ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 août 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Déduction de la taxe payée en amont – Naissance et étendue du droit à déduction »
Dans l’affaire C‑16/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal], par décision du 29 juin 2016, parvenue à la Cour le 13 janvier 2017, dans la procédure
TGE Gas Engineering GmbH – Sucursal em Portugal
contre
Autoridade Tributária e Aduaneira,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet (rapporteur), Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mars 2018,
considérant les observations présentées :
– pour TGE Gas Engineering GmbH – Sucursal em Portugal, par Me A. Fernandes de Oliveira, advogado,
– pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et R. Campos Laires, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. B. Rechena, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mai 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 44, 45, de l’article 132, paragraphe 1, sous f), des articles 167 à 169, 178, 179, 192 bis à 194 et 196 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) ( ci-après la « directive TVA »), des articles 10 et 11 du règlement
d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112 (JO 2011, L 77, p. 1), et du principe de neutralité.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TGE Gas Engineering GmbH – Sucursal em Portugal (ci-après « TGE Sucursal em Portugal ») à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, Portugal) (ci-après l’« ATA ») au sujet du refus de cette autorité de lui imputer le bénéfice d’une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) résultant de la refacturation des charges d’un groupement d’intérêt économique (GIE).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive TVA
3 Aux termes de l’article 44 de la directive TVA :
« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des
prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services a son domicile ou sa résidence habituelle. »
4 L’article 45 de cette directive prévoit :
« Le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique. Toutefois, si ces prestations sont effectuées à partir de l’établissement stable du prestataire situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des
prestations de services est l’endroit où le prestataire a son domicile ou sa résidence habituelle. »
5 L’article 132, paragraphe 1, sous f), de ladite directive est libellé comme suit :
« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
f) les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des
distorsions de concurrence ».
6 L’article 167 de la directive TVA énonce :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
7 L’article 168, sous a), de cette directive dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ».
8 Aux termes de l’article 169, sous a), de ladite directive :
« Outre la déduction visée à l’article 168, l’assujetti a le droit de déduire la TVA y visée dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :
a) ses opérations relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées dans cet État membre ».
9 L’article 178, sous a) et f), de la directive TVA prévoit :
« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :
a) pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;
[...]
f) lorsqu’il est tenu d’acquitter la taxe en tant que preneur ou acquéreur en cas d’application des articles 194 à 197 et de l’article 199, remplir les formalités qui sont établies par chaque État membre. »
10 L’article 179 de cette directive dispose :
« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.
Toutefois, les États membres peuvent obliger les assujettis qui effectuent des opérations occasionnelles visées à l’article 12 à n’exercer le droit à déduction qu’au moment de la livraison. »
11 Aux termes de l’article 192 bis de ladite directive :
« Aux fins de la présente section, un assujetti qui dispose d’un établissement stable sur le territoire de l’État membre dans lequel la taxe est due est considéré comme un assujetti qui n’est pas établi sur le territoire de cet État membre lorsque les conditions ci-après sont réunies :
a) il effectue une livraison de biens ou une prestation de services imposable sur le territoire de cet État membre ;
b) un établissement que le fournisseur ou le prestataire possède sur le territoire de cet État membre ne participe pas à la livraison de ces biens ou à la prestation de ces services. »
12 L’article 193 de la directive TVA énonce :
« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202. »
13 L’article 194 de cette directive prévoit :
« 1. Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services.
2. Les États membres déterminent les conditions d’application du paragraphe 1. »
14 L’article 196 de ladite directive est rédigé comme suit :
« La TVA est due par l’assujetti ou la personne morale non assujettie identifiée à la TVA, à qui sont fournis les services visés à l’article 44, si ces services sont fournis par un assujetti qui n’est pas établi dans cet État membre. »
Le règlement d’exécution no 282/2011
15 Aux termes de l’article 10 du règlement d’exécution no 282/2011 :
« 1. Pour l’application des articles 44 et 45 de la directive [TVA], le “lieu où l’assujetti a établi le siège de son activité économique” est le lieu où sont exercées les fonctions d’administration centrale de l’entreprise.
2. Afin de déterminer le lieu visé au paragraphe 1, sont pris en considération le lieu où sont prises les décisions essentielles concernant la gestion générale de l’entreprise, le lieu de son siège statutaire et le lieu où se réunit la direction.
Lorsque ces critères ne permettent pas de déterminer avec certitude le lieu du siège de l’activité économique, le lieu où sont prises les décisions essentielles concernant la gestion générale de l’entreprise est le critère prépondérant.
3. La présence d’une adresse postale ne peut déterminer à elle seule le lieu où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. »
16 L’article 11 dudit règlement d’exécution énonce :
« 1. Pour l’application de l’article 44 de la directive [TVA], l’“établissement stable” désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 du présent règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.
2. Pour l’application des articles suivants, l’“établissement stable” désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 du présent règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de fournir les services dont il assure la prestation :
a) article 45 de la directive [TVA] ;
b) à partir du 1er janvier 2013, article 56, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive [TVA] ;
c) jusqu’au 31 décembre 2014, article 58 de la directive [TVA] ;
d) article 192 bis de la directive [TVA].
3. Le fait de disposer d’un numéro d’identification TVA n’est pas en soi suffisant pour considérer qu’un assujetti a un établissement stable. »
Le droit portugais
17 Le Regime do Registo Nacional de Pessoas Coletivas (régime du registre national des personnes morales), approuvé par le décret-loi no 129/98, du 13 mai 1998 (Diário da República I, série I-A, no 110, du 13 mai 1998), réglemente l’inscription des personnes morales au registre national des personnes morales.
18 Conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), du régime du registre national des personnes morales, ce registre contient des inscriptions tant de personnes morales de droit portugais ou de droit d’un autre État que de représentations de personnes morales internationales ou de droit d’un autre État qui exercent habituellement des activités au Portugal.
19 L’article 13 du régime du registre national des personnes morales prévoit que chaque personne morale inscrite à ce registre reçoit un numéro d’identification fiscale et cet article réglemente les modalités d’attribution de ce numéro.
20 Conformément à l’article 6, paragraphe 2, du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales, un GIE doit refacturer aux parties qui l’ont constitué, dans les proportions convenues dans le contrat constitutif, les profits ou les pertes réalisés au cours d’un exercice comptable. Ces profits ou ces pertes sont pris en compte dans les revenus imposables des membres du GIE pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu.
Le litige au principal et la question préjudicielle
21 TGE Gas Engineering GmbH, établie à Bonn (ci-après « TGE Bonn »), société de droit allemand, a obtenu au Portugal, le 3 mars 2009, le numéro d’identification fiscale 980410878 correspondant à une entité non-résidente sans établissement stable pour la réalisation d’un acte isolé, à savoir l’acquisition de parts sociales.
22 Le 7 avril 2009, TGE Sucursal em Portugal a été immatriculée au Portugal en tant qu’entité non-résidente ayant un établissement stable sous forme de succursale et s’est vu attribuer le numéro d’identification fiscale 980412463.
23 TGE Bonn a ensuite constitué un GIE avec Somague Engenharia SA dénommé « Projesines Expansão do Terminal de GNL de Sines, ACE » (ci-après le « GIE Projesines »). Pour la constitution du GIE Projesines, TGE Bonn a utilisé son numéro d’identification fiscale et non pas celui de TGE Sucursal em Portugal. Le GIE Projesines a reçu son propre numéro d’identification fiscale, à savoir 508917280.
24 L’objectif du GIE Projesines était la mise en œuvre du projet d’extension du terminal de gaz naturel liquéfié de Sines au Portugal. Ce terminal appartient à Redes Energéticas Nacionais SA, une société portugaise d’électricité.
25 Les GIE sont soumis à un régime spécial au Portugal. Conformément à l’article 6, paragraphe 2, du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales, un GIE doit refacturer aux parties qui l’ont constitué, dans les proportions convenues dans le contrat constitutif, les profits ou les pertes réalisés au cours d’un exercice comptable. Ces profits ou ces pertes sont pris en compte dans les revenus imposables des membres du GIE pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu.
26 Le contrat constitutif du GIE Projesines prévoit que Somague Engenharia contribue à 85 % des charges et que TGE Bonn contribue à 15 % de celles-ci. Par ailleurs, l’accord et le règlement intérieur du GIE Projesines imputent 64,29 % des obligations et du passif à TGE Bonn, les 35,71 % restants étant imputés à Somague Engenharia.
27 Le 4 mai 2009, TGE Sucursal em Portugal a conclu un contrat de sous-traitance avec le GIE Projesines. Le contrat de sous-traitance prévoit des prestations réciproques entre TGE Sucursal em Portugal et le GIE Projesines, ce dernier devant refacturer à TGE Sucursal em Portugal ses coûts.
28 Le GIE Projesines a transféré toutes les factures provenant du contrat de sous-traitance avec TGE Sucursal em Portugal et toutes les factures provenant de Somague Engenharia à Redes Energéticas Nacionais en tant que maître d’ouvrage, en respectant le principe général de lien strict inscrit dans le contrat de sous-traitance avec TGE Sucursal em Portugal (Full back-to-back general principle).
29 Aux fins de l’imputation de ses coûts et de la refacturation, le GIE Projesines a pris en considération le numéro d’identification fiscale de TGE Sucursal em Portugal et non pas celui de TGE Bonn. Le GIE Projesines a donc indiqué dans les notes de débit qu’il a envoyées à TGE Sucursal em Portugal le numéro d’identification fiscale de celle-ci et a facturé la TVA sur cette base. Le GIE Projesines a imputé 64,29 % de ses coûts à TGE Sucursal em Portugal.
30 TGE Sucursal em Portugal a ensuite déduit la TVA payée sur les notes de débit émises par le GIE Projesines.
31 À l’occasion d’un contrôle fiscal de TGE Sucursal em Portugal portant sur les exercices comptables des années 2009 à 2011, l’ATA a établi un rapport dans lequel elle précise que TGE Sucursal em Portugal et TGE Bonn sont deux entités différentes qui disposent chacune d’un numéro d’identification fiscale différent. Selon l’ATA, étant donné que TGE Sucursal em Portugal n’était pas un membre constitutif du GIE Projesines, celui-ci ne pouvait pas lui attribuer ses coûts et TGE Sucursal em Portugal ne
pouvait pas, en conséquence, déduire la TVA afférente à ceux-ci.
32 L’ATA a donc demandé à TGE Sucursal em Portugal de rembourser les montants correspondant à cette TVA irrégulièrement déduite. TGE Sucursal em Portugal a saisi le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal] afin d’obtenir l’annulation de la décision par laquelle l’ATA a demandé ce remboursement.
33 Devant la juridiction de renvoi, l’ATA soutient que TGE Sucursal em Portugal était un établissement stable disposant d’une personnalité et d’une capacité fiscale différentes de TGE Bonn. Étant donné que seule TGE Bonn ferait partie du GIE Projesines, TGE Sucursal em Portugal n’avait pas le droit de prendre en charge les coûts du GIE Projesines et de déduire la TVA afférente à ces coûts. Le fait que les factures du GIE Projesines appliquent les taux de répartition prévus dans le contrat
constitutif de celui-ci serait sans pertinence à cet égard.
34 Selon l’ATA, les deux entités avaient chacune sa personnalité fiscale propre et étaient donc deux entités distinctes au regard de la TVA. Si TGE Bonn avait voulu imputer les résultats du GIE Projesines à TGE Sucursal em Portugal en tant qu’entité non-résidente avec établissement stable, elle aurait dû et pu utiliser le numéro d’identification fiscale de celle-ci au moment de la constitution du GIE Projesines.
35 Par ailleurs, l’ATA estime qu’il n’y avait pas de lien immédiat et direct entre les notes de débit mises à la charge de TGE Sucursal em Portugal et les opérations actives de cette dernière. Il n’y aurait donc pas de droit à déduction de la TVA.
36 Dans ces conditions, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les articles 44, 45, l’article 132, paragraphe 1, sous f), les articles 167 [à] 169, 178, 179, [192 bis à 194] et 196 de la directive TVA [...], les articles 10 et 11 du règlement d’exécution no 282/2011 et le principe de neutralité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’administration fiscale portugaise refuse le droit de déduire la TVA à une succursale d’une société de droit allemand lorsque :
– la société de droit allemand a obtenu un numéro d’identification fiscale au Portugal pour la réalisation d’un acte isolé, à savoir une “acquisition de parts sociales”, correspondant à une entité non-résidente sans établissement stable ;
– par la suite, la succursale de la société de droit allemand a été immatriculée au Portugal et un numéro d’identification fiscale propre lui a été attribué en tant qu’établissement stable de cette société ;
– ensuite, la société de droit allemand, utilisant le premier numéro d’identification, a conclu avec une autre entreprise un contrat de constitution d’un GIE pour exécuter un contrat de travaux au Portugal ;
– par la suite, la succursale, utilisant son numéro d’identification fiscale propre, a conclu un contrat de sous-traitance avec le GIE qui prévoit des prestations réciproques entre la succursale et le GIE et que ce dernier devra refacturer aux sous-traitants, dans les proportions convenues, les coûts encourus par lui ;
– Le GIE a indiqué dans les notes de débit qu’il a envoyées à la succursale le numéro d’identification fiscale de celle-ci et a facturé la TVA sur cette base ;
– La succursale a déduit la TVA payée sur les notes de débit ;
– Les opérations du GIE sont constituées (par l’intermédiaire d’une sous-traitance) par les opérations de la succursale et de l’autre entreprise membre du GIE, ces dernières ayant facturé au GIE la totalité des recettes que celui-ci a facturées au maître d’ouvrage ? »
Sur la question préjudicielle
37 Par sa question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si notamment les articles 167 et 168 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’administration fiscale d’un État membre considère qu’une société qui a son siège dans un autre État membre ainsi que la succursale qu’elle détient dans le premier de ces États constituent deux assujettis distincts au motif que ces entités disposent chacune d’un numéro
d’identification fiscale, et refuse, pour cette raison, à la succursale le droit de déduire la TVA sur des notes de débit émises par un GIE dont ladite société, et non pas sa succursale, est un membre.
38 Il ressort du dossier soumis à la Cour que le litige au principal trouve son origine, pour l’essentiel, dans les conclusions tirées par l’administration fiscale compétente de la circonstance que TGE Bonn et TGE Sucursal em Portugal disposent de numéros d’identification fiscale différents et du fait que, lors de la constitution du GIE Projesines, le numéro d’identification fiscale de TGE Bonn a été utilisé alors que, pour l’établissement des factures relatives à la répartition des coûts relatifs
audit groupement, ce dernier a eu recours au numéro d’identification fiscale de TGE Sucursal em Portugal.
39 À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, conformément à l’article 168, sous a), de la directive TVA, dans la mesure où les biens ou les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, un assujetti a le droit de déduire, du montant dont il est redevable, la TVA due ou acquittée sur ces biens ou services s’ils sont livrés ou fournis par une autre assujetti. Le bénéficiaire de la prestation de services en cause doit donc être un assujetti au sens de cette directive.
40 L’article 9 de la directive TVA définit les « assujettis » en tant que personnes qui exercent une activité économique « d’une façon indépendante ». Il importe spécialement, pour une application uniforme de la directive TVA, que la notion d’« assujetti » définie sous le titre III de celle-ci reçoive une interprétation autonome et uniforme (arrêt du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige, C‑7/13, EU:C:2014:2225, point 23).
41 Or, s’agissant d’une société établie dans un État membre et de sa succursale située dans un autre État membre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces deux entités constituent un seul et même assujetti à la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank, C‑210/04, EU:C:2006:196, point 37 ; du 16 juillet 2009, Commission/Italie, C‑244/08, non publié, EU:C:2009:478, point 38, et du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais, C‑388/11, EU:C:2013:541, point 34), à moins qu’il soit
établi que la succursale accomplit une activité économique indépendante. À cet égard, il y a lieu de rechercher si une telle succursale peut être considérée comme étant autonome notamment en ce qu’elle supporte le risque économique découlant de son activité (arrêt du 23 mars 2006, FCE Bank, C‑210/04, EU:C:2006:196, point 35).
42 Dans l’affaire au principal, TGE Bonn a obtenu au Portugal un premier numéro d’identification fiscale en vue de la réalisation d’un acte isolé consistant en la constitution du GIE Projesines. TGE Bonn a ensuite obtenu un second numéro d’identification fiscale pour l’immatriculation de TGE Succursal em Portugal, lequel a été utilisé dans le cadre de toutes les activités exercées, par TGE Bonn et par ladite succursale, au Portugal. Il est évident que les deux numéros d’identification fiscale de TGE
Bonn et de TGE Succursal em Portugal sont attribuables à une seule et même entité, à savoir TGE Bonn.
43 Il s’ensuit que TGE Bonn et TGE Sucursal em Portugal constituent un assujetti unique au sens de la directive TVA.
44 Il importe de rappeler, d’autre part, que, selon une jurisprudence constante, le droit à déduction prévu aux articles 167 et 168 de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité (voir, notamment, arrêts du 8 mai 2008, Ecotrade, C‑95/07 et C‑96/07,EU:C:2008:267, point 39 et jurisprudence citée ; du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C‑284/11, EU:C:2012:458, point 44, ainsi que du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 30).
45 En l’occurrence, dès lors que TGE Bonn et TGE Sucursal em Portugal doivent être considérées comme constituant une seule et même entité juridique et, partant, un assujetti unique, le principe de neutralité fiscale exige que la déduction de la TVA en amont soit accordée si les exigences de fond pour cette déduction sont satisfaites (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2007, Collée, C‑146/05, EU:C:2007:549, point 31).
46 En conséquence, dès lors que l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que l’assujetti, en tant que destinataire des transactions en cause, est redevable de la TVA, elle ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de ce dernier de déduire cette taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit (arrêts du 1er avril 2004, Bockemühl, C‑90/02, EU:C:2004:206, point 51, ainsi que du 8 mai 2008, Ecotrade, C‑95/07
et C‑96/07, EU:C:2008:267, point 64).
47 Il s’ensuit que dans une situation telle que celle en cause au principal, l’administration fiscale d’un État membre ne saurait refuser à un assujetti la déduction de la TVA payée en amont au seul motif que cet assujetti a utilisé un numéro d’identification fiscale en tant qu’entité non-résidente sans établissement stable au moment de la constitution d’un GIE et a utilisé le numéro d’identification fiscale de sa succursale résidente dans ce même État pour la refacturation des charges de ce
groupement.
48 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que TGE Bonn, est établie en Allemagne et que TGE Succursal em Portugal est son établissement fixe au Portugal.
49 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 44, première phrase, de la directive TVA, le lieu de la prestation de services fournie à un assujetti en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Le législateur de l’Union a retenu ce point de rattachement à titre principal, car il offre, en tant que critère objectif, simple et pratique, une grande sécurité juridique (arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298,
points 53 à 55). En revanche, le rattachement à l’établissement stable de l’assujetti, visé à l’article 44, deuxième phrase, de la directive TVA, est un point de rattachement secondaire qui constitue une disposition dérogatoire à la règle générale (arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 56).
50 Il revient ainsi à la juridiction de renvoi d’apprécier, dans le cadre du litige au principal, si les autres conditions du droit à déduction de la taxe payée en amont, telles qu’énumérées à l’article 168, sous a), de la directive TVA, sont réunies.
51 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que les articles 167 et 168 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’administration fiscale d’un État membre considère qu’une société qui a son siège dans un autre État membre ainsi que la succursale qu’elle détient dans le premier de ces États constituent deux assujettis distincts au motif que ces entités disposent chacune d’un numéro
d’identification fiscale, et refuse, pour cette raison, à la succursale le droit de déduire la TVA sur des notes de débit émises par un GIE dont ladite société, et non pas sa succursale, est un membre.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
Les articles 167 et 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, ainsi que le principe de neutralité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’administration fiscale d’un État membre considère qu’une société qui a son siège dans un autre État membre ainsi que la succursale qu’elle détient dans le premier de ces États
constituent deux assujettis distincts au motif que ces entités disposent chacune d’un numéro d’identification fiscale, et refuse, pour cette raison, à la succursale le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur des notes de débit émises par un groupement d’intérêt économique dont ladite société, et non pas sa succursale, est un membre.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.