ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
8 mai 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune – Soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (CE) no 1698/2005 – Applicabilité ratione temporis – Article 72 – Pérennité des opérations relatives à des investissements – Modification importante de l’opération d’investissement cofinancée – Objet acquis grâce à une opération d’investissement cofinancée par le Feader et mis en location par le bénéficiaire de la subvention auprès d’un
tiers – Financement, gestion et suivi de la politique agricole commune – Règlement (CE) no 1306/2013 – Articles 54 et 56 – Obligation pour les États membres de procéder au recouvrement des paiements indus résultant d’irrégularités ou de négligences – Notion d’“irrégularité” – Engagement de la procédure de recouvrement »
Dans l’affaire C‑580/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), par décision du 27 septembre 2017, parvenue à la Cour le 4 octobre 2017, dans la procédure
Mittetulundusühing Järvelaev
contre
Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet (PRIA),
LA COUR (dixième chambre)
composée de M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de président de la dixième chambre, MM. F. Biltgen et E. Levits (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Wathelet,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mmes J. Aquilina et E. Randvere, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 72 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1), de l’article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO 2005, L 209, p. 1), de l’article 71, paragraphe 1, du règlement (UE)
no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires
maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320), ainsi que de l’article 56 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Mittetulundusühing Järvelaev (ci-après « Järvelaev ») au Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet (Office d’information et des registres agricoles, Estonie) (ci-après le « PRIA »), au sujet du recouvrement de sommes versées à la première dans le cadre d’une opération cofinancée par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) au titre de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 1698/2005
3 Aux termes des considérants 61 et 62 du règlement no 1698/2005 :
« (61) Il convient, conformément au principe de subsidiarité, que, sous réserve d’exceptions, les règles nationales pertinentes régissent l’éligibilité des dépenses.
(62) Pour assurer l’efficacité, l’équité et l’effet durable de l’aide accordée au titre du Feader, il convient de prévoir des dispositions garantissant la pérennité des opérations liées à des investissements et permettant d’éviter l’usage du Feader à des fins de concurrence déloyale. »
4 Selon l’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions » :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
h) bénéficiaire : opérateur, organisme ou entreprise, public ou privé, chargé de la mise en œuvre des opérations ou destinataire de l’aide ;
[...] »
5 L’article 71 dudit règlement, intitulé « Éligibilité des dépenses », énonce, à son paragraphe 3, premier alinéa :
« Les règles d’éligibilité des dépenses sont fixées au niveau national, sous réserve des conditions particulières établies au titre du présent règlement pour certaines mesures de développement rural. »
6 L’article 72 du même règlement, intitulé « Pérennité des opérations relatives à des investissements », prévoit :
« 1. Sans préjudice des règles relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services au sens des articles 43 à 49 du traité, l’État membre veille à ce que la participation du Feader ne reste acquise à une opération d’investissement cofinancée que si cette opération ne connaît pas, dans un délai de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion, de modification importante :
a) affectant sa nature ou ses conditions de mise en œuvre ou procurant un avantage indu à une entreprise ou à une collectivité publique ;
b) résultant soit d’un changement dans la nature de la propriété d’une infrastructure, soit de l’arrêt ou d’une délocalisation d’une activité productive.
2. Les sommes indûment versées sont recouvrées conformément à l’article 33 du règlement [no 1290/2005]. »
7 Aux termes de l’article 74 du règlement no 1698/2005, intitulé « Responsabilités des États membres » :
« 1. Les États membres prennent toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement [no 1290/2005] pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de la Communauté.
2. Les États membres désignent, pour chaque programme de développement rural, les autorités suivantes :
a) l’autorité de gestion, qui peut être un organisme public ou privé, national ou régional, ou l’État membre exerçant lui-même cette fonction, et qui est chargée de la gestion du programme concerné ;
b) l’organisme payeur au sens de l’article 6 du règlement [no 1290/2005] ;
c) l’organisme de certification au sens de l’article 7 du règlement [no 1290/2005].
[...] »
Le règlement no 1290/2005
8 L’article 33 du règlement no 1290/2005 dispose :
« 1. Les États membres effectuent les redressements financiers résultant des irrégularités et négligences détectées dans les opérations ou les programmes de développement rural par la suppression totale ou partielle du financement communautaire concerné. Les États membres prennent en considération la nature et la gravité des irrégularités constatées, ainsi que le niveau de la perte financière pour le [Feader].
2. Lorsque les fonds communautaires ont déjà fait l’objet d’un paiement au bénéficiaire, ils sont récupérés par l’organisme payeur agréé selon ses propres procédures de recouvrement et réutilisés conformément au paragraphe 3, point c).
[...]
10. Lorsque la Commission effectue un redressement financier, celui-ci ne porte pas atteinte aux obligations de l’État membre de recouvrer les sommes payées au titre de sa propre participation financière, en vertu de l’article 14 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE [(JO 1999, L 83, p. 1)]. »
Le règlement (CE) no 1974/2006
9 L’article 48, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement no 1698/2005 (JO 2006, L 368, p. 15), dispose :
« Aux fins de l’article 74, paragraphe 1, du règlement [no 1698/2005], les États membres veillent à ce que toutes les mesures de développement rural qu’ils entendent mettre en œuvre puissent faire l’objet de contrôles et de vérifications. Ils élaborent à cet effet des dispositions en matière de contrôles leur permettant de s’assurer de façon satisfaisante du respect des critères d’admissibilité et autres engagements. »
Le règlement no 1303/2013
10 L’article 71 du règlement no 1303/2013, intitulé « Pérennité des opérations », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Une opération comprenant un investissement dans une infrastructure ou un investissement productif rembourse la contribution des [Fonds structurels et d’investissement européens] si, dans les cinq ans à compter du paiement final au bénéficiaire ou dans la période fixée dans les règles applicables aux aides d’État, selon le cas, elle subit l’un des événements suivants :
a) l’arrêt ou la délocalisation d’une activité productive en dehors de la zone couverte par le programme ;
b) un changement de propriété d’une infrastructure qui procure à une entreprise ou à un organisme public un avantage indu ;
c) un changement substantiel affectant sa nature, ses objectifs ou ses conditions de mise en œuvre, ce qui porterait atteinte à ses objectifs initiaux.
Les sommes indûment versées en faveur de l’opération sont recouvrées par l’État membre au prorata de la période pendant laquelle il n’a pas été satisfait aux exigences.
Les États membres peuvent réduire le délai établi au premier alinéa à trois ans dans les cas concernant le maintien d’investissements ou d’emplois créés par des PME. »
11 L’article 152 de ce règlement, intitulé « Dispositions transitoires », énonce, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement n’affecte ni la poursuite ni la modification, y compris la suppression totale ou partielle, d’une intervention approuvée par la Commission sur la base du règlement (CE) no 1083/2006 [du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25),] ou de tout autre instrument législatif applicable à cette
intervention au 31 décembre 2013. Ledit règlement, ou une autre législation applicable, doit continuer à s’appliquer après le 31 décembre 2013 à ladite intervention ou aux opérations concernées jusqu’à leur achèvement. Aux fins du présent paragraphe, l’assistance couvre les programmes opérationnels et les grands projets. »
Le règlement (UE) no 1305/2013
12 Aux termes de l’article 88 du règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement no 1698/2005 (JO 2013, L 347, L 487) :
« Le règlement [no 1698/2005] est abrogé.
Le règlement [no 1698/2005] continue à s’appliquer aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la Commission approuve en vertu dudit règlement avant le 1er janvier 2014. »
Le règlement no 1306/2013
13 L’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 prévoit :
« Pour tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement, d’un rapport de contrôle ou document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité. Parallèlement à la demande de recouvrement, les montants correspondants sont inscrits au grand livre des débiteurs de l’organisme
payeur. »
14 L’article 56, premier alinéa, de ce règlement dispose :
« Les États membres effectuent les redressements financiers résultant des irrégularités ou des négligences détectées dans les opérations ou les programmes de développement rural par la suppression totale ou partielle du financement de l’Union concerné. Les États membres prennent en considération la nature et la gravité des irrégularités constatées, ainsi que le niveau de la perte financière pour le Feader. »
15 Aux termes de l’article 119 dudit règlement :
« 1. Les règlements (CEE) no 352/78 [du Conseil, du 20 février 1978, concernant l’attribution des cautions, cautionnements ou garanties constitués dans le cadre de la politique agricole commune et restant acquis (JO 1978, L 50, p. 1)], (CE) no 165/94 [du Conseil, du 24 janvier 1994, concernant le cofinancement par la Communauté des contrôles par télédétection, et modifiant le règlement (CEE) no 3508/92 établissant un système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides
communautaires (JO 1994, L 24, p. 6)], (CE) no 2799/98 [du Conseil, du 15 décembre 1998, établissant le régime agrimonétaire de l’euro (JO 1998, L 349, p. 1)], (CE) no 814/2000 [du Conseil, du 17 avril 2000, relatif aux actions d’information dans le domaine de la politique agricole commune (JO 2000, L 100, p. 7)], [no 1290/2005] et (CE) no 485/2008 [du Conseil, du 26 mai 2008, relatif aux contrôles, par les États membres, des opérations faisant partie du système de financement par le Fonds
européen agricole de garantie (JO 2008, L 143, p. 1),] sont abrogés.
Toutefois, l’article 31 du règlement [no 1290/2005] et les règles de mise en œuvre correspondantes continuent de s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2014.
2. Les références faites aux règlements abrogés s’entendent comme faites au présent règlement et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe III. »
16 Selon l’article 121 du règlement no 1306/2013 :
« 1. Le présent règlement entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Il est applicable à partir du 1er janvier 2014.
2. Toutefois, en ce qui concerne les dispositions suivantes :
a) les articles 7, 8, 16, 25, 26 et 43 s’appliquent à partir du 16 octobre 2013 ;
b) les articles 18 et 40 s’appliquent aux dépenses effectuées à partir du 16 octobre 2013 ;
c) l’article 52 s’applique à partir du 1er janvier 2015. »
17 Il résulte des dispositions combinées de l’article 119, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 et du tableau de correspondance figurant à l’annexe III de celui-ci que les références faites à l’article 33 du règlement no 1290/2005 s’entendent comme étant faites aux articles 54 et 56 du règlement no 1306/2013.
Le droit estonien
18 L’article 111, paragraphe 1, de l’Euroopa Liidu ühise põllumajanduspoliitika rakendamise seadus (loi relative à la mise en œuvre de la politique agricole commune de l’Union européenne), du 19 novembre 2014 (RT I 2014, 3), énonce :
« Si, après le versement de la subvention, il apparaît que la subvention a, en raison d’irrégularités ou de négligences, été versée de manière indue, et notamment si elle n’a pas été utilisée dans le sens prévu, le remboursement partiel ou total de la subvention est, pour les motifs et dans les délais prévus par les règlements [nos 1303/2013 et 1306/2013] et par les autres règlements pertinents de l’Union européenne, réclamé au bénéficiaire de la subvention et notamment au bénéficiaire de la
subvention qui a été choisi à l’issue d’une procédure de sélection. »
19 L’article 131 de ladite loi dispose :
« Les subventions accordées en vertu de la loi relative à la mise en œuvre de la politique agricole commune de l’Union européenne, qui était en vigueur avant le 1er janvier 2015, sont recouvrées sur le fondement de et selon la procédure prévue par la présente loi. »
20 L’article 35, paragraphe 2, du Põllumajandusministri määrus nr 92 – Leader-meetme raames antava kohaliku tegevusgrupi toetuse ja projektitoetuse saamise nõuded, toetuse taotlemise ja taotluse menetlemise täpsem kord (règlement no 92 du ministre de l’Agriculture portant conditions d’obtention d’une subvention du groupe d’action local accordée dans le cadre de la mesure « Leader » et d’une subvention de projet, modalités détaillées de la demande de subvention et de la procédure de demande »), du
27 septembre 2010 (RT I 2010, 71, 538, ci‑après le « règlement no 92 »), énonce :
« À compter de l’introduction de la demande de subvention de projet jusqu’à l’écoulement d’une période de cinq ans à compter du dernier versement de la subvention par le PRIA, le demandeur ou le bénéficiaire d’une subvention de projet informe immédiatement par écrit le PRIA et le groupe d’action local du changement de son adresse postale et de ses coordonnées et en vue d’obtenir l’accord du PRIA et du groupe d’action local concernant :
1) une modification liée à l’activité ou à l’objet de l’investissement. Si le PRIA ou le groupe d’action local l’estime nécessaire, il convient de produire notamment une nouvelle copie de l’offre de prix ou du calcul du coût supposé de l’activité projetée ;
2) un autre élément lié à l’obtention et à l’utilisation de la subvention de projet, en raison duquel les données exposées dans la demande ne sont plus complètes ou correctes ;
[...] »
21 L’article 36, paragraphe 3, point 1, dudit règlement prévoit :
« Le bénéficiaire d’une subvention de projet est tenu de conserver et d’utiliser, dans le sens prévu, l’objet acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet au moins pendant cinq ans à compter du versement de la dernière partie de la subvention par le PRIA. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
22 Järvelaev est une association à but non lucratif dont l’objet est la préservation des traditions de voile sur le lac Võrtsjärv (Estonie). Cette association a introduit une demande de subvention au titre des mesures relatives à l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005, en vue de l’acquisition d’un voilier de pêche traditionnel et de l’équipement y afférent.
23 Dans sa demande de subvention, Järvelaev exprimait également son intention, après l’acquisition du voilier en cause, de créer des emplois dans la région et d’engager un équipage, ainsi que d’informer le PRIA et le groupe d’action local de tout changement apporté à l’utilisation du voilier. Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, si la création de nouveaux emplois ne constituait pas une exigence réglementaire, elle était au nombre des critères utilisés pour classer par priorité les
demandes aux fins de l’obtention d’une subvention.
24 La subvention sollicitée a été accordée à Järvelaev par décision du directeur général du PRIA du 6 septembre 2011.
25 Lors d’un contrôle effectué le 4 décembre 2014 auprès de Järvelaev, le PRIA a constaté que celle-ci, par un contrat conclu le 1er juillet 2014, avait donné en location le voilier de pêche acquis grâce à la subvention à une autre association à but non lucratif, en l’occurrence la Mittetulundusühing Kaleselts (ci-après « Kaleselts »), pour une durée de cinq ans.
26 Dans ces circonstances, par décision du 27 janvier 2015, le PRIA a réclamé à Järvelaev le remboursement de la subvention effectivement versée, au motif que celle-ci n’avait pas été utilisée dans le sens prévu et conformément à l’objectif visé. Le PRIA a en particulier relevé que l’article 36, paragraphe 3, point 1, du règlement no 92 faisait obligation à Järvelaev, au moins pendant cinq ans à compter du versement de la dernière partie de la subvention, de conserver et d’utiliser l’objet acquis au
titre de l’opération d’investissement cofinancée.
27 La réclamation introduite par Järvelaev contre cette décision a été rejetée par une décision du PRIA du 14 avril 2015.
28 Järvelaev a saisi le Tartu Halduskohus (tribunal administratif de Tartu, Estonie) d’un recours en annulation de la décision du PRIA du 27 janvier 2015. Järvelaev a fait valoir, d’une part, que la législation nationale n’imposait pas au bénéficiaire d’une subvention une utilisation exclusivement personnelle de l’objet financé et, d’autre part, que l’objectif de création d’emplois, spécifié dans la demande de subvention, était secondaire par rapport à l’objectif principal, à savoir l’utilisation du
voilier dans le but de développer et de commercialiser des services liés au tourisme rural, de telle sorte que le premier de ces objectifs n’avait pas nécessairement à être réalisé. Järvelaev a également souligné que, ayant eu des difficultés à recruter elle-même des employés, le fait de donner en location le voilier de pêche à une autre association constituait la garantie que celui-ci soit utilisé dans le sens prévu par le contrat de subvention, tout en satisfaisant aux exigences du règlement
no 92.
29 Le 11 janvier 2016, le Tartu Halduskohus (tribunal administratif de Tartu) a rejeté le recours, en expliquant que l’écart existant entre les engagements de Järvelaev contenus dans la demande de subvention et l’utilisation effective du voilier de pêche justifiait que le PRIA procède au recouvrement des sommes versées au titre de la subvention.
30 Järvelaev a interjeté appel devant la Tartu Ringkonnakohus (cour d’appel de Tartu, Estonie). Devant cette juridiction, Järvelaev a produit, à titre de preuves complémentaires, trois contrats de travail conclus au cours de la procédure d’appel et a fait observer que l’objectif secondaire du projet, à savoir la création d’emplois, pouvait être réalisé pendant les cinq années de la durée de ce projet.
31 Le 20 octobre 2016, la Tartu Ringkonnakohus (cour d’appel de Tartu) a écarté ces preuves complémentaires, a rejeté l’appel et a confirmé la décision du Tartu Halduskohus (tribunal administratif de Tartu).
32 Järvelaev a introduit un pourvoi en cassation auprès de la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), en concluant à l’annulation des décisions du Tartu Halduskohus (tribunal administratif de Tartu) et de la Tartu Ringkonnakohus (cour d’appel de Tartu).
33 Après avoir fait observer qu’il n’est pas possible de déduire de manière certaine du libellé de l’article 36, paragraphe 3, point 1, du règlement no 92 que le bénéficiaire d’une subvention de projet doit personnellement utiliser l’objet acquis grâce à cette subvention, Järvelaev fait valoir que, en l’occurrence, il n’y a pas eu transfert de la détention exclusive du voilier de pêche au locataire et que c’est elle qui émettait des factures relatives à l’utilisation de ce voilier. En outre,
Järvelaev relève qu’elle n’avait pas l’obligation de créer des emplois et que la création de tels emplois, évoquée dans la demande de subvention, correspondait à la prévision des effets potentiels en cas d’acceptation de cette demande, et non à un engagement ferme.
34 Järvelaev souligne enfin que, au cours de la procédure judiciaire, elle a procédé à la résiliation du contrat de location du voilier.
35 Dans ces circonstances, la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) S’agissant du recouvrement d’une subvention de projet accordée dans le cadre d’une mesure “Leader”, si la subvention a été accordée le 6 septembre 2011, la dernière tranche versée le 19 novembre 2013, l’infraction constatée le 4 décembre 2014 et la décision de recouvrement adoptée le 27 janvier 2015, faut-il, concernant l’exigence relative à la pérennité de l’opération, appliquer l’article 72 du règlement [no 1698/2005] ou l’article 71, paragraphe 1, du règlement [no 1303/2013] ? Dans ces
circonstances, le recouvrement est-il fondé sur l’article 33, paragraphe 1, du règlement [no 1290/2005] ou sur l’article 56 du règlement [no 1306/2013] ?
2) a) Dans l’hypothèse où il est répondu à la première question qu’il convient d’appliquer le règlement no 1698/2005, faut-il considérer que le fait qu’une association sans but lucratif ayant reçu une subvention donne en location l’objet (un voilier), acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet, accordée dans le cadre d’une mesure “Leader”, à une autre association sans but lucratif, qui utilise le voilier pour la même activité que celle pour laquelle le bénéficiaire de
la subvention a reçu cette dernière, doit être considéré comme une modification importante au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005, affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre de l’investissement ou procurant un avantage indu à une entreprise ? En vue de remplir la condition relative à l’avantage indu, faut-il que l’organisme payeur de l’État membre constate en quoi l’avantage consistait concrètement ? S’il est répondu par l’affirmative,
l’avantage indu peut-il consister dans le fait que l’utilisateur réel de l’objet de l’investissement n’aurait pas bénéficié d’une subvention de projet s’il avait lui-même introduit une demande de même contenu ?
b) Dans l’hypothèse où il est répondu à la première question qu’il convient d’appliquer le règlement no 1303/2013, faut-il considérer que le fait qu’une association sans but lucratif ayant reçu une subvention donne en location l’objet (un voilier), acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet, accordée dans le cadre d’une mesure “Leader”, à une autre association sans but lucratif, qui utilise le voilier pour la même activité que celle pour laquelle le bénéficiaire de
la subvention a reçu cette dernière, doit être considéré comme un changement substantiel affectant la nature, les objectifs ou les conditions de mise en œuvre de l’investissement au sens de l’article 71, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1303/2013, qui porterait atteinte à ses objectifs initiaux ?
3) a) Dans l’hypothèse où il est répondu à la première question qu’il convient d’appliquer le règlement no 1698/2005, faut-il considérer que le fait que le bénéficiaire d’une subvention donne en location l’objet (un voilier), acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet, accordée dans le cadre d’une mesure “Leader”, à une autre association sans but lucratif, qui utilise le voilier pour la même activité que celle pour laquelle le bénéficiaire de la subvention a reçu
cette dernière, doit être considéré comme une modification importante au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1698/2005, résultant soit d’un changement dans la nature de la propriété d’une infrastructure, soit de l’arrêt ou de la délocalisation d’une activité productive, compte tenu du fait que le propriétaire du voilier est resté le même, alors que le bénéficiaire de la subvention est le détenteur indirect, et non plus direct, du voilier et qu’il perçoit un loyer et
non pas un revenu tiré de la prestation du service décrit dans la demande ?
b) Dans l’hypothèse où il est répondu à la première question qu’il convient d’appliquer le règlement no 1303/2013, faut-il considérer que le fait qu’une association sans but lucratif ayant reçu une subvention donne en location l’objet (un voilier), acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet, accordée dans le cadre d’une mesure “Leader”, à une autre association sans but lucratif, qui utilise le voilier pour la même activité que celle pour laquelle le bénéficiaire de
la subvention a reçu cette dernière, doit être considéré comme un changement de propriété d’une infrastructure qui procure à une entreprise un avantage indu au sens de l’article 71, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1303/2013, compte tenu du fait que le propriétaire du voilier est resté le même, alors que le bénéficiaire de la subvention est le détenteur indirect, et non plus direct, du voilier et qu’il perçoit un loyer et non pas un revenu tiré de la prestation du service décrit dans
la demande ? En vue de remplir la condition relative à l’avantage indu, faut-il que l’organisme payeur de l’État membre constate en quoi l’avantage consistait concrètement ? S’il est répondu par l’affirmative, l’avantage indu peut-il consister dans le fait que l’utilisateur réel de l’objet de l’investissement n’aurait pas bénéficié d’une subvention de projet s’il avait lui-même introduit une demande de même contenu ?
4) Est-il autorisé d’imposer au bénéficiaire d’une subvention, par le biais du règlement national régissant la mesure “Leader”, une obligation de conservation de cinq ans concernant l’objet de l’investissement d’une manière plus sévère que celle prévue à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 ou à l’article 71, paragraphe 1, du règlement no 1303/2013 ?
5) Dans l’hypothèse où il est répondu par la négative à la quatrième question, faut-il considérer que la disposition d’un règlement national, selon laquelle le bénéficiaire d’une subvention de projet est tenu de conserver et d’utiliser, dans le sens prévu, l’objet acquis au titre de l’investissement soutenu par la subvention de projet pendant une durée d’au moins cinq ans à compter du versement de la dernière tranche de la subvention, ainsi que l’interprétation de cette disposition, selon
laquelle celle-ci suppose que le bénéficiaire de la subvention utilise personnellement l’objet de l’investissement, sont conformes à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 ou à l’article 71, paragraphe 1, du règlement no 1303/2013 ?
6) Convient-il de considérer qu’on est en présence d’irrégularités au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1290/2005 ou de l’article 56 du règlement no 1306/2013, s’agissant de l’absence de mise en œuvre, par le bénéficiaire de la subvention, d’une opération qui n’était pas exigée par le règlement national régissant la mesure “Leader”, mais que le bénéficiaire de la subvention avait indiquée dans le “résumé des activités et des objectifs de l’opération et de l’investissement”
exposé dans la demande et qui était l’un des critères à partir desquels les demandes étaient évaluées en vue de leur classement par ordre de priorité ?
7) S’il est répondu par l’affirmative à la sixième question, faut-il considérer que le recouvrement devient illégal en raison du fait que le remboursement est demandé avant l’écoulement de cinq ans à compter du dernier versement et du fait que le bénéficiaire de la subvention met fin à l’infraction au cours d’une procédure en justice portant sur le recouvrement ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
36 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la pérennité d’une opération d’investissement qui, comme dans l’affaire au principal, a été approuvée et cofinancée par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013 doit être appréciée au regard des dispositions de l’article 72 du règlement no 1698/2005 ou de celles de l’article 71, paragraphe 1, du règlement no 1303/2013. Elle s’interroge également sur le point de savoir si le recouvrement des sommes
indûment versées dans le cadre de cette opération doit, lorsqu’il intervient après la fin de ladite période de programmation, à savoir après le 1er janvier 2014, être fondé sur l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1290/2005 ou sur l’article 56 du règlement no 1306/2013.
37 En premier lieu, concernant les dispositions au regard desquelles doit être appréciée la pérennité d’une opération d’investissement approuvée et cofinancée par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013, il y a lieu de relever qu’une subvention versée dans le cadre d’une opération de cette nature a été accordée en vue d’atteindre les objectifs visés par le règlement no 1698/2005, lequel contient les dispositions générales relatives au fonctionnement du Feader pendant ladite
période. Il s’ensuit que la pérennité d’une telle opération doit nécessairement être appréciée au regard des dispositions de ce règlement.
38 Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que, à partir du 1er janvier 2014, le règlement no 1698/2005 a été abrogé par le règlement no 1305/2013. En effet, selon l’article 88, second alinéa, de ce dernier règlement, le règlement no 1698/2005 a continué à s’appliquer aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la Commission avait approuvés en vertu dudit règlement avant le 1er janvier 2014.
39 En second lieu, s’agissant du point de savoir quel règlement est applicable au recouvrement de sommes indûment versées dans le cadre d’une opération d’investissement approuvée et cofinancée par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013, dans le cas où ce recouvrement intervient, comme dans l’affaire au principal, postérieurement au 1er janvier 2014, il convient de relever que le règlement no 1306/2013, qui a abrogé le règlement no 1290/2005, est entré en vigueur, en vertu de son
article 121, paragraphe 1, premier alinéa, le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 20 décembre 2013, et est devenu applicable le 1er janvier 2014, conformément à son article 121, paragraphe 1, second alinéa.
40 Certes, par dérogation à ces dispositions, l’article 119, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1306/2013 a précisé que l’article 31 du règlement no 1290/2005 et les règles de mise en œuvre correspondantes continueraient de s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2014. De même, l’article 121, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 a prévu une entrée en application différée de certains des articles de celui-ci.
41 Toutefois, le recouvrement des sommes indûment versées dans le cadre des opérations approuvées et cofinancées par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013 ne relève d’aucune de ces dispositions dérogatoires.
42 Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle que la pérennité d’une opération d’investissement qui, comme dans l’affaire au principal, a été approuvée et cofinancée par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013 doit être appréciée au regard des dispositions de l’article 72 du règlement no 1698/2005. Lorsque le recouvrement des sommes indûment versées dans le cadre de cette opération intervient après la fin de ladite période de programmation, à savoir après
le 1er janvier 2014, il doit être fondé sur l’article 56 du règlement no 1306/2013.
Sur la deuxième question, sous a), et la troisième question, sous a)
43 Par la deuxième question, sous a), et la troisième question, sous a), qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait pour le bénéficiaire d’une subvention qui, telle que celle en cause au principal, a été versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader au titre de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005 de louer l’objet acquis au moyen de cette subvention à un tiers qui l’utilise pour la même activité que celle
que devait exercer le bénéficiaire de ladite subvention constitue une modification importante de cette opération d’investissement cofinancée, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement no 1698/2005. Elle cherche également à savoir si, aux fins de conclure à l’existence d’un avantage indu, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, il est nécessaire que l’autorité compétente nationale constate en quoi concrètement consiste l’avantage indu. Enfin, elle
s’interroge sur le point de savoir si l’avantage indu peut consister dans le fait que l’utilisateur réel de l’objet d’investissement n’aurait pas bénéficié d’une subvention s’il avait lui-même introduit une demande de subvention.
44 Il convient, d’emblée, de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de qualifier concrètement les modifications en cause au principal. En effet, une telle appréciation relève de la seule compétence du juge national. Le rôle de la Cour se cantonne à fournir à ce dernier une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour la décision qu’il lui reviendra de prendre dans le litige dont il est saisi. Cela étant, la Cour peut déterminer les éléments pertinents, susceptibles de guider la
juridiction de renvoi dans son appréciation [voir par analogie, en ce qui concerne l’article 30, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO 1999, L 161, p. 1), arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734, point 19 et jurisprudence citée].
45 Par ailleurs, alors que les deux conditions figurant à l’article 30, paragraphe 4, sous a) et b), du règlement no 1260/1999 étaient unies par la conjonction de coordination « et », tel n’est pas le cas des deux conditions mentionnées à l’article 72, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1698/2005, de sorte qu’il n’est pas requis, pour qu’il y ait une modification importante de l’opération d’investissement concernée, au sens de cette dernière disposition, que les deux conditions y figurant
soient cumulativement remplies.
46 Ainsi, ledit article 72, paragraphe 1, énonce, en réalité, une série de conditions alternatives, deux au point a) et deux au point b), de cette disposition, chacune d’entre elles étant susceptible de fonder, le cas échéant, la conclusion selon laquelle l’opération faisant l’objet d’un investissement cofinancé a connu une modification importante au sens de cette disposition dans le délai de cinq ans qu’elle prévoit.
47 Il y a lieu de souligner, dans ce contexte, que, étant donné que le législateur de l’Union a pris soin d’ajouter, à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, le qualificatif d’« importante » pour désigner la modification concernée, il s’ensuit qu’une modification doit, pour relever du champ d’application de cette disposition, revêtir une certaine ampleur (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734, point 35).
48 Ainsi, il convient de vérifier, en premier lieu, si la modification concernée satisfait aux conditions mentionnées à l’article 72, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1698/2005, qui exige que celle-ci résulte soit d’un changement dans la nature de la propriété d’une infrastructure, soit de l’arrêt ou d’une délocalisation d’une activité productive. En effet, lors de la vérification de ces conditions, il y a lieu d’apprécier les éléments qui sont à l’origine de la modification concernée et
constituent ainsi les causes de cette modification (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734, point 21).
49 En l’occurrence, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il y ait eu arrêt ou délocalisation d’une activité productive. En effet, même après avoir été donné en location, l’objet acquis dans le cadre de l’opération d’investissement en cause au principal a continué à être utilisé pour la même activité que celle prévue dans la demande de subvention.
50 Par ailleurs, s’agissant de l’existence d’un éventuel changement dans la nature de la propriété d’une infrastructure, il y a lieu de relever que cette condition, à la différence de celle examinée au point précédent, concerne non pas l’usage qui est fait de l’infrastructure en cause, mais la qualité au titre de laquelle son propriétaire la détient. Ainsi, le fait pour un propriétaire de conférer à un tiers, dans le cadre d’une relation contractuelle, certains droits sur une infrastructure, y
compris, le cas échéant, le droit de l’utiliser de manière exclusive pendant une certaine période, n’implique pas en soi une modification de la nature de la propriété de cette infrastructure.
51 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, que les droits conférés par Järvelaev à Kaleselts, dans le cadre de la location convenue entre elles, étaient de nature purement contractuelle.
52 En second lieu, il convient d’examiner si la modification considérée relève de l’une des hypothèses mentionnées à l’article 72, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, à savoir affecter la nature ou les conditions de mise en œuvre de l’opération d’investissement ou procurant un avantage indu à une entreprise ou à une collectivité publique, ces hypothèses portant sur les effets de la modification en question (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734,
point 22).
53 Dès lors, il est nécessaire, avant de conclure à l’existence ou à l’inexistence d’une modification importante, de vérifier si la modification concernée a procuré un avantage indu et/ou si la nature ou les conditions de mise en œuvre s’en trouvent affectées (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734, point 32).
54 S’agissant de la condition relative à la nature et aux conditions de mise en œuvre de l’opération d’investissement en cause, il y a lieu de tenir compte de l’objectif de la mesure dans le cadre de laquelle cette opération a été financée, à savoir le développement et la commercialisation des services liés au tourisme rural.
55 Cet objectif s’inscrit dans un objectif plus général de l’axe Leader, consistant à promouvoir le développement régional dans les régions rurales. À cet égard, il y a lieu de relever que, selon l’article 61 du règlement no 1698/2005, ce programme visait notamment à financer des stratégies locales de développement conçues pour des zones rurales clairement définies. Il en découle que les modifications ayant affecté l’opération en cause au principal doivent être appréciées à la lumière de cette
perspective, à savoir assurer avant tout le développement d’un territoire préalablement déterminé par la promotion des services liés au tourisme rural.
56 Dans la mesure où la subvention en cause au principal s’inscrivait principalement dans un objectif de développement d’une zone territoriale préalablement déterminée, le seul fait que, au cours de la mise en œuvre du projet concerné par l’opération d’investissement cofinancée en cause au principal, le sujet en charge de ce projet, à savoir Järvelaev, a été remplacé par un autre, à savoir Kaleselts, n’implique pas en soi que l’objectif en cause n’ait pas été atteint et, partant, qu’une modification
d’une certaine ampleur de la nature ou des conditions de mise en œuvre de cette opération ait eu lieu.
57 Ainsi, le seul fait que l’objet acquis dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée a été loué ne saurait permettre de conclure à l’existence d’une modification de la nature ou des conditions de mise en œuvre de l’opération d’investissement, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005.
58 Toutefois, un tel remplacement du propriétaire par un locataire aux fins de la réalisation d’une opération de même que l’absence de création d’emplois initialement prévue lors de la procédure de sélection relative à l’octroi de la subvention, telle que celle mentionnée par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa sixième question, constituent des circonstances susceptibles de justifier la conclusion selon laquelle la nature ou les conditions de mise en œuvre d’une opération ont subi une telle
modification si elles réduisent d’une manière significative la capacité de cette opération à atteindre l’objectif lui ayant été assigné, ce qu’il appartiendra à cette juridiction de vérifier (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Comune di Ancona, C‑388/12, EU:C:2013:734, point 37).
59 Enfin, s’agissant de la condition prévue à l’article 72, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005, selon laquelle la pérennité d’une opération d’investissement cofinancée suppose, notamment, qu’un avantage indu n’ait pas été procuré à une entreprise ou à une collectivité publique, il convient de relever que cette disposition se réfère à un avantage octroyé à une entreprise, de sorte que, dans un cas tel que celui au principal, la création d’un tel avantage, soit au bénéfice du
propriétaire de l’infrastructure, soit au bénéfice de l’association qui l’utilise dans le cadre de la location consentie par ce propriétaire, serait de nature à constituer une modification importante de l’opération en cause, au sens de cette disposition.
60 Néanmoins, même en présence d’éléments mettant en évidence, à premier vue, l’existence d’un avantage indu, le bénéficiaire de la subvention doit avoir la possibilité de démontrer que la location de l’objet acquis grâce à la subvention n’a procuré, à lui-même ou à son utilisateur réel, aucun avantage.
61 S’agissant du bénéficiaire de la subvention, l’existence et l’ampleur d’un tel avantage doivent s’apprécier au regard de l’éventuelle différence entre les avantages, pécuniaires ou autres, que ce bénéficiaire devait tirer de l’opération telle qu’elle était initialement envisagée et ceux qu’il tire de cette opération telle que modifiée. Ainsi, en l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, notamment, si les recettes pécuniaires que Järvelaev aurait pu percevoir en raison
de l’exploitation du voilier acquis grâce au cofinancement en question auraient été comparables aux sommes versées à celle-ci par Kaleselts pour rémunérer la location par cette dernière du voilier, étant donné que seule une différence d’une certaine ampleur, au sens de la jurisprudence rappelée au point 47 du présent arrêt, constituerait une modification importante de l’opération, au sens de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005.
62 Par ailleurs, il n’est pas exclu que la mise en location de l’objet concerné procure un avantage indu à son utilisateur réel, celui-ci étant en mesure, grâce à l’utilisation d’un bien acquis par une autre association au moyen d’une subvention, de percevoir des recettes dont il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pu utiliser ledit objet. En outre, un avantage indu peut également être constaté lorsque le montant du loyer n’a pas été fixé selon les modalités du marché. Il appartiendra donc à la
juridiction de renvoi de vérifier si le loyer payé par Kaleselts a été fixé à un niveau substantiellement différent de celui qu’elle aurait payé, le cas échéant, pour louer un bateau similaire auprès d’un propriétaire autre que Järvelaev.
63 Concernant le point de savoir si, aux fins de conclure à l’existence d’un avantage indu, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005, il est nécessaire que l’autorité compétente nationale constate en quoi concrètement consiste cet avantage, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, selon l’article 74, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1698/2005, les États membres prennent toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives pour assurer une
protection efficace des intérêts financiers de l’Union et désignent, pour chaque programme de développement rural, les autorités compétentes, tout en déterminant les fonctions respectives de l’autorité de gestion et des autres organismes.
64 En outre, l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 prévoit que, aux fins de l’article 74, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, pour satisfaire à leurs responsabilités, les États membres veillent à ce que toutes les mesures de développement rural qu’ils entendent mettre en œuvre puissent faire l’objet de contrôles et de vérifications, et qu’ils élaborent à cet effet des dispositions en matière de contrôles leur permettant de s’assurer de façon satisfaisante du respect des critères
d’admissibilité et des autres engagements.
65 Il y a lieu de relever qu’une autorité nationale compétente sera dans l’impossibilité de contrôler l’existence d’un avantage indu de manière adéquate dans un cas spécifique si elle n’est pas en mesure d’identifier, concrètement, en quoi consiste cet avantage. Plus particulièrement, il lui sera impossible d’apprécier le caractère dû ou indu d’un avantage en l’absence d’une telle identification.
66 Il en ressort que, dans le cas où l’autorité nationale compétente est amenée à rechercher si un avantage indu a été procuré à une entreprise ou à une collectivité publique, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005, il lui appartient nécessairement de déterminer en quoi, concrètement, consiste l’avantage indu.
67 S’agissant de l’importance à accorder au fait que l’utilisateur réel de l’objet acquis dans le cadre de l’opération d’investissement cofinancée concernée n’aurait pas bénéficié de la subvention s’il avait lui-même introduit une demande de subvention, il convient de relever qu’une telle circonstance ne saurait être déterminante dans le cadre de l’appréciation, visée au point précédent, relative au caractère dû ou indu d’un avantage perçu par une entité qui remplace le bénéficiaire d’une subvention
aux fins de la réalisation de l’opération en utilisant une infrastructure cofinancée grâce à celle-ci. Dans le cas où il est établi, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier en l’occurrence, que cette entité aurait pu obtenir une subvention identique en introduisant une demande de subvention, une telle circonstance pourrait plaider en faveur de l’absence d’un avantage indu, mais il n’en demeure pas moins que c’est au regard de l’appréciation visée au point précédent que
l’existence d’un tel avantage doit être déterminée.
68 Il convient de répondre à la deuxième question, sous a), et à la troisième question, sous a), que le fait pour le bénéficiaire d’une subvention qui, telle que celle en cause au principal, a été versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader au titre de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005 de louer l’objet acquis au moyen de cette subvention à un tiers qui l’utilise pour la même activité que celle que devait exercer le bénéficiaire de ladite subvention
est susceptible de constituer une modification importante de l’opération d’investissement cofinancée, au sens de l’article 72, paragraphe 1, de ce règlement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier compte tenu de tous les éléments de fait et de droit en cause au regard des conditions alternatives visées aux points a) et b) de cette disposition. Aux fins de conclure à l’existence d’un avantage indu procuré à une entreprise ou à une collectivité publique, au sens de l’article 72,
paragraphe 1, sous a), de ce règlement, il incombe à l’autorité compétente nationale de déterminer, sous le contrôle des juridictions nationales compétentes, en quoi concrètement consiste l’avantage indu. La question de savoir si, compte tenu des circonstances de fait et de droit, l’utilisateur réel de la subvention aurait ou non bénéficié de la subvention s’il avait lui-même introduit une demande de subvention, bien que pertinente, n’est pas déterminante aux fins de l’application dudit
article 72, paragraphe 1, sous a).
Sur la deuxième question, sous b), et la troisième question, sous b)
69 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question, sous b), et à la troisième question, sous b).
Sur les quatrième et cinquième questions
70 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fait obligation au bénéficiaire d’une subvention versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader de conserver et d’utiliser personnellement et pendant au moins cinq
ans, à compter du versement de la dernière partie de la subvention, l’objet acquis dans le cadre de cette opération d’investissement.
71 À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, que le gouvernement estonien considère que l’interdiction faite au bénéficiaire d’une subvention d’apporter toute modification importante à l’opération d’investissement pendant une période de cinq ans à compter de la décision de financement, prévue à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, ne suffit pas à garantir, dans tous les cas, un contrôle efficace de la mise en œuvre de l’opération et de l’utilisation de la subvention
dans le sens prévu. En effet, selon ce gouvernement, cette période de cinq ans commence souvent avant même que le bénéficiaire de la subvention ne dispose de l’objet acquis dans le cadre de l’opération d’investissement cofinancée. Ledit gouvernement considère également que le législateur de l’Union laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres puisqu’il ne saurait être déduit de ladite disposition que la période de surveillance ne peut excéder ce délai de cinq ans à compter de la
décision de financement.
72 D’autre part, et alors que l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 ne prévoit pas expressément que le bénéficiaire de la subvention doive utiliser personnellement l’objet acquis au moyen de cette subvention pendant cette période de cinq ans, il semble que c’est également aux fins de garantir une surveillance efficace et continue de cet objet que la République d’Estonie fait obligation au bénéficiaire de la subvention de conserver et d’utiliser personnellement ledit objet pendant la
période en cause.
73 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, d’une obligation pour le bénéficiaire d’une subvention visée par le règlement no 1698/2005 de conserver et d’utiliser personnellement, pendant un certain temps, un objet, tel que le voilier de pêche en cause au principal, acquis dans le cadre de cette subvention, il convient de rappeler que, conformément à l’article 72, paragraphe 1, de ce règlement, la participation du Feader ne reste pas acquise si, dans le délai qui y est mentionné, l’opération
d’investissement cofinancé connaît une modification importante relevant des conditions visées aux points a) et b) de cette disposition.
74 Or, la question de savoir si, en vertu de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, la mise en location d’un tel objet par le bénéficiaire d’une subvention conduit à la suppression de la participation du Feader doit être déterminée par un examen au cas par cas. En effet, ainsi qu’il découle de la réponse de la Cour à la deuxième question, sous a), et à la troisième question, sous a), il convient d’apprécier si cette mise en location est de nature à entraîner une modification de
l’opération d’investissement cofinancée relevant de l’une des conditions visées à cet article 72, paragraphe 1, sous a) ou b), et, dans l’affirmative, si cette modification est importante.
75 Il s’ensuit qu’une réglementation nationale qui subordonne, dans tous les cas, l’acquisition définitive d’une subvention à la détention et à l’utilisation personnelle, par le bénéficiaire, de l’objet financé par cette subvention, sans permettre d’apprécier si, dans un cas particulier, la mise en location de cet objet constitue une modification importante de l’opération d’investissement cofinancée, au sens de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, n’est pas conforme à cette
disposition.
76 Certes, l’article 74, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 habilite les États membres à prendre toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union en ce qui concerne le soutien apporté par le Feader au développement rural. En outre, il ressort de l’article 71, paragraphe 3, premier alinéa, de ce règlement que les États membres sont compétents pour fixer les règles d’éligibilité des dépenses en la
matière.
77 Toutefois, aucune de ces deux dispositions n’est pertinente aux fins de l’appréciation de la compatibilité de l’obligation qui fait l’objet des quatrième et cinquième questions avec l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005.
78 En effet, l’article 74 du règlement no 1698/2005, qui relève du titre VI de celui-ci, intitulé « Gestion, contrôle et information », se rapporte aux vérifications que les États membres sont tenus d’effectuer afin de s’assurer que les dispositions régissant la régularité des opérations cofinancées par le Feader, au nombre desquelles figure l’article 72 de ce règlement, sont respectées.
79 Quant à l’article 71 du règlement no 1698/2005, il se rapporte aux conditions d’éligibilité au regard desquelles les dépenses doivent être appréciées pour la participation du Feader, ces conditions étant distinctes de celles, prévues à l’article 72 de ce règlement, relatives à la pérennité des opérations relatives aux investissements. Dans ces circonstances, et dès lors que ledit article 72 ne contient aucune disposition analogue à celle de l’article 71, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005,
il y a lieu de constater que c’est ce règlement lui-même, et plus particulièrement son article 72, plutôt que le droit national, qui fixe, de manière exclusive, les conditions relatives à la pérennité desdites opérations.
80 Cette interprétation dudit article 72 n’est pas infirmée par le fait que la notion de « bénéficiaire » est définie à l’article 2, sous h), du règlement no 1698/2005 comme visant un « opérateur, organisme ou entreprise, public ou privé, chargé de la mise en œuvre des opérations ou destinataire de l’aide ». En effet, les termes « chargé de la mise en œuvre » figurant dans cette disposition doivent être considérés ensemble avec le cadre juridique pertinent et avec l’objectif de la mesure dans le
cadre de laquelle l’opération d’investissement s’inscrit, qui vise le développement de territoires préalablement déterminés. Ainsi, c’est au regard des conditions posées à l’article 72, paragraphe 1, dudit règlement, et notamment de celle relative à la nature et aux conditions de mise en œuvre adéquate de l’opération concernée, aux fins d’atteindre l’objectif en cause, qu’il y a lieu, dans une affaire telle que celle en cause au principal, d’apprécier la pérennité de l’opération concernée.
81 S’agissant, en second lieu, de la durée, d’au moins cinq ans à compter du versement de la dernière partie de la subvention, pendant laquelle le bénéficiaire est tenu, en vertu de la réglementation nationale, de conserver et d’utiliser personnellement l’objet en question, sous peine de remboursement de la subvention versée, il y a lieu de constater que, conformément à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, la participation du Feader reste acquise si l’opération faisant l’objet de
cette participation ne connaît pas de modification importante, au sens de cette disposition, dans un délai de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion nationale, cette période étant ainsi, habituellement, plus courte que celle prévue par ladite réglementation nationale.
82 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fait obligation au bénéficiaire d’une subvention versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader de conserver et d’utiliser personnellement et pendant au moins cinq ans, à compter du versement de la dernière
partie de la subvention, l’objet acquis dans le cadre de cette opération d’investissement.
Sur la sixième question
83 Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens que constitue une irrégularité, au sens de cette disposition, l’absence de mise en œuvre, par le bénéficiaire d’une subvention accordée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader et relevant de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005, d’un des éléments de l’opération indiqués par le bénéficiaire dans
sa demande de subvention et qui constituait l’un des critères sur la base desquels les demandes de subvention ont été évaluées en vue de leur classement par ordre de priorité, alors même que ce critère n’était pas exigé par la réglementation nationale y afférente.
84 En l’occurrence, ainsi qu’il a été mentionné au point 23 du présent arrêt, alors que la création de nouveaux emplois figurait au nombre des critères au regard desquels les demandes de subvention ont été classées par priorité, il est constant que Järvelaev avait exprimé son intention, dans sa propre demande, de créer des emplois dans la région et d’engager un équipage pour son voilier de pêche.
85 À cet égard, il y a lieu de constater que la création d’emplois ne constituait pas une condition de l’octroi d’une subvention en vertu du règlement no 1698/2005, non plus que, selon la juridiction de renvoi, en vertu de la réglementation estonienne. En outre, il ne ressort pas de la décision de renvoi que la création d’emplois était une condition contractuelle accordée dans le cadre de la subvention en cause au principal, ce qu’il appartient toutefois, le cas échéant, à la juridiction de renvoi
de vérifier.
86 Par conséquent, l’absence de création d’emplois dans le cadre de l’exécution d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader ne saurait être considérée, à elle seule, comme constitutive d’une irrégularité, au sens de l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013.
87 Toutefois, le gouvernement estonien fait valoir dans ses observations que, en signant le contrat de financement, Järvelaev s’était engagée à mettre en œuvre le projet de la manière décrite dans la demande de subvention. Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 23 et 84 du présent arrêt, la création d’emplois dans la région et l’engagement d’un équipage pour le voilier de pêche avaient été mentionnés dans cette demande de subvention.
88 Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, le cas échéant, si, en vertu des dispositions pertinentes du droit national, Järvelaev avait effectivement pris l’engagement de veiller à ce que ces deux aspects consistant en la création des emplois dans la région et en l’engagement d’un équipage pour son voilier de pêche soient réalisés.
89 En tout état de cause, conformément à ce qui a été jugé au point 58 du présent arrêt, il ne saurait être exclu que l’absence de mise en œuvre d’un élément indiqué dans la demande de subvention constitue, à le supposer essentiel au regard de l’objectif poursuivi, une modification importante, au sens de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, de l’opération d’investissement telle qu’elle a été admise dans le cadre du cofinancement. Le cas échéant, il appartiendra à la juridiction de
renvoi d’examiner la portée d’une telle absence au regard des conditions fixées dans cette disposition.
90 S’il devait être établi, au terme d’un tel examen, que l’absence de mise en œuvre du critère en cause au principal a constitué une telle modification importante, il y aurait lieu de la considérer comme étant une irrégularité, au sens de l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013.
91 En effet, alors que, en vertu de l’article 72, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005, les sommes indûment versées en faveur d’une opération d’investissement qui a subi une modification importante doivent être récupérées conformément à l’article 33 du règlement no 1290/2005, il résulte de l’article 119 du règlement no 1306/2013, lu en combinaison avec l’annexe III de celui-ci, que les références faites à cet article 33 s’entendent comme étant faites, notamment, à l’article 56 de ce dernier
règlement.
92 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la sixième question que l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens que constitue une irrégularité, au sens de cette disposition, l’absence de mise en œuvre, par le bénéficiaire d’une subvention accordée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Feader et relevant de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005, d’un des éléments de l’opération indiqués par le bénéficiaire dans
sa demande de subvention, qui constituait l’un des critères sur la base desquels les demandes de subvention ont été évaluées en vue de leur classement par ordre de priorité, alors même que ce critère n’était pas exigé par la réglementation nationale y afférente, pour autant que l’absence de mise en œuvre d’un tel élément est à l’origine d’une modification importante, au sens de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, de l’opération d’investissement, ce qu’il incombe à la
juridiction de renvoi d’apprécier.
Sur la septième question
93 À titre liminaire, eu égard à ce qui a été constaté aux points 81 et 82 du présent arrêt, il convient de considérer que, en faisant référence, dans sa septième question, à une période de cinq ans à compter du dernier versement, la juridiction de renvoi vise la période mentionnée à l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005.
94 Dès lors, par la septième question, la juridiction de renvoi s’interroge, enfin, sur le point de savoir si l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’engagement d’une procédure de recouvrement d’une subvention indûment versée avant l’expiration du délai de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion. Cette juridiction se demande également si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle
s’oppose à la poursuite d’une telle procédure de recouvrement dans le cas où, en cours de procédure, le bénéficiaire de la subvention met fin au manquement ayant justifié l’engagement de ladite procédure.
95 En premier lieu, s’agissant de la possibilité pour un État membre d’engager une procédure de recouvrement d’une subvention indûment versée avant l’expiration du délai de cinq ans à compter du versement de la dernière partie de la subvention, il convient de rappeler que, conformément à l’article 54, paragraphe 1, et à l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, un État membre qui constate l’existence d’une irrégularité est tenu de procéder au recouvrement de la subvention indûment
versée. En particulier, l’État membre doit exiger un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité.
96 Il s’ensuit que les États membres peuvent et, dans l’intérêt d’une bonne gestion financière des ressources de l’Union, doivent procéder audit recouvrement dans les meilleurs délais. Dans ces conditions, le fait que le remboursement soit demandé avant l’écoulement de la période de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion n’a aucune incidence sur ledit recouvrement.
97 En second lieu, en ce qui concerne le point de savoir si le droit de l’Union s’oppose à la poursuite d’une procédure de recouvrement dans le cas où, en cours de procédure, le bénéficiaire de la subvention met fin au manquement ayant justifié l’engagement de ladite procédure, il y a lieu de relever, ainsi que le souligne la Commission, que, s’il était accordé au bénéficiaire d’une subvention la possibilité de remédier, au cours de la procédure en justice portant sur le recouvrement, à une
irrégularité commise dans la mise en œuvre de l’opération, une telle possibilité pourrait inciter les autres bénéficiaires à commettre des manquements, puisque ceux-ci auraient l’assurance de pouvoir remédier a posteriori à ce manquement après la découverte de ce dernier par les autorités nationales compétentes. Par conséquent, le fait que le bénéficiaire de la subvention s’efforce de mettre fin ou même met fin au manquement au cours d’une procédure en justice portant sur le recouvrement ne
saurait avoir une incidence sur ledit recouvrement.
98 Il y a lieu de répondre à la septième question que l’article 56 du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une procédure de recouvrement d’une subvention indûment versée soit engagée avant l’expiration du délai de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion. Cette disposition ne s’oppose pas non plus à ce qu’une telle procédure de recouvrement soit poursuivie dans le cas où, en cours de procédure, le bénéficiaire de la
subvention met fin au manquement ayant justifié l’engagement de ladite procédure.
Sur les dépens
99 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
1) La pérennité d’une opération d’investissement qui, comme dans l’affaire au principal, a été approuvée et cofinancée par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) au titre de la période de programmation 2007-2013 doit être appréciée au regard des dispositions de l’article 72 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural. Lorsque le recouvrement des
sommes indûment versées dans le cadre de cette opération intervient après la fin de ladite période de programmation, à savoir après le 1er janvier 2014, il doit être fondé sur l’article 56 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du
Conseil.
2) Le fait pour le bénéficiaire d’une subvention qui, telle que celle en cause au principal, a été versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) au titre de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005 de louer l’objet acquis au moyen de cette subvention à un tiers qui l’utilise pour la même activité que celle que devait exercer le bénéficiaire de ladite subvention est susceptible de constituer une
modification importante de l’opération d’investissement cofinancée, au sens de l’article 72, paragraphe 1, de ce règlement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier compte tenu de tous les éléments de fait et de droit en cause au regard des conditions alternatives visées aux points a) et b) de cette disposition. Aux fins de conclure à l’existence d’un avantage indu procuré à une entreprise ou à une collectivité publique, au sens de l’article 72, paragraphe 1, sous a), de ce
règlement, il incombe à l’autorité compétente nationale de déterminer, sous le contrôle des juridictions nationales compétentes, en quoi concrètement consiste l’avantage indu. La question de savoir si, compte tenu des circonstances de fait et de droit, l’utilisateur réel de la subvention aurait ou non bénéficié de la subvention s’il avait lui-même introduit une demande de subvention, bien que pertinente, n’est pas déterminante aux fins de l’application dudit article 72, paragraphe 1, sous a).
3) L’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fait obligation au bénéficiaire d’une subvention versée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) de conserver et d’utiliser personnellement et pendant au moins cinq ans, à compter du versement de la dernière partie de la subvention,
l’objet acquis dans le cadre de cette opération d’investissement.
4) L’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens que constitue une irrégularité, au sens de cette disposition, l’absence de mise en œuvre, par le bénéficiaire d’une subvention accordée dans le cadre d’une opération d’investissement cofinancée par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et relevant de l’axe Leader visé par le règlement no 1698/2005, d’un des éléments de l’opération indiqués par le bénéficiaire dans sa demande de
subvention, qui constituait l’un des critères sur la base desquels les demandes de subvention ont été évaluées en vue de leur classement par ordre de priorité, alors même que ce critère n’était pas exigé par la réglementation nationale y afférente, pour autant que l’absence de mise en œuvre d’un tel élément est à l’origine d’une modification importante, au sens de l’article 72, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, de l’opération d’investissement, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi
d’apprécier.
5) L’article 56 du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une procédure de recouvrement d’une subvention indûment versée soit engagée avant l’expiration du délai de cinq ans à compter de la décision de financement par l’autorité de gestion. Cette disposition ne s’oppose pas non plus à ce qu’une telle procédure de recouvrement soit poursuivie dans le cas où, en cours de procédure, le bénéficiaire de la subvention met fin au manquement ayant justifié
l’engagement de ladite procédure.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’estonien.