ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
5 juillet 2018 ( *1 )
« Pourvoi – Clause compromissoire – Personnel des missions internationales de l’Union européenne – Compétence pour statuer sur les litiges concernant les contrats de travail – Contrats d’engagement à durée déterminée successifs – Clauses compromissoires désignant, dans le dernier contrat, les juridictions de l’Union et, dans les contrats antérieurs, les tribunaux de Bruxelles (Belgique) – Décision de ne pas renouveler le dernier contrat – Demande de requalification de l’ensemble des relations
contractuelles en “contrat à durée indéterminée” – Demandes d’indemnisation pour licenciement abusif – Prise en compte les relations contractuelles antérieures au dernier contrat – Compétence du Tribunal de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑43/17 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 25 janvier 2017,
Liam Jenkinson, demeurant à Killarney (Irlande), représenté par Mes N. de Montigny et J.-N. Louis, avocats,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et M. Bishop, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée initialement par M. G. Gattinara ainsi que par Mmes L. Radu Bouyon et S. Bartelt, en qualité d’agents, puis par MM. Gattinara et A. Aresu ainsi que par Mme Radu Bouyon, en qualité d’agents,
Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spac ainsi que par Mme E. Orgován, en qualité d’agents,
Eulex Kosovo, établie à Pristina (Kosovo), représentée par Me M. Vicente Hernandez, avocate, puis par Me E. Raoult, avocate,
parties défenderesses en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.–C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur) et E. Regan, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2018,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2018,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, M. Liam Jenkinson demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 9 novembre 2016, Jenkinson/Conseil e.a. (T‑602/15, ci-après l’ ordonnance attaquée , EU:T:2016:660), par laquelle celui-ci a rejeté son recours ayant pour objet, à titre principal, une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant, d’une part, à faire requalifier l’ensemble des relations contractuelles de M. Jenkinson en « contrat de travail à durée indéterminée » et à obtenir réparation
du préjudice qu’il aurait subi du fait de l’usage abusif de contrats à durée déterminée successifs et d’un licenciement abusif et, d’autre part, à faire déclarer que le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ont traité le requérant de manière discriminatoire et à les condamner en conséquence à une indemnisation et, à titre subsidiaire, une demande fondée sur la responsabilité non contractuelle des institutions européennes.
Les antécédents du litige
2 Les antécédents du litige sont résumés comme suit aux points 1 à 6 de l’ordonnance attaquée :
« 1 Le requérant, M. Liam Jenkinson, ressortissant irlandais, a tout d’abord été employé du 20 août 1994 au 5 juin 2002, en vertu d’une succession de contrats à durée déterminée (CDD), par la Mission de surveillance de l’Union européenne, qui a été créée par l’action commune 2000/811/PESC du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la Mission de surveillance de l’Union européenne (JO 2000, L 328, p. 53).
2 Il a ensuite été employé du 17 juin 2002 au 31 décembre 2009, en vertu d’une succession de CDD, par la Mission de police de l’Union européenne, qui a été créée par l’action commune 2002/210/PESC du Conseil, du 11 mars 2002, relative à la Mission de police de l’Union européenne (JO 2002, L 70, p. 1).
3 Enfin, le requérant a été employé par la Mission Eulex Kosovo, du 5 avril 2010 au 14 novembre 2014, à travers onze CDD successifs. La Mission Eulex Kosovo a été créée par l’action commune 2008/124/PESC du Conseil, du 4 février 2008, relative à la mission “État de droit” menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (JO 2008, L 42, p. 92). L’action commune a été prorogée à plusieurs reprises. Elle a été prorogée jusqu’au 14 juin 2016 par la décision 2014/349/PESC du Conseil, du 12 juin
2014, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2014, L 174, p. 42), applicable aux faits de l’espèce.
4 En dernier lieu, l’action commune a été prorogée jusqu’au 14 juin 2018 par la décision 2016/947/PESC du Conseil, du 14 juin 2016, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2016, L 157, p. 26).
5 Pendant l’exécution de son contrat de travail couvrant la période allant du 15 juin au 14 octobre 2014, le requérant a été informé par lettre du chef de la Mission Eulex Kosovo du 26 juin 2014 de la fin de sa mission et du non-renouvellement de son contrat de travail après le 14 novembre 2014.
6 Un dernier CDD a été conclu entre [la Mission] Eulex Kosovo et le requérant pour la période allant du 15 octobre au 14 novembre 2014 (ci-après le “dernier CDD”) et n’a pas été renouvelé. Ce dernier CDD prévoit, à l’article 21, la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 272 TFUE, pour tout litige relatif au contrat. »
La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
3 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 octobre 2015, le requérant a introduit un recours à l’encontre du Conseil, de la Commission, du SEAE ainsi que de la Mission Eulex Kosovo, par lequel il demandait au Tribunal :
– à titre principal, de requalifier sa relation contractuelle en « contrat de travail à durée indéterminée », de constater la violation par les parties défenderesses de leurs obligations contractuelles et, notamment, de l’obligation de notification d’un préavis dans le cadre de la rupture d’un contrat à durée indéterminée, de constater que son licenciement était abusif et de les condamner en conséquence à la réparation du préjudice subi du fait de l’usage abusif de CDD successifs, de la violation
de l’obligation de notification d’un préavis et d’un licenciement abusif ;
– à titre principal, de déclarer que le Conseil, la Commission et le SEAE l’ont traité de manière discriminatoire au cours de sa période d’engagement au sein des missions internationales de l’Union européenne (ci-après les « Missions ») en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et d’autres avantages, de constater qu’il aurait dû être recruté en tant qu’agent temporaire de l’un d’eux et de les condamner en conséquence à une indemnisation, et
– à titre subsidiaire, de condamner les parties défenderesses sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle à l’indemniser pour le dommage résultant des violations de leurs obligations.
4 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal s’est déclaré manifestement incompétent pour se prononcer sur les deux chefs de conclusions soulevés à titre principal et a écarté le chef de conclusions soulevé à titre subsidiaire comme étant manifestement irrecevable. En conséquence, il a rejeté le recours dans son ensemble et a condamné M. Jenkinson aux dépens.
Les conclusions des parties
5 M. Jenkinson demande à la Cour :
– d’annuler l’ordonnance attaquée ;
– d’accueillir le recours, et
– de condamner les parties défenderesses aux dépens des deux instances.
6 Le Conseil et la Commission concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation de M. Jenkinson aux dépens.
7 Le SEAE et la Mission Eulex Kosovo demandent à la Cour :
– à titre principal, de se déclarer incompétente pour juger du pourvoi ;
– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi, et
– de condamner M. Jenkinson aux dépens.
8 Par ailleurs, le Conseil et le SEAE demandent à la Cour, dans l’hypothèse où le pourvoi serait jugé comme étant fondé, de rejeter le pourvoi et le recours comme étant irrecevable en ce qui les concerne.
Sur le pourvoi
9 Par son pourvoi, M. Jenkinson demande à la Cour, au titre de son premier chef de conclusions, d’annuler l’ordonnance attaquée et, au titre de son second chef de conclusions, d’accueillir le recours.
10 Le SEAE et la Mission Eulex Kosovo contestent la compétence de la Cour pour examiner le pourvoi. Par ailleurs, la Mission Eulex Kosovo conteste la recevabilité du pourvoi dans son ensemble, tandis que la Commission ne conteste que la recevabilité du deuxième chef de conclusions du pourvoi.
Sur la compétence de la Cour
11 Le SEAE et la Mission Eulex Kosovo prétendent, en substance, que la Cour est incompétente pour examiner le présent pourvoi, dès lors que M. Jenkinson appuie son argumentation sur les contrats d’emploi antérieurs au dernier CDD et que, en vertu des clauses compromissoires figurant dans ces contrats, seuls les tribunaux bruxellois sont compétents pour connaître d’un tel litige. En outre, M. Jenkinson aurait introduit, entre temps, un recours, en substance identique, devant le tribunal du travail
francophone de Bruxelles (Belgique).
12 À cet égard, il doit être rappelé que, aux termes de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière est compétente pour connaître des pourvois introduits contre les décisions du Tribunal visés au premier alinéa de l’article 256, paragraphe 1, TFUE. Or, il est constant que l’ordonnance attaquée relève des décisions visées à cette dernière disposition.
13 De plus, force est de constater que la question de la compétence des juridictions de l’Union pour adjuger le bien-fondé des prétentions avancées par M. Jenkinson en première instance relève, eu égard au contenu de l’ordonnance attaquée et des prétentions avancées par M. Jenkinson devant la Cour, des questions de fond soulevées par le présent pourvoi.
14 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour connaître du présent pourvoi.
Sur le premier chef de conclusions du pourvoi
15 À l’appui du premier chef de conclusions, tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée, M. Jenkinson invoque, en substance, quatre moyens dont le premier vise l’appréciation par le Tribunal de l’étendue de la compétence des juridictions de l’Union pour connaître du volet contractuel du litige. Par son deuxième moyen, il invoque des liens contractuels entre, d’une part, M. Jenkinson et, d’autre part, le Conseil, la Commission ainsi que le SEAE. Les troisième et quatrième moyens sont tirés
d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises lors de l’appréciation des demandes relatives, respectivement, à la responsabilité extracontractuelle des institutions et à la répartition des dépens.
16 Le Conseil, le SEAE et la Mission Eulex Kosovo contestent, notamment, la recevabilité de l’argumentation avancée à l’appui de ce premier chef de conclusions.
Sur la recevabilité du premier chef de conclusions
17 Le Conseil et le SEAE estiment que le pourvoi est irrecevable en ce qui les concerne. D’une part, ils n’auraient pas été parties au dernier CDD et ne sauraient être qualifiés d’« employeurs » de M. Jenkinson, ce que le Tribunal aurait constaté au point 40 de l’ordonnance attaquée, sans que ce point fût contesté au cours de la procédure de pourvoi. D’autre part, aucun acte engageant leur responsabilité extracontractuelle n’aurait été précisé par M. Jenkinson.
18 En outre, la Mission Eulex Kosovo soutient que le pourvoi n’est pas suffisamment clair ni précis pour lui permettre de préparer sa défense et à la Cour de statuer.
19 En ce qui concerne les objections formulées par le Conseil et le SEAE, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 171 du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi est signifié aux autres parties à l’affaire en cause devant le Tribunal. Or, il est constant que le Conseil et le SEAE figuraient parmi les parties à la procédure devant le Tribunal.
20 Par ailleurs, force est de constater que l’argumentation du Conseil et du SEAE, pour démontrer la prétendue irrecevabilité du pourvoi à leur égard, est tirée d’arguments qui relèvent du fond de l’affaire, à savoir la compétence du Tribunal pour adjuger les prétentions de M. Jenkinson à leur égard, et non de la recevabilité du présent pourvoi.
21 S’agissant de l’argumentation de la Mission Eulex Kosovo tirée de l’exception obscuri libelli, il importe de relever que, si cette Mission fournit, à cet égard, une argumentation spécifique en ce qui concerne l’argumentation de M. Jenkinson relative à son deuxième chef de conclusions du pourvoi, il n’en va pas de même s’agissant de celle avancée au soutien du premier chef de conclusions de ce pourvoi.
22 En outre, force est de constater que, dans les quatre moyens invoqués au soutien du premier chef de conclusions du pourvoi, M. Jenkinson identifie avec précision les points des motifs de l’ordonnance attaquée qu’il conteste, de telle sorte que l’argumentation qu’il avance à cet égard est suffisamment claire et précise pour permettre aux parties défenderesses de préparer leur défense, ainsi qu’en attestent leurs mémoires en réponse. Par conséquent, la Cour est à même de statuer sur les quatre
moyens invoqués au soutien du premier chef de conclusions.
23 Il s’ensuit que les objections à la recevabilité du premier chef de conclusions formulées par le Conseil, le SEAE et la Mission Eulex Kosovo doivent être écartées comme étant non fondées.
Sur les premier et deuxième moyens
24 Le premier moyen se divise en quatre branches dont il convient d’examiner, en premier lieu, la troisième, conjointement avec le deuxième moyen.
– Argumentation des parties
25 Par la troisième branche du premier moyen du pourvoi, M. Jenkinson relève que, au point 39 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a estimé que, dans la mesure où il était compétent uniquement s’agissant du dernier CDD, il ne pouvait se prononcer sur les effets des contrats de travail précédemment conclus. Or, la requalification en contrat à durée indéterminée de l’ensemble de ses relations contractuelles avec les parties défenderesses ne pourrait en aucun cas être isolée de l’existence du dernier
CDD et de la fin de ce contrat. En effet, il serait impossible pour lui d’obtenir une requalification de ses relations contractuelles partiellement devant les tribunaux bruxellois et partiellement devant les juridictions de l’Union. Le Tribunal aurait ainsi, notamment, entaché l’ordonnance attaquée d’une erreur de droit.
26 Par son deuxième moyen, M. Jenkinson fait notamment valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant décliné, au point 40 de l’ordonnance attaquée, sa compétence pour se prononcer sur ses demandes visant à déclarer le Conseil, la Commission et le SEAE responsables du traitement discriminatoire qu’il a subi en termes de rémunération, de droits à pension et d’autres avantages. À cet égard, M. Jenkinson relève que ses relations contractuelles avec les Missions autres que la Mission Eulex
Kosovo ont été clôturées par décisions des institutions en cause, à tout le moins du Conseil, et en déduit que ces institutions ont donc subrogé les droits et les obligations desdites Missions. Elles devraient, partant, répondre des conséquences des engagements contractuels que ces Missions avaient à l’égard de leur personnel.
27 La Commission rappelle, eu égard aux arguments avancés notamment dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, que la prise en considération de l’objet du litige ne peut pas être faite par un juge incompétent, la question de la compétence étant préalable à celle concernant le fond.
28 En ce qui concerne le deuxième moyen, la Commission estime que les arguments de M. Jenkinson sont inopérants, dans la mesure où celui-ci n’a pas contesté les points 30, 31 et 35 de l’ordonnance attaquée et où le Tribunal a relevé que le dernier CDD avait été conclu exclusivement avec la Mission Eulex Kosovo, « en qualité d’employeur », de telle sorte que seule cette dernière, qui dispose de la capacité juridique pour conclure de tels contrats, peut être considérée comme employeur. Or, les
arguments concernant la prétendue subrogation des trois institutions en question aux Missions avec lesquelles le requérant a travaillé ne seraient pas susceptibles de mettre en cause lesdites considérations du Tribunal.
29 S’agissant de la troisième branche du premier moyen, le Conseil fait observer que la durée du dernier CDD n’est pas susceptible de modifier les droits du requérant à obtenir la requalification souhaitée de sa position devant les tribunaux belges et souligne que M. Jenkinson ne démontre pas que la clause attributive de compétence du dernier CDD rendrait caduques les clauses contenues dans les précédents contrats donnant compétence aux tribunaux belges ni que telle aurait été la volonté des parties
contractantes.
30 Quant au deuxième moyen, le Conseil fait valoir qu’il n’a été partie à aucun des contrats conclus par M. Jenkinson et relève que les décisions établissant les Missions, ainsi que la direction stratégique dont le Conseil est chargé, ne contiennent aucun élément relatif aux contrats spécifiques conclus avec le personnel affecté aux Missions. Certes, le Conseil serait compétent pour décider d’une réduction de la taille d’une Mission de gestion de crises, de sa suppression éventuelle et de
l’organigramme d’une Mission, toutefois, les conditions contractuelles d’emploi et leur exécution ne seraient pas décidées par le Conseil. Le traitement spécifique contesté n’aurait donc pas été décidé par le Conseil et il n’y aurait pas d’actes du Conseil mis en cause. En effet, il serait constant que la Mission Eulex Kosovo dispose de la capacité juridique et serait responsable de toute plainte et obligation découlant de l’exécution de son mandat.
31 En ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, le SEAE considère qu’il ressort de la requête et des arguments avancés par M. Jenkinson que celui-ci fonde ses demandes sur l’ensemble de sa relation d’emploi avec la Mission Eulex Kosovo et, plus particulièrement, sur le non-renouvellement de son emploi qui lui avait été signalé au cours du contrat précédant le dernier CDD. Par conséquent, le litige porterait non pas sur le dernier CDD, mais sur la relation contractuelle antérieure. Or,
dès lors qu’il ne serait pas contesté que tous les contrats de travail précédents contenaient une clause attribuant la compétence juridictionnelle aux tribunaux belges, le Tribunal n’aurait commis aucune erreur de droit. En outre, M. Jenkinson n’expliquerait pas sur quel fondement le dernier CDD viendrait modifier ses contrats précédents.
32 S’agissant du deuxième moyen, le SEAE rétorque que le Tribunal a jugé à bon droit qu’il n’était pas partie contractante au dernier CDD.
33 Concernant la troisième branche du premier moyen, la Mission Eulex Kosovo estime que, dans la mesure où seul le dernier CDD contenait une clause attributive de compétence aux juridictions de l’Union et de telles clauses compromissoires devaient être interprétées de manière restrictive, le Tribunal n’aurait commis aucune erreur de droit lorsqu’il s’est déclaré incompétent s’agissant des prétentions de M. Jenkinson fondées sur les contrats antérieurs de ce dernier. Rien ne permettrait de mettre en
cause ex post le consentement de M. Jenkinson aux clauses attributives de compétence aux tribunaux belges qui figuraient dans les contrats antérieurs.
– Appréciation de la Cour
34 M. Jenkinson contestant, en substance, par l’argumentation avancée sous la troisième branche du premier moyen et sous le deuxième moyen, l’appréciation du Tribunal selon laquelle sa compétence ne saurait s’étendre aux contrats antérieurs au dernier CDD, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a notamment jugé, aux points 23, 26 et 38 à 40 de l’ordonnance attaquée, ce qui suit :
« 23 [...] [L]e présent recours ayant été introduit sur le fondement de l’article 272 TFUE, le Tribunal n’est compétent que pour ce qui concerne le dernier CDD en vertu de la clause compromissoire qu’il contient. Le Tribunal est manifestement incompétent pour juger des litiges qui pourraient naître de l’exécution des contrats de travail du requérant antérieurs au dernier CDD et attribuant expressément compétence aux tribunaux belges et, partant, pour connaître du présent recours en ce qu’il porte
sur les effets de ces contrats.
[...]
26 La portée de la clause attributive de compétence à la Cour de justice de l’Union européenne est expressément limitée aux litiges relatifs au dernier CDD et ne saurait s’étendre aux contrats antérieurs prévoyant la compétence d’autres juridictions.
[...]
38 Le Tribunal n’est compétent sur le fondement de l’article 272 TFUE que pour ce qui concerne le dernier CDD conclu entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo.
39 Premièrement, il ressort de ce qui précède que le Tribunal est manifestement incompétent pour se prononcer sur la première partie des chefs de conclusions soulevés à titre principal. Le premier chef de conclusions[, qui vise] à la requalification en contrat à durée indéterminée de l’ensemble de la relation contractuelle du requérant avec les différentes missions qui ont été ses employeurs successifs[,] suppose la prise en compte des effets des contrats de travail précédents conclus entre ces
missions et le requérant, lesquels confèrent expressément compétence aux tribunaux belges. La compétence du Tribunal étant limitée au dernier CDD, elle ne lui permet pas de se prononcer sur ce chef de conclusions. Le Tribunal est également manifestement incompétent pour les demandes accessoires visant à constater que les parties défenderesses ont violé l’obligation de notification d’un préavis dans le cadre de la rupture d’un contrat à durée indéterminée et que son licenciement était abusif.
Partant, le Tribunal est également manifestement incompétent pour se prononcer sur les demandes indemnitaires accessoires à ces demandes, tendant à la réparation du préjudice découlant de l’usage abusif de CDD successifs, de la violation de l’obligation de notification d’un préavis et d’un licenciement abusif.
40 Deuxièmement, le Tribunal est manifestement incompétent pour se prononcer sur la seconde partie des chefs de conclusions soulevés à titre principal, en ce qu’ils visent à déclarer que le Conseil, la Commission et le SEAE ont traité le requérant de manière discriminatoire dans le cadre de sa période d’engagement au sein des [Missions], en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et autres avantages, qu’il aurait dû être recruté en qualité d’agent temporaire de l’un d’eux et à
obtenir la réparation du préjudice qui en découlerait. En effet, ces chefs de conclusions sont dirigés à l’encontre du Conseil, de la Commission et du SEAE, qui ne sont pas parties au dernier CDD, et concernent donc les relations contractuelles antérieures pour lesquelles le Tribunal n’est pas compétent. »
35 Aux termes de l’article 274 TFUE, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales, sous réserve des compétences attribuées à la Cour par les traités.
36 Conformément à l’article 272 TFUE, la Cour est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte.
37 L’article 256, paragraphe 1, TFUE précise que le Tribunal est compétent pour connaître en première instance des recours visés, notamment, à l’article 272 TFUE.
38 Eu égard à ces dispositions, la compétence du Tribunal, fondée sur une clause compromissoire, est dérogatoire du droit commun et doit, partant, être interprétée restrictivement (arrêt du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, EU:C:1986:501, point 11).
39 En outre, si, dans le cadre d’une clause compromissoire conclue en vertu de l’article 272 TFUE, le Tribunal peut être appelé à trancher le litige en appliquant un droit national régissant le contrat, sa compétence pour connaître d’un litige concernant ce contrat s’apprécie sur le fondement des seules dispositions de cet article et des stipulations de la clause compromissoire, sans que puissent lui être opposées des dispositions du droit national qui feraient prétendument obstacle à sa compétence
(arrêt du 26 février 2015, Planet/Commission, C‑564/13 P, EU:C:2015:124, point 21 et jurisprudence citée).
40 Il s’ensuit que le Tribunal ne peut connaître que des seules demandes qui dérivent du contrat passé par l’Union et qui contient la clause compromissoire ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, EU:C:1986:501, point 11).
41 Par conséquent, il y a lieu de vérifier si, contrairement aux considérations émises par le Tribunal, les clauses compromissoires insérées dans les contrats de travail en cause confèrent une compétence au Tribunal pour connaître des demandes présentées par M. Jenkinson dans le cadre du recours qu’il a introduit devant le Tribunal.
42 À cet égard, ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 21 et 22 de l’ordonnance attaquée, il est constant que tous les contrats de travail précédents conclus entre les Missions et le requérant contiennent une clause prévoyant expressément que les litiges découlant de, ou relatifs à, ces contrats relèvent de la compétence des tribunaux de Bruxelles et que seul le dernier CDD stipule expressément, à son article 21, que les litiges découlant de, ou relatifs à, ce contrat relèvent de la compétence
de la Cour au titre de l’article 272 TFUE.
43 Il en ressort que, le recours ayant été introduit sur le fondement de l’article 272 TFUE, le Tribunal n’est compétent pour connaître, en principe, que des seules demandes qui dérivent du dernier CDD ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat.
44 Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 45 et 46 de ses conclusions, s’agissant d’une relation de travail analogue à celle de l’espèce, en ce qu’elle concernait une série de contrats de travail successifs, conclus sur une période de quinze années et dont seuls les quatre derniers contrats contenaient une clause compromissoire attribuant la compétence à la Cour pour statuer sur tous les litiges relatifs à la validité, à l’interprétation ou à l’exécution desdits contrats, la
Cour a jugé que le fait que la même clause ne figure pas dans les contrats précédents et que, pour ce qui concerne les premières années, il n’existe même pas de contrats écrits, ne saurait faire obstacle à ce que la Cour tienne compte, dans son appréciation des rapports existant entre les parties, de l’ensemble des contrats passés (arrêt du 1er juillet 1982, Porta/Commission, 109/81, EU:C:1982:253, point 10).
45 Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 23, 26 et 38 à 40 de l’ordonnance attaquée, sa compétence est susceptible de s’étendre aux contrats de travail antérieurs prévoyant la compétence des tribunaux de Bruxelles, à condition que le recours introduit par M. Jenkinson contienne des demandes qui dérivent du dernier CDD ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat.
46 À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 10 de l’ordonnance attaquée, par les chefs de conclusions soulevés à titre principal, M. Jenkinson a demandé au Tribunal, en substance, de requalifier l’ensemble de ses relations contractuelles en contrat d’emploi à durée indéterminée et de lui accorder les droits susceptibles de découler, selon lui, d’une telle requalification.
47 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 47 de ses conclusions, dans la mesure où les demandes de M. Jenkinson sont liées à l’existence d’une relation de travail unique et continue fondée sur une succession de CDD, elles visent la requalification de l’ensemble des contrats conclus et sont fondées sur l’ensemble desdits contrats, y compris le dernier CDD.
48 Par conséquent, il y a lieu de constater que le recours introduit par M. Jenkinson contient des demandes qui dérivent également du dernier CDD.
49 Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 39 et 40 de l’ordonnance attaquée, en se déclarant manifestement incompétent pour se prononcer sur les chefs de conclusions soulevés à titre principal, au motif que les demandes de M. Jenkinson impliquent la prise en compte des effets des contrats de travail précédents.
50 En effet, à l’aune de la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, il incombait, en l’espèce, au Tribunal de vérifier si et, le cas échéant, dans quelle mesure il pouvait tenir compte, dans son appréciation des demandes de M. Jenkinson, des contrats de travail précédents.
51 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen et le deuxième moyen invoqués au soutien du premier chef de conclusions et, partant, d’annuler l’ordonnance attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches du premier moyen ni les troisième et quatrième moyens invoqués au soutien de ce chef de conclusions qui visent, respectivement, l’appréciation par le Tribunal d’une argumentation avancée à titre subsidiaire et la
répartition des dépens de la première instance.
Sur le second chef de conclusions du pourvoi
52 Par son second chef de conclusions, M. Jenkinson demande à la Cour d’accueillir le recours qu’il a introduit devant le Tribunal.
53 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
54 Toutefois, contrairement à ce que prétend M. Jenkinson, le litige n’est pas en état d’être jugé.
55 En effet, le Tribunal s’étant borné à juger de sa compétence et de la recevabilité du recours sans aborder le fond de l’affaire, il y a lieu de rappeler qu’il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que, en principe, un litige n’est pas en état d’être jugé sur le fond du recours introduit devant le Tribunal lorsque ce dernier a rejeté le recours comme étant irrecevable en accueillant une exception d’irrecevabilité sans joindre celle-ci au fond (arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA,
C‑197/09 RX-II, EU:C:2009:804, point 29 et jurisprudence citée).
56 Certes, il est, sous certaines conditions, possible de statuer sur le fond d’un recours bien que la procédure en première instance fût limitée à une exception d’irrecevabilité à laquelle le Tribunal de première instance a fait droit. Tel peut être le cas lorsque, d’une part, l’annulation de l’arrêt ou de l’ordonnance attaqués implique nécessairement une certaine solution quant au fond du recours en cause ou, d’autre part, l’examen au fond du recours en annulation repose sur des arguments échangés
par les parties dans le cadre du pourvoi à la suite d’un raisonnement du juge de première instance (arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX-II, EU:C:2009:804, point 30 et jurisprudence citée).
57 Or, en l’espèce, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, il n’existe pas de telles circonstances particulières permettant à la Cour de statuer elle-même sur le fond du recours.
58 Il s’ensuit que la présente affaire doit être renvoyée devant le Tribunal et que le second chef de conclusions doit être écarté.
Sur les dépens
59 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 9 novembre 2016, Jenkinson/Conseil e.a. (T‑602/15, EU:T:2016:660), est annulée.
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Silva de Lapuerta
Fernlund
Bonichot
Arabadjiev
Regan
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juillet 2018.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de la Ière chambre
R. Silva de Lapuerta
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( *1 ) Langue de procédure : le français.