La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/08/2018 | CJUE | N°C-472/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Jorge Luís Colino Sigüenza contre Ayuntamiento de Valladolid e.a., 07/08/2018, C-472/16


ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

7 août 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1 – Transferts d’entreprises – Maintien des droits des travailleurs – Marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale – Cessation de l’activité du premier adjudicataire avant la fin de l’année scolaire en cours et désignation d’un nouvel adjudicataire au début de l’année scolaire suivante – Article 4, paragraphe 1 – Interdiction des licenci

ements motivés par un transfert –
Exception – Licenciements intervenant pour des raisons économiques, techniques ou ...

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

7 août 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1 – Transferts d’entreprises – Maintien des droits des travailleurs – Marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale – Cessation de l’activité du premier adjudicataire avant la fin de l’année scolaire en cours et désignation d’un nouvel adjudicataire au début de l’année scolaire suivante – Article 4, paragraphe 1 – Interdiction des licenciements motivés par un transfert –
Exception – Licenciements intervenant pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 »

Dans l’affaire C‑472/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (Cour supérieure de justice de Castille–et–León, Espagne), par décision du 12 mai 2016, parvenue à la Cour le 24 août 2016, dans la procédure

Jorge Luís Colino Sigüenza

contre

Ayuntamiento de Valladolid,

In-Pulso Musical SC,

Miguel del Real Llorente, Administrador Concursal de Músicos y Escuela SL,

Músicos y Escuela SL,

Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet (rapporteur), Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 septembre 2017,

considérant les observations présentées :

– pour M. Colino Sigüenza, par M. J. M. Blanco Martín, abogado,

– pour In-Pulso Musical SC, par M. J. Lozano Blanco, abogado,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. J. Rius et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 décembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Jorge Luís Colino Sigüenza à l’Ayuntamiento de Valladolid (administration communale de Valladolid, Espagne), à In-pulso Musical SC, à M. Miguel del Real Llorente, Administrador Concursal de Músicos y Escuela SL (en sa qualité d’administrateur judiciaire de Músicos y Escuela), à Músicos y Escuela et au Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) [Fonds de garantie salariale (Fogasa), Espagne] au sujet de la licéité du licenciement dont
M. Colino Sigüenza a fait l’objet dans le cadre d’une procédure de licenciement collectif.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 La directive 2001/23 constitue la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO 1998, L 201, p. 88).

4 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 dispose :

« a) La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

b) Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

c) La présente directive est applicable aux entreprises publiques et privées exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif. Une réorganisation administrative d’autorités administratives publiques ou le transfert de fonctions administratives entre autorités administratives publiques ne constitue pas un transfert au sens de la présente directive. »

5 L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive prévoit :

« Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. »

6 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23 :

« Le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement ne constitue pas, en lui-même, un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi. »

Le droit espagnol

7 Les règles applicables aux salariés en cas de transfert d’entités économiques sont définies par le Real Decreto Legislativo 1/1995 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 1/1995 portant approbation du texte refondu de la loi sur le statut des travailleurs), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654), dans sa version résultant de la loi 12/2001, du 9 juillet 2001 (BOE no 164, du 10 juillet 2001, p. 24890) (ci–après le
« statut des travailleurs »).

8 L’article 44, paragraphes 1 et 2, du statut des travailleurs dispose :

« 1.   Le transfert d’une entreprise, d’un centre de travail ou d’une unité de production autonome de cette entreprise ne met pas, par lui-même, fin à la relation d’emploi ; le nouvel employeur est subrogé dans les droits et obligations de l’employeur précédent au titre du contrat de travail et de la sécurité sociale, y compris les engagements liés aux pensions, dans les conditions prévues par la réglementation spécifique applicable, et, en général, toutes les obligations en matière de protection
sociale complémentaire qu’aurait souscrites le cédant.

2.   Aux fins du présent article, est considéré comme un transfert d’entreprise le transfert d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, essentielle ou accessoire. »

9 L’article 51 de ce statut, intitulé « Licenciement collectif », prévoit :

« Aux fins des dispositions de la présente loi, on entend par “licenciement collectif” la cessation de contrats de travail pour des motifs économiques, techniques, d’organisation ou de production lorsque, au cours d’une période de 90 jours, elle affecte au minimum :

a) 10 travailleurs dans les entreprises qui en emploient moins de cent ;

b) 10 % du nombre des travailleurs dans les entreprises qui emploient entre 100 et 300 travailleurs ;

c) 30 travailleurs dans les entreprises qui emploient plus de 300 travailleurs.

Les motifs sont réputés économiques lorsque les résultats de l’entreprise révèlent une situation économique négative, dans des cas caractérisés par l’existence de pertes actuelles ou prévues ou par la diminution persistante du niveau des recettes ordinaires ou des ventes. En toute hypothèse, la diminution est réputée persistante si, pendant trois trimestres consécutifs, le niveau des recettes ordinaires ou des ventes de chaque trimestre est inférieur à celui enregistré au cours du même trimestre
de l’année antérieure.

[...]

Est également considérée comme licenciement collectif la cessation des contrats de travail de la totalité du personnel de l’entreprise, à condition que le nombre de travailleurs affectés soit supérieur à cinq, lorsqu’elle résulte de la cessation totale de l’activité d’entreprise, pour les mêmes motifs que ceux signalés ci-dessus.

[...]

2.   Le licenciement collectif doit être précédé d’une période de consultations des représentants légaux des travailleurs pendant une durée maximale de 30 jours civils ou de 15 jours pour les entreprises de moins de 50 travailleurs.

[...]

L’autorité de tutelle de l’emploi veille à l’efficacité de la période de consultations. Le cas échéant, elle peut adresser aux parties des avertissements et recommandations qui ne peuvent en aucun cas interrompre ou suspendre la procédure. En outre, sans préjudice du paragraphe précédent, pendant la période de consultations, l’autorité de tutelle de l’emploi peut, sur demande conjointe des parties, prendre les mesures de médiation appropriées à la recherche de solutions aux problèmes posés par le
licenciement collectif. Aux mêmes fins, elle peut également prêter son assistance à la demande d’une partie ou de sa propre initiative.

Une fois écoulée la période de consultations, l’employeur en communique le résultat à l’autorité de tutelle de l’emploi. Si un accord a été obtenu, il en transmet une copie intégrale. Dans le cas contraire, il remet aux représentants des travailleurs et à l’autorité de tutelle de l’emploi la décision finale de licenciement collectif qu’il a adoptée, avec les conditions de ce licenciement.

[...]

4.   Une fois la décision communiquée aux représentants des travailleurs, l’employeur peut notifier les licenciements à chacun des travailleurs concernés dans les conditions énoncées à l’article 53, paragraphe 1, de la présente loi. En toute hypothèse, au minimum trente jours doivent s’être écoulés entre la date à laquelle l’ouverture de la période de consultations est communiquée à l’autorité de tutelle du travail et celle à laquelle le licenciement prend effet.

[...]

6.   La décision de l’employeur peut faire l’objet des recours prévus pour ce licenciement. L’introduction d’un recours par les représentants des travailleurs suspend le traitement des actions individuelles jusqu’à ce qu’il soit statué sur ce recours. »

10 Le licenciement collectif est régi par l’article 124 de la Ley 36/2011 reguladora de la jurisdicción social (loi 36/2011 relative à l’organisation des juridictions sociales et du travail), du 10 octobre 2011 (BOE no 245, du 11 octobre 2011, p. 106584). Dans sa version en vigueur à compter du 15 juillet 2012, cet article, intitulé « Licenciements collectifs pour des raisons économiques, d’organisation, techniques, de production ou de force majeure », dispose :

« 1.   La décision de l’employeur peut être contestée par les représentants des travailleurs dans le cadre de la procédure visée aux paragraphes suivants. Lorsque l’action est intentée par les délégués syndicaux, ceux-ci doivent avoir suffisamment pris part à la procédure de licenciement collectif.

2.   L’action peut être fondée sur les moyens suivants :

a) le motif légal indiqué dans la communication écrite fait défaut ;

b) la période de consultations n’a pas eu lieu, les documents visés à l’article 51, paragraphe 2, du statut des travailleurs n’ont pas été remis ou la procédure prévue à l’article 51, paragraphe 7, de ce statut n’a pas été respectée ;

c) la décision de licenciement a été adoptée par fraude, dol, contrainte ou abus de droit ;

d) la décision de licenciement a été adoptée en violation des droits fondamentaux et des libertés publiques.

Les demandes relatives à la non-application des règles de priorité de maintien de l’emploi prévues dans la législation, les accords collectifs ou l’accord adopté au cours de la période de consultations ne peuvent en aucun cas faire l’objet de cette procédure. Ces demandes doivent être présentées dans le cadre de la procédure individuelle visée au paragraphe 11 du présent article.

[...]

6.   L’action doit être intentée dans un délai de forclusion de 20 jours à compter de la date de l’accord conclu au cours de la période de consultations ou de la notification aux représentants des travailleurs de la décision de licenciement collectif adoptée par l’employeur.

[...]

9.   Une fois l’action déclarée recevable, le greffe la notifie à l’employeur défendeur et lui enjoint de présenter, dans un délai de 5 jours et de préférence sur un support informatique, les documents et les procès-verbaux de la période de consultations ainsi que la communication du résultat de cette période à l’autorité de tutelle du travail.

Dans cette même injonction, le greffe impartit à l’employeur un délai de 5 jours pour porter l’existence de l’action intentée par les représentants des travailleurs à la connaissance des travailleurs concernés par le licenciement collectif afin qu’ils communiquent à la juridiction dans un délai de 15 jours une adresse aux fins de la signification du jugement.

[...]

11.   Le jugement est rendu dans les 5 jours suivant l’audience et peut faire l’objet d’un pourvoi.

La décision de licenciement est déclarée valide lorsque, conformément à l’article 51, paragraphe 2 ou 7, du statut des travailleurs, l’employeur atteste l’existence du motif légal invoqué.

Le jugement constate l’invalidité de la décision de licenciement lorsque l’employeur n’atteste pas l’existence du motif légal indiqué dans la lettre de licenciement.

[...]

12.   Une fois devenu définitif, le jugement est notifié aux parties et aux travailleurs concernés par le licenciement collectif qui ont communiqué à la juridiction une adresse aux fins des significations, aux fins prévues au paragraphe 13, sous b), du présent article.

Le jugement définitif est signifié pour information à l’autorité de tutelle du travail, à la caisse de chômage ainsi qu’à l’administration de la sécurité sociale lorsqu’elles n’ont pas été parties à la procédure.

13.   Lorsque la procédure a pour objet la contestation individuelle de la résiliation du contrat de travail devant le Juzgado de lo Social [(tribunal du travail, Espagne)], les articles 120 à 123 de la présente loi s’appliquent avec les particularités suivantes :

a) lorsque le débat porte sur la priorité accordée à certains travailleurs, l’action doit également être dirigée contre eux.

L’action doit également être dirigée contre les représentants des travailleurs lorsque la mesure a été prise avec leur consentement, pour autant que ceux qui n’ont pas signé l’accord n’ont pas contesté la décision de licenciement conformément aux paragraphes précédents ;

b) si, après l’ouverture de la procédure individuelle, les représentants des travailleurs intentent une action contre la décision de l’employeur conformément aux paragraphes précédents, cette procédure est suspendue jusqu’à ce que l’action intentée par les représentants des travailleurs fasse l’objet d’un jugement, qui, une fois devenu définitif, est revêtu de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la procédure individuelle dans les conditions prévues à l’article 160, paragraphe 5, de la
présente loi ;

c) outre les motifs visés à l’article 122, paragraphe 2, de la présente loi, le licenciement est nul lorsque l’employeur n’a pas ouvert la période de consultations, remis les documents visés à l’article 51, paragraphe 2, du statut des travailleurs, respecté la procédure prévue à l’article 51, paragraphe 7, de ce statut ou obtenu l’autorisation judiciaire du juge de l’insolvabilité dans les cas où elle est requise par la loi.

La résiliation du contrat décidée par l’employeur sans respecter les priorités de maintien de poste pouvant résulter des lois, des conventions collectives ou de l’accord conclu lors de la période de consultations est également nulle. Cette nullité ne s’étend pas aux résiliations de contrats intervenues lors du même licenciement collectif en conformité avec les priorités de maintien de poste. »

11 L’article 160, paragraphe 5, de cette loi prévoit :

« Le jugement définitif est revêtu de l’autorité de la chose jugée à l’égard des procédures individuelles portant sur un objet identique ou directement connexe, qui sont pendantes ou qui peuvent être introduites tant devant les juridictions sociales que devant les juridictions du contentieux administratif, lesquelles sont ainsi suspendues durant le traitement du recours collectif. La suspension est ordonnée même si une décision a déjà été rendue en première instance et si un recours en appel ou
en cassation est pendant. Le jugement définitif intervenu dans le cadre du recours collectif lie la juridiction saisie, y compris lorsque le jugement définitif n’a pas été invoqué en tant que décision en sens contraire dans le cadre du recours engagé devant le Tribunal Supremo [(Cour suprême, Espagne)] aux fins d’unification de la jurisprudence. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 M. Colino Sigüenza a été occupé en qualité de professeur de musique au sein de l’académie de musique communale de Valladolid (Espagne) à compter du 11 novembre 1996. À l’origine, cette académie était directement gérée par l’administration communale de Valladolid, M. Colino Sigüenza ayant été initialement engagé par cette dernière.

13 À partir de l’année 1997, l’administration communale de Valladolid a cessé de gérer directement ladite académie et a émis des appels d’offres publics successifs pour l’attribution de ce service. L’adjudicataire désigné au terme de ces procédures successives fut, de manière ininterrompue à compter de ce moment et jusqu’au 31 août 2013, Músicos y Escuela, laquelle a poursuivi l’activité de l’académie en prenant en charge la gestion des locaux, du mobilier et des instruments utiles à la prestation
de ce service. Músicos y Escuela a également repris une partie des travailleurs qui avaient été embauchés par ladite administration communale, dont M. Colino Sigüenza. Cette activité a continué à être perçue comme un service offert aux citoyens par l’administration communale de Valladolid, en tant qu’académie de musique communale.

14 En raison de la diminution du nombre d’élèves de l’académie de musique communale de Valladolid au cours de l’année scolaire 2012-2013, les sommes versées par les élèves au titre de ce service n’ont plus été en adéquation avec le montant de la contrepartie à charge de l’administration communale de Valladolid en vertu du contrat conclu avec Músicos y Escuela, ce qui a conduit cette dernière à réclamer à ladite administration une somme de 58403,73 euros pour le premier trimestre de cette année
scolaire et de 48592,74 euros pour le deuxième trimestre de celle-ci.

15 L’administration communale de Valladolid ayant refusé de payer ces sommes, Músicos y Escuela a demandé, le 19 février 2013, la résiliation du contrat d’adjudication du service pour cause de manquement de ladite administration et a réclamé l’indemnisation correspondante. En réponse, cette administration communale a, au mois d’août 2013, résilié le contrat aux torts de Músicos y Escuela pour avoir cessé ses activités avant le terme convenu. L’affaire a été portée devant la Sala de lo
Contencioso-Administrativo du Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (chambre du contentieux administratif de la Cour supérieure de justice de Castille-et-León, Espagne) qui, par plusieurs arrêts définitifs rendus au cours des années 2014 et 2015, a décidé, d’une part, que l’administration communale de Valladolid avait violé le contrat conclu avec Músicos y Escuela, dans la mesure où celui-ci prévoyait une garantie de revenus indépendante du nombre d’élèves inscrits et que, en ne
respectant pas celle-ci, ladite administration communale avait elle-même empêché la poursuite des activités de Músicos y Escuela, justifiant ainsi la résiliation de ce contrat aux torts de cette même administration communale. D’autre part, Músicos y Escuela n’ayant pas respecté ses obligations en ayant décidé unilatéralement de cesser ses activités dès le 31 mars 2013, les dommages et intérêts qu’elle demandait lui ont été refusés.

16 Entre-temps, le 4 mars 2013, Músicos y Escuela avait engagé la période de négociations et de consultations nécessaire pour procéder au licenciement collectif de l’ensemble de son personnel en raison de la situation économique résultant du conflit avec l’administration communale de Valladolid. Le 27 mars 2013, en l’absence d’accord avec les représentants des salariés, Músicos y Escuela a pris la décision de licencier collectivement l’ensemble du personnel.

17 Le 31 mars 2013, soit quelques mois avant la fin de l’année scolaire en cours, Músicos y Escuela a cessé son activité et, le 1er avril, restitué à l’administration communale de Valladolid les locaux, instruments et moyens destinés au fonctionnement de l’académie de musique communale de Valladolid dont la gestion lui avait été confiée. Le 4 avril 2013, Músicos y Escuela a remis une lettre de licenciement à tout son personnel, dont M. Colino Sigüenza, avec effet au 8 avril 2013. Cette société a été
déclarée en faillite le 30 juillet 2013.

18 Les représentants des travailleurs de Músicos y Escuela étant seuls admis, selon la loi relative à l’organisation des juridictions sociales et du travail, à introduire une action dans le cadre d’un licenciement collectif, ceux-ci ont formé un recours contre la décision de licenciement collectif devant la Sala de lo Social de Valladolid du Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (Chambre sociale de Valladolid de la Cour supérieure de justice de Castille-et-León, Espagne) qui a, par
décision du 19 juin 2013, rejeté ce recours.

19 Les représentants des travailleurs ont interjeté appel de cette décision devant le Tribunal Supremo (Cour suprême), qui, par un arrêt du 17 novembre 2014, a également rejeté leur recours. Cet arrêt est devenu définitif.

20 Entre-temps, au mois d’août 2013, l’administration communale de Valladolid a attribué la gestion de l’académie de musique communale de Valladolid à In-pulso Musical et lui a confié, à l’instar de ce qu’elle avait fait avec Músicos y Escuela, l’usage des locaux, des instruments et des moyens nécessaires à cette fin. In-pulso Musical a entamé ses activités au mois de septembre 2013, pour l’année scolaire 2013-2014. À la suite d’une nouvelle procédure d’appel d’offres, l’administration communale de
Valladolid a, une nouvelle fois, désigné In-pulso Musical en qualité d’adjudicataire de ce marché pour les années scolaires 2014-2015 et 2015-2016. Cette société n’a embauché aucun des salariés qui travaillaient auparavant au sein de ladite académie de musique communale et qui ont été licenciés collectivement par Músicos y Escuela.

21 M. Colino Sigüenza a, à titre individuel, saisi le Juzgado de lo Social no 4 de Valladolid (tribunal du travail no 4 de Valladolid, Espagne) d’un recours contre Músicos y Escuela, l’administration communale de Valladolid et In-pulso Musical afin de contester son licenciement.

22 Par un arrêt du 30 septembre 2015, cette juridiction a rejeté le recours de M. Colino Sigüenza au motif que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 17 novembre 2014, ayant rejeté le recours formé contre le licenciement collectif introduit par les représentants des travailleurs, la lie en ce qui concerne le recours individuel formé par l’intéressé contre son licenciement, bien que ce dernier n’ait pas été partie, à titre individuel, à la procédure
à l’origine de cet arrêt. En outre, le Juzgado de lo Social no 4 de Valladolid (tribunal du travail no 4 de Valladolid) a considéré qu’In-pulso Musical n’avait pas succédé à Músicos y Escuela en tant qu’employeur de M. Colino Sigüenza, dans la mesure où presque cinq mois s’étaient écoulés entre son licenciement et la reprise de la gestion de l’académie de musique communale de Valladolid par In-pulso Musical.

23 M. Colino Sigüenza a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (Cour supérieure de justice de Castille-et-León, Espagne).

24 À l’appui de son recours, il soutient, en substance, d’une part, que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 17 novembre 2014, qui a rejeté le recours formé contre le licenciement collectif, ne saurait l’affecter, à titre individuel, dans la mesure où il n’a pas été partie à cette procédure, de sorte qu’une telle extension de l’autorité de la chose jugée viole son droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte. D’autre part,
il fait valoir qu’il y a eu, en l’occurrence, transfert d’entreprise au profit d’In-pulso Musical, de sorte que cette opération ne saurait justifier la résiliation de son contrat de travail.

25 Cette juridiction s’interroge dès lors, en substance, d’une part, quant au point de savoir si l’interruption temporaire, par Músicos y Escuela, de ses prestations de services entre le 1er avril 2013 et le début du mois de septembre 2013, date à laquelle la gestion de l’académie de musique communale de Valladolid a été reprise par In–pulso Musical, fait obstacle à ce qu’il soit établi qu’il est question d’un « transfert » d’entreprise ou d’établissement, au sens de l’article 1er de la directive
2001/23, et, d’autre part, si, dans une situation telle que celle dont elle est saisie, l’application de la législation nationale relative à l’autorité de la chose jugée a pour effet de violer le droit à un recours effectif de M. Colino Sigüenza.

26 Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (Cour supérieure de justice de Castille-et-León) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Faut-il considérer qu’il y a un “transfert”, au sens de la directive 2001/23, lorsque l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale, auquel l’administration communale fournit tous les moyens matériels (locaux, instruments, salles de classe, mobilier) engage son propre personnel et fournit ses services par année académique, abandonne l’activité le 1er avril 2013, soit deux mois avant la fin de l’année scolaire, en restituant tous les moyens
matériels à l’administration communale, laquelle ne reprend pas l’activité pour terminer l’année scolaire 2012-2013 mais procède à une nouvelle adjudication, le nouvel adjudicataire reprenant l’activité au mois de septembre 2013, au début de l’année scolaire 2013-2014, l’administration communale ayant fourni à cette fin au nouveau prestataire les moyens matériels nécessaires (locaux, instruments, salles de classe, mobiliers) dont disposait au préalable le précédant adjudicataire ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, dans les conditions précédemment décrites, lorsque le manquement à ses obligations par la société principale (l’administration communale) oblige le premier adjudicataire à cesser son activité et à licencier l’ensemble du personnel, la société principale transmettant juste après les moyens matériels à un deuxième contractant, lequel poursuit la même activité, faut-il considérer, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23,
que le licenciement des salariés du premier adjudicataire a été effectué pour “des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi” ou bien que la cause de ce licenciement a été “le transfert d’une entreprise, d’un établissement, ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement”, ce qu’interdit l’article précité ?

3) Si la réponse à la deuxième question est que la cause du licenciement a été le transfert et, partant, qu’elle est contraire à la directive 2001/23, faut-il interpréter l’article 47 de la [Charte] en ce sens qu’il interdit que la législation nationale empêche un juge ou tribunal de se prononcer sur le fond des arguments d’un salarié au motif du prononcé préalable d’un arrêt définitif sur le licenciement collectif dans une procédure à laquelle le salarié n’a pas pu participer, même si les
syndicats représentés dans l’entreprise et/ou les représentants juridiques collectifs des salariés ont eu ou auraient pu avoir cette possibilité, alors que le salarié conteste dans le cadre d’une procédure individuelle son licenciement, lequel résulte du licenciement collectif, afin de défendre ses droits qui résultent de l’application des directives 2001/23 et 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements
collectifs (JO 1998, L 225, p. 16) ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

27 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de relever du champ d’application de cette directive une situation, telle que celle en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale, auquel l’administration communale avait fourni tous les moyens matériels nécessaires à l’exercice de cette
activité, met un terme à celle-ci deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel et en restituant ces moyens matériels à l’administration communale, laquelle procède à une nouvelle adjudication uniquement pour l’année scolaire suivante et fournit au nouvel adjudicataire les mêmes moyens matériels.

28 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que le champ d’application de la directive 2001/23 s’étend à toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l’exploitation de l’entreprise, qui, de ce fait, contracte les obligations d’employeur à l’égard des employés de l’entreprise, sans qu’il importe de savoir si la propriété des éléments corporels est transférée (arrêt du 26 novembre 2015, Aira
Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14, EU:C:2015:781, point 28 et jurisprudence citée).

29 Selon la jurisprudence constante de la Cour, la directive 2001/23 vise à assurer la continuité des relations de travail existantes dans le cadre d’une entité économique, indépendamment d’un changement du propriétaire. Le critère décisif, pour établir l’existence d’un transfert, au sens de cette directive, consiste donc dans la circonstance que l’entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l’exploitation ou de sa reprise (arrêt du 9 septembre 2015,
Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 25 et jurisprudence citée).

30 Afin de déterminer si cette condition est remplie, il faut prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération concernée, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert
ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert, et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 26 et jurisprudence citée).

31 En particulier, la Cour a souligné que l’importance respective à accorder aux différents critères varie nécessairement en fonction de l’activité exercée, voire des méthodes de production ou d’exploitation utilisées dans l’entreprise, dans l’établissement ou dans la partie d’établissement concernée (arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 27 et jurisprudence citée).

32 La Cour a jugé, à cet égard, que, dans un secteur où l’activité repose essentiellement sur la main-d’œuvre, l’identité d’une entité économique ne peut être maintenue si l’essentiel des effectifs de cette entité n’est pas repris par le présumé cessionnaire (arrêt du 26 novembre 2015, Aira Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14, EU:C:2015:781, point 35 et jurisprudence citée).

33 En revanche, dans un secteur où l’activité repose essentiellement sur les équipements, l’absence de reprise, par le nouvel entrepreneur, des effectifs que son prédécesseur affectait à l’exécution de la même activité, ne suffit pas à exclure l’existence d’un transfert d’une entité maintenant son identité, au sens de la directive 2001/23 (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Aira Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14, EU:C:2015:781, point 41).

34 C’est notamment à la lumière de ces enseignements jurisprudentiels qu’il convient d’apprécier la question posée, en tenant compte des principaux éléments de fait relevés par la juridiction nationale dans la décision de renvoi.

35 Il importe de souligner, tout d’abord, que dans une situation telle que celle en cause au principal, les moyens matériels, tels que les instruments de musique, les installations et les locaux apparaissent comme des éléments indispensables à l’exercice de l’activité économique en cause, cette dernière ayant trait à la gestion d’une académie de musique. Or, en l’occurrence, il est constant que l’administration communale de Valladolid a mis à la disposition du nouvel adjudicataire l’ensemble des
moyens matériels qu’elle avait assignés au précédent adjudicataire.

36 En outre, puisque l’activité économique en cause au principal ne semble pouvoir être considérée comme une activité reposant essentiellement sur la main-d’œuvre, dans la mesure où elle exige des équipements importants, la seule circonstance qu’In-pulso Musical n’ait pas repris les travailleurs de Músicos y Escuela ne permet pas d’exclure l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de la directive 2001/23.

37 Ensuite, s’agissant de la circonstance que les éléments corporels indispensables à l’exercice de l’activité en cause au principal ont toujours appartenu à l’administration communale de Valladolid, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 28 du présent arrêt, la question de savoir si la propriété des éléments corporels est transférée n’est pas pertinente aux fins de l’application de la directive 2001/23.

38 À cet égard, la Cour a jugé, en particulier, que la circonstance que les éléments corporels repris par le nouvel entrepreneur n’appartenaient pas à son prédécesseur, mais étaient simplement mis à disposition par le donneur d’ordre ne peut conduire à exclure l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de ladite directive (arrêt du 26 novembre 2015, Aira Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14, EU:C:2015:781, point 39 et jurisprudence citée).

39 Il s’ensuit qu’une interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2001/23 qui exclurait du champ d’application de cette directive une situation dans laquelle les éléments corporels indispensables au déroulement de l’activité en cause n’ont jamais cessé d’appartenir au cédant (l’administration communale de Valladolid) priverait ladite directive d’une partie de son effet utile (voir arrêt du 26 novembre 2015, Aira Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14,
EU:C:2015:781, point 40).

40 Enfin, d’autres éléments soumis à la Cour viennent corroborer, eu égard aux critères rappelés au point 30 du présent arrêt, l’existence, dans l’affaire au principal, d’un « transfert d’entreprise », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23. Il en va ainsi de la reprise des élèves de Músicos y Escuela par In-pulso Musical et de la reprise par cette dernière, dès le mois de septembre 2013, des services fournis par Músicos y Escuela jusqu’au 1er avril 2013.

41 De surcroît, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la suspension temporaire, pendant seulement quelques mois, des activités de l’entreprise n’est pas de nature à exclure que l’entité économique en cause au principal ait maintenu son identité et donc à écarter l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de la même directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 31).

42 À cet égard, la Cour a notamment jugé que le fait que l’entreprise était, au moment du transfert, temporairement fermée et n’avait pas d’employés à son service constitue certes un élément à prendre en considération pour apprécier si une entité économique encore existante a été transférée. Toutefois, la fermeture temporaire de l’entreprise et l’absence consécutive de personnel au moment du transfert ne sont pas à elles seules de nature à exclure l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de
l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 (arrêt du 15 juin 1988, Bork International e.a., 101/87, EU:C:1988:308, point 16 ainsi que jurisprudence citée).

43 Cette conclusion s’impose notamment dans une situation, telle que celle en cause au principal, où bien que l’arrêt de l’activité de l’entreprise se soit étendu sur une période de cinq mois, celle-ci comprenait trois mois de vacances scolaires.

44 Par conséquent, la suspension temporaire des activités de l’entreprise ainsi que l’absence de reprise des travailleurs de Músicos y Escuela par In-pulso Musical ne sont pas de nature à exclure que l’entité économique en cause au principal ait maintenu son identité et donc à écarter l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de la même directive.

45 En définitive, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’établir, à la lumière des considérations qui précèdent et en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, l’existence ou non d’un transfert d’entreprise dans l’affaire au principal.

46 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de relever du champ d’application de cette directive une situation, telle que celle en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale, auquel l’administration communale avait fourni tous les moyens matériels nécessaires à l’exercice de cette
activité, met un terme à celle-ci deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel et en restituant ces moyens matériels à l’administration communale, laquelle procède à une nouvelle adjudication uniquement pour l’année scolaire suivante et fournit au nouvel adjudicataire les mêmes moyens matériels.

Sur la deuxième question

47 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale met un terme à cette activité deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel, le nouvel adjudicataire reprenant
l’activité au début de l’année scolaire suivante, le licenciement des salariés doit être considéré comme ayant été effectué pour « des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi » ou que la cause de ce licenciement a été « le transfert d’une entreprise, d’un établissement, ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement ».

48 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la directive 2001/23 tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant (arrêt du 27 novembre 2008, Juuri, C‑396/07, EU:C:2008:656, point 28 et jurisprudence citée). L’objet de ladite directive est de garantir, autant que possible, la
continuation des contrats ou des relations de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d’empêcher que les travailleurs concernés ne soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert (arrêts du 17 décembre 1987, Ny Mølle Kro, 287/86, EU:C:1987:573, point 25, et du 26 mai 2005, Celtec, C‑478/03, EU:C:2005:321, point 26).

49 Cela étant, ainsi qu’il découle des termes mêmes de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23, la protection que ladite directive vise à assurer ne concerne que les travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail existant à la date du transfert.

50 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, sauf disposition spécifique contraire, le bénéfice de la directive 2001/23 peut être invoqué par les seuls travailleurs dont le contrat ou la relation de travail est en cours à la date du transfert. L’existence ou non d’un contrat ou d’une relation de travail à cette date doit être appréciée en fonction du droit national, sous réserve, toutefois, que soient respectées les règles impératives de cette directive relatives à
la protection des travailleurs contre le licenciement du fait du transfert (arrêt du 15 juin 1988, Bork International e.a., 101/87, EU:C:1988:308, point 17).

51 À ce sujet, il convient de relever que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire.

52 Par conséquent, les travailleurs dont le contrat ou la relation de travail ont pris fin avec effet à une date antérieure à celle du transfert, en violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doivent être considérés comme étant toujours employés de l’entreprise à la date du transfert avec la conséquence, notamment, que les obligations de l’employeur à leur égard sont transférées de plein droit du cédant au cessionnaire (arrêt du 12 mars 1998, Dethier Équipement, C‑319/94,
EU:C:1998:99, point 35 et jurisprudence citée).

53 Pour déterminer si le licenciement a été motivé par le seul fait du transfert, en violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, il convient de prendre en considération les circonstances objectives dans lesquelles le licenciement est intervenu (arrêt du 15 juin 1988, Bork International e.a., 101/87, EU:C:1988:308, point 18).

54 À cet égard, il est précisé dans la décision de renvoi que le licenciement de M. Colino Sigüenza a eu lieu à une date bien antérieure à celle du transfert de l’activité à In-pulso Musical et que cette rupture de la relation de travail a été motivée par l’impossibilité pour Músicos y Escuela de rémunérer son personnel, situation résultant d’une violation, par l’administration communale de Valladolid, des dispositions du contrat la liant à Músicos y Escuela. Ainsi, ces circonstances sembleraient
militer en faveur d’une qualification du licenciement du personnel de Músicos y Escuela pour des « raisons économiques, techniques ou d’organisation », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, pour autant, toutefois, que les circonstances ayant donné lieu au licenciement de l’ensemble du personnel ainsi que la désignation tardive d’un nouveau prestataire de services ne constituent pas une mesure délibérée visant à priver les salariés concernés des droits que la directive
2001/23 leur confère, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

55 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale met un terme à cette activité deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel, le nouvel adjudicataire
reprenant l’activité au début de l’année scolaire suivante, il apparaît que le licenciement des salariés a été effectué pour « des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi », au sens de cette disposition, pour autant que les circonstances ayant donné lieu au licenciement de l’ensemble des travailleurs ainsi que la désignation tardive d’un nouveau prestataire de services ne relèvent pas d’une mesure délibérée visant à priver ces
travailleurs des droits que la directive 2001/23 leur confère, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la troisième question

56 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2001/23 ainsi que le droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale relative à l’autorité de la chose jugée, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux juridictions nationales de se prononcer sur la contestation, fondée sur la directive 2001/23, du licenciement individuel d’un travailleur
intervenu dans le cadre d’un licenciement collectif, dès lors qu’une décision juridictionnelle dans une procédure relative à ce licenciement collectif, dans le cadre de laquelle seuls les représentants des travailleurs peuvent intervenir, a déjà été rendue.

57 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke, C‑83/91, EU:C:1992:332, point 22, et du 24 mars 2009, Danske
Slagterier, C‑445/06, EU:C:2009:178, point 65).

58 Dans le cadre de cette coopération, il appartient à la juridiction nationale saisie du litige, qui seule possède une connaissance directe des faits à l’origine de celui-ci et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions
posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, EU:C:2001:160, point 38 ; du 6 décembre 2001, Clean Car Autoservice, C‑472/99, EU:C:2001:663, point 13, et du 5 février 2004, Schneider, C‑380/01, EU:C:2004:73, point 21).

59 Toutefois, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C‑320/90 à C‑322/90, EU:C:1993:26, point 6, ainsi que ordonnance du 13 juillet 2006, Eurodomus,
C‑166/06, non publiée, EU:C:2006:485, point 9).

60 Il y a lieu de relever que la décision de renvoi ne contient pas d’informations suffisantes en ce qui concerne le cadre juridique national pertinent. En effet, la juridiction de renvoi n’apporte aucune information quant à l’application du principe de l’autorité de la chose jugée, au sens de l’article 124, paragraphe 13, sous b), de la loi 36/2011 relative à l’organisation des juridictions sociales et du travail.

61 En outre, l’article 160, paragraphe 5, de cette loi, auquel renvoie l’article 124, paragraphe 13, sous b), de celle-ci, dispose que la force de chose jugée est limitée à l’objet de la procédure. Or, d’une part, la décision de renvoi ne contient aucune information quant à l’article 160, paragraphe 5, de la ladite loi et, d’autre part, ainsi que l’a relevé le gouvernement espagnol lors de l’audience, afin d’examiner si l’objet de la procédure est identique, en l’occurrence, étant donné la nature
collective à la fois du licenciement et du transfert qui concerne tout le personnel, il y aurait lieu de prendre en considération également d’autres dispositions du droit procédural espagnol.

62 Dans ces conditions, étant donné que la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre de manière utile à la troisième question, cette dernière doit être déclarée irrecevable.

Sur les dépens

63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de relever du champ d’application de cette directive une situation, telle que celle en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services
portant sur la gestion d’une académie de musique communale, auquel l’administration communale avait fourni tous les moyens matériels nécessaires à l’exercice de cette activité, met un terme à celle-ci deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel et en restituant ces moyens matériels à l’administration communale, laquelle procède à une nouvelle adjudication uniquement pour l’année scolaire suivante et fournit au nouvel adjudicataire les mêmes
moyens matériels.

  2) L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où l’adjudicataire d’un marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale met un terme à cette activité deux mois avant la fin de l’année scolaire en cours, en procédant au licenciement du personnel, le nouvel adjudicataire reprenant l’activité au début de l’année scolaire suivante, il apparaît que le licenciement
des salariés a été effectué pour « des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi », au sens de cette disposition, pour autant que les circonstances ayant donné lieu au licenciement de l’ensemble des travailleurs ainsi que la désignation tardive d’un nouveau prestataire de services ne relèvent pas d’une mesure délibérée visant à priver ces travailleurs des droits que cette directive leur confère, ce qu’il appartient à la juridiction de
renvoi de vérifier.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-472/16
Date de la décision : 07/08/2018
Type de recours : Recours préjudiciel - irrecevable, Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León.

Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1 – Transferts d’entreprises – Maintien des droits des travailleurs – Marché de services portant sur la gestion d’une académie de musique communale – Cessation de l’activité du premier adjudicataire avant la fin de l’année scolaire en cours et désignation d’un nouvel adjudicataire au début de l’année scolaire suivante – Article 4, paragraphe 1 – Interdiction des licenciements motivés par un transfert – Exception – Licenciements intervenant pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Jorge Luís Colino Sigüenza
Défendeurs : Ayuntamiento de Valladolid e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Borg Barthet

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:646

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award