne) a refusé à Vega International le remboursement de la TVA au titre de la période couvrant les mois d’avril à juin 2012, à raison d’un montant de 106031,44 zlotys polonais (PLN) (environ 24735,82 euros). Cette décision a été confirmée par le directeur de la chambre fiscale de Varsovie, par décision du 28 novembre 2014.
16 Vega International a formé un recours en annulation contre cette décision devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne). Par arrêt du 26 juin 2015, cette juridiction a considéré le recours de Vega International comme étant non fondé et l’a rejeté.
17 Vega International s’est ensuite pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne). Cette juridiction, à l’instar des autorités fiscales polonaises et de la juridiction de première instance, a envisagé la possibilité d’appliquer au cas d’espèce les principes posés par la Cour dans son arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), selon lequel un accord relatif à la gestion du carburant constituerait non pas
un contrat de livraison de carburant, mais plutôt un contrat de financement de l’achat de celui‑ci. En effet, selon l’appréciation de la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la société de leasing n’achèterait pas le carburant pour ensuite le revendre au preneur du véhicule en leasing, mais ce serait ce dernier qui choisirait librement tant la qualité et la quantité que la date de l’achat du carburant et disposerait ainsi de ce carburant comme s’il en était le propriétaire.
18 En l’occurrence, en application de cet arrêt, il y aurait lieu de considérer que Vega International n’effectue pas de « livraisons de biens », en l’espèce de carburant, au sens de l’article 7, paragraphe 8, de la loi sur la TVA, pour lesquelles la TVA peut être récupérée, mais fournit des prestations de service de financement à Vega Poland qui ne seraient pas imposables en Pologne en ce qu’elles sont exonérées de la TVA en vertu de l’article 43, paragraphe 1, point 38, de cette loi.
19 Toutefois, la juridiction de renvoi relève que l’arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), n’a pas été prononcé sur le fondement de la directive 2006/112, mais porte sur l’interprétation des dispositions anciennement en vigueur de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO
1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »).
20 Dans ces conditions, elle nourrit des doutes concernant l’interprétation, à la lumière dudit arrêt, de la nouvelle disposition figurant à l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112, qui fait référence à des opérations telles que l’octroi ou la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés. Se poserait ainsi la question de savoir si les opérations réalisées par Vega International en Autriche, relatives à la mise à disposition et
au règlement des cartes de carburant utilisées pour l’achat de carburant par les filiales dans le cadre du groupe, peuvent être considérées comme de telles opérations. Ces doutes seraient, en outre, accrus par les divergences jurisprudentielles au sein des juridictions nationales, qui se sont référées à ce précédent pour apprécier la nature des transactions conclues dans le cadre de la mise à disposition des cartes de carburant.
21 Par conséquent, la juridiction de renvoi estime que, afin de statuer sur le pourvoi en cassation formé par Vega International, il est nécessaire que la Cour procède elle-même à l’interprétation de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112.
22 Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les activités de mise à disposition de cartes de carburant ainsi que celles de négociation, de financement et de règlement de l’acquisition du carburant au moyen de ces cartes relèvent‑elles de la notion visée à l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la [directive 2006/112], ou bien ces opérations complexes peuvent‑elles être considérées comme des opérations en chaîne ayant pour objectif principal la livraison de carburant ? »
Sur la question préjudicielle
23 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la mise à disposition de cartes de carburant par une société mère à ses filiales, permettant à ces dernières un ravitaillement en carburant des véhicules dont elles assurent le transport, peut être qualifiée de service d’octroi de crédit exonéré de la TVA, au sens
de cette disposition, ou comme une opération complexe ayant pour objectif principal la livraison de carburant, et donc la livraison d’un bien, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, pour laquelle la TVA versée en Pologne peut être récupérée.
24 À titre liminaire, il convient de relever que les dispositions de la directive 2006/112, pertinentes dans le cadre de l’affaire au principal, sont, en substance, identiques aux dispositions équivalentes de la sixième directive. Dans ces conditions, la jurisprudence relative auxdites dispositions de la sixième directive reste pertinente pour interpréter les dispositions correspondantes de la directive 2006/112 (voir, notamment, arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 27).
25 Afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il importe de rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112, sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
26 En vertu de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, est en principe considéré comme une livraison de biens le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.
27 À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, la notion de « livraison de biens », visée à l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive et à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112, ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais elle inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien (arrêts du
8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C‑320/88, EU:C:1990:61, point 7 ; du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping, C‑435/03, EU:C:2005:464, point 35 ; du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, EU:C:2006:121, point 51 ; du 3 juin 2010, De Fruytier, C‑237/09, EU:C:2010:316, point 24, ainsi que du 18 juillet 2013, Evita-K, C‑78/12, EU:C:2013:486, point 33).
28 La Cour a également jugé que ladite notion a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans qu’il existe une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti en cause ou encore de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que cet assujetti intervenant dans la même chaîne de livraisons (arrêt du 21 novembre 2013, Dixons Retail, C‑494/12, EU:C:2013:758,
point 21 et jurisprudence citée).
29 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la mise à disposition par Vega International de cartes de carburant à ses filiales, dont Vega Poland, permet à ces filiales notamment l’approvisionnement en carburant auprès des stations pétrolières. Ces dernières adressent ensuite directement à Vega International les factures établissant l’achat de carburant avec TVA, laquelle a fait l’objet d’une demande de remboursement adressée par Vega International à l’administration fiscale
polonaise.
30 Dans ces conditions, pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il y a lieu d’examiner si, dans l’affaire au principal, les sociétés pétrolières ont effectivement transféré à Vega International ou à Vega Poland le pouvoir de disposer du carburant comme un propriétaire (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C‑185/01, EU:C:2003:73, point 33).
31 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73), la Cour a analysé si, dans le cadre d’un contrat de leasing d’un véhicule automobile, il y a une livraison de biens, en l’occurrence de carburant, de la part des sociétés pétrolières à une société de leasing lorsque le preneur du leasing ravitaille son véhicule en carburant au nom et pour le compte de ladite société, laquelle sollicite ensuite auprès des autorités fiscales
nationales le remboursement de la TVA perçue sur ce carburant.
32 Dans cet arrêt, la Cour a considéré qu’il est constant que c’est bien le preneur de véhicule en leasing qui est habilité à disposer du carburant comme s’il était le propriétaire de ce bien, car il obtient directement le carburant à des postes d’essence et le donneur de leasing n’a à aucun moment le pouvoir de décider ni la manière dont le carburant doit être utilisé ni les finalités de cette utilisation (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C‑185/01, EU:C:2003:73,
point 34).
33 En outre, selon la Cour, dans un tel cas de figure, les livraisons n’ont été effectuées aux frais de la société de leasing qu’en apparence. En effet, d’une part, les mensualités versées à celle-ci ne représentent qu’une avance, d’autre part, la consommation réelle, établie à la fin de l’année, est assurée financièrement par le preneur de véhicule en leasing, lequel, par conséquent, supporte intégralement les coûts de la livraison de carburant (arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland,
C‑185/01, EU:C:2003:73, point 35).
34 La Cour en a conclu que l’accord relatif à la gestion de carburant signé entre la société de leasing et le preneur du leasing n’est pas un contrat de livraison d’un bien, en l’occurrence de carburant, à l’égard de la société de leasing, mais constitue plutôt un contrat de financement de l’achat de celui-ci. En effet, selon la Cour, la société de leasing n’achète pas le carburant pour le revendre par la suite au preneur de véhicule en leasing, mais ce dernier achète le carburant, en choisissant
librement sa qualité et sa quantité, ainsi que la date de l’achat. De ce fait, la société de leasing exerce, en réalité, des fonctions de fournisseur de crédit à l’égard du preneur de véhicule en leasing (arrêt du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C‑185/01, EU:C:2003:73, point 36).
35 En vertu de la jurisprudence rappelée, au point 24 du présent arrêt, les considérations qui précédent, développées par la Cour au regard de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, sont transposables aux circonstances de la présente affaire s’agissant de l’interprétation de la notion de « livraison de biens », au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112.
36 En particulier, il convient de constater que, en l’occurrence, Vega International ne dispose pas du carburant au sujet de l’achat duquel elle sollicite le remboursement de la TVA comme si elle en était propriétaire. En effet, ce carburant est acheté par Vega Poland directement chez les fournisseurs et à sa seule discrétion. De ce fait, Vega Poland décide, notamment, des modalités d’achat du carburant dans la mesure où elle peut choisir auprès de quelle station de service, parmi celles des
fournisseurs indiqués par Vega International, effectuer le ravitaillement en carburant et décider librement la qualité, la quantité, le type de carburant ainsi que le moment de l’achat et la manière de l’utiliser (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Wojskowa Agencja Mieszkaniowa w Warszawie, C‑42/14, EU:C:2015:229, point 26).
37 En outre, il est constant que Vega Poland supporte également la totalité des coûts liés à un tel ravitaillement dans la mesure où Vega International lui refacture ce carburant. Ensuite, la filiale polonaise peut soit compenser les factures relatives à l’utilisation des cartes de carburant avec des factures adressées à la société autrichienne, soit régler directement ces factures dans un délai d’un à trois mois à compter de leur réception.
38 Dans ces conditions, ainsi que le soutiennent le gouvernement polonais et la Commission européenne, il n’y a pas lieu de considérer que, dans l’affaire au principal, la livraison de carburant est effectuée à Vega International et que cette dernière revend ensuite ce bien à Vega Poland en effectuant donc, à son tour, une livraison de carburant à celle-ci. En revanche, comme le souligne la Commission, il convient de relever que Vega International se limite à mettre à la disposition de sa filiale
polonaise, au moyen de cartes de carburant, un simple instrument lui permettant d’acheter ce carburant, ne jouant ainsi qu’un rôle d’intermédiaire dans le cadre de l’opération d’acquisition de ce bien.
39 Par conséquent, en l’absence de livraison d’un bien, à savoir de carburant, dans l’affaire au principal, à l’égard de Vega International, cette dernière ne saurait prétendre au remboursement de la TVA, payée sur les factures qui lui sont adressées, relative au ravitaillement en carburant effectué par Vega Poland auprès des stations pétrolières.
40 Cela étant, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112, toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens doit être considérée comme étant une « prestation de services ».
41 Or, il est constant que l’opération réalisée par Vega International à l’égard de sa filiale polonaise, consistant en la mise à disposition de cartes de carburant aux fins notamment du ravitaillement en carburant des véhicules dont cette dernière assure le transport, ne constitue pas une « livraison de biens », au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112. Par conséquent, elle constitue une « prestation de service », au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la même directive.
42 Ainsi, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a encore lieu de vérifier si une telle prestation de services peut être qualifiée de service d’octroi de crédit exonéré de la TVA, au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112.
43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les opérations exonérées en vertu de cette disposition sont définies en fonction de la nature des prestations de services fournies et non en fonction du prestataire ou du destinataire du service de telle sorte que l’application de ces exonérations ne dépend pas du statut de l’entité qui fournit ces services (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2006, Abbey National, C‑169/04, EU:C:2006:289, point 66, et du 21 juin 2007, Ludwig, C‑453/05, EU:C:2007:369,
point 25).
44 S’agissant, en particulier, de l’expression « octroi et négociation de crédits », figurant à ladite disposition, celle-ci doit être interprétée largement de sorte que sa portée ne saurait être limitée aux seuls prêts et crédits octroyés par des organismes bancaires et financiers [voir, en ce sens, arrêts du27 octobre 1993, Muys’ en De Winter’s Bouw- en Aannemingsbedrijf, C‑281/91, EU:C:1993:855, point 13 ; du 22 octobre 2015, Hedqvist, C‑264/14, EU:C:2015:718, point 37, et du 18 octobre 2018,
Volkswagen Financial Services (UK), C‑153/17, EU:C:2018:845, point 35].
45 Cette interprétation est corroborée par la finalité du système commun, instauré par la directive 2006/112, qui tend, notamment, à garantir aux assujettis une égalité de traitement (voir, notamment, arrêt du 27 octobre 1993, Muys’ en De Winter’s Bouw- en Aannemingsbedrijf, C‑281/91, EU:C:1993:855, point 14).
46 Par conséquent, l’interprétation selon laquelle l’octroi du financement d’un achat par une banque serait exonéré de TVA, alors que le financement du même achat par un opérateur économique, n’ayant pas le statut particulier d’entité du secteur financier ou bancaire, serait soumis à la TVA, violerait l’un des principes fondamentaux du système commun de TVA, à savoir l’égalité de traitement des assujettis.
47 En l’occurrence, ainsi qu’il a été rappelé au point 14 du présent arrêt, il est constant que toutes les opérations effectuées au moyen de cartes de carburant mises à disposition par Vega International à ses filiales, dont Vega Poland, sont centralisées par la société mère en Autriche, qui reçoit de la part des fournisseurs de carburant les factures établissant, notamment, l’achat de carburant avec TVA. Ensuite, à la fin de chaque mois, Vega International refacture à ses filiales le carburant mis
à disposition aux fins de la fourniture du service de transport des véhicules avec une majoration de 2 %. Finalement, il appartient à ses filiales soit de compenser les factures relatives à l’utilisation des cartes de carburant avec des factures adressées à la société autrichienne, soit de régler ces factures dans un délai d’un à trois mois à compter de leur réception.
48 Or, il y a lieu de considérer que, en appliquant cette majoration de 2 % à l’égard de Vega Poland, Vega International perçoit une rétribution pour la prestation de service fournie à sa filiale polonaise. Vega International fournit ainsi un service financier à Vega Poland en finançant à l’avance l’achat du carburant et agit donc, à cet effet, à l’instar d’une institution financière ou de crédit ordinaire.
49 Dans ces conditions, il convient de constater que la mise à disposition, par Vega International, de cartes de carburant au profit de Vega Poland constitue une véritable opération financière qui s’apparente, plus précisément, à l’octroi d’un crédit, au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112 [voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Volkswagen Financial Services (UK), C‑153/17, EU:C:2018:845, point 36].
50 Il s’ensuit que des services tels que ceux fournis par Vega International au profit de Vega Poland peuvent bénéficier de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112.
51 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la mise à disposition de cartes de carburant par une société mère à ses filiales, permettant à ces dernières le ravitaillement en carburant des véhicules dont elles assurent le transport, peut être qualifiée de service d’octroi de crédit exonéré de la
TVA, au sens de cette disposition.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 135, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la mise à disposition de cartes de carburant par une société mère à ses filiales, permettant à ces dernières le ravitaillement en carburant des véhicules dont elles assurent le transport, peut être qualifiée de service d’octroi de crédit
exonéré de la taxe sur la valeur ajoutée, au sens de cette disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.