ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 mars 2019 ( *1 )
Table des matières
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95
Le règlement (CE) no 659/1999
Le règlement no 794/2004
Le règlement (CE) no 1083/2006
Le règlement no 800/2008
Les lignes directrices
Le droit estonien
Le litige au principal et les questions préjudicielles
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
Sur le fond
Sur la première question, relative à l’effet incitatif de l’aide
Sur la deuxième question et sur la seconde partie de la quatrième question, relatives à l’obligation de récupérer une aide illégale
Sur la troisième question, relative au principe de protection de la confiance légitime
Sur la première partie de la quatrième question, relative au délai de prescription applicable à la récupération d’une aide illégale
Sur la cinquième question, relative à l’obligation de réclamer des intérêts
Sur les dépens
« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Règlement (CE) no 800/2008 (Règlement général d’exemption par catégorie) – Article 8, paragraphe 2 – Aides ayant un effet incitatif – Notion de “début de la réalisation du projet” – Compétences des autorités nationales – Aide illégale – Absence de décision de la Commission européenne ou d’une juridiction nationale – Obligation incombant aux autorités nationales de récupérer de leur propre initiative une aide illégale – Base juridique – Article 108, paragraphe 3,
TFUE – Principe général du droit de l’Union de la protection de la confiance légitime – Décision de l’autorité nationale compétente octroyant une aide au titre du règlement no 800/2008 – Connaissance des circonstances excluant l’éligibilité de la demande d’aide – Création d’une confiance légitime – Absence – Prescription – Aides cofinancées à partir d’un fonds structurel – Réglementation applicable – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Réglementation nationale – Intérêts – Obligation de réclamer
des intérêts – Base juridique – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Réglementation applicable – Réglementation nationale – Principe d’effectivité »
Dans l’affaire C‑349/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie), par décision du 18 mai 2017, parvenue à la Cour le 13 juin 2017, dans la procédure
Eesti Pagar AS
contre
Ettevõtluse Arendamise Sihtasutus,
Majandus- ja Kommunikatsiooniministeerium,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), MM. M. Vilaras, E. Regan et Mme C. Toader, présidents de chambre, MM. E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský, L. Bay Larsen, D. Šváby et C. G. Fernlund, juges,
avocat général : M. M. Wathelet,
greffier : Mme R. Şereş, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2018,
considérant les observations présentées :
– pour Eesti Pagar AS, par Mes R. Paatsi et T. Biesinger, vandeadvokaadid,
– pour l’Ettevõtluse Arendamise Sihtasutus, par Mme K. Jakobson-Lott,
– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou, D. Tsagkaraki, E. Tsaousi et A. Dimitrakopoulou, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. T. Maxian Rusche et B. Stromsky ainsi que par Mmes K. Blanck-Putz et K. Toomus, en qualité d’agents, assistés de Me L. Naaber-Kivisoo, vandeadvokaat,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 septembre 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles [107 et 108 TFUE] (Règlement général d’exemption par catégorie) (JO 2008, L 214, p. 3), sur l’obligation incombant aux autorités nationales de récupérer de leur propre initiative une aide illégale, sur l’interprétation du principe général du
droit de l’Union de la protection de la confiance légitime en matière de récupération d’une aide illégale, sur le délai de prescription applicable à la récupération par les autorités nationales de leur propre initiative d’une aide illégale et, enfin, sur l’obligation pour les États membres de réclamer, lors d’une telle récupération, des intérêts.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eesti Pagar AS à l’Ettevõtluse Arendamise Sihtasutus (fondation pour le développement de l’entreprise, Estonie, ci-après l’« EAS ») et au Majandus- ja Kommunikatsiooniministeerium (ministère des Affaires économiques et des Communications, Estonie, ci-après le « ministère ») au sujet de la légalité d’une décision de l’EAS, confirmée par le ministère sur recours hiérarchique, ordonnant la récupération auprès d’Eesti Pagar d’une somme
de 526300 euros, majorée d’intérêts, au titre d’une aide qui lui a été antérieurement versée par l’EAS.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95
3 L’article 1er du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), dispose :
« 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.
2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »
4 L’article 3, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, de ce règlement prévoit :
« Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.
[...]
La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. »
5 Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, dudit règlement :
« 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :
– par l’obligation [...] de rembourser les montants indûment perçus,
[...]
2. L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. »
6 L’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2988/95 dispose :
« Les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives suivantes :
[...]
b) le paiement d’un montant excédant les sommes indûment perçues ou éludées, augmentées, le cas échéant, d’intérêts ; [...] »
Le règlement (CE) no 659/1999
7 L’article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), énonce :
« L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération. »
8 L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans. »
Le règlement no 794/2004
9 Aux termes de l’article 9 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO 2004, L 140, p. 1, et rectificatif JO 2005, L 25, p. 74), tel que modifié par le règlement (CE) no 271/2008 de la Commission, du 30 janvier 2008 (JO 2008, L 82, p. 1) (ci-après le « règlement no 794/2004 ») :
« 1. Sauf dispositions contraires prévues par une décision spécifique, le taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État octroyées en violation de l’article [108], paragraphe 3, [TFUE] est un taux en pourcentage annuel fixé par la Commission avant chaque année civile.
2. Le taux d’intérêt est calculé en ajoutant 100 points de base au taux du marché monétaire à un an. Si ces taux ne sont pas disponibles, c’est le taux du marché monétaire à trois mois qui sera utilisé ou, à défaut, le rendement des obligations d’État.
3. En l’absence de données fiables sur le marché monétaire ou le rendement des obligations d’État ou de données équivalentes, ou dans des cas exceptionnels, la Commission peut fixer, en étroite coopération avec l’État membre ou les États membres concernés, un taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État sur la base d’une méthode différente et des renseignements dont elle dispose.
4. Le taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État sera révisé une fois par an. Le taux de base sera calculé sur la base du taux du marché monétaire à un an enregistré en septembre, octobre et novembre de l’année considérée. Le taux ainsi calculé s’appliquera pour toute l’année suivante.
5. Par ailleurs, pour tenir compte de variations fortes et subites, une mise à jour sera effectuée chaque fois que le taux moyen, calculé sur les trois mois précédents, s’écarte de plus de 15 % du taux en vigueur. Ce nouveau taux entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant les mois ayant servi au calcul. »
10 L’article 11 du règlement no 794/2004 précise :
« 1. Le taux d’intérêt applicable est le taux en vigueur à la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire.
2. Le taux d’intérêt est appliqué sur une base composée jusqu’à la date de récupération de l’aide. Les intérêts courus pour une année produisent des intérêts chaque année suivante.
3. Le taux d’intérêt visé au paragraphe 1 s’applique pendant toute la période jusqu’à la date de récupération de l’aide. Cependant, si plus d’un an s’est écoulé entre la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire et la date de sa récupération, le taux d’intérêt est recalculé annuellement, sur la base du taux en vigueur au moment du nouveau calcul du taux. »
Le règlement (CE) no 1083/2006
11 L’article 101 du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25), prévoit :
« L’application d’une correction financière par la Commission n’affecte pas l’obligation de l’État membre de procéder au recouvrement prévu à l’article 98, paragraphe 2, du présent règlement et de récupérer l’aide d’État au titre de l’article [107 TFUE] et au titre de l’article 14 du [règlement no 659/1999]. »
Le règlement no 800/2008
12 Les considérants 1, 2, 5, 28 et 29 du règlement no 800/2008 exposent :
« (1) Le règlement (CE) no 994/98 [du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles (107 et 108 TFUE) à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO 1998, L 142, p. 1),] autorise la Commission à déclarer, conformément à l’article [107 TFUE], que sous certaines conditions, les aides aux petites et moyennes entreprises (PME), les aides à la recherche et au développement, les aides pour la protection de l’environnement, les aides à l’emploi et à la formation, et les aides respectant
la carte approuvée par la Commission pour chaque État membre pour l’octroi des aides à finalité régionale sont compatibles avec le marché commun et ne sont pas soumises à l’obligation de notification prévue à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE].
(2) La Commission a appliqué les articles [107] et [108 TFUE] dans de nombreuses décisions et a acquis une expérience suffisante pour définir des critères de compatibilité généraux en ce qui concerne les aides en faveur des PME, sous forme d’aides à l’investissement dans les régions assistées et en dehors de celles-ci, sous forme de régimes d’aide au capital-investissement et en faveur de la recherche, du développement et de l’innovation, [...]
[...]
(5) Le présent règlement doit exempter toute aide qui remplit toutes les conditions qu’il prévoit ainsi que tout régime d’aide, pour autant que toute aide individuelle susceptible d’être accordée en application de ce régime remplisse toutes lesdites conditions. [...]
[...]
(28) Afin de garantir que l’aide est nécessaire et constitue une incitation à développer d’autres activités ou projets, il convient d’exclure du champ d’application du présent règlement les aides en faveur d’activités que le bénéficiaire entreprendrait déjà aux conditions normales du marché. En ce qui concerne les aides couvertes par le présent règlement accordées à une PME, il y a lieu de considérer qu’une telle incitation existe lorsque la PME a présenté une demande d’aide à l’État membre avant
le lancement des activités liées à la mise en œuvre du projet ou des activités bénéficiant de l’aide. [...]
(29) En ce qui concerne les aides couvertes par le présent règlement accordées à des bénéficiaires qui sont de grandes entreprises, l’État membre doit s’assurer, outre du respect des conditions applicables aux PME, que le bénéficiaire ait analysé, dans un document interne, la viabilité de l’activité ou du projet considéré avec et sans aide. [...] »
13 Aux termes de l’article 3 du règlement no 800/2008 :
« 1. Les régimes d’aides qui remplissent toutes les conditions du chapitre I du présent règlement, ainsi que les dispositions pertinentes du chapitre II du présent règlement sont compatibles avec le marché commun au sens de l’article [107], paragraphe 3, [TFUE] et sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE], à condition que toute aide individuelle accordée au titre de ce régime remplisse toutes les conditions du présent règlement et que le
régime contienne une référence expresse au présent règlement, par la citation de son titre et l’indication de sa référence de publication au Journal officiel de l’Union européenne.
2. Les aides individuelles accordées au titre d’un régime visé au paragraphe 1 sont compatibles avec le marché commun au sens de l’article [107], paragraphe 3, [TFUE] et sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE], à condition qu’elles remplissent toutes les conditions du chapitre I du présent règlement ainsi que les dispositions pertinentes du chapitre II du présent règlement et qu’elles contiennent une référence expresse aux dispositions
pertinentes du présent règlement, par la citation des dispositions pertinentes, du titre du présent règlement, et l’indication de sa référence de publication au Journal officiel de l’Union européenne.
3. Les aides ad hoc qui remplissent toutes les conditions du chapitre I du présent règlement ainsi que les dispositions pertinentes du chapitre II du présent règlement sont compatibles avec le marché commun au sens de l’article [107], paragraphe 3, [TFUE] et sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE], à condition qu’elles contiennent une référence expresse aux dispositions pertinentes du présent règlement, par la citation des dispositions
pertinentes, du titre du présent règlement et l’indication de sa référence de publication au Journal officiel de l’Union européenne. »
14 L’article 8, paragraphes 1 à 3 et 6, de ce règlement dispose :
« 1. Le présent règlement n’exempte que les aides qui ont un effet incitatif.
2. Les aides accordées aux PME, couvertes par le présent règlement, sont réputées avoir un effet incitatif si, avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question, le bénéficiaire a présenté une demande d’aide à l’État membre concerné.
3. Les aides accordées aux grandes entreprises, couvertes par le présent règlement, sont réputées avoir un effet incitatif si, outre le respect de la condition énoncée au paragraphe 2, l’État membre a vérifié, avant d’octroyer l’aide individuelle concernée, que les documents préparés par le bénéficiaire montrent qu’un ou plusieurs des critères suivants sont satisfaits :
[...]
6. Si les conditions énoncées aux paragraphes 2 et 3 ne sont pas remplies, l’intégralité de la mesure d’aide n’est pas exemptée en vertu du présent règlement. »
Les lignes directrices
15 Le point 38 des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 (2006/C 54/08) (JO 2006, C 54, p. 13, ci-après les « lignes directrices ») indique :
« Il importe de veiller à ce que l’aide régionale ait réellement pour effet d’inciter à réaliser des investissements qui ne le seraient pas sinon dans les régions assistées. Par conséquent, une aide ne peut être accordée au titre de régimes d’aides que si le bénéficiaire a présenté une demande à cet effet et si l’autorité responsable de l’administration du régime a ensuite confirmé par écrit(39) que, sous réserve de vérifications plus détaillées, le projet en principe remplissait les conditions
d’admissibilité fixées dans le régime avant le début des travaux(40). Tous les régimes d’aides doivent aussi mentionner expressément ces deux conditions(41). Dans le cas d’une aide ad hoc, l’autorité compétente doit avoir délivré une lettre d’intention selon laquelle elle accordera l’aide avant le début des travaux, mais sous réserve de l’autorisation de la mesure en cause par la Commission. S’ils commencent avant que les conditions établies au présent paragraphe ne soient respectées, c’est
l’ensemble du projet qui perd son droit à l’aide. »
16 La note en bas de page 40 (39 dans la version en langue estonienne) des lignes directrices précise :
« L’expression “début des travaux” signifie soit le début des travaux de construction, soit le premier engagement ferme de commander des équipements, à l’exclusion des études de faisabilité préliminaires. »
Le droit estonien
17 L’article 26 du Perioodi 2007-2013 struktuuritoetuse seadus (loi sur les aides structurelles pour la période 2007–2013), du 7 décembre 2006 (RT I 2006, 59, 440), dans sa version en vigueur du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014 (ci-après le « STS »), intitulé « Récupération de l’aide », prévoit, à ses paragraphes 5 et 6 :
« (5) Une décision de récupération peut être prise au plus tard le 31 décembre 2025. Dans le cas visé à l’article 88 du [règlement no 1083/2006], une décision de récupération peut être prise jusqu’à l’expiration de la période fixée par le gouvernement pour la conservation des documents.
(6) Le gouvernement établit les conditions et la procédure de récupération et de remboursement de l’aide. »
18 L’article 28 du STS, intitulé « Intérêts et intérêts moratoires », énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :
« (1) Des intérêts s’appliquent au montant résiduel d’une aide à récupérer sur le fondement de l’article 26, paragraphes 1 et 2, de la présente loi. Le taux d’intérêt applicable au montant résiduel de l’aide à récupérer est l’Euribor 6 mois + 5 % par an. Le calcul des intérêts court sur une période de 360 jours.
(11) Des intérêts ne sont pas exigés si le revenu généré est récupéré et que le bénéficiaire de l’aide a rempli les obligations d’information mises à sa charge concernant le revenu généré par le projet, conformément aux modalités prévues à l’article 21, paragraphe 2, de la présente loi.
(2) Les intérêts sont calculés à partir de la date de prise d’effet de la décision de récupération, sur la base du taux d’intérêt en vigueur le dernier jour ouvrable du mois précédant le mois calendaire au cours duquel la décision a été prise. Si une infraction pénale a été commise lors de la demande ou de l’utilisation de l’aide, les intérêts sont calculés à partir de la date à laquelle l’aide a été versée, sur la base du taux d’intérêt en vigueur à cette date.
(3) Les intérêts courent jusqu’au jour du remboursement de l’aide, sans aller toutefois au-delà de l’échéance de remboursement, et, en cas de report, jusqu’à l’échéance du remboursement final. [...] »
19 Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du Vabariigi Valitsuse määrus nr 278 « Toetuse tagasinõudmise ja tagasimaksmise ning toetuse andmisel ja kasutamisel toimunud rikkumisest teabe edastamise tingimused ja kord » (décret gouvernemental no 278 portant sur les conditions et procédure de récupération et de remboursement d’une aide, ainsi que de transmission des informations relatives à une irrégularité commise lors de l’octroi et l’utilisation de l’aide), du 22 décembre 2006 (RT I 2006, 61,
463), adopté, notamment, sur la base de l’article 26, paragraphe 6, du STS :
« La décision de récupérer l’aide est prise en vertu d’une appréciation discrétionnaire dans le délai de 45 jours calendaires ou, lorsque le montant à récupérer excède 127823 euros, de 90 jours calendaires, à compter de la date à laquelle les motifs d’une récupération de l’aide sont connus. Dans les cas où cela se justifie, ce délai de décision peut être prolongé d’une durée raisonnable. »
20 L’article 1er du Majandus- ja kommunikatsiooniministri määrus nr 44 « Tööstusettevõtja tehnoloogiainvesteeringu toetamise tingimused ja kord » (décret no 44 du ministre des Affaires économiques et des Communications portant sur les conditions et la procédure de soutien des investissements technologiques des entreprises industrielles), du 4 juin 2008 (RTL 2008, 48, 658), intitulé « Champ d’application », dispose notamment :
« (1) Les conditions et la procédure de soutien aux investissements technologiques des entreprises industrielles [...] sont fixées aux fins de la mise en œuvre des objectifs de la “capacité d’innovation et de croissance des entreprises” de l’axe prioritaire du programme opérationnel “amélioration de l’environnement économique”.
(2) Peuvent être octroyées, au titre [de ce soutien] : 1) une aide régionale, accordée conformément aux dispositions du [règlement no 800/2008], et soumise aux dispositions de ce même règlement et de l’article 342 de la konkurentsiseadus (loi sur la concurrence) ; [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21 Le 28 août 2008, Eesti Pagar a conclu un contrat aux termes duquel elle s’est engagée auprès de Kauko-Telko Oy à acquérir une chaîne de production de pain moulé et de pain de mie pour le prix de 2770000 euros. Conformément à ses stipulations, ce contrat a pris effet après un premier versement de 5 % de ce prix, intervenu le 3 septembre 2008.
22 Le 29 septembre 2008, Eesti Pagar a conclu avec AS Nordea Finance Estonia un contrat de leasing, à la suite duquel a été conclu, le 13 octobre 2008, un contrat de vente tripartite, par lequel Kauko-Telko s’est engagée à vendre cette chaîne de production de pain à Nordea Finance Estonia, qui s’est engagée à donner celle-ci en leasing à Eesti Pagar. Ce contrat a pris effet à sa signature.
23 Le 24 octobre 2008, Eesti Pagar a présenté à l’EAS, sur le fondement de l’article 1er du décret no 44, du 4 juin 2008, une demande d’aide pour l’acquisition et l’installation de ladite chaîne de production de pain. Par une décision du 10 mars 2009, l’EAS a fait droit à cette demande pour un montant de 526300 euros. Il a été précisé lors de l’audience devant la Cour que cette aide était cofinancée à partir du Fonds européen de développement régional (FEDER).
24 Par une lettre du 22 janvier 2013, l’EAS a informé Eesti Pagar que le contrat de vente conclu le 28 août 2008 méconnaissait la condition d’effet incitatif de l’aide prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, de sorte qu’Eesti Pagar s’était vu octroyer une aide d’État illégale. Eesti Pagar, estimant que l’aide d’État dont elle avait bénéficié présentait bien un caractère incitatif, n’a pas adressé, contrairement à ce que l’EAS lui a conseillé dans la même lettre, une demande
d’autorisation de ladite aide à la Commission.
25 Par une lettre du 12 juillet 2013, l’EAS a informé Eesti Pagar qu’elle avait engagé une procédure de non-conformité en raison de cette irrégularité et qu’elle envisageait de récupérer le montant de 526300 euros versé au titre de l’aide en cause.
26 Le 8 janvier 2014, l’EAS a adopté une décision de récupération auprès d’Eesti Pagar du montant de l’aide en cause, majoré de 98454 euros au titre des intérêts composés afférents à la période comprise entre la date du versement de cette aide et la date de récupération de celle-ci, conformément à l’article 9 du règlement no 794/2004 et à l’article 28 du STS. Selon cette décision, un contrôle ex post effectué au mois de décembre 2012 avait révélé l’existence du contrat de vente du 28 août 2008,
conclu avant la présentation de la demande d’aide auprès de l’EAS, de sorte que l’effet incitatif requis à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008 n’était pas démontré.
27 Le 10 février 2014, Eesti Pagar a introduit un recours hiérarchique contre ladite décision, qui a été rejeté par la décision du ministère no 14-0003, du 21 mars 2014.
28 Le 21 avril 2014, Eesti Pagar a saisi le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn, Estonie) d’un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision de récupération de l’EAS et de la décision confirmative du ministère, à titre subsidiaire, à la constatation de l’illégalité de ces décisions en ce qui concerne la récupération de l’aide en cause et, à titre encore plus subsidiaire, à l’annulation de celles-ci en ce qui concerne les intérêts réclamés. Par jugement du
17 novembre 2014, cette juridiction a rejeté ce recours dans son intégralité.
29 Le 16 décembre 2014, Eesti Pagar a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, qui l’a rejeté par un arrêt du 25 septembre 2015.
30 Le 26 octobre 2015, Eesti Pagar a formé un pourvoi en cassation, auquel la Riigikohus (Cour suprême, Estonie) a fait partiellement droit, par un arrêt du 9 juin 2016, en annulant l’arrêt de la juridiction de renvoi ainsi que le point 1.1 du dispositif de la décision de récupération du 8 janvier 2014, de même que la partie du point 1.2 de cette décision concernant les intérêts. Elle a, au surplus, renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi pour un nouvel examen. L’arrêt de la Riigikohus
(Cour suprême) est notamment fondé sur les considérations suivantes :
– un engagement ferme d’acheter des équipements avant d’introduire la demande d’aide n’exclut pas un effet incitatif lorsque l’acheteur peut se délier sans difficultés excessives du contrat en cas de refus de l’aide, ce qui n’apparaîtrait pas exclu en l’espèce ;
– aucune disposition du droit de l’Union n’obligeant expressément et impérativement les États membres à récupérer une aide illégale sans décision de la Commission, la récupération d’une telle aide à l’initiative de l’État membre concerné relève d’une décision discrétionnaire de ses autorités ;
– dans le cadre de la récupération d’une aide à l’initiative de l’État membre concerné, il convient de procéder à une appréciation discrétionnaire en prenant en compte la confiance légitime du bénéficiaire, qui peut naître de l’action d’une autorité nationale ;
– s’il n’est pas certain, en l’espèce, que s’applique le délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 pour les cas de récupération d’aides structurelles payées par l’État membre concerné, en tout état de cause, le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ne saurait s’appliquer en l’absence d’une décision de la Commission sur la récupération d’une aide, et
– ni le droit estonien ni le droit de l’Union ne fournissent de base juridique pour réclamer des intérêts pour la période comprise entre le paiement de l’aide en cause et sa récupération, étant donné, notamment, que les articles 9 et 11 du règlement no 794/2004 ne visent, conformément à l’article 14, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 659/1999, que les intérêts afférents à une aide qui doit être récupérée en vertu d’une décision de la Commission et que l’article 4, paragraphe 2, et
l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2988/95 ne prévoient pas d’obligation de payer des intérêts, mais supposent qu’une telle obligation est prévue par des actes du droit de l’Union ou des États membres.
31 Dans le cadre de la procédure ainsi reprise devant la juridiction de renvoi, Eesti Pagar affirme, notamment, que les contrats qu’elle a conclus les 28 août, 29 septembre et 13 octobre 2008 n’étaient pas contraignants, dès lors que, en cas de refus de l’aide demandée, elle aurait facilement pu y mettre fin en s’acquittant de modestes frais de dédit. Le projet d’acquisition et d’installation d’une chaîne de production de pain n’aurait pas été réalisé sans l’aide demandée et l’EAS aurait dû examiner
l’effet incitatif de celle-ci sur le fond.
32 Cette société prétend également que la conclusion de ces contrats était connue par l’EAS au moment de la présentation de la demande d’aide et que leur conclusion avant la présentation de cette demande lui a été recommandée par un représentant de celle-ci. Par l’octroi de l’aide demandée, l’EAS aurait ainsi créé à l’égard de ladite société une confiance légitime dans la légalité de cette aide.
33 En outre, Eesti Pagar fait valoir qu’il n’existe aucune obligation pour l’EAS de récupérer l’aide en cause, que la récupération de celle-ci n’est plus possible en vertu de la règle de prescription prévue à l’article 11, paragraphe 1, du décret gouvernemental no 278 et de l’article 26, paragraphe 6, du STS, voire de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, et que les intérêts réclamés sont contraires à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphes 1 à 3, du STS.
34 L’EAS et le ministère considèrent que la demande d’aide ne satisfaisait pas aux conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008 et que, en vertu notamment de l’article 101 du règlement no 1083/2006, l’EAS était tenue de réclamer à Eesti Pagar le remboursement de l’aide en cause.
35 L’EAS conteste avoir eu, lors de l’examen de la demande d’aide, connaissance des contrats conclus par Eesti Pagar les 28 août, 29 septembre et 13 octobre 2008 et avoir recommandé leur conclusion. Elle n’aurait ainsi créé aucune confiance légitime en faveur de ladite société. Le ministère estime que, en tout état de cause, ni la bonne foi du bénéficiaire ni le comportement d’un organe administratif ne dispensent de l’obligation de rembourser une aide illégale.
36 Selon l’EAS et le ministère, le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 s’applique en l’espèce, au moins par analogie, et l’obligation de payer des intérêts résulte, notamment, de l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement.
37 Le 30 décembre 2016, la Commission a présenté des observations à la juridiction de renvoi en qualité d’amicus curiae.
38 La juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, si elle est liée, en vertu d’une règle de droit interne, par l’appréciation portée en droit par l’arrêt du 9 juin 2016 de la Riigikohus (Cour suprême), il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’une telle règle ne saurait la priver de la faculté prévue à l’article 267 TFUE de saisir la Cour de questions d’interprétation du droit de l’Union.
39 En deuxième lieu, elle relève que l’analyse de la Riigikohus (Cour suprême), selon laquelle il était possible d’apprécier la question de savoir si la personne qui a présenté une demande afin de recevoir une aide aurait pu, au cas où cette aide lui aurait été refusée, se délier des contrats sans difficulté excessive, est inspirée par une jurisprudence de la Cour relative non pas à la compétence des autorités nationales dans le contexte d’un règlement général d’exemption par catégorie, mais d’une
appréciation individuelle effectuée par la Commission au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE. Elle doute néanmoins que cette jurisprudence soit transposable à l’appréciation de l’effet incitatif effectuée par l’État membre concerné sur le fondement du règlement no 800/2008 et s’interroge sur le point de savoir si l’autorité de cet État membre est compétente pour apprécier sur le fond la question de savoir si l’aide en cause est pourvue d’un effet incitatif.
40 En troisième lieu, cette juridiction considère qu’il ne ressort pas clairement de la jurisprudence de la Cour si un État membre, lorsqu’il prend la décision de récupérer une aide illégale sans décision en ce sens de la Commission, est autorisé à se fonder sur les principes nationaux du droit de la procédure administrative et à prendre en compte la confiance légitime que l’autorité nationale a fait naître à l’égard du bénéficiaire de l’aide en cause.
41 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi estime qu’une incertitude demeure également sur le point de savoir s’il convient, pour une décision de récupération d’une aide illégale prise par une autorité d’un État membre, de se référer au délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 ou au délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999.
42 En cinquième lieu, cette juridiction précise que, bien que la Riigikohus (Cour suprême) ait résolu le litige partiellement en ce qui concerne les intérêts et ait annulé la décision de récupération en ce que celle-ci obligeait Eesti Pagar à payer des intérêts, il reste nécessaire, pour résoudre l’affaire dont elle est saisie, de connaître les conditions auxquelles le droit de l’Union subordonne le paiement d’intérêts en cas de récupération d’une aide illégale à l’initiative d’un État membre.
43 Or, la jurisprudence de la Cour ne ferait pas apparaître de manière suffisamment claire si l’autorité de l’État membre, lorsqu’elle récupère une aide illégale de sa propre initiative, doit se référer à cet égard aux objectifs énoncés à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, indépendamment des règles du droit interne applicables pour exiger des intérêts, et de calculer les intérêts conformément aux dispositions des articles 9 et 11 du règlement no 794/2004.
44 C’est dans ces circonstances que la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« [1)] L’article 8, paragraphe 2, du [règlement no 800/2008] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de cette disposition, la “réalisation du projet ou de l’activité” a débuté lorsque l’activité à subventionner consiste par exemple à acquérir des équipements et que le contrat de vente portant sur ces équipements a été conclu ? Les autorités de l’État membre sont-elles compétentes pour apprécier la méconnaissance du critère prévu dans cette disposition au regard des frais de dédit du
contrat dont la conclusion est constitutive d’une violation de l’exigence d’un effet incitatif ? À supposer que les autorités de l’État membre aient une telle compétence, jusqu’à quel montant (en pourcentage) peut-on considérer que les frais de dédit du contrat représentent un coût d’importance suffisamment marginale pour que l’exigence de l’effet incitatif soit satisfaite ?
[2)] L’autorité de l’État membre a-t-elle l’obligation de récupérer une aide illégale qu’elle a octroyée même si la Commission [...] n’a pas rendu de décision en ce sens ?
[3)] L’autorité de l’État membre qui décide d’octroyer l’aide en considérant à tort qu’il s’agit d’une aide répondant aux conditions [du règlement no 800/2008], mais qui, en réalité, octroie une aide illégale, peut-elle créer une confiance légitime à l’égard du bénéficiaire de cette aide ? En particulier, est-il suffisant, pour créer une confiance légitime à l’égard du bénéficiaire de l’aide, que l’autorité de l’État membre, lors de l’octroi de l’aide illégale, ait connaissance des circonstances
en raison desquelles l’aide ne relève pas de l’exemption par catégorie ?
Si la réponse à la question précédente est affirmative, il est alors nécessaire de mettre en balance l’intérêt public avec l’intérêt du particulier. Dans le cadre d’une telle mise en balance, est-il pertinent que la Commission ait rendu une décision déclarant l’aide en question incompatible avec le marché commun ?
[4)] Quel délai de prescription s’applique-t-il à la récupération de l’aide illégale par l’autorité de l’État membre ? S’agit-il d’un délai de dix ans, au terme desquels l’aide devient une aide existante au sens de l’article 1er et de l’article 15 du [règlement no 659/1999] et ne peut plus être récupérée, ou de quatre ans, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du [règlement no 2988/95] ?
La base juridique d’une telle récupération, lorsque l’aide a été octroyée au titre d’un fonds structurel, est-elle l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], ou bien le [règlement no 2988/95] ?
[5)] Lorsque l’autorité de l’État membre récupère une aide illégale, a-t-elle dans ce cadre l’obligation de réclamer au bénéficiaire des intérêts sur cette aide illégale ? Dans l’affirmative, quelles règles s’appliquent-elles au calcul des intérêts, notamment en ce qui concerne le taux d’intérêt et la période sur laquelle courent lesdits intérêts ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
45 Eesti Pagar soutient que, par son arrêt du 9 juin 2016, la Riigikohus (Cour suprême) a résolu l’essentiel du litige au principal au niveau national, de sorte que les questions préjudicielles sont, en raison du stade de la procédure auquel elles interviennent, irrecevables, à l’exception de la quatrième question.
46 Par ailleurs, cette société estime que les première à quatrième questions, telles que formulées par la juridiction de renvoi, ne sont pas pertinentes et reposent, notamment, sur des suppositions erronées et une description incomplète et erronée des faits relatifs au caractère contraignant ou non du contrat conclu le 28 août 2008, à la date de l’entrée en vigueur du contrat conclu le 29 septembre 2008, obligations créées vis-à-vis de cette société en vertu du contrat conclu le 28 août 2008, à la
date à laquelle l’EAS a eu connaissance de ces contrats et à la recommandation par celle-ci de procéder à la conclusion desdits contrats avant la présentation de la demande d’aide.
47 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la
pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 24 et jurisprudence citée).
48 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit
nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 25 et jurisprudence citée).
49 À ce dernier égard, il convient de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de
droit complexes (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 26 et jurisprudence citée).
50 En l’occurrence, tout d’abord, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi a clairement défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose et de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Ioannis Katsivardas – Nikolaos Tsitsikas, C‑160/09, EU:C:2010:293, point 27).
51 Ensuite, il ressort clairement dudit cadre factuel que, par son arrêt du 9 juin 2016, la Riigikohus (Cour suprême) a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi pour un nouvel examen en ce qui concerne les problématiques faisant l’objet des première à quatrième questions.
52 Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, une règle de droit national, en vertu de laquelle les juridictions ne statuant pas en dernière instance sont liées par des appréciations portées par la juridiction supérieure, ne saurait enlever à ces juridictions la faculté de la saisir de questions d’interprétation du droit de l’Union concerné par de telles appréciations en droit. La Cour a en effet considéré que la juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre,
si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de la saisir des questions qui la préoccupent (arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C‑173/09, EU:C:2010:581, point 27).
53 Enfin, la juridiction de renvoi relève, certes, que la Riigikohus (Cour suprême) a partiellement résolu, par son arrêt du 9 juin 2016, le litige au principal en ce qui concerne les intérêts, en annulant la décision de récupération de l’aide litigieuse en ce que celle-ci obligerait Eesti Pagar à payer les intérêts portés par ladite aide depuis son paiement jusqu’à sa récupération. Toutefois, elle précise également qu’il reste nécessaire, pour résoudre cette partie du litige, de connaître la
réponse de la Cour à la cinquième question, en faisant la lumière sur les conditions auxquelles le droit de l’Union subordonne le paiement d’intérêts en cas de récupération d’une aide illégale.
54 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable dans son ensemble.
Sur le fond
Sur la première question, relative à l’effet incitatif de l’aide
55 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008 doit être interprété en ce sens que la « réalisation du projet ou de l’activité », au sens de cette disposition, a débuté lorsqu’une première commande d’équipements destinés à ce projet ou à cette activité a été effectuée au moyen de la conclusion d’un contrat de vente avant la présentation d’une demande d’aide, si bien qu’une aide ne saurait être réputée avoir eu un
effet incitatif au sens de ladite disposition, ou si, en dépit de la conclusion d’un tel contrat, les autorités nationales compétentes doivent vérifier si, eu égard au montant des frais de dédit du contrat, l’exigence d’effet incitatif, au sens de la même disposition, est ou non satisfaite.
56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle mis en place par le traité FUE dans le domaine des aides d’État. Dans le cadre de ce système, les États membres ont l’obligation, d’une part, de notifier à la Commission chaque mesure tendant à instituer ou à modifier une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, d’autre part, de ne pas mettre en œuvre une telle mesure, conformément à l’article 108,
paragraphe 3, TFUE, aussi longtemps que ladite institution n’a pas pris une décision finale concernant ladite mesure (arrêt du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14, EU:C:2016:577, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).
57 Or, conformément à l’article 109 TFUE, le Conseil de l’Union européenne est autorisé à prendre tous règlements utiles en vue de l’application des articles 107 et 108 TFUE et à fixer notamment les conditions d’application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que les catégories d’aides qui sont dispensées de la procédure prévue à cette dernière disposition. Par ailleurs, aux termes de l’article 108, paragraphe 4, TFUE, la Commission peut adopter des règlements concernant les catégories
d’aides d’État que le Conseil a déterminées, conformément à l’article 109 TFUE, comme pouvant être dispensées de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (arrêt du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14, EU:C:2016:577, points 33 et 34).
58 Ainsi, c’est en application de l’article 94 du traité CE (devenu article 89 CE, lui-même devenu article 109 TFUE) qu’avait été adopté le règlement no 994/98, en vertu duquel a été adopté, par la suite, le règlement no 800/2008 (arrêt du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14, EU:C:2016:577, point 35).
59 Il en résulte que, nonobstant l’obligation de notification préalable de chaque mesure tendant à instituer ou à modifier une aide nouvelle, qui s’impose aux États membres en vertu des traités et qui constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État, si une mesure d’aide adoptée par un État membre remplit les conditions pertinentes prévues par le règlement no 800/2008, cet État membre peut se prévaloir de l’exemption de son obligation de notification prévue à
l’article 3 de ce règlement. À l’inverse, il ressort du considérant 7 dudit règlement que les aides d’État qui ne sont pas couvertes par le même règlement restent soumises à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (arrêt du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14, EU:C:2016:577, point 36).
60 Par ailleurs, en tant que tempérament à la règle générale que constitue l’obligation de notification, les dispositions du règlement no 800/2008 et les conditions prévues par celui-ci doivent être entendues de manière stricte. En effet, si la Commission est autorisée à adopter des règlements d’exemption par catégorie d’aide, afin d’assurer une surveillance efficace des règles de concurrence en matière d’aides d’État et de simplifier la gestion administrative, sans affaiblir son pouvoir de contrôle
dans ce domaine, de tels règlements ont également pour objectif d’augmenter la transparence et la sécurité juridique. Le respect des conditions prévues par ces règlements, y compris, par conséquent, par le règlement no 800/2008, permet d’assurer que ces objectifs soient pleinement remplis (arrêt du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14, EU:C:2016:577, points 37 et 38).
61 Ainsi que le font valoir le gouvernement estonien et la Commission, les objectifs consistant à assurer une surveillance efficace des règles de concurrence en matière d’aides d’État, à simplifier la gestion administrative et à augmenter la transparence et la sécurité juridique, tout comme l’impératif d’assurer une application cohérente à travers l’Union des conditions d’exemption prévues, requièrent que les critères pour l’application d’une exemption soient clairs et simples à appliquer par les
autorités nationales.
62 Aux termes de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, les aides accordées aux PME, couvertes par ce règlement, sont réputées avoir un effet incitatif si, avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question, le bénéficiaire a présenté une demande d’aide à l’État membre concerné.
63 À cet égard, tout d’abord, il ressort du considérant 28 dudit règlement que la Commission a prévu le critère de l’antériorité d’une telle demande par rapport à la réalisation du projet en cause afin de garantir que l’aide est nécessaire et constitue une incitation à développer de nouvelles activités ou de nouveaux projets et, partant, d’exclure du champ d’application du même règlement les aides en faveur d’activités que le bénéficiaire entreprendrait déjà aux conditions normales du marché.
64 Or, l’antériorité de la demande d’aide par rapport au début de l’exécution du projet d’investissement constitue un critère simple, pertinent et adéquat permettant à la Commission de présumer l’effet incitatif de l’aide projetée.
65 Ensuite, il découle notamment des considérants 1, 2 et 5 ainsi que de l’article 3 du règlement no 800/2008 que la Commission a, en substance, exercé ex ante, par l’adoption de ce règlement, les compétences que lui confère l’article 107, paragraphe 3, TFUE pour toutes les aides remplissant les critères prévus par ledit règlement, et seulement pour celles-ci.
66 À cet égard, il résulte notamment du considérant 28 et de l’article 8, paragraphes 3 et 6, du règlement no 800/2008, qu’il incombe aux autorités nationales de vérifier, avant l’octroi d’une aide au titre de ce règlement, le respect des conditions relatives au caractère incitatif de ladite aide pour les PME prévues à l’article 8, paragraphe 2, dudit règlement.
67 Enfin, d’une part, aucun élément du règlement no 800/2008 ne tend à indiquer que la Commission aurait, par l’adoption de ce règlement, eu l’intention de transférer aux autorités nationales la tâche de vérifier l’existence ou non d’un effet incitatif réel. Au contraire, en indiquant que l’intégralité de la mesure d’aide n’est pas exemptée si les conditions énoncées à l’article 8, paragraphes 2 et 3, dudit règlement ne sont pas remplies, le paragraphe 6 de cet article tend à confirmer que,
s’agissant de la condition visée au paragraphe 2 dudit article, le rôle desdites autorités se limite à vérifier si la demande d’aide a été présentée avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question et, pour cette raison, si l’aide doit ou non être réputée avoir un effet incitatif.
68 D’autre part, force est de constater que l’existence ou non d’un tel effet ne saurait être considérée comme étant un critère clair et simple à appliquer par les autorités nationales, dès lors que, notamment, sa vérification requerrait d’effectuer, au cas par cas, des appréciations économiques complexes. Un tel critère ne serait dès lors pas conforme aux exigences identifiées au point 61 du présent arrêt.
69 Dans ces conditions, il convient de considérer que le règlement no 800/2008 confère aux autorités nationales non pas la mission de vérifier l’existence ou non d’un effet incitatif réel de l’aide en cause, mais celle de vérifier si les demandes d’aides qui leur sont soumises remplissent ou non les conditions prévues à l’article 8 de ce règlement et permettant de considérer que des aides sont réputées avoir un caractère incitatif.
70 Il incombe ainsi aux autorités nationales de vérifier, notamment, si la condition prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, à savoir que la demande d’aide a été présentée « avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question », est remplie, faute de quoi l’intégralité de la mesure d’aide n’est pas exemptée, ainsi que le prévoit le paragraphe 6 de cet article.
71 S’agissant de l’interprétation de cette condition, la Commission a précisé, au point 38 des lignes directrices, qu’« une aide ne peut être accordée au titre de régimes d’aides que si le bénéficiaire a présenté une demande à cet effet et si l’autorité responsable de l’administration du régime a ensuite confirmé par écrit que, sous réserve de vérifications plus détaillées, le projet en principe remplissait les conditions d’admissibilité fixées dans le régime avant le début des travaux ».
72 Cette institution a, par ailleurs, défini audit point cette dernière notion du « début des travaux » comme visant « soit le début des travaux de construction, soit le premier engagement ferme de commander des équipements, à l’exclusion des études de faisabilité préliminaires ».
73 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 81 de ses conclusions, cette définition, malgré le caractère non contraignant des lignes directrices, est pertinente dès lors qu’elle répond aux objectifs et aux exigences rappelés au point 61 du présent arrêt.
74 Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la mission des autorités nationales se limite, s’agissant de la condition prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, à vérifier si c’est bien avant la première commande d’équipements au moyen de la conclusion d’un engagement juridiquement contraignant que le bénéficiaire potentiel a présenté sa demande d’aide.
75 À cet égard, il incombe aux autorités nationales compétentes, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 82 de ses conclusions, d’examiner au cas par cas la nature précise des engagements éventuellement pris avant la présentation d’une demande d’aide par un bénéficiaire potentiel.
76 Dans cette perspective, si un contrat d’achat d’équipements conclu sous condition de l’obtention de l’aide à demander peut être considéré, ainsi que l’ont fait valoir à juste titre l’EAS et le gouvernement estonien lors de l’audience devant la Cour, comme n’étant pas un engagement juridiquement contraignant, en vue de l’application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, il n’en va pas de même d’un tel engagement inconditionnel, lequel doit, en principe, être considéré comme étant
juridiquement contraignant quels que soient les éventuels frais de dédit du contrat.
77 En effet, conformément à l’économie et aux objectifs de cette disposition, des considérations économiques telles que celles liées aux frais de dédit ne peuvent être prises en compte par une autorité nationale en présence d’un engagement inconditionnel et juridiquement contraignant.
78 Quant à l’arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission (C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387), cité par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, la Cour a certes relevé en substance, au point 109 de celui-ci, que, dans le contexte de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, le caractère nécessaire d’une aide pour un projet d’investissement à finalité régionale pouvait être démontré sur la base de critères autres que celui de l’antériorité de la demande d’aide par
rapport au début de l’exécution dudit projet.
79 Ainsi que le fait valoir la Commission, une telle conclusion n’est toutefois pas transposable à l’appréciation à laquelle une autorité nationale doit procéder au titre de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008, ladite institution bénéficiant, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social (arrêts du 11 septembre 2008, Allemagne e.a./Kronofrance,
C‑75/05 P et C‑80/05 P, EU:C:2008:482, point 59, ainsi que du 8 mars 2016, Grèce/Commission, C‑431/14 P, EU:C:2016:145, point 68).
80 En l’occurrence, il ressort de l’exposé des faits figurant dans la décision de renvoi que, le 28 août 2008, Eesti Pagar a conclu un contrat de vente aux termes duquel elle s’est engagée à acquérir une chaîne de production de pain moulé et de pain de mie, que ce contrat a pris effet après un premier versement de 5 % du prix convenu, intervenu le 3 septembre 2008, qu’Eesti Pagar a conclu, le 29 septembre 2008, un contrat de leasing et que, par la suite, les parties à ces deux contrats ont, le
13 octobre 2008, conclu un contrat de vente tripartite qui a pris effet à sa signature.
81 Il apparaît ainsi, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, qu’Eesti Pagar avait pris, avant la présentation de sa demande d’aide le 24 octobre 2008, des engagements inconditionnels et juridiquement contraignants, de sorte qu’elle devait être considérée, quels que soient les frais de dédit desdits contrats, comme étant inéligible au régime d’aide en cause au principal.
82 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008 doit être interprété en ce sens que la « réalisation du projet ou de l’activité », au sens de cette disposition, a débuté lorsqu’une première commande d’équipements destinés à ce projet ou à cette activité a été effectuée au moyen de la conclusion d’un engagement inconditionnel et juridiquement contraignant avant la présentation de la demande d’aide,
quels que soient les éventuels frais de dédit de cet engagement.
Sur la deuxième question et sur la seconde partie de la quatrième question, relatives à l’obligation de récupérer une aide illégale
83 Par sa deuxième question et la seconde partie de sa quatrième question, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il incombe à l’autorité nationale de récupérer de sa propre initiative une aide qu’elle a octroyée en application du règlement no 800/2008 lorsqu’elle constate, par la suite, que les conditions posées par ce règlement n’étaient pas remplies et s’interroge quant au fondement
juridique sur lequel une telle récupération doit reposer lorsque l’aide a été cofinancée à partir d’un fonds structurel.
84 Il convient de rappeler d’emblée que l’article 108, paragraphe 3, TFUE institue un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles. La prévention ainsi organisée vise à ce que seules des aides compatibles soient mises à exécution. Afin de réaliser cet objectif, la mise en œuvre d’un projet d’aide est différée jusqu’à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission (arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, points 25 et 26
ainsi que jurisprudence citée).
85 Il a déjà été rappelé, au point 56 du présent arrêt, que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux de ce contrôle et que les États membres ont ainsi l’obligation tant de notifier à la Commission chaque mesure tendant à instituer ou à modifier une aide que de ne pas mettre en œuvre une telle mesure aussi longtemps que la Commission n’a pas pris une décision finale concernant ladite mesure.
86 Il a également été rappelé, au point 59 du présent arrêt, que ce n’est que si une mesure d’aide adoptée par un État membre remplit les conditions pertinentes prévues par le règlement no 800/2008 que cet État membre peut se prévaloir de l’exemption de son obligation de notification prévue à l’article 3 de ce règlement et que, à l’inverse, les aides d’État qui ne sont pas couvertes par ce règlement restent soumises à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
87 Il s’ensuit que, si une aide a été octroyée en application du règlement no 800/2008 alors que les conditions posées pour bénéficier d’une exemption au titre de ce règlement n’étaient pas remplies, ladite aide l’a été en violation de l’obligation de notification et doit, partant, être considérée comme étant illégale.
88 À cet égard, la Cour a précisé que l’interdiction de mise à exécution des projets d’aide édictée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE revêt un effet direct et que le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée à cette disposition s’étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 29 et jurisprudence citée).
89 La Cour en a déduit qu’il incombe aux juridictions nationales de garantir que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE sont tirées, conformément à leur droit national, notamment en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition, l’objet de leur mission étant, par conséquent, d’adopter les mesures propres à remédier à l’illégalité de la mise à exécution
des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu’à la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée).
90 Or, toute disposition du droit de l’Union remplissant les conditions requises pour produire un effet direct s’impose à toutes les autorités des États membres, à savoir non seulement les juridictions nationales, mais également tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, et ces autorités sont tenues d’en faire application (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, Amia, C‑97/11, EU:C:2012:306, point 38 et jurisprudence citée).
91 En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, tant les autorités administratives que les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences respectives, les dispositions du droit de l’Union ont l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions (arrêt du 14 septembre 2017, The Trustees of the BT Pension Scheme, C‑628/15, EU:C:2017:687, point 54 et jurisprudence citée).
92 Il s’ensuit que, lorsqu’une autorité nationale constate qu’une aide qu’elle a octroyée en application du règlement no 800/2008 ne remplit pas les conditions posées pour bénéficier de l’exemption prévue par ce règlement, il lui incombe, mutatis mutandis, de respecter les mêmes obligations que celles évoquées au point 89 du présent arrêt, dont celle de récupérer de sa propre initiative l’aide illégalement octroyée.
93 Cela étant, compte tenu non seulement des conséquences qu’une telle récupération de l’aide est susceptible d’entraîner pour l’entreprise concernée, mais aussi de l’exigence pour les États membres, édictée à l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, TUE, de prendre toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union, il appartient à l’autorité nationale à laquelle a été adressée une demande
d’aide susceptible de relever du règlement no 800/2008 d’examiner avec soin, en tenant compte des éléments qui lui ont été soumis, si l’aide sollicitée répond à l’ensemble des conditions pertinentes édictées par ledit règlement et de refuser cette demande s’il n’est pas satisfait à l’une de ces conditions.
94 S’agissant du fondement juridique d’une telle récupération, il résulte notamment des considérations exposées aux points 89 à 92 du présent arrêt que l’article 108, paragraphe 3, TFUE impose aux autorités nationales de récupérer de leur propre initiative les aides qu’elles ont octroyées, notamment en appliquant à tort le règlement no 800/2008. Ces considérations s’appliquent indistinctement aux aides cofinancées à partir d’un fonds structurel, l’article 101 du règlement no 1083/2006 rappelant, en
effet, cette obligation. En outre, dans les cas où le règlement no 2988/95 trouve à s’appliquer, son article 4, paragraphe 1, impose la même obligation.
95 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question et à la seconde partie de la quatrième question que l’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que cette disposition exige de l’autorité nationale de récupérer de sa propre initiative une aide qu’elle a octroyée en application du règlement no 800/2008 lorsqu’elle constate, par la suite, que les conditions posées par ce règlement n’étaient pas remplies.
Sur la troisième question, relative au principe de protection de la confiance légitime
96 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que l’autorité nationale peut, lorsqu’elle octroie une aide en appliquant à tort le règlement no 800/2008, créer une confiance légitime dans la régularité de cette aide à l’égard du bénéficiaire de celle-ci, si, en cas de réponse affirmative, il est alors nécessaire de mettre en balance l’intérêt public avec l’intérêt du particulier et si est pertinente, à cet égard,
l’existence ou non d’une décision de la Commission relative à la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur.
97 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le droit de se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union. En effet, ce droit appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution, un organe ou un organisme de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à
son égard des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 132).
98 Il est également de jurisprudence constante de la Cour que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer
que cette procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (arrêts du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, EU:C:2005:774, point 104, et du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 77).
99 Or, il a déjà été constaté, aux points 59 et 87 du présent arrêt, que ce n’est que si une mesure d’aide adoptée par un État membre remplit les conditions pertinentes prévues par le règlement no 800/2008 que cet État membre est exempté de son obligation de notification et que, à l’inverse, une aide octroyée en application de ce règlement, alors même que les conditions posées pour bénéficier de celui-ci n’étaient pas remplies, l’a été en violation de l’obligation de notification et doit être
considérée comme étant illégale.
100 En outre, il a été précisé, aux points 89 à 92 du présent arrêt, que, dans une telle situation, il incombe tant aux juridictions nationales qu’aux organes de l’administration des États membres de garantir que toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE sont tirées, notamment en ce qui concerne la validité des actes d’exécution et le recouvrement des aides accordées en méconnaissance de cette disposition.
101 Il en découle, d’une part, qu’une autorité nationale octroyant une aide en application du règlement no 800/2008 ne saurait être considérée comme étant investie de la compétence de prendre une décision définitive concluant à l’absence d’obligation de notifier l’aide demandée à la Commission, au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
102 En effet, dès lors que la Commission a, en substance, elle-même exercé ex ante, par l’adoption du règlement no 800/2008, les compétences que lui confère l’article 107, paragraphe 3, TFUE pour toutes les aides remplissant les critères prévus par ce règlement, et seulement pour celles-ci, ainsi qu’il a été relevé au point 65 du présent arrêt, elle n’a conféré aucun pouvoir décisionnel aux autorités nationales en ce qui concerne l’étendue de l’exemption de notification, lesdites autorités se
trouvant ainsi sur le même plan que les bénéficiaires potentiels d’aides et devant, ainsi qu’il a été souligné au point 93 du présent arrêt, s’assurer que leurs décisions se conforment audit règlement, faute de quoi s’enclenchent les conséquences rappelées au point 100 dudit arrêt.
103 Il en découle, d’autre part, que, lorsqu’une autorité nationale octroie une aide en appliquant à tort le règlement no 800/2008, elle le fait en méconnaissance tant des dispositions de ce règlement que de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
104 Or, il est de jurisprudence constante de la Cour que le principe de protection de la confiance légitime ne peut être invoqué à l’encontre d’une disposition précise d’un texte de droit de l’Union et que le comportement d’une autorité nationale chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui est en contradiction avec ce dernier, ne saurait fonder, à l’égard d’un opérateur économique, une confiance légitime à bénéficier d’un traitement contraire au droit de l’Union (arrêts du 20 juin 2013, Agroferm,
C‑568/11, EU:C:2013:407, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 août 2018, Ministru kabinets, C‑120/17, EU:C:2018:638, point 52).
105 Il s’ensuit qu’il est exclu d’emblée que, dans une situation telle que celle en cause au principal, une autorité nationale, telle que l’EAS, puisse avoir créé à l’égard d’un bénéficiaire d’une aide octroyée à tort en application du règlement no 800/2008, tel qu’Eesti Pagar, une confiance légitime dans la régularité de cette aide.
106 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’une autorité nationale ne peut pas, lorsqu’elle octroie une aide en appliquant à tort le règlement no 800/2008, créer une confiance légitime dans la régularité de cette aide en faveur du bénéficiaire de celle-ci.
Sur la première partie de la quatrième question, relative au délai de prescription applicable à la récupération d’une aide illégale
107 Par la première partie de sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale a octroyé une aide au titre d’un fonds structurel en appliquant à tort le règlement no 800/2008, le délai de prescription applicable à la récupération d’une aide illégale est celui de dix ans visé à l’article 15 du règlement no 659/1999, celui de quatre ans visé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement
no 2988/95 ou celui prévu par le droit national applicable.
108 À cet égard, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 89 du présent arrêt que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, la récupération de l’aide illégale doit s’effectuer conformément aux modalités de mise en œuvre prévues par le droit national applicable.
109 En particulier, contrairement à ce que prétendent les gouvernements estonien et grec ainsi que la Commission, ne saurait être appliqué à une telle récupération, ni directement, ni indirectement, ni par analogie, le délai de dix ans visé à l’article 15 du règlement no 659/1999.
110 En effet, d’une part, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 149 et 152 de ses conclusions, la Cour a précisé, aux points 34 et 35 de son arrêt du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644), que, dans la mesure où le règlement no 659/1999 contient des règles de nature procédurale qui s’appliquent à toutes les procédures administratives en matière d’aides d’État pendantes devant la Commission, celui-ci codifie et étaye la pratique de la Commission
en matière d’examen des aides d’État et ne contient aucune disposition relative aux pouvoirs et aux obligations des juridictions nationales, lesquels restent régis par les dispositions du traité, telles qu’interprétées par la Cour.
111 Or, il résulte des considérations exposées aux points 89 à 92 du présent arrêt que ces appréciations valent tout autant s’agissant des pouvoirs et des obligations des autorités administratives nationales.
112 D’autre part, il est de jurisprudence constante que les délais de prescription remplissent, de façon générale, la fonction d’assurer la sécurité juridique (arrêt du 13 juin 2013, Unanimes e.a., C‑671/11 à C‑676/11, EU:C:2013:388, point 31), que, pour remplir cette fonction, ce délai doit être fixé à l’avance et que toute application « par analogie » d’un délai de prescription doit être suffisamment prévisible pour le justiciable (arrêt du 5 mai 2011, Ze Fu Fleischhandel et Vion Trading, C‑201/10
et C‑202/10, EU:C:2011:282, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
113 Or, eu égard à la jurisprudence rappelée au point précédent, une application par analogie, dans des circonstances telles que celles prévalant dans l’affaire au principal, du délai de dix ans visé à l’article 15 du règlement no 659/1999, ne saurait être considérée comme étant suffisamment prévisible pour un justiciable, tel qu’Eesti Pagar.
114 En tout état de cause, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 147 de ses conclusions, la seule circonstance que des règles de prescription nationales sont en principe applicables à la récupération d’une aide illégalement octroyée, de la propre initiative des autorités nationales, est sans préjudice de la possibilité que la récupération de cette aide ait lieu ultérieurement, en exécution d’une décision en ce sens de la Commission qui, lorsqu’elle a en sa possession des informations
concernant la prétendue illégalité de ladite aide, quelle que soit la source de ces informations, après l’expiration des délais de prescription nationaux, demeure libre de se saisir, dans le délai de dix ans visé à l’article 15 du règlement no 659/1999, de l’examen de ladite aide.
115 Par ailleurs, s’agissant spécifiquement des aides cofinancées à partir d’un fonds structurel de l’Union, tel que, en l’occurrence, le FEDER, le règlement no 2988/95 est susceptible de s’appliquer, dès lors que des intérêts financiers de l’Union sont en jeu.
116 En effet, en adoptant le règlement no 2988/95, en particulier l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de celui-ci, le législateur de l’Union a décidé d’instituer une règle générale de prescription applicable en la matière et par laquelle il entendait, d’une part, définir un délai minimal appliqué dans tous les États membres et, d’autre part, renoncer à la possibilité de poursuivre une irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union après l’écoulement d’une période de quatre
années postérieure à la réalisation de cette irrégularité (arrêt du 22 décembre 2010, Corman, C‑131/10, EU:C:2010:825, point 39 et jurisprudence citée).
117 Il en résulte que, à partir de la date d’entrée en vigueur du règlement no 2988/95, toute irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union peut, en principe et excepté dans des secteurs pour lesquels le législateur de l’Union a prévu un délai inférieur, être poursuivie par les autorités compétentes des États membres dans un délai de quatre années (arrêt du 22 décembre 2010, Corman, C‑131/10, EU:C:2010:825, point 40 et jurisprudence citée).
118 À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 1er de ce règlement, relèvent de son champ d’application les « irrégularités » au regard du droit de l’Union, celles-ci étant définies comme étant toute violation d’une disposition du droit de l’Union résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union ou à des budgets gérés par celle-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes
provenant des ressources propres perçues directement pour le compte de l’Union, soit par une dépense indue.
119 S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la violation d’une disposition du droit de l’Union doit résulter d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique, la Cour a eu l’occasion de préciser que la règle relative à la prescription prévue à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement n’a pas vocation à s’appliquer à la poursuite d’irrégularités résultant d’erreurs des autorités nationales octroyant un avantage financier au nom et pour le compte du
budget de l’Union (arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
120 Cela étant, dans une situation telle que celle en cause dans le litige au principal, il incombe d’abord au demandeur d’une aide de s’assurer qu’il remplit les conditions prévues par le règlement no 800/2008 pour bénéficier d’une aide exemptée au titre de ce dernier, si bien que l’octroi d’une aide en méconnaissance de ces conditions ne saurait être considérée comme résultant exclusivement d’une erreur commise par l’autorité nationale concernée.
121 Il en va ainsi même lorsque ladite autorité a été informée par le bénéficiaire de l’aide en cause des circonstances engendrant la violation d’une disposition du droit de l’Union, une telle circonstance étant, en tant que telle, sans influence sur la qualification d’« irrégularité », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95 (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 48 ainsi que jurisprudence
citée).
122 Par ailleurs, la définition d’une « irrégularité », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95, couvre aussi bien les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence pouvant, conformément à l’article 5 de ce règlement, conduire à une sanction administrative, que les irrégularités entraînant uniquement le retrait de l’avantage indûment perçu, conformément à l’article 4 du même règlement (arrêt du 24 juin 2004, Handlbauer, C‑278/02, EU:C:2004:388, point 33).
123 La réalisation d’une irrégularité, qui fait courir le délai de prescription, suppose la réunion de deux conditions, à savoir un acte ou une omission d’un opérateur économique, constituant une violation du droit de l’Union, ainsi qu’un préjudice, ou un préjudice potentiel, porté au budget de l’Union (arrêt du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export, C‑59/14, EU:C:2015:660, point 24).
124 Dans des circonstances où la violation du droit de l’Union a été détectée après la réalisation du préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir de la réalisation de l’irrégularité, c’est-à-dire à partir du moment où tant l’acte ou l’omission d’un opérateur économique constituant une violation du droit de l’Union que le préjudice porté au budget de l’Union ou aux budgets gérés par celle-ci sont survenus (arrêt du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export,
C‑59/14, EU:C:2015:660, point 25).
125 Conformément à l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2988/95, la prescription des poursuites peut être interrompue par tout acte porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité.
126 À cet égard, il ressort du libellé de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2988/95 que la notion de « personne en cause » désigne l’opérateur économique soupçonné d’avoir commis les irrégularités, que la notion d’« acte d’instruction ou de poursuite » vise tout acte qui circonscrit avec suffisamment de précision les opérations sur lesquelles portent les soupçons d’irrégularités et que, partant, la condition visée à cette disposition doit être considérée comme remplie
lorsqu’un ensemble d’éléments factuels permettent de conclure qu’un tel acte d’instruction ou de poursuite a effectivement été porté à la connaissance de la personne en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, points 36, 38 et 43).
127 En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il résulte de cette jurisprudence que le règlement no 2988/95 est applicable aux faits au principal, qu’une irrégularité au sens de son article 1er a été commise par Eesti Pagar, qu’une connaissance éventuelle par l’EAS d’une commande d’équipements au moyen de la conclusion par cette société d’un engagement inconditionnel et juridiquement contraignant préalablement à la présentation de sa demande d’aide n’affecterait pas
l’existence d’une telle irrégularité, que le délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2988/95 a ainsi commencé à courir le 10 mars 2009, date à laquelle, comme il a été indiqué au point 23 du présent arrêt, l’EAS a fait droit à la demande d’aide présentée par Eesti Pagar et où, partant, un préjudice a été porté au budget de l’Union, et que ce délai a été interrompu par la lettre du 22 janvier 2013 évoquée au point 24 du présent arrêt
voire, si les conditions visées au point 126 du présent arrêt sont réunies, par le contrôle ex post effectué au mois de décembre 2012 évoqué au point 26 du présent arrêt.
128 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première partie de la quatrième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale a octroyé une aide au titre d’un fonds structurel en appliquant à tort le règlement no 800/2008, le délai de prescription applicable à la récupération de l’aide illégale est, si les conditions d’application du règlement no 2988/95 sont réunies, de quatre ans, conformément à
l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement ou, à défaut, le délai prévu par le droit national applicable.
Sur la cinquième question, relative à l’obligation de réclamer des intérêts
129 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale procède de sa propre initiative à la récupération d’une aide qu’elle a octroyée à tort au titre du règlement no 800/2008, il lui incombe de réclamer au bénéficiaire de cette aide des intérêts, et, dans l’affirmative, quelles sont les règles qui s’appliquent au calcul desdits intérêts, notamment en ce qui concerne le taux d’intérêt et
la période durant laquelle courent ces intérêts.
130 Il a été relevé, aux points 99 et 100 du présent arrêt, que, si une aide a été octroyée en application du règlement no 800/2008, alors même que les conditions posées pour bénéficier de ce règlement n’étaient pas remplies, cette aide doit être considérée comme étant illégale et que, dans de telles circonstances, il incombe tant aux juridictions nationales qu’aux organes de l’administration des États membres de garantir que toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 108,
paragraphe 3, dernière phrase, TFUE sont tirées, notamment en ce qui concerne la validité des actes d’exécution et le recouvrement des aides accordées en méconnaissance de cette disposition.
131 S’agissant desdites conséquences, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la conséquence logique de la constatation de l’illégalité d’une aide est sa suppression par voie de récupération afin de rétablir la situation antérieure. En effet, le principal objectif visé par la récupération d’une aide d’État versée illégalement est d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par une telle aide. Or, par le remboursement de
l’aide, le bénéficiaire perd l’avantage dont il disposait sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie (arrêt du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, points 33 et 34).
132 Cela étant, du point de vue du bénéficiaire de l’aide, l’avantage indu aura consisté également dans le non-versement des intérêts qu’il aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché pendant la durée de l’illégalité, ainsi que dans l’amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant ladite durée (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06,
EU:C:2008:79, point 51).
133 Partant, dans une situation telle que celle du litige au principal et sans préjudice des règles de prescription applicables à celle–ci, une mesure qui consisterait uniquement en une obligation de récupération sans intérêts ne serait pas propre à remédier complètement aux effets de l’illégalité, dès lors qu’elle ne rétablirait pas la situation antérieure et n’éliminerait pas entièrement la distorsion de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de
la Communication, C‑199/06, EU:C:2008:79, points 52 à 54, ainsi que du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, points 33 et 34).
134 L’autorité nationale est donc tenue, en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, d’ordonner au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, EU:C:2008:79, point 52, ainsi que du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, points 33 à 35).
135 En ce qui concerne les règles qui s’appliquent au calcul des intérêts, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 89 du présent arrêt que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, la récupération de l’aide illégale doit s’effectuer conformément aux règles du droit national applicable.
136 En particulier, pour les raisons évoquées notamment aux points 110 et 111 du présent arrêt, ni l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 659/1999 ni les articles 9 et 11 du règlement no 794/2004 ne sauraient être considérés comme étant une telle réglementation de l’Union en la matière. Contrairement à ce que prétendent les gouvernements estonien et grec ainsi que la Commission, ces dispositions ne sauraient non plus, en raison des mêmes considérations, être appliquées indirectement ou par
analogie.
137 Cela étant, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la réglementation nationale applicable ne doit pas être moins favorable que celle régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagée de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742, point 40).
138 En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742,
point 41).
139 À cet égard, il convient de considérer que le droit national ne peut avoir pour conséquence de faire échec à l’application du droit de l’Union en ce qu’il rendrait impossible l’obligation pour les juridictions ou les autorités nationales de garantir le respect de l’article 108, paragraphe 3, troisième phrase, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742, points 42 et 45).
140 En effet, une règle nationale qui empêcherait le juge national ou une autorité nationale de tirer toutes les conséquences de la violation de l’article 108, paragraphe 3, troisième phrase, TFUE doit être regardée comme incompatible avec le principe d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742, points 42 et 45).
141 En l’occurrence, il résulte de cette jurisprudence que, si la récupération de l’aide illégale doit s’effectuer conformément aux règles du droit national applicable, il n’en demeure pas moins que l’article 108, paragraphe 3, TFUE exige que ces règles assurent une récupération intégrale de l’aide illégale et que, partant, il soit notamment ordonné au bénéficiaire de celle-ci le paiement d’intérêts au titre de l’ensemble de la période durant laquelle il a bénéficié de cette aide et à un taux égal à
celui qui aurait été appliqué s’il avait dû emprunter le montant de l’aide en cause sur le marché au cours de ladite période.
142 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale procède de sa propre initiative à la récupération d’une aide qu’elle a octroyée à tort au titre du règlement no 800/2008, il lui incombe de réclamer au bénéficiaire de cette aide des intérêts conformément aux règles du droit national applicable. À cet égard, l’article 108, paragraphe 3, TFUE exige que
ces règles permettent d’assurer une récupération intégrale de l’aide illégale et que, partant, il soit notamment ordonné au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de l’ensemble de la période durant laquelle il a bénéficié de cette aide et à un taux égal à celui qui aurait été appliqué s’il avait dû emprunter le montant de l’aide en cause sur le marché au cours de ladite période.
Sur les dépens
143 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles [107 et 108 TFUE] (Règlement général d’exemption par catégorie), doit être interprété en ce sens que la « réalisation du projet ou de l’activité », au sens de cette disposition, a débuté lorsqu’une première commande d’équipements destinés à ce projet ou à cette activité a été effectuée au moyen de la
conclusion d’un engagement inconditionnel et juridiquement contraignant avant la présentation de la demande d’aide, quels que soient les éventuels frais de dédit de cet engagement.
2) L’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que cette disposition exige de l’autorité nationale de récupérer de sa propre initiative une aide qu’elle a octroyée en application du règlement no 800/2008 lorsqu’elle constate, par la suite, que les conditions posées par ce règlement n’étaient pas remplies.
3) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’une autorité nationale ne peut pas, lorsqu’elle octroie une aide en appliquant à tort le règlement no 800/2008, créer une confiance légitime dans la régularité de cette aide en faveur du bénéficiaire de celle-ci.
4) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale a octroyé une aide au titre d’un fonds structurel en appliquant à tort le règlement no 800/2008, le délai de prescription applicable à la récupération de l’aide illégale est, si les conditions d’application du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, sont réunies, de quatre ans, conformément à l’article 3,
paragraphe 1, de ce règlement ou, à défaut, le délai prévu par le droit national applicable.
5) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale procède de sa propre initiative à la récupération d’une aide qu’elle a octroyée à tort au titre du règlement no 800/2008, il lui incombe de réclamer au bénéficiaire de cette aide des intérêts conformément aux règles du droit national applicable. À cet égard, l’article 108, paragraphe 3, TFUE exige que ces règles permettent d’assurer une récupération intégrale de l’aide illégale et que, partant, il soit
notamment ordonné au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de l’ensemble de la période durant laquelle il a bénéficié de cette aide et à un taux égal à celui qui aurait été appliqué s’il avait dû emprunter le montant de l’aide en cause sur le marché au cours de ladite période.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’estonien.