ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)
10 janvier 2019 (*)
« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Recours en indemnité – Défaut de la part de la Commission européenne d’engager un recours en constatation de manquement au titre de l’article 258 TFUE à l’encontre de la République d’Autriche – Abstention des juridictions nationales de soumettre une demande de décision préjudicielle à la Cour – Incompétence manifeste du juge de l’Union – Recours manifestement irrecevable »
Dans l’affaire C‑415/18 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 juin 2018,
CBA Spielapparate- und Restaurantbetriebs GmbH, établie à Vienne (Autriche), représentée par M^e A. Schuster, Rechtsanwalt,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. J. Malenovský et M^me L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, CBA Spielapparate- und Restaurantbetriebs GmbH demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 avril 2018, CBA Spielapparate- und Restaurantbetriebs/Commission (T‑606/17, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2018:203), par laquelle celui-ci a rejeté son recours en réparation du préjudice prétendument subi en raison, d’une part, du refus de la Commission européenne d’ouvrir une procédure en constatation de manquement au titre de
l’article 258 TFUE à l’encontre de la République d’Autriche fondée sur la violation, par celle-ci, du droit de l’Union et, d’autre part, d’un prétendu comportement fautif des juridictions autrichiennes.
La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
2 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 septembre 2017, la requérante a introduit un recours en indemnité contre la Commission au titre de l’article 268 TFUE.
3 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, conformément à l’article 126 de son règlement de procédure, rejeté ce recours, en partie, comme étant manifestement irrecevable et, en partie, pour cause d’incompétence manifeste.
4 À cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 11 de l’ordonnance attaquée, que, selon une jurisprudence bien établie, dans la mesure où la Commission n’est pas tenue d’engager une procédure en constatation de manquement au titre de l’article 258 TFUE, sa décision de ne pas engager une telle procédure n’est, en tout état de cause, pas constitutive d’une illégalité, de telle sorte qu’elle n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne.
5 Au point 12 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal en a déduit que le recours, en ce qu’il tend à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite du refus, de la part de la Commission, d’engager une procédure en constatation de manquement au titre de l’article 258 TFUE à l’encontre de la République d’Autriche est manifestement irrecevable. Le Tribunal a ajouté que, en tout état de cause, la lettre adressée le 16 novembre 2015 par la Commission à la requérante, par laquelle la
Commission a classé la plainte de la requérante, apparaissait dûment motivée.
6 En outre, en tant que le recours tend à engager la responsabilité de l’Union pour la prétendue « faute » commise par les juridictions nationales en ce qu’elles se sont abstenues de poser une question préjudicielle à la Cour, le Tribunal a rappelé, au point 13 de l’ordonnance attaquée, que sa compétence en matière de responsabilité non contractuelle est prévue à l’article 268 TFUE et à l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE et que, conformément à ces dispositions, il est
uniquement compétent pour connaître des recours en réparation de dommages causés par les institutions, les organes et les organismes de l’Union ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions.
7 Or, le Tribunal relève, au point 14 de l’ordonnance attaquée, que les juridictions nationales ne sont ni une institution, ni un organe, ni un organisme de l’Union.
8 Enfin, en tant que le recours tend à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par la requérante en raison du refus de la Commission d’engager une procédure en manquement contre la République d’Autriche du fait de l’abstention des juridictions nationales de poser une question préjudicielle à la Cour, le Tribunal a jugé qu’il était manifestement irrecevable, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11 de l’ordonnance attaquée et rappelés au point 4 de la présente ordonnance.
Les conclusions de la requérante
9 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :
– d’annuler l’ordonnance attaquée ;
– de prononcer la recevabilité du recours ainsi que la compétence du Tribunal et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;
– de déclarer, le cas échéant, que cette affaire appelle une décision de principe susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence du droit de l’Union et de prononcer la compétence de la Cour au titre de l’article 256, paragraphe 3, TFUE afin qu’elle statue elle-même sur l’affaire, et
– de condamner la Commission aux dépens.
Sur le pourvoi
10 En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de le rejeter totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.
11 Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
Argumentation de la requérante
12 À l’appui de son pourvoi, qui est expressément dirigé contre les points 11 et 12 de l’ordonnance attaquée, la requérante soutient que c’est à tort que le Tribunal a nié sa compétence pour connaître du recours en responsabilité extracontractuelle au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE.
13 En effet, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas que la Commission, lorsqu’elle a exercé son pouvoir d’appréciation reconnu par l’article 258 TFUE quant à l’opportunité d’engager ou non une procédure en manquement, a violé les droits subjectifs de la requérante, cette dernière ne disposant d’aucune autre option juridique que celle d’introduire une plainte auprès de la Commission afin de faire supprimer les dispositions nationales en cause, contraires au droit
de l’Union.
14 L’ordonnance attaquée serait également entachée d’un vice de procédure, dans la mesure où le Tribunal n’aurait pas examiné le contenu de la lettre de la Commission du 16 novembre 2015, lequel aurait pourtant été déterminant pour apprécier la légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission. Dans ce contexte, la requérante affirme ne pas partager l’avis de la Commission selon lequel une saisine de la Cour aurait eu peu de chances de succès.
15 La requérante fait valoir que le Tribunal ne pouvait pas rejeter le recours comme irrecevable en se fondant sur l’arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission (T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530), sur la légalité duquel la Cour ne s’est pas prononcée. En tout état de cause, la requérante rappelle que, dans cette affaire, l’engagement par la Commission d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE a conduit à
l’adoption, par l’État membre concerné, d’une législation conforme au droit de l’Union. Il aurait dès lors été justifié de s’attendre au même résultat en l’espèce.
16 Se référant au point 63 de l’arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission (T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530), la requérante souligne que le Tribunal a jugé qu’il ne peut être déduit de l’absence de responsabilité constatée dans le cas d’une abstention d’engager une procédure en manquement que l’engagement d’une telle procédure par la Commission exclut également toute responsabilité de l’Union. Selon la requérante, la conclusion
inverse devrait également valoir.
17 À cet égard, la requérante rappelle que le recours en indemnité est une voie de recours autonome et que tout acte d’une institution accompli dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est susceptible de faire l’objet d’un recours en indemnité. Par ailleurs, il ne saurait être exclu que l’exercice du pouvoir d’appréciation soit entaché d’une illégalité constituant une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit.
18 La requérante en déduit que la réponse à la question de l’exercice illégal d’un pouvoir d’appréciation susceptible d’engager la responsabilité de l’Union relève du droit de l’Union matériel et ne constitue donc pas une question de recevabilité, mais, au contraire, une question ayant trait au bien-fondé du recours.
Appréciation de la Cour
19 Selon une jurisprudence constante, en matière de responsabilité de l’Union pour des dommages causés à des particuliers par une violation du droit de l’Union qui est imputable à une institution ou à un organe de l’Union, un droit à réparation est reconnu par le droit de l’Union dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de
causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, EU:C:2003:399, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 49).
20 S’agissant de la deuxième condition, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée est, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, EU:C:2003:399, point 26, et du 23 mars 2004,
Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 49).
21 Dans ce contexte, il doit être tenu compte des fonctions exercées par cette institution ou cet organe, sachant qu’elle peut être tenue à une obligation de moyens ou de résultat et qu’elle bénéficie d’une marge d’appréciation plus ou moins étendue (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 50).
22 Ainsi, il est de jurisprudence constante que, lors de l’examen de la question de savoir si l’État membre a manqué à ses obligations, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, qui exclut le droit pour les particuliers d’exiger qu’elle prenne position dans un sens déterminé (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, EU:C:1989:58, point 11).
23 Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 11 de l’ordonnance attaquée, que, dans la mesure où la Commission n’est pas tenue d’engager une procédure en constatation de manquement au titre de l’article 258 TFUE, sa décision de ne pas engager une telle procédure n’est, en tout état de cause, pas constitutive d’une illégalité, de telle sorte qu’elle n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Il s’ensuit que le grief tiré de l’erreur
prétendument commise par le Tribunal en relation avec le pouvoir d’appréciation de la Commission doit être rejeté comme étant manifestement non fondé.
24 S’il est vrai que le Tribunal s’est fondé dans le cadre de son raisonnement sur le point 62 de l’arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission (T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530), lequel n’a pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, il n’en demeure pas moins que ce point fait référence à la jurisprudence constante de la Cour en la matière, et en particulier à l’ordonnance du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission (C‑72/90,
EU:C:1990:230).
25 En outre, et contrairement aux allégations de la requérante, aucune erreur de droit ne saurait être reprochée au Tribunal en raison de la circonstance que, dans l’arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission (T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530), il est parvenu à un résultat différent de celui de l’ordonnance attaquée.
26 S’il ne peut être exclu que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, un citoyen puisse démontrer que l’institution concernée a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union dans l’exercice de ses fonctions de nature à causer un préjudice au citoyen concerné (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 52), il apparait que, en l’espèce, en alléguant une violation de ses droits subjectifs par la prétendue
inaction fautive de la Commission, la requérante se plaigne d’un dommage qui trouverait, en réalité, son origine dans l’inaction et les interprétations erronées des juridictions autrichiennes.
27 Or, il importe de rappeler que, lorsque des particuliers se trouvent lésés dans leurs droits par une violation du droit de l’Union imputable à une décision d’une juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort, ils ont la possibilité d’engager la responsabilité de cet État membre devant les juridictions nationales de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, points 33 et 34, ainsi que du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito
e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 47 ; ordonnances du 5 juillet 2017, CBA Spielapparate- und Restaurantbetrieb/Cour de justice de l’Union européenne, C‑87/17 P, non publiée, EU:C:2017:512, point 18 ; du 13 juillet 2017, Ccc Event Management/Cour de justice de l’Union européenne, C‑261/17 P, non publiée, EU:C:2017:558, point 18, ainsi que du 13 septembre 2018, Ccc Event Management/Cour de justice de l’Union européenne, C‑23/18 P, non publiée, EU:C:2018:761, point 38).
28 S’agissant de l’argument selon lequel le Tribunal aurait omis d’examiner le contenu de la lettre de la Commission du 16 novembre 2015, il suffit de constater que cet argument est dirigé contre un motif surabondant évoqué par le Tribunal au point 12 in fine de l’ordonnance attaquée, aux termes duquel « [e]n outre, et en tout état de cause, la lettre [...] apparaît dûment motivée ».
29 Or, des griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal doivent être rejetés d’emblée, puisque ceux-ci ne sauraient entraîner son annulation (voir en ce sens, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 148). Cet argument doit donc être écarté comme étant manifestement non fondé.
30 Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle ne pourrait partager l’avis de la Commission selon lequel une saisine de la Cour aurait eu peu de chances de succès, il importe de relever qu’un tel argument, dans la mesure où il se rapporte à la constatation d’éléments factuels ainsi qu’à leur appréciation, ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Il doit donc être écarté comme étant manifestement irrecevable.
31 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.
Sur les dépens
32 Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance étant adoptée sans que le pourvoi ait été notifié à la partie défenderesse en première instance, il convient de décider que la requérante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :
1) Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.
2) CBA Spielapparate- und Restaurantbetriebs GmbH supporte ses propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : l’allemand.