La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2019 | CJUE | N°C-237/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Canadian Solar Emea GmbH e.a. contre Conseil de l'Union européenne., 27/03/2019, C-237/17


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 mars 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Subventions – Importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de Chine – Droit compensateur définitif – Règlement (CE) no 597/2009 »

Dans l’affaire C‑237/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 mai 2017,

Canadian Solar Emea GmbH, établie à Munich (Allemagne),

Ca

nadian Solar Manufacturing (Changshu) Inc., établie à Changshu (Chine),

Canadian Solar Manufacturing (Luoyang) In...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 mars 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Subventions – Importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de Chine – Droit compensateur définitif – Règlement (CE) no 597/2009 »

Dans l’affaire C‑237/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 mai 2017,

Canadian Solar Emea GmbH, établie à Munich (Allemagne),

Canadian Solar Manufacturing (Changshu) Inc., établie à Changshu (Chine),

Canadian Solar Manufacturing (Luoyang) Inc., établie à Luoyang (Chine),

Csi Cells Co. Ltd, établie à Suzhou (Chine),

Csi Solar Power Group Co. Ltd, anciennement Csi Solar Power (China) Inc., établie à Suzhou,

représentées par Mes J. Bourgeois et A. Willems, avocats, ainsi que par Mes S. De Knop et M. Meulenbelt, advocaten,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme H. Marcos Fraile, en qualité d’agent, assistée de Me N. Tuominen, avocată,

partie défenderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. T. Maxian Rusche, J.-F. Brakeland et N. Kuplewatzky, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos (rapporteur), E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, Canadian Solar Emea GmbH, Canadian Solar Manufacturing (Changshu) Inc., Canadian Solar Manufacturing (Luoyang) Inc., Csi Cells Co. Ltd et Csi Solar Power Group Co. Ltd, anciennement Csi Solar Power (China) Inc. (ci-après « Csi Solar Power »), demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 28 février 2017, JingAo Solar e.a./Conseil (T‑158/14, T‑161/14 et T‑163/14, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:126), dans la mesure où, par celui-ci, le
Tribunal a rejeté leur recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 1239/2013 du Conseil, du 2 décembre 2013, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine (JO 2013, L 325, p. 66, ci-après le « règlement litigieux »), pour autant qu’il s’applique aux requérantes.

2 Par son pourvoi incident, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité qu’elle avait soulevée.

Le cadre juridique

3 L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 597/2009 du Conseil, du 11 juin 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 188, p. 93, ci-après le « règlement de base »), dispose :

« Lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il existe une subvention passible de mesures compensatoires et un préjudice en résultant et que l’intérêt de la Communauté nécessite une action conformément à l’article 31, un droit compensateur définitif est imposé par le Conseil [de l’Union européenne], statuant sur proposition de la Commission présentée après consultation du comité consultatif.

La proposition est adoptée par le Conseil, à moins qu’il ne décide, en statuant à la majorité simple, de la rejeter dans un délai d’un mois à partir de sa présentation par la Commission.

[...] »

4 L’article 1er du règlement litigieux institue un droit compensateur définitif de 6,4 % applicable aux sociétés chinoises, qui, telles les requérantes, n’ont pas été retenues dans l’échantillon, mais ont coopéré à l’enquête et qui sont inscrites à l’annexe de ce règlement.

5 Pour autant que certaines conditions sont remplies, l’article 2 dudit règlement prévoit, en substance, que les importations, déclarées pour la mise en libre pratique, de produits relevant actuellement du code NC ex85414090 (codes TARIC 8541409021, 8541409029, 8541409031 et 8541409039), et facturés par des sociétés dont les engagements ont été acceptés par la Commission et qui sont énumérées à l’annexe de la décision d’exécution 2013/707/UE de la Commission, du 4 décembre 2013, confirmant
l’acceptation d’un engagement offert dans le cadre des procédures antidumping et antisubventions concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine pour la période d’application des mesures définitives (JO 2013, L 325, p. 214), sont exonérées du droit antisubventions institué à l’article 1er du même règlement.

Les antécédents du litige

6 Les requérantes appartiennent au groupe Canadian Solar. Canadian Solar Manufacturing (Changshu), Canadian Solar Manufacturing (Luoyang), Csi Cells Co. et Csi Solar Power sont des producteurs-exportateurs de cellules et de modules photovoltaïques en silicium cristallin. Canadian Solar Emea est présentée comme étant leur importateur associé établi dans l’Union européenne.

7 Le 6 septembre 2012, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules et wafers) originaires de la République populaire de Chine (JO 2012, C 269, p. 5).

8 En parallèle, le 8 novembre 2012, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis d’ouverture d’une procédure antisubventions concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules et wafers) originaires de la République populaire de Chine (JO 2012, C 340, p. 13).

9 Le groupe Canadian Solar a coopéré dans le cadre de cette procédure.

10 Le 23 novembre 2012, les requérantes ont déposé une demande tendant à ce qu’elles soient sélectionnées dans l’échantillon, prévu à l’article 27 du règlement de base. Toutefois, il n’a pas été fait droit à cette demande.

11 Le 1er mars 2013, la Commission a adopté le règlement (UE) no 182/2013, soumettant à enregistrement les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules et wafers), originaires ou en provenance de la République populaire de Chine (JO 2013, L 61, p. 2).

12 Le 4 juin 2013, la Commission a adopté le règlement (UE) no 513/2013, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules et wafers) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine et modifiant le règlement no 182/2013 (JO 2013, L 152, p. 5).

13 Le 2 août 2013, la Commission a adopté la décision 2013/423/UE, portant acceptation d’un engagement offert dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules et wafers) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine (JO 2013, L 209, p. 26), par un groupe de producteurs-exportateurs chinois ayant coopéré, qui sont énumérés à l’annexe de cette décision, parmi lesquels se
trouvaient Canadian Solar Manufacturing (Changshu), Canadian Solar Manufacturing (Luoyang), Csi Cells Co. et Csi Solar Power en concertation avec la chambre de commerce chinoise pour l’importation et l’exportation de machines et de produits électroniques (ci-après la « CCCME »).

14 Le même jour, la Commission a adopté le règlement (UE) no 748/2013, portant modification du règlement no 513/2013 (JO 2013, L 209, p. 1), pour tenir compte de la décision 2013/423. En substance, pour autant que certaines conditions sont remplies, l’article 6 du règlement no 513/2013, tel que modifié par le règlement no 748/2013, prévoit, notamment, que les importations de certains produits déterminés dans ce règlement, déclarées pour la mise en libre pratique et facturées par des sociétés dont
les engagements ont été acceptés par la Commission et qui sont énumérées à l’annexe de la décision 2013/423, sont exonérées du droit antidumping provisoire institué à l’article 1er dudit règlement.

15 Le 27 août 2013, la Commission a communiqué les faits et les considérations essentiels sur la base desquels elle envisageait de proposer l’institution de droits antidumping sur les importations de modules et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de Chine.

16 À la suite de la notification des conclusions finales des procédures antidumping et antisubventions, les producteurs-exportateurs, en concertation avec la CCCME, ont présenté une notification en vue de modifier leur offre d’engagement initiale. La Commission a accepté les termes de l’engagement afin d’éliminer également les effets préjudiciables des importations faisant l’objet de subventions. En outre, un certain nombre de producteurs-exportateurs additionnel ont demandé à participer à cet
engagement.

17 Le 2 décembre 2013, le Conseil a adopté le règlement litigieux. Ce même jour, le Conseil a également adopté le règlement d’exécution (UE) no 1238/2013, instituant un droit antidumping définitif et collectant définitivement le droit antidumping provisoire institué sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine (JO 2013, L 325, p. 1).

18 Le 4 décembre 2013, la Commission a adopté la décision d’exécution 2013/707, par laquelle elle a accepté l’engagement modifié offert par les producteurs-exportateurs énumérés à son annexe, en concertation avec la CCCME, dans le cadre des procédures antidumping et antisubventions concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de Chine pour la période d’application des mesures définitives.

19 À la suite du dépôt de la requête en annulation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/866, du 4 juin 2015, retirant l’acceptation de l’engagement de trois producteurs-exportateurs, au titre de la décision d’exécution 2013/707 (JO 2015, L 139, p. 30). En vertu de l’article 1er de ce règlement d’exécution, l’acceptation de l’engagement, en ce qui concerne notamment Canadian Solar Manufacturing (Changshu), Canadian Solar
Manufacturing (Luoyang), Csi Cells Co. et Csi Solar Power, a été retirée. Ledit règlement d’exécution est entré en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 6 juin 2015.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

20 Au soutien de leur recours, les requérantes ont soulevé trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 10, paragraphes 12 et 13, du règlement de base, le deuxième, d’une violation des articles 1er et 27 de ce règlement et, le troisième, d’une violation de l’article 2, sous c), dudit règlement.

21 Le Tribunal a, dans un premier temps, rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil et la Commission, en concluant, notamment, que l’acceptation d’une offre d’engagement n’influence ni la recevabilité du recours formé à l’encontre d’un acte instituant un droit compensateur ni l’appréciation des moyens invoqués à l’appui de celui-ci et que les requérantes conservaient un intérêt à voir le règlement litigieux annulé.

22 Dans un second temps, le Tribunal a examiné les moyens soulevés par les requérantes à l’appui de leur recours. Le Tribunal a rejeté les deux premiers moyens comme étant irrecevables et le troisième comme étant non fondé. De ce fait, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.

Les conclusions des parties

23 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de faire droit à la demande formulée en première instance et d’annuler le règlement litigieux, dans la mesure où il concerne les requérantes ;

– de condamner la partie défenderesse en première instance à supporter les dépens encourus par les parties requérantes et ses propres dépens, tant en première instance que sur pourvoi ;

– de condamner toutes les autres parties au pourvoi à supporter leurs propres dépens, ou, à titre subsidiaire,

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau ;

– de réserver la décision sur les dépens encourus en première instance et sur pourvoi jusqu’à l’arrêt définitif du Tribunal, et

– de condamner toutes les autres parties à la procédure de pourvoi à supporter leurs propres dépens.

24 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérantes aux dépens afférents au pourvoi et à la procédure devant le Tribunal.

25 La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérantes aux dépens.

26 Par son pourvoi incident, la Commission, soutenue par le Conseil, demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de déclarer irrecevable le recours en première instance, ou

– à titre subsidiaire, de déclarer sans objet le recours en première instance, ou

– à titre très subsidiaire, de déclarer non fondé le recours en première instance et d’infirmer l’interprétation du lien de causalité au sens de l’article 8 du règlement de base donnée par le Tribunal dans le cadre du troisième moyen du recours en première instance, et

– de condamner les requérantes aux dépens.

27 Les requérantes demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi incident dans son intégralité ;

– de condamner la Commission à supporter les dépens des requérantes et ses propres dépens découlant tant du recours en première instance que du pourvoi incident, et

– de condamner le Conseil à ses propres dépens.

Sur le pourvoi incident

28 Le pourvoi incident introduit par la Commission vise, à titre principal, à contester la recevabilité du recours de première instance, laquelle constitue une question préalable à celles relatives au fond soulevées dans le pourvoi principal. Il y a donc lieu de l’examiner en premier.

29 À l’appui de son pourvoi incident, la Commission, soutenue par le Conseil, soulève deux moyens. Le premier moyen, invoqué à titre principal, est tiré d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a considéré que le règlement litigieux était susceptible, par lui-même, d’avoir des conséquences juridiques pour les requérantes. Le deuxième moyen, présenté à titre subsidiaire, est tiré d’un défaut de motivation et d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que l’intérêt des requérantes à faire
annuler le règlement litigieux était toujours actuel à la date du prononcé de l’arrêt attaqué.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Argumentation des parties

30 Le premier moyen du pourvoi incident, présenté à titre principal, est divisé en deux branches.

31 Par la première branche de ce moyen, qui vise les points 38 à 44 de l’arrêt attaqué, la Commission fait valoir que le Tribunal n’a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle le règlement litigieux, et non la décision d’exécution 2013/707, affecte la situation juridique des requérantes et, que, en tout état de cause, en formulant cette conclusion, le Tribunal a enfreint le principe général du droit de l’Union relatif à l’équilibre institutionnel ainsi que les articles 13 et 14 du
règlement de base.

32 La Commission estime, premièrement, que la conclusion du Tribunal, selon laquelle il convient de demander l’annulation du règlement litigieux comme moyen adéquat pour contester les conclusions relatives à l’existence de subventions, d’un préjudice et d’un lien de causalité, omet totalement le fait que les requérantes devaient attaquer la décision d’exécution 2013/707 si leur but était de contester de telles conclusions. Or, les appréciations du Tribunal étayeraient uniquement la conclusion selon
laquelle un recours pourrait être formé soit contre le règlement litigieux, soit contre la décision d’exécution 2013/707. Il en résulterait un défaut de motivation, puisqu’il serait impossible de déduire de l’arrêt attaqué la raison pour laquelle le règlement litigieux serait nécessairement, voire habituellement, l’acte à attaquer et non la décision d’exécution 2013/707, de laquelle découlent en réalité les droits et/ou les obligations pour l’importateur concerné.

33 Deuxièmement, en décidant que le recours doit être formé contre le règlement litigieux et non contre la décision d’exécution 2013/707, la Commission allègue que le Tribunal a enfreint le principe général d’équilibre institutionnel ainsi que la répartition des compétences entre le Conseil et la Commission telle qu’établie aux articles 13 et 14 du règlement de base. En effet, la conclusion du Tribunal impliquerait que cette décision d’exécution ne se suffit pas à elle-même, mais doit être validée
par les droits et les obligations indépendants créés par le Conseil du fait de l’adoption du règlement litigieux.

34 Par ailleurs, la Commission relève que ces erreurs de droit ne sauraient être réparées par la conclusion formulée au point 39 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les juridictions de l’Union auraient « implicitement, mais nécessairement » confirmé la recevabilité de recours contre des règlements instituant des droits définitifs formés par des parties intéressées dont l’engagement a été accepté. D’une part, une telle question n’aurait tout simplement pas été abordée dans la jurisprudence citée à ce
point et, d’autre part, cette dernière jurisprudence serait en contradiction directe avec l’arrêt du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil (113/77, EU:C:1979:91).

35 Par la seconde branche du premier moyen du pourvoi incident, la Commission fait valoir que l’acceptation d’un engagement constitue un acte favorable dont l’adoption a été sollicitée par les requérantes et qui n’affecte pas la situation juridique de celles-ci. La conclusion contraire du Tribunal, au point 43 de l’arrêt attaqué, à supposer qu’elle soit juste, n’établirait qu’un intérêt à demander l’annulation de la décision d’exécution 2013/707, mais pas celle du règlement litigieux. Ce point 43 de
l’arrêt attaqué contiendrait deux erreurs de droit.

36 Premièrement, ledit point 43 ne présenterait aucun raisonnement expliquant la raison pour laquelle l’acceptation d’un engagement par la Commission serait différente d’une décision de la Commission déclarant compatible avec le marché intérieur une concentration qui lui a été notifiée, d’une déclaration de la Commission constatant qu’un accord n’est pas contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ou d’une décision déclarant compatible avec le marché intérieur une aide d’État notifiée.

37 Deuxièmement, la Commission affirme que l’article 13 du règlement de base ne prévoit pas l’adoption d’un acte distinct une fois que la Commission a terminé son enquête sur les subventions et le préjudice. Or, la conclusion du Tribunal reviendrait à ce qu’une société offrant un engagement soit tenue de contester de manière anticipée la décision portant acceptation de l’engagement avant même que l’enquête antisubventions soit terminée plusieurs mois après.

38 La Commission indique, par souci d’exhaustivité, que le point 44 de l’arrêt attaqué contient deux erreurs de droit. D’une part, l’affirmation du Tribunal selon laquelle le règlement litigieux a modifié la situation juridique des requérantes en ce qui concerne les « droits compensateurs sur les produits non couverts par l’engagement » reposerait sur une erreur de droit liée à l’interprétation de l’offre d’engagement ou à une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, si cette offre devait
être qualifiée d’« élément de fait ». En effet, selon la Commission, les requérantes n’avaient pas le droit de vendre le produit concerné autrement que conformément aux dispositions de l’engagement, ainsi qu’il ressort clairement et sans ambiguïté du texte de l’offre d’engagement. Dès lors, il n’aurait pu y avoir de droits que sur les produits dépassant le niveau annuel et non sur des « produits non couverts par l’engagement ».

39 D’autre part, les droits sur les « produits [...] dépassant le niveau annuel » ayant déjà été inclus dans l’offre d’engagement, il ne s’agirait donc pas d’un nouveau droit ou d’une nouvelle obligation découlant du règlement litigieux.

40 Les requérantes estiment qu’il convient de rejeter le premier moyen du pourvoi incident.

Appréciation de la Cour

41 Par le premier moyen du pourvoi incident, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal, aux points 38 à 44 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en considérant que le règlement litigieux était susceptible, par lui-même, d’avoir des conséquences juridiques pour les requérantes.

42 La première branche de ce moyen est tirée, en substance, de ce que le Tribunal n’a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle le règlement litigieux et non la décision d’exécution 2013/707, par laquelle la Commission a accepté l’engagement offert par les producteurs-exportateurs visés à son annexe, parmi lesquels figurent ceux du groupe Canadian Solar, affecte la situation juridique des requérantes et de ce que, en tout état de cause, en formulant cette conclusion, le Tribunal a violé
le principe de l’équilibre institutionnel.

43 Il convient de relever, en premier lieu, que, contrairement aux arguments de la Commission, aux points 38 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’affirme ni que le règlement litigieux doit nécessairement, voire habituellement, être l’acte attaqué ni que le recours en annulation devait être formé contre ce règlement et non pas contre la décision d’exécution 2013/707. Ainsi, il y a lieu de constater que l’argument de la Commission relève d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Dans ces conditions,
il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir motivé ce qu’il n’a pas affirmé.

44 En deuxième lieu, il convient, d’une part, de constater que, si la position de la Commission devait être acceptée, cela reviendrait à empêcher les entreprises, dont l’engagement de prix minimal à l’importation (ci-après le « PMI ») a été accepté par la Commission, d’attaquer un règlement leur instituant un droit compensateur définitif. Or, ainsi que l’a indiqué le Tribunal, au point 39 de l’arrêt attaqué, ni le Tribunal ni la Cour, dans leurs arrêts cités à ce point, n’ont jugé comme étant
irrecevable le recours en annulation formé par une entreprise contre un règlement imposant à celle-ci des droits antidumping définitifs, du fait qu’un engagement de PMI offert par cette entreprise avait été accepté par la Commission.

45 D’autre part, il y a lieu de relever que le règlement litigieux affecte nécessairement la situation juridique des requérantes dans la mesure où, si un tel règlement était annulé, l’offre d’engagement deviendrait caduque. Or, c’est précisément ce que le Tribunal a relevé au point 42 de l’arrêt attaqué.

46 Il convient, en outre, de rappeler que, ainsi que cela ressort des points 41 et 42 de l’arrêt attaqué, les requérantes restent soumises aux droits compensateurs prévus par le règlement litigieux, conformément à ses articles 1er et 2, pour les importations qui dépasseraient le niveau annuel prévu dans l’engagement de PMI.

47 Dans ce contexte, la Commission ne saurait valablement alléguer que le Tribunal a violé le principe de l’équilibre institutionnel. Au contraire, la position de la Commission selon laquelle les requérantes devaient attaquer la décision d’exécution 2013/707, si leur but était de contester les conclusions relatives à l’existence de subventions, ne pourrait être acceptée que si le Conseil était dans l’obligation, dès qu’un engagement de PMI offert par une entreprise était accepté par la Commission,
d’adopter un règlement instituant des mesures compensatoires définitives. Or, la compétence du Conseil, à cet égard, n’est pas une compétence liée, ainsi que cela résulte de l’article 15, paragraphe 1, du règlement de base, selon lequel la proposition de la Commission est adoptée par le Conseil, à moins qu’il ne décide de la rejeter.

48 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le rôle de la Commission s’intègre dans le cadre du processus de décision du Conseil. Ainsi qu’il résulte des dispositions du règlement de base, la Commission est chargée de mener des enquêtes et de décider sur la base de celles-ci, de clôturer la procédure ou, au contraire, de la poursuivre en adoptant des mesures provisoires et en proposant au Conseil l’adoption de mesures définitives. C’est cependant au Conseil qu’il appartient de se prononcer
définitivement (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 1990, Nashua Corporation e.a./Commission et Conseil, C‑133/87 et C‑150/87, EU:C:1990:115, point 8).

49 Partant, il convient de rejeter la première branche du premier moyen du pourvoi incident.

50 En ce qui concerne la seconde branche de ce premier moyen, selon laquelle l’acceptation d’un engagement de PMI constituerait un acte favorable aux requérantes, n’affectant pas la situation juridique de celles-ci, contrairement à ce qui ressortirait du point 43 de l’arrêt attaqué, il suffit de relever que cette question est dépourvue de pertinence dès lors que l’acte attaqué visé par le recours en annulation que le Tribunal a jugé recevable est le règlement litigieux et non pas la décision
d’exécution 2013/707, par laquelle la Commission a accepté cet engagement.

51 S’agissant des deux erreurs de droit dont serait entaché le point 44 de l’arrêt attaqué, que la Commission indique ne soulever que par souci d’exhaustivité, à les supposer établies, ces erreurs ne sauraient, eu égard à ce qui ressort des points 41 à 48 du présent arrêt, avoir une quelconque incidence sur la validité de la conclusion du Tribunal selon laquelle l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil et la Commission devait être rejetée du fait que le règlement litigieux affecte la
situation juridique des requérantes.

52 Il convient d’ajouter que la Cour a déjà jugé que le législateur de l’Union, lors de l’adoption de ce règlement, a mis en place des mesures de défense commerciale constituant un ensemble ou « un paquet », qui visent à atteindre un résultat commun, à savoir l’élimination de l’effet préjudiciable sur l’industrie de l’Union de la subvention chinoise relatif aux produits concernés tout en préservant l’intérêt de cette industrie et que l’article 2 dudit règlement n’était pas détachable du reste des
dispositions du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil, C‑205/16 P, EU:C:2017:840, points 46 et 57).

53 Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi incident doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen du pourvoi incident

Argumentation des parties

54 Par le deuxième moyen du pourvoi incident, présenté à titre subsidiaire, la Commission, soutenue par le Conseil, fait valoir que, à supposer que le Tribunal ait eu raison de considérer, au point 44 de l’arrêt attaqué, que le règlement litigieux a modifié la situation juridique des requérantes au motif que c’est seulement en vertu de ce règlement que les requérantes doivent acquitter des droits sur les panneaux solaires en cause au-delà du volume annuel, le recours en annulation devant le Tribunal
serait devenu sans objet le jour de l’entrée en vigueur du règlement d’exécution 2015/866, qui a retiré l’acceptation de l’engagement offert par les requérantes.

55 La Commission constate que le niveau annuel d’importation du produit concerné, prévu dans l’acceptation de l’offre d’engagement des requérantes, n’a jamais été atteint avant l’entrée en vigueur de ce règlement d’exécution. Aussi, même si les requérantes avaient tiré un intérêt à agir de la clause de l’engagement prévoyant le paiement de droits pour les produits importés au-delà de ce niveau annuel, cet intérêt aurait, en tout état de cause, cessé d’exister à la date de l’entrée en vigueur dudit
règlement d’exécution, ce qui aurait abouti à constater que, à cette date, le recours en annulation était devenu sans objet. À cet égard, le Tribunal aurait omis de répondre à un tel argument soulevé par la Commission lors de l’audience devant le Tribunal.

56 La Commission ajoute que, même en supposant que le Tribunal ait répondu à cet argument, au point 44 de l’arrêt attaqué, sa réponse ne porte pas sur la question soulevée par la Commission. En effet, ce serait précisément parce que la Commission a retiré l’acceptation de l’engagement à l’égard des requérantes à la suite du non-respect de celui-ci que les conséquences juridiques de cette acceptation ne pouvaient plus leur procurer un intérêt légitime à agir.

57 Les requérantes considèrent que ce moyen doit être rejeté dans la mesure où il est incompréhensible et, en tout état de cause, inopérant.

Appréciation de la Cour

58 Il y a lieu de relever que le rejet du premier moyen du pourvoi incident implique le rejet du deuxième moyen. En effet, il ressort de l’appréciation ayant abouti au rejet de ce premier moyen que le règlement litigieux comporte des conséquences sur la situation juridique des requérantes, indépendamment de l’existence de la décision d’exécution 2013/707.

59 Ainsi, la circonstance que le règlement d’exécution 2015/866 ait retiré l’acceptation de l’engagement offert par les requérantes que prévoyait ladite décision d’exécution 2013/707, alors que le niveau annuel d’importation du produit concerné, prévu dans cet engagement, n’a jamais été atteint, ne saurait avoir une quelconque incidence sur le constat selon lequel le règlement litigieux affecte la situation juridique des requérantes et que, par conséquent, ces dernières étaient recevables à
introduire devant le Tribunal un recours en annulation contre ce dernier règlement.

60 Partant, il convient de rejeter le deuxième moyen du pourvoi incident.

61 Quant à la demande de la Commission, présentée à titre très subsidiaire, de déclarer non fondé le recours en première instance et d’infirmer l’interprétation du lien de causalité au sens de l’article 8 du règlement de base donnée par le Tribunal dans le cadre du troisième moyen du recours en première instance, il y a lieu de la rejeter comme étant irrecevable dans la mesure où cette demande n’est étayée par aucune argumentation juridique.

62 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi incident dans sa totalité.

Sur le pourvoi

63 À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent un moyen unique, tiré d’une erreur de droit en ce que le Tribunal, aux points 61 à 71 de l’arrêt attaqué, a exigé des requérantes qu’elles fassent la preuve de leur intérêt à soulever les premier et deuxième moyens de leur recours en annulation et, en tout état de cause, d’une erreur dans la qualification juridique des faits, les requérantes disposant bien d’un tel intérêt.

Argumentation des parties

64 Les requérantes font valoir, en premier lieu, que, par analogie, en appliquant à la possibilité de soulever des moyens isolés la jurisprudence de la Cour, selon laquelle tout requérant est tenu de montrer qu’il a un intérêt à agir, à savoir un intérêt à voir annuler l’acte attaqué, le Tribunal s’est fourvoyé en droit pour quatre raisons.

65 Premièrement, l’appréciation du Tribunal serait contraire à la jurisprudence de la Cour, laquelle imposerait aux requérantes de démontrer seulement un intérêt à l’annulation de l’acte attaqué.

66 En outre, le Tribunal aurait omis de distinguer les premier et deuxième moyens du recours en annulation des situations dans lesquelles un moyen est irrecevable, car le requérant n’a pas qualité pour le soulever. Ces situations, dégagées par la jurisprudence de la Cour, viseraient, d’une part, le cas où un moyen ne concerne pas un requérant, mais poursuit l’intérêt général ou les intérêts de la loi et, d’autre part, le cas d’un moyen concernant des règles qui, à l’instar du règlement intérieur
d’une institution, ne sont pas destinées à assurer la protection des particuliers. Or, les premier et deuxième moyens du recours en annulation n’auraient pas trait à ce type de situation et le Tribunal n’aurait pas invoqué qu’ils y avaient trait.

67 Deuxièmement, les requérantes invoquent une violation de leurs droits de la défense du fait que le Tribunal les a empêchées de soulever les moyens qu’elles estimaient opportuns, en infraction de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

68 Troisièmement, les requérantes estiment que, même s’il devait être admis qu’elles étaient tenues de prouver leur intérêt à soulever les premier et deuxième moyens du recours en annulation, la conclusion du Tribunal selon laquelle ces moyens sont irrecevables viole leur droit à un recours effectif, prévu à l’article 47 de la Charte. En effet, les requérantes ont dû agir en annulation dans le délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE afin d’éviter la prescription de leurs droits, dans la
mesure où, dans le cas contraire, au regard de la jurisprudence découlant de l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, EU:C:1994:90), elles auraient pris le risque d’être privées de la possibilité de remettre en cause la validité du règlement litigieux devant la juridiction d’un État membre à l’occasion d’une demande préjudicielle.

69 À cet égard, les requérantes rappellent que, selon le Tribunal, leur intérêt à soulever les deux premiers moyens du recours en annulation est hypothétique, ce qui impliquerait que si leur intérêt à soulever ces moyens naissait postérieurement à l’expiration du délai de deux mois visé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, elles seraient empêchées d’ester en justice. Une telle situation s’avérerait d’autant plus problématique qu’une des requérantes, Canadian Solar Emea, société importatrice,
aurait été capable de remettre en cause la validité du règlement litigieux devant une juridiction nationale à tout moment si elle n’avait pas été reliée aux autres requérantes, qui, elles, sont des sociétés exportatrices.

70 Quatrièmement, les requérantes font valoir que le Tribunal a violé leur droit d’être entendues au motif que la question de la recevabilité des deux premiers moyens du recours en annulation n’a pas été pleinement débattue devant le Tribunal. En effet, cette question n’aurait pas été invoquée par le Conseil et la Commission au cours de la procédure écrite ni pleinement abordée au cours de l’audience devant le Tribunal, ce qui aurait empêché les requérantes de démontrer qu’elles produisaient et
exportaient vers l’Union, et importaient dans l’Union, des modules originaires d’un pays tiers, mais en provenance de Chine, et importaient dans l’Union des modules originaires de Chine, mais en provenance d’un pays tiers.

71 En second lieu, les requérantes considèrent que le Tribunal a commis une erreur dans la qualification juridique des faits en concluant, aux points 66 à 70 de l’arrêt attaqué, qu’elles ne disposaient pas d’un intérêt à soulever les premier et deuxième moyens du recours en annulation.

72 D’une part, il découlerait d’une jurisprudence constante de la Cour que les requérantes ont un intérêt à agir pour éviter que les institutions ne reproduisent des erreurs fondées sur une interprétation erronée des dispositions du règlement de base, ce qui se serait produit en l’espèce, puisque la Commission a adopté un nouveau règlement, à savoir le règlement d’exécution (UE) 2017/366 de la Commission, du 1er mars 2017, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de modules
photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine à l’issue d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué en vertu de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil et clôturant le réexamen intermédiaire partiel effectué en vertu de l’article 19, paragraphe 3, du règlement (UE) 2016/1037 (JO 2017, L 56, p. 1), qui prolonge la durée du règlement
litigieux de dix-huit mois supplémentaires et qui reproduirait les mêmes erreurs.

73 D’autre part, les moyens soulevés par les requérantes concernaient l’étendue de l’enquête antisubventions, laquelle affecterait subséquemment le subside compensateur, le préjudice, le lien de causalité et les appréciations de l’intérêt de l’Union qui ont conduit le Conseil à adopter le règlement litigieux.

74 Le Conseil et la Commission concluent au rejet du premier moyen comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé et, en tout état de cause, dans son ensemble non fondé.

Appréciation de la Cour

75 Tout d’abord, le Tribunal a rappelé à juste titre, au point 61 de l’arrêt attaqué, que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la
partie qui l’a intenté. La preuve d’un tel intérêt, qui s’apprécie au jour où le recours est formé et qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice, doit être rapportée par le requérant (arrêt du 18 octobre 2018, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, C‑100/17 P, EU:C:2018:842, point 37).

76 Ainsi que l’a indiqué également le Tribunal aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, l’intérêt à agir d’un requérant doit être né et actuel. Il ne peut concerner une situation future et hypothétique. Cet intérêt doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité, et perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609,
points 56 et 57 ainsi que jurisprudence citée). La juridiction saisie de l’instance peut soulever d’office et à tout moment de la procédure le défaut d’intérêt d’une partie à maintenir sa demande, en raison de la survenance d’un fait intervenu postérieurement à la date de l’acte introductif d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, C‑100/17 P, EU:C:2018:842, point 38).

77 Concernant l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait exigé à tort des requérantes qu’elles fassent la preuve de leur intérêt à soulever les premier et deuxième moyens de leur recours en annulation, il convient de rappeler, premièrement, que la Cour a déjà jugé qu’un moyen d’annulation est irrecevable au motif que l’intérêt à agir fait défaut lorsque, à supposer qu’il soit fondé, l’annulation de l’acte attaqué sur la base de ce moyen ne serait pas de nature à donner satisfaction au requérant
(voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C-401/09 P, EU:C:2011:370, point 49 et jurisprudence citée).

78 Or, s’agissant de l’erreur que le Tribunal aurait commise dans la qualification juridique des faits, il convient de relever que, certes, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans certaines circonstances, un requérant peut conserver un intérêt à demander l’annulation d’un acte abrogé en cours d’instance, afin d’amener l’auteur de l’acte attaqué à apporter, à l’avenir, les modifications appropriées et, ainsi, éviter le risque de répétition de l’illégalité dont cet acte est prétendument
entaché (arrêt du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 64).

79 Toutefois, l’éventuelle persistance d’un tel intérêt, afin d’éviter que les institutions ne reproduisent des erreurs fondées sur une interprétation erronée d’une disposition de droit de l’Union, ne saurait être admise dans une situation où l’intérêt à agir du requérant n’a jamais existé.

80 Ainsi, dans la mesure où, à la date de l’introduction de leur recours en annulation, les requérantes n’ont pas démontré leur intérêt à soulever les deux premiers moyens, cet intérêt devant, conformément à la jurisprudence citée aux points 75 et 76 du présent arrêt, être apprécié au jour où le recours a été formé et ne pouvant concerner une situation future et hypothétique, elles ne sauraient justifier d’un tel intérêt en invoquant la nécessité d’éviter que les institutions ne reproduisent des
erreurs fondées sur une interprétation erronée d’une disposition de droit de l’Union.

81 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle, dans la mesure où les premier et deuxième moyens du recours en annulation portaient sur l’étendue de l’enquête antisubventions, ces moyens doivent être déclarés recevables, il y a lieu de relever que cette allégation ne saurait prospérer. En effet, le fait que, sur le fond, de tels moyens visent des éléments de cette enquête, tels que la subvention, le préjudice ou le lien de causalité, ne saurait, à lui seul, impliquer la recevabilité de ces moyens
dans une situation où les requérantes n’ont pas démontré un intérêt à soulever lesdits moyens.

82 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour visée aux points 75 et 76 du présent arrêt, a conclu, au point 71 de l’arrêt attaqué, que ces deux premiers moyens du recours en annulation devaient être rejetés comme étant irrecevables.

83 Deuxièmement, concernant l’argument selon lequel le Tribunal aurait violé l’article 47 de la Charte, il convient de rappeler que, eu égard à la protection qu’il confère, cet article n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article 47, lesquelles doivent, conformément à
l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C-583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 ainsi que jurisprudence citée).

84 Par conséquent, il y a lieu de constater que la protection conférée à l’article 47 de la Charte n’exige pas qu’un justiciable puisse, de manière inconditionnelle, intenter un recours en annulation, directement devant la juridiction de l’Union, contre des actes législatifs de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C-583/11 P, EU:C:2013:625, point 105).

85 Dans ces conditions, les requérantes ne sauraient valablement alléguer que l’exigence de démontrer un intérêt à faire valoir un moyen d’annulation violerait leur droit à un recours effectif, tel que prévu à l’article 47 de la Charte.

86 En outre, s’agissant de l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait violé le droit des requérantes à être entendues, découlant de cet article de la Charte, il convient de constater que ces dernières ne contestent pas que, lors de l’audience devant le Tribunal, les différentes parties intervenantes ont débattu au sujet de l’exception d’irrecevabilité présentée par le Conseil, relative aux deux premiers moyens du recours en annulation. Ainsi, les requérantes ne sauraient valablement alléguer que
le Tribunal ne leur a pas permis de débattre de tous les éléments de droit qui ont été décisifs pour l’issue de la procédure ni d’apporter les éléments de preuve nécessaires à l’appui de leur position.

87 Troisièmement, concernant l’argument selon lequel, eu égard à la jurisprudence découlant de l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, EU:C:1994:90), la conclusion du Tribunal empêcherait les requérantes d’ester en justice lorsque leur intérêt à soulever les premier et deuxième moyens naîtrait postérieurement à l’expiration du délai de deux mois visé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, il suffit de relever que, dans une telle hypothèse, la jurisprudence en question ne
constituerait, en principe, pas un obstacle pour qu’elles puissent soulever de tels moyens devant une juridiction nationale.

88 Il découle des considérations qui précèdent que le moyen unique ainsi que le pourvoi dans son ensemble doivent être rejetés.

Sur les dépens

89 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

90 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

91 Canadian Solar Emea, Canadian Solar Manufacturing (Changshu), Canadian Solar Manufacturing (Luoyang), Csi Cells Co. et Csi Solar Power ayant succombé dans leur pourvoi principal, et le Conseil ainsi que la Commission ayant conclu à la condamnation de celles-ci aux dépens, il y a lieu de condamner ces sociétés aux dépens afférents audit pourvoi.

92 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, la Commission, qui est intervenue dans la procédure relative au pourvoi principal, supportera ses propres dépens.

93 La Commission ayant succombé dans son pourvoi incident, et Canadian Solar Emea, Canadian Solar Manufacturing (Changshu), Canadian Solar Manufacturing (Luoyang), Csi Cells Co. ainsi que Csi Solar Power ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens afférents au pourvoi incident.

94 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, le Conseil, qui est intervenu dans la procédure relative au pourvoi incident, supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Les pourvois sont rejetés.

  2) Canadian Solar Emea GmbH, Canadian Solar Manufacturing (Changshu) Inc., Canadian Solar Manufacturing (Luoyang) Inc., Csi Cells Co. Ltd et Csi Solar Power Group Co. Ltd sont condamnées aux dépens afférents au pourvoi principal.

  3) La Commission européenne supporte ses propres dépens afférents au pourvoi principal.

  4) La Commission européenne est condamnée aux dépens afférents au pourvoi incident.

  5) Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens afférents au pourvoi incident.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-237/17
Date de la décision : 27/03/2019
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Subventions – Importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de Chine – Droit compensateur définitif – Règlement (CE) n° 597/2009.

Politique commerciale

Dumping

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Canadian Solar Emea GmbH e.a.
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:259

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award