ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
11 juillet 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Transfert d’entreprise – Article 3, paragraphe 1 –Maintien des droits des travailleurs – Subrogation dans les contrats de travail intervenant en vertu des dispositions d’une convention collective – Convention collective excluant l’obligation, pour le cédant et le cessionnaire de l’entreprise, de répondre solidairement des obligations, y compris salariales, nées des contrats de travail avant la cession de cette entreprise »
Dans l’affaire C‑60/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne), par décision du 30 décembre 2016, parvenue à la Cour le 6 février 2017, dans la procédure
Ángel Somoza Hermo,
Ilunión Seguridad SA
contre
Esabe Vigilancia SA,
Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Levits, président de chambre, M. A. Borg Barthet (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour M. Somoza Hermo, par Me X. Castro Martínez, abogado,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Kellerbauer et J. Rius, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Ángel Somoza Hermo et Ilunión Seguridad SA à Esabe Vigilancia SA et au Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) au sujet du paiement, à M. Somoza Hermo, des reliquats de rémunération et de prestations sociales complémentaires pour les années 2010 à 2012.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 La directive 2001/23 constitue la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO 1998, L 201, p. 88).
4 Le considérant 3 de la directive 2001/23 est ainsi libellé :
« Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits. »
5 Le considérant 8 de cette directive énonce :
« La sécurité et la transparence juridiques ont requis une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice. Cette clarification n’a pas modifié le champ d’application de la directive 77/187/CEE telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice. »
6 L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2001/23 dispose :
« a) La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.
b) Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire. »
7 Aux termes de l’article 3 de la directive 2001/23 :
« 1. Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
Les États membres peuvent prévoir que le cédant et le cessionnaire sont, après la date du transfert, responsables solidairement des obligations venues à échéance avant la date du transfert à la suite d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert.
[...]
3. Après le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant, jusqu’à la date de la résiliation ou de l’expiration de la convention collective ou de l’entrée en vigueur ou de l’application d’une autre convention collective.
Les États membres peuvent limiter la période du maintien des conditions de travail, sous réserve que celle-ci ne soit pas inférieure à un an.
a) Sauf si les États membres en disposent autrement, les paragraphes 1 et 3 ne s’appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d’invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres.
b) Même lorsqu’ils ne prévoient pas, conformément au point a), que les paragraphes 1 et 3 s’appliquent à de tels droits, les États membres adoptent les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs, ainsi que des personnes qui ont déjà quitté l’établissement du cédant au moment du transfert, en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires visés au
point a). »
8 L’article 8 de cette directive prévoit :
« La présente directive ne porte pas atteinte au droit des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires et administratives plus favorables aux travailleurs ou de favoriser ou de permettre des conventions collectives ou des accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables aux travailleurs. »
Le droit espagnol
9 Les règles applicables aux salariés en cas de transfert d’entités économiques sont définies par le Real Decreto Legislativo 1/1995 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 1/1995 portant approbation du texte refondu de la loi sur le statut des travailleurs), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654), dans sa version résultant de la loi 12/2001, du 9 juillet 2001 (BOE no 164, du 10 juillet 2001, p. 24890, ci‑après le
« statut des travailleurs »).
10 L’article 44 du statut des travailleurs dispose :
« 1. Le transfert d’une entreprise, d’un centre de travail ou d’une unité de production autonome de cette entreprise ne met pas, par lui‑même, fin à la relation d’emploi ; le nouvel employeur est subrogé dans les droits et obligations de l’employeur précédent au titre du contrat de travail et de la sécurité sociale, y compris les engagements liés aux pensions, dans les conditions prévues par la réglementation spécifique applicable, et, en général, toutes les obligations en matière de protection
sociale complémentaire qu’aurait souscrites le cédant.
2. Aux fins du présent article, est considéré comme un transfert d’entreprise le transfert d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, essentielle ou accessoire.
3. Sans préjudice des dispositions de la législation relative à la sécurité sociale, en cas de transfert par acte entre vifs, le cédant et le cessionnaire sont solidairement responsables pendant trois ans des obligations nées du contrat de travail avant le transfert et qui n’ont pas été remplies. »
11 L’article 14 du Convenio colectivo estatal de las empresas de seguridad (convention collective d’État des entreprises de sécurité, BOE no 99, du 25 avril 2013, p. 31668, ci‑après la « convention collective des entreprises de sécurité ») prévoit :
« Eu égard aux caractéristiques et aux circonstances spécifiques de l’activité, qui exigent la mobilité des travailleurs d’un poste à l’autre, cette disposition vise à garantir la stabilité de l’emploi des travailleurs de ce secteur, mais pas la stabilité du poste, sur la base de la réglementation d’exécution suivante, qui s’applique aux services de surveillance, aux systèmes de sécurité, à la protection personnelle et aux services de garde personnelle rural :
A) Réglementation d’exécution.
Lorsqu’une entreprise cesse d’être adjudicataire des services fournis à un client public ou privé, en raison de la résiliation du contrat de prestation de services, pour quelque motif que ce soit, la nouvelle entreprise adjudicataire est tenue, en tout état de cause, de reprendre les contrats des salariés à ce contrat et à ce lieu de travail, quel que soit leur type de contrat ou leur emploi, dès lors qu’est établie une ancienneté réelle minimum de sept mois précédant immédiatement la date de
reprise de contrats des travailleurs affectés audit contrat, période comprenant les absences réglementaires de l’employé du service repris, qui sont établies aux articles 45, 46 et 50 de la présente convention collective, les situations d’incapacité temporaire et les suspensions disciplinaires, quelle qu’en soit la cause, à l’exception expresse des congés sans solde prévus à l’article 48, hormis les travailleurs engagés pour une tâche ou un service déterminé.
[...]
B) Obligations des entreprises qui cessent de fournir le service et de l’entreprise adjudicataire.
B.1 Entreprise qui cesse d’être adjudicataire : l’entreprise qui cesse de fournir le service :
[...]
3. est tenue d’assurer en tant que débiteur unique et exclusif :
a) les paiements et les versements dus pour le travail fourni jusqu’à la cessation de l’adjudication, ainsi que,
b) la liquidation de tous les droits, y compris les congés payés, étant donné que, pour la nouvelle entreprise adjudicataire, la subrogation implique uniquement le maintien de l’emploi des travailleurs concernés. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 M. Somoza Hermo travaillait en qualité d’agent de sécurité pour le compte d’Esabe Vigilancia, entreprise adjudicataire du service de surveillance du Museo de las Peregrinaciones de Santiago de Compostela (musée des pèlerinages de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle, Espagne), qui relève de la Consellería de Cultura de la Xunta de Galicia (ministère de la Culture de Galice, Espagne).
13 Le 16 octobre 2012, ce service de surveillance a été attribué à Vigilancia Integrada SA (ci‑après « VINSA »), devenue Ilunión Seguridad, qui a repris, à compter de cette date, les obligations issues des contrats de travail des salariés de l’entreprise précédemment adjudicataire dudit service, dont celui de M. Somoza Hermo.
14 À cet égard, VINSA a prévenu M. Somoza Hermo que, conformément à la convention collective des entreprises de sécurité, les reliquats de rémunération et de prestations sociales complémentaires accordées par Esabe Vigilancia pour les années 2010 à 2012 et restant à percevoir devraient être versés par cette dernière.
15 Ces deux entreprises refusant de verser à M. Somoza Hermo les sommes réclamées, ce dernier a introduit un recours devant le Juzgado de lo Social no 3 de Santiago de Compostela (tribunal du travail no 3 de Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne) afin d’obtenir le versement de ces sommes.
16 Cette juridiction a partiellement fait droit à cette demande et a condamné Esabe Vigilancia et VINSA au paiement solidaire des dettes qu’elle n’a pas jugées prescrites sur le fondement de l’article 44, paragraphe 1, du statut des travailleurs.
17 VINSA a interjeté appel du jugement de ladite juridiction devant le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne) en faisant valoir que la disposition applicable est non pas l’article 44 du statut des travailleurs, mais l’article 14 de la convention collective des entreprises de sécurité qui oblige l’entreprise adjudicataire à se subroger dans les droits et obligations de l’entreprise cédante résultant des contrats de travail. Elle fait valoir que cette
subrogation l’oblige uniquement à reprendre les obligations issues des contrats de travail à compter de la date d’adjudication et l’exonère des obligations antérieures à celle-ci.
18 M. Somoza Hermo a également fait appel dudit jugement auprès du Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice) concernant les demandes de versement des reliquats de rémunération auxquelles il n’a pas été fait droit.
19 La juridiction de renvoi rappelle que le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a jugé, dans un arrêt du 7 avril 2016, que l’article 14 de la convention collective des entreprises de sécurité vise la succession dans le temps de deux entreprises chargées de la prestation d’un service de sécurité privée. Cette succession comporte une reprise obligatoire, de la part du cessionnaire, des salariés de l’ancienne entreprise.
20 Ainsi, selon ledit arrêt, dans les cas de succession de contractants, la subrogation n’intervient pas en vertu de l’article 44 du statut des travailleurs s’il n’y a pas eu de transfert d’actifs ou de transfert de personnel, dans les secteurs où l’activité repose essentiellement sur la main-d’œuvre. Partant, dans de tels cas, la subrogation intervient en vertu de la convention collective applicable. Par conséquent, la reprise des salariés de l’entreprise antérieure ne correspond pas au cas de
figure du transfert de personnel résultant du fait que la nouvelle société contractante prendrait volontairement en charge la majorité des salariés qui fournissaient les services concernés. Au contraire, dans ces cas, le transfert de personnel résulte du respect des dispositions de la convention collective applicable. En effet, la nouvelle entreprise contractante aurait pu assigner son propre personnel aux services concernés, mais elle est, cependant, obligée par cette convention collective de
prendre en charge les salariés assignés à ces services par l’entreprise contractante antérieure.
21 Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a estimé que la jurisprudence de la Cour établie dans l’arrêt du 24 janvier 2002, Temco (C‑51/00, EU:C:2002:48), ne s’oppose pas à cette conclusion étant donné que la subrogation imposée par la convention collective des entreprises de sécurité ne découle pas d’une situation entrant dans le champ d’application de la directive 2001/23 ou de l’article 44 du statut des travailleurs. En effet, le rapport entre l’article 44 du statut des travailleurs et l’article 14
de la convention collective des entreprises de sécurité est un rapport de complémentarité ou de concurrence non conflictuelle, puisque la réglementation conventionnelle, qui régit une réalité différente, apporte une amélioration en appliquant l’un des effets que la réglementation légale a prévu pour son propre champ d’application.
22 La juridiction de renvoi s’interroge donc, en substance, sur le point de savoir si, dans le cadre d’une activité reposant essentiellement sur la main-d’œuvre, la subrogation entre entreprises, intervenant à la suite d’un transfert de contrat de services en vertu d’une convention collective qui prévoit que l’entreprise cessionnaire est tenue de reprendre le personnel de l’entreprise précédemment adjudicataire, relève du champ d’application de la directive 2001/23. Si tel est le cas, elle se
demande si une disposition de la convention collective applicable prévoyant d’exclure la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire en ce qui concerne le respect des obligations contractuelles nées des contrats de travail avant la date de transfert du service en cause est conforme à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.
23 Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 [...] s’applique‑t‑il lorsqu’une entreprise cesse d’être adjudicataire des services fournis à un client en raison de la résiliation du contrat de prestation de services dans une activité qui repose essentiellement sur la main-d’œuvre (surveillance des installations) et que la nouvelle entreprise contractante prend en charge une partie essentielle du personnel assigné à la prestation de ce service, alors que cette subrogation dans les
contrats de travail intervient en vertu des dispositions de la convention collective [des entreprises de sécurité] ?
2) En cas de réponse par l’affirmative à la première question, si la législation de l’État membre adoptée pour transposer la directive 2001/23 dispose, en application de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, que, après la date du transfert, le cédant et le cessionnaire répondent solidairement des obligations, y compris salariales, nées des contrats de travail avant la date du transfert, une interprétation selon laquelle cette responsabilité solidaire ne s’applique pas lorsque la reprise
de l’essentiel de la main-d’œuvre par la nouvelle entreprise contractante est imposée à cette dernière par les dispositions de la convention collective [des entreprises de sécurité] et que cette convention exclut cette responsabilité solidaire pour les obligations nées avant le transfert est‑elle conforme audit article 3, paragraphe 1, de ladite directive ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à une situation dans laquelle un donneur d’ordre a résilié le contrat de prestation de services de surveillance d’installations conclu avec une entreprise et a conclu, aux fins de l’exécution de cette prestation, un nouveau contrat avec une autre entreprise qui reprend, en vertu d’une convention collective,
une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que la première entreprise affectait à l’exécution de ladite prestation, lorsque l’activité concernée repose essentiellement sur la main-d’œuvre.
25 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, sous a), la directive 2001/23 est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.
26 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la portée de ladite disposition ne peut être appréciée sur la seule base d’une interprétation textuelle. En raison des différences entre les versions linguistiques de cette directive ainsi que des divergences entre les législations nationales sur la notion de cession conventionnelle, la Cour a donné à cette notion une interprétation suffisamment souple pour répondre à l’objectif de ladite directive qui est, ainsi qu’il découle de son
considérant 3, de protéger les salariés en cas de changement de chef d’entreprise (arrêt du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 29 et jurisprudence citée).
27 En effet, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le champ d’application de la directive 2001/23 s’étend à toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l’exploitation de l’entreprise, qui contracte les obligations d’employeur à l’égard des employés de l’entreprise. Ainsi, pour que la directive 2001/23 s’applique, il n’est pas nécessaire qu’il existe des relations contractuelles directes entre le cédant
et le cessionnaire, la cession pouvant s’effectuer par l’intermédiaire d’un tiers (arrêt du 19 octobre 2017, Securitas, C‑200/16, EU:C:2017:780, point 23 et jurisprudence citée).
28 Il s’ensuit que l’absence de lien contractuel entre les deux entreprises auxquelles a été successivement confiée la surveillance des installations en cause est sans incidence sur la question de savoir si la directive 2001/23 est applicable ou non à une situation telle que celle en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Securitas, C‑200/16, EU:C:2017:780, point 24).
29 Il importe également de rappeler que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2001/23, pour que cette directive soit applicable, le transfert doit porter sur « une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ».
30 Afin de déterminer si cette condition est effectivement remplie, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’actifs corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des actifs incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef
d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments doivent être appréciés dans le cadre d’une évaluation d’ensemble des circonstances de l’espèce et ne sauraient, de ce fait, être pris isolément (arrêt du 19 octobre 2017, Securitas, C‑200/16, EU:C:2017:780, point 26 et jurisprudence citée).
31 En particulier, la Cour a considéré que le juge national, dans son appréciation des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, doit notamment tenir compte du type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit (arrêts du 26 novembre 2015, Aira Pascual et Algeposa Terminales Ferroviarios, C‑509/14, EU:C:2015:781, point 33, ainsi que du 19 octobre 2017, Securitas, C‑200/16, EU:C:2017:780, point 27).
32 Il en résulte que l’importance respective à accorder aux différents critères de l’existence d’un transfert, au sens de la directive 2001/23, varie nécessairement en fonction de l’activité exercée, voire des méthodes de production ou d’exploitation utilisées dans l’entreprise, dans l’établissement ou dans la partie d’établissement en cause (arrêt du 19 octobre 2017, Securitas, C‑200/16, EU:C:2017:780, point 28 et jurisprudence citée).
33 La Cour a précédemment relevé qu’une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans éléments d’actifs, corporels ou incorporels, significatifs, de sorte que le maintien de l’identité d’une telle entité par-delà l’opération dont elle est l’objet ne saurait, par hypothèse, dépendre de la cession de tels éléments (arrêt du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 35 et jurisprudence citée).
34 La Cour a ainsi jugé que, dans la mesure où, dans certains secteurs dans lesquels l’activité repose essentiellement sur la main-d’œuvre, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique, une telle entité est susceptible de maintenir son identité par-delà son transfert quand le nouveau chef d’entreprise ne se contente pas de poursuivre l’activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de
compétence, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche. Dans cette hypothèse, le nouveau chef d’entreprise acquiert en effet l’ensemble organisé d’éléments qui lui permettra la poursuite des activités ou de certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable (arrêt du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 36 et jurisprudence citée).
35 Ainsi, une activité de surveillance d’un musée, telle que celle en cause au principal, qui ne nécessite pas l’emploi d’éléments matériels spécifiques, peut être considérée comme une activité reposant essentiellement sur la main-d’œuvre et, par conséquent, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune de surveillance peut, en l’absence d’autres facteurs de production, correspondre à une entité économique. Encore faut-il, toutefois, que l’identité de cette dernière
soit maintenue par-delà l’opération concernée (voir, par analogie, arrêt du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 39).
36 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que VINSA a, aux fins d’exercer les activités de surveillance du musée des pèlerinages de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle, auparavant confiées à Esabe Vigilancia, repris les travailleurs précédemment affectés à ces activités par cette dernière.
37 Il s’ensuit que l’identité d’une entité économique, telle que celle en cause au principal, qui repose essentiellement sur la main-d’œuvre, peut être maintenue si l’essentiel des effectifs de cette entité est repris par le présumé cessionnaire.
38 En outre, si le gouvernement espagnol soutient dans ses observations écrites que la reprise du personnel d’Esabe Vigilancia a été imposée à VINSA par une convention collective, une telle circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur le fait que le transfert porte sur une entité économique. Il faut, au surplus, souligner que l’objectif poursuivi par la convention collective des entreprises de sécurité est le même que celui de la directive 2001/23 et que cette convention collective
vise expressément, concernant la reprise d’une partie du personnel, le cas d’une réadjudication telle que celle en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2002, Temco, C‑51/00, EU:C:2002:48, point 27).
39 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à une situation dans laquelle un donneur d’ordre a résilié le contrat de prestation de services de surveillance d’installations conclu avec une entreprise et a conclu, aux fins de l’exécution de cette prestation, un nouveau contrat avec une autre entreprise qui reprend, en vertu d’une convention collective, une
partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que la première entreprise affectait à l’exécution de ladite prestation, pour autant que l’opération s’accompagne du transfert d’une entité économique entre les deux entreprises concernées.
Sur la seconde question
40 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, en vertu d’une convention collective, soit exclue l’obligation, pour le cédant et le cessionnaire de l’entité économique concernée, de répondre solidairement des obligations, y compris salariales, nées des contrats de travail avant la cession de cette entité.
41 L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23 énonce le principe selon lequel les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont transférés au cessionnaire. Le second alinéa dudit article 3, paragraphe 1, dispose que les États membres peuvent prévoir que le cédant et le cessionnaire sont, après la date du transfert, responsables solidairement des obligations venues à échéance
avant la date du transfert à la suite d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert.
42 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que l’article 44, paragraphe 3, du statut des travailleurs prévoit que, en cas de transfert par acte entre vifs, le cédant et le cessionnaire sont solidairement responsables pendant trois ans des obligations nées du contrat de travail avant le transfert et qui n’ont pas été remplies. La convention collective des entreprises de sécurité ne prévoit pas une telle solidarité.
43 Dans ses observations écrites, le gouvernement espagnol fait valoir que la seconde question échappe à la compétence de la Cour. En effet, par la formulation employée par la juridiction de renvoi, cette question conduirait la Cour non pas à effectuer une interprétation de l’article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/23, mais à se prononcer sur la compatibilité de certaines dispositions nationales entre elles. Or, la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur la
compatibilité de telles dispositions.
44 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union. Il appartient au juge national d’apprécier la portée des dispositions nationales et la manière dont elles doivent être appliquées (ordonnance du 23 mai 2011, Rossius et Collard, C‑267/10 et C‑268/10, non publiée, EU:C:2011:332, point 15).
45 En l’occurrence, au regard du libellé de ladite question, il y a lieu de considérer que celle-ci porte en réalité sur l’examen de la conformité d’une disposition d’une convention collective à une disposition législative nationale. Or, un tel examen, qui implique l’appréciation des questions de hiérarchie des normes en droit interne, ne relève pas de la compétence de la Cour.
46 Il s’ensuit que la Cour est incompétente pour répondre à la seconde question posée par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice).
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à une situation dans laquelle un donneur d’ordre a résilié le contrat de prestation de services de surveillance d’installations conclu
avec une entreprise et a conclu, aux fins de l’exécution de cette prestation, un nouveau contrat avec une autre entreprise qui reprend, en vertu d’une convention collective, une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que la première entreprise affectait à l’exécution de ladite prestation, pour autant que l’opération s’accompagne du transfert d’une entité économique entre les deux entreprises concernées.
2) La Cour de justice de l’Union européenne est incompétente pour répondre à la seconde question posée par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne), par décision du 30 décembre 2016.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.