ORDONNANCE DE LA COUR (deuxième chambre)
30 janvier 2019 (*)
« Taxation des dépens »
Dans l’affaire C‑105/15 P‑DEP,
ayant pour objet une demande de taxation des dépens récupérables au titre de l’article 145 du règlement de procédure de la Cour, introduite le 15 janvier 2018,
Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. O. Heinz et K. Laurinavičius ainsi que par M^me A. Koutsoukou, en qualité d’agents, assistés de M^e H.-G. Kamann, Rechtsanwalt,
partie requérante,
contre
Konstantinos Mallis, demeurant à Larnaka (Chypre) (C-105/15 P),
Elli Konstantinou Malli, demeurant à Larnaka (C-105-15 P),
Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou, établi à Nicosie (Chypre) (C-106-15 P),
Petros Chatzithoma, demeurant à Makedonitissa (Chypre) (C‑107/15 P),
Elenitsa Chatzithoma, demeurant à Makedonitissa (C‑107/15 P),
Lella Chatziioannou, demeurant à Nicosie (C-108/15 P),
Marinos Nikolaou, demeurant à Strovolos (Chypre) (C-109/15 P), représentés par M^es E. Efstathiou, K. Efstathiou et K. Liasidou, dikigoroi,
parties défenderesses,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. E. Levits, M^me M. Berger, MM. C. Vajda et P. G. Xuereb, juges,
avocat général : M. G. Hogan,
greffier : M. A. Calot Escobar,
l’avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 La présente affaire a pour objet la taxation des dépens exposés par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre des affaires jointes C‑105/15 P à C-109/15 P.
2 Par leurs pourvois introduits le 27 février 2015, au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, M. Konstantinos Mallis et M^me Elli Konstantinou Malli, dans l’affaire C‑105/15 P, Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou, dans l’affaire C‑106/15 P, M. Petros Chatzithoma et M^me Elenitsa Chatzithoma, dans l’affaire C-107/15 P, M^me Lella Chatziioannou, dans l’affaire C‑108/15 P, et M. Marinos Nikolaou, dans l’affaire C-109/15 P (ci-après, ensemble,
« M. Mallis e.a. »), ont demandé l’annulation, respectivement, des ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 16 octobre 2014, Mallis et Malli/Commission et BCE (T‑327/13, EU:T:2014:909), du 16 octobre 2014, Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou/Commission et BCE (T‑328/13, non publiée, EU:T:2014:906), du 16 octobre 2014, Chatzithoma/Commission et BCE (T‑329/13, non publiée, EU:T:2014:908), du 16 octobre 2014, Chatziioannou/Commission et BCE (T‑330/13, non publiée, EU:T:2014:904), ainsi
que du 16 octobre 2014, Nikolaou/Commission et BCE (T‑331/13, non publiée, EU:T:2014:905), par lesquelles celui-ci a rejeté leurs recours tendant à l’annulation de la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 concernant, notamment, la restructuration du secteur bancaire à Chypre (ci-après la « déclaration litigieuse »).
3 Par son arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702), la Cour a rejeté ces pourvois et a condamné M. Mallis e.a. à supporter les dépens exposés par la BCE.
4 Aucun accord n’étant intervenu entre M. Mallis e.a. et la BCE sur le montant des dépens récupérables afférents aux procédures de pourvoi, la BCE a introduit la présente demande.
Les conclusions des parties
5 La BCE demande à la Cour de fixer le montant des dépens récupérables dans le cadre de l’affaire C‑105/15 P-DEP à 6 553,65 euros et de condamner M. Mallis e.a. conjointement et solidairement aux dépens réclamés.
6 Les défenderesses concluent, à titre principal, au rejet de cette demande et, à titre subsidiaire, à la fixation des dépens récupérables à un montant correspondant à ce qui est nécessaire et/ou objectivement indispensable. Elles demandent également la condamnation de la BCE à l’ensemble des dépens exposés aux fins de la présente demande.
Argumentation des parties
7 La BCE demande à la Cour de fixer le montant des dépens récupérables à 6 553,65 euros. Ces derniers se décomposent comme suit :
– 5 462,10 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant aux honoraires d’avocat ;
– 105,75 euros TTC représentant les frais d’hébergement hôtelier de l’avocat externe qui a représenté la BCE, exposés aux fins de l’audience ;
– 271,80 euros TTC représentant les frais d’hébergement exposés par la BCE (pour un montant de 206,80 euros) et une demande interne de remboursement d’une somme forfaitaire pour les repas (pour un montant de 65,00 euros) pour un agent de la BCE ;
– 714,00 euros TTC correspondant aux frais de déplacement de l’avocat externe et de l’agent de la BCE qui ont assisté à l’audience.
8 La BCE fait valoir que les affaires au principal soulevaient des questions juridiques qui allaient au-delà de celles soulevées en première instance, qui étaient en tant que telles inédites, fondamentales et complexes. En particulier, M. Mallis e.a. contestaient les appréciations factuelles auxquelles s’était livré le Tribunal et soutenaient que ce dernier avait commis une erreur de droit et n’avait pas justifié son raisonnement relatif au pouvoir de décision de la Commission européenne et
de la BCE.
9 La question de savoir si la déclaration litigieuse pouvait être attribuée à la BCE et à la Commission revêtait également, selon la BCE, une importance politique fondamentale et avait une importance particulière sous l’angle du droit de l’Union. En outre, si la Cour n’avait pas rejeté les pourvois comme étant non fondés, d’autres détenteurs de dépôts, d’obligations ou d’actions dans des banques chypriotes, qui avaient été dépréciés à l’époque des faits, auraient pu réclamer des dommages et
intérêts à la BCE.
10 S’agissant du taux horaire de 340 euros qui a été appliqué pour les travaux effectués par l’avocat externe, la BCE soutient que ce taux est raisonnable dans la mesure où il est inférieur au montant précédemment considéré comme acceptable par le Tribunal pour la préparation de la défense dans une affaire complexe.
11 Les défenderesses font valoir, en premier lieu, que compte tenu des constatations définitives figurant dans l’ordonnance du 21 septembre 2017, Christodoulou et Stavrinou/Commission et BCE (T‑332/13 DEP, non publiée, EU:T:2017:680), et qui s’appliquent également à la présente affaire, la BCE aurait dû s’abstenir de déposer la présente demande de taxation des dépens.
12 En outre, ladite demande devrait être rejetée eu égard à son caractère imprécis, résultant notamment du fait que le caractère indispensable des frais réclamés serait insuffisamment étayé. Il conviendrait, en tout état de cause, de considérer certains de ces frais comme excessifs ou injustifiés. Le fait que le travail de préparation des mémoires a été réparti entre plusieurs avocats impliquerait nécessairement une certaine duplication des efforts entrepris, de sorte que la Cour ne saurait
admettre la totalité des heures de travail dont le paiement est demandé.
13 En second lieu, aucune question juridique nouvelle n’aurait été soulevée et les faits du litige ne seraient pas complexes. Le retentissement provoqué par l’affaire résulterait davantage du caractère inédit de la déclaration litigieuse que de son importance particulière sur les plans politique et économique.
14 La BCE ne préciserait pas, alors qu’elle y serait tenue, l’origine des dépens réclamés, pour un montant s’élevant à 84 522,82 euros, pour les différentes affaires, en ce qui concerne tant la procédure devant le Tribunal que celle devant la Cour. Elle n’indiquerait pas ce que ces frais représentent, non plus que le détail de ceux-ci. Le caractère indispensable des tâches correspondantes ne serait pas non plus précisé. Les défenderesses estiment que les travaux effectués les 11, 16 et
17 décembre 2015 ne sont pas justifiés et n’étaient pas nécessaires. De même, des frais d’avocat correspondant à des tâches consacrées à une simulation d’audience n’auraient été ni indispensables ni raisonnables, dès lors qu’ils concernaient un avocat expérimenté.
Appréciation de la Cour
15 Aux termes de l’article 144, sous b), du règlement de procédure de la Cour, applicable, en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, aux procédures ayant pour objet un pourvoi, sont considérés comme des dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ».
16 Il ressort ainsi du libellé de cette disposition que la rémunération d’un avocat relève des frais indispensables, au sens de celle-ci. Il en découle également que les dépens récupérables sont limités, d’une part, aux frais exposés aux fins de la procédure devant la Cour et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (ordonnance du 26 septembre 2018, Viasat Broadcasting UK/TV2/Danmark, C‑660/15 P‑DEP, non publiée, EU:C:2018:778, points 19 et 20).
Sur le caractère récupérable des honoraires d’avocat exposés par la BCE
17 Ainsi qu’il ressort de l’article 19, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les institutions de l’Union européenne sont, en ce qui concerne la façon dont elles entendent se faire représenter ou assister devant la Cour, libres de décider de recourir à l’assistance d’un avocat ou de désigner comme agent soit un de leurs fonctionnaires, soit une personne qui ne fait pas partie de leur personnel. Partant, lorsque les institutions de l’Union se font assister d’un
avocat ou désignent comme agent une personne étrangère à leur personnel, qu’elles doivent rémunérer, la rémunération de cet avocat ou de cette personne entre dans la notion de frais indispensables exposés aux fins de la procédure, sans que cette institution soit tenue de démontrer que l’intervention de cet avocat ou de cette personne était objectivement justifiée (voir, en ce sens, ordonnance du 10 octobre 2013, OCVV/Schräder, C‑38/09 P‑DEP, non publiée, EU:C:2013:679, points 20 et 21 ainsi que
jurisprudence citée).
18 Il s’ensuit que l’argumentation des défenderesses selon laquelle la demande de taxation de l’ensemble des honoraires et des débours des avocats ayant représenté ou assisté la BCE devrait être rejetée, au seul motif qu’ils n’entreraient pas dans la notion de frais indispensables exposés aux fins de la procédure, doit en toute hypothèse être écartée.
Sur le montant des honoraires d’avocat récupérables
19 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le juge de l’Union est habilité non pas à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées auprès de la partie condamnée aux dépens (ordonnance du 21 juillet 2016, Panrico/Bimbo, C‑591/12 P‑DEP, non publiée, EU:C:2016:591, point 20 et jurisprudence citée).
20 Il convient de rappeler que, à défaut de dispositions du droit de l’Union de nature tarifaire ou relatives au temps de travail nécessaire, la Cour doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou aux conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a
présenté pour les parties (ordonnance du 7 juin 2012, France Télévisions/TF1, C‑451/10 P‑DEP, non publiée, EU:C:2012:323, point 20 et jurisprudence citée).
21 Il y a lieu d’apprécier le montant des honoraires d’avocat récupérables en l’espèce en fonction de ces critères.
22 S’agissant, en premier lieu, de l’objet et de la nature du litige, il y a lieu de rappeler que la Cour a été saisie dans le cadre de procédures de pourvoi, qui, par nature, sont limitées aux questions de droit et ne portent ni sur la constatation ni sur l’appréciation des faits. Dans ce cadre, la Cour a examiné certaines questions concernant, d’une part, la possibilité d’imputer à la Commission et à la BCE l’adoption de la déclaration litigieuse et, d’autre part, le point de savoir si cette
dernière était susceptible de produire, à l’égard de M. Mallis e.a., des effets juridiques. La Cour a dû notamment examiner les caractéristiques de l’Eurogroupe ainsi que ses rapports avec la Commission et la BCE, au regard du contenu de ladite déclaration.
23 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’importance du litige sous l’angle du droit de l’Union et les difficultés présentées par les questions examinées dans le cadre des procédures de pourvoi, il y a lieu de rappeler que M. Mallis e.a. ont notamment soutenu dans le cadre de ces procédures que le Tribunal aurait dû reconnaître la compétence décisionnelle de la Commission et de la BCE en ce qui concerne les questions liées au mécanisme européen de stabilité (MES). À cet égard, il ressort de
l’appréciation que la Cour, siégeant en grande chambre, a faite des moyens invoqués que ceux-ci soulevaient une question de droit nouvelle, qui, bien que reposant sur l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756), ne pouvait être jugée sur le seul fondement d’une jurisprudence constante de la Cour.
24 Par conséquent, il ne saurait être contesté que les pourvois ont soulevé certaines questions nouvelles et que les affaires revêtaient une importance sous l’angle du droit de l’Union.
25 En troisième lieu, s’agissant des intérêts économiques concernés, il y a lieu de considérer que celui de la BCE était potentiellement important, dès lors que de nombreuses actions auraient été susceptibles d’être introduites si les pourvois de M. Mallis e.a. avaient été accueillis.
26 En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’ampleur du travail fourni, il convient de relever que, contrairement à ce que font valoir les défenderesses, la BCE ne réclame, dans le cadre de la présente demande, ni le remboursement des frais relatifs à la rédaction du mémoire en défense ni ceux relatifs à la procédure suivie devant le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 21 septembre 2017, Christodoulou et Stavrinou/Commission et BCE (T-332/13 DEP, non publiée,
EU:T:2017:680).
27 L’unique facture relative aux honoraires d’avocat produite par la BCE concerne le travail de préparation en vue de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 2 février 2016.
28 S’agissant du nombre d’heures de travail comptabilisées à cet égard, le détail de cette facture fait apparaître un volume de 13 heures et 30 minutes. Or, au vu des considérations exposées aux points 22 à 26 de la présente ordonnance, un tel volume de travail ne paraît pas déraisonnable aux fins de la préparation de ladite audience.
29 Eu égard à ce qui précède, il sera fait une juste application des honoraires d’avocat récupérables par la BCE en fixant leur montant à 5 462,10 euros.
Sur les débours
30 S’agissant des débours s’élevant à 1 091,55 euros, correspondant aux frais de voyage et d’hébergement de l’avocat et de l’agent de la BCE en vue de leur participation à l’audience, ceux-ci ont été justifiés par des factures jointes en annexe à la demande de taxation des dépens et le montant réclamé n’apparaît pas disproportionné. Lesdits frais peuvent ainsi être considérés dans leur intégralité comme des frais indispensables aux fins de la procédure devant la Cour.
31 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables par la BCE auprès de M. Mallis e.a. dans les affaires C-105/15 P à C-109/15 P en fixant leur montant total à 6 553,65 euros.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) ordonne :
Le montant total des dépens que M. Konstantinos Mallis, M^me Elli Konstantinou Malli, Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou, M. Petros Chatzithoma, M^me Elenitsa Chatzithoma, M^me Lella Chatziioannou et M. Marinos Nikolaou doivent rembourser à la Banque centrale européenne dans les affaires C‑105/15 P à C‑109/15 P est fixé à 6 553,65 euros.
Signatures
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* Langue de procédure : le grec.