ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
13 juin 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) no 1380/2013 – Article 11 – Conservation des ressources biologiques de la mer – Protection de l’environnement – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Compétence exclusive de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑683/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne), par décision du 29 novembre 2016, parvenue à la Cour le 27 décembre 2016, dans la procédure
Deutscher Naturschutzring – Dachverband der deutschen Natur- und Umweltschutzverbände eV
contre
Bundesrepublik Deutschland,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2017,
considérant les observations présentées :
– pour le Deutscher Naturschutzring – Dachverband der deutschen Natur- und Umweltschutzverbände eV, par Mes R. Nebelsieck et K. Fock, Rechtsanwälte,
– pour le Bundesamt für Naturschutz, par Me W. Ewer, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes F. Moro et M. Morales Puerta ainsi que par M. B. Bertelmann, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 janvier 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11 du règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Deutscher Naturschutzring – Dachverband der deutschen Natur- und Umweltschutzverbände eV (Cercle allemand de protection de la nature – Organisation faîtière des associations allemandes de protection de la nature et de l’environnement, ci-après le « Cercle allemand de protection de la nature ») au Bundesamt für Naturschutz (Office fédéral pour la conservation de la nature, Allemagne), au sujet de la décision de ce dernier rejetant
une demande dudit cercle visant à l’obliger à interdire la pêche employant des engins traînants et des filets dormants dans les zones maritimes dénommées « Sylter Außenriff », « Pommersche Bucht mit Oderbank » et « Pommersche Bucht ».
Le cadre juridique
Le droit international
3 La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 (ci-après la « convention de Montego Bay »), est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Elle a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO 1998, L 179, p. 1).
4 L’article 91, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay, intitulé « Nationalité des navires », est rédigé dans les termes suivants :
« [...] Les navires possèdent la nationalité de l’État dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire. »
5 L’article 94 de cette convention, intitulé « Obligations de l’État du pavillon », stipule :
« 1. Tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.
2. En particulier tout État :
a) tient un registre maritime où figurent les noms et les caractéristiques des navires battant son pavillon, à l’exception de ceux qui, du fait de leur petite taille, ne sont pas visés par la réglementation internationale généralement acceptée ;
[...] »
Le droit de l’Union
Le règlement no 1380/2013
6 Le considérant 25 du règlement no 1380/2013 énonce :
« La directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7),] la directive 92/43/CEE du Conseil[, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7),] et la directive 2008/56/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu
marin (directive-cadre “stratégie pour le milieu marin” (JO 2008, L 164, p. 19),] imposent aux États membres certaines obligations concernant, respectivement, les zones de protection spéciale, les zones spéciales de conservation et les zones marines protégées. Ces mesures pourraient nécessiter l’adoption de mesures relevant de la [politique commune de la pêche]. Il convient, par conséquent, d’autoriser les États membres à adopter, dans les eaux relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction,
ces mesures de conservation qui sont nécessaires pour se conformer aux obligations qui leur incombent en vertu de ces actes de l’Union, pour autant que ces mesures ne portent pas atteinte aux intérêts en matière de pêche des autres États membres. Lorsque ces mesures sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts en matière de pêche des autres États membres, le pouvoir de les adopter devrait être conféré à la Commission et il y a lieu de recourir à la coopération régionale entre les États
membres concernés. »
7 L’article 4 de ce règlement, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1, point 20 :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
20) “mesures techniques”, des mesures visant à réglementer la composition des captures par espèce et par taille, ainsi qu’à réguler les incidences des activités de pêche sur les composantes des écosystèmes, en instaurant des conditions pour l’utilisation et la structure des engins de pêche et des restrictions d’accès aux zones de pêche ».
8 L’article 6, dudit règlement, intitulé « Dispositions générales », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la réalisation des objectifs de la [politique commune de la pêche] en matière de conservation et d’exploitation durable des ressources biologiques de la mer énoncés à l’article 2, l’Union adopte les mesures de conservation énoncées à l’article 7. »
9 L’article 7 du même règlement, intitulé « Types de mesures de conservation », énonce :
« 1. Les mesures pour la conservation et l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer peuvent inclure, entre autres :
[...]
i) des mesures nécessaires pour honorer les obligations découlant de la législation environnementale de l’Union adoptées conformément à l’article 11 ;
j) des mesures techniques visées au paragraphe 2.
2. Les mesures techniques peuvent inclure entre autres :
[...]
c) les limitations ou les interdictions dont font l’objet l’utilisation de certains engins de pêche et les activités de pêche dans certaines zones ou durant certaines périodes ;
[...]
e) les mesures spécifiques destinées à réduire au minimum les incidences négatives des activités de pêche sur la biodiversité marine et les écosystèmes marins, y compris les mesures visant à éviter et à réduire, dans la mesure du possible, les captures indésirées. »
10 L’article 11 du règlement no 1380/2013, intitulé « Mesures de conservation nécessaires pour le respect des obligations de la législation environnementale de l’Union », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les États membres sont habilités à adopter des mesures de conservation qui n’ont pas d’incidences pour les navires de pêche des autres États membres, qui sont applicables dans les eaux relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction et qui sont nécessaires aux fins de respecter leurs obligations en vertu de l’article 13, paragraphe 4, de la directive 2008/56/CE, de l’article 4 de la directive 2009/147/CE, ou de l’article 6 de la directive 92/43/CEE, à condition que ces mesures soient
compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2 du présent règlement, permettent d’atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union qu’elles ont pour but de mettre en œuvre, et ne soient pas moins strictes que les mesures en vertu du droit de l’Union.
2. Lorsqu’un État membre (ci-après dénommé “État membre demandeur”) juge qu’il est nécessaire d’adopter des mesures afin de respecter les obligations visées au paragraphe 1 et que des autres États membres ont un intérêt direct dans la gestion de l’activité de pêche qui sera concernée par ces mesures, la Commission est habilitée à adopter de telles mesures, sur demande, par voie d’actes délégués conformément à l’article 46. À cette fin, l’article 18, paragraphes 1 à 4 et 6, s’applique mutatis
mutandis. »
11 L’article 18 de ce règlement, intitulé « Coopération régionale sur les mesures de conservation », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Lorsque la Commission s’est vu conférer des pouvoirs, [...] dans les cas prévus à l’article 11 [...], pour adopter des mesures par voie d’actes délégués ou d’exécution, dans le cas d’une mesure de conservation de l’Union s’appliquant à une zone géographique concernée, les États membres dont l’intérêt direct dans la gestion est touché par ces mesures peuvent, dans un délai à fixer dans la mesure de conservation et/ou le plan pluriannuel, convenir de soumettre des recommandations communes visant
à atteindre les objectifs visés par l’Union dans les mesures de conservation, les plans pluriannuels ou les plans de rejets spécifiques. [...] »
La directive 92/43
12 Le quinzième considérant de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO 2006, L 363, p. 368), énonce :
« considérant que, en complément de la directive 79/409/CEE [du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1)], il convient de prévoir un système général de protection pour certaines espèces de faune et de flore ; que des mesures de gestion doivent être prévues pour certaines espèces, si leur état de conservation le justifie, y compris l’interdiction de certaines modalités de capture ou de mise à mort, tout en prévoyant la possibilité de
dérogations sous certaines conditions ».
13 L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose :
« Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle. »
14 Aux termes de l’article 4, paragraphe 4, de ladite directive :
« Une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura
2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux. »
15 L’article 6, paragraphe 2, de la même directive prévoit :
« Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. »
La directive 2004/35/CE
16 L’article 1er de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JO 2004, L 143, p. 56), intitulé « Objet », prévoit :
« La présente directive a pour objet d’établir un cadre de responsabilité environnementale fondé sur le principe du “pollueur-payeur”, en vue de prévenir et de réparer les dommages environnementaux. »
La directive 79/409
17 L’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 79/409 dispose :
« La préservation, le maintien et le rétablissement des biotopes et des habitats comportent en premier lieu les mesures suivantes :
a) création de zones de protection ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 15 septembre 2005, le Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und nukleare Sicherheit (ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sûreté nucléaire, Allemagne) a adopté, en application de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 79/409, la Verordnung über die Festsetzung des Naturschutzgebietes « Pommersche Bucht » (règlement établissant la zone naturelle protégée « Pommersche Bucht ») (BGBl. 2005 I, p. 2778.). Ce règlement prévoit que, dans cette
zone située en mer Baltique, tout acte pouvant entraîner la destruction, la dégradation, la modification ou la perturbation durable de la zone naturelle protégée est interdit. La pêche maritime professionnelle a toutefois été expressément exclue de cette interdiction.
19 Le 12 novembre 2007, la Commission a adopté la décision 2008/23/CE arrêtant, en application de la directive 92/43, une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2008, L 12, p. 1), aux termes de laquelle la zone « Sylter Außenriff », située en mer du Nord, a été ajoutée à cette liste.
20 Le 13 novembre 2007, la Commission a adopté la décision 2008/25/CE arrêtant, en application de la directive 92/43, une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique continentale (JO 2008, L 12, p. 383), aux termes de laquelle la zone « Pommersche Bucht mit Oderbank », située en mer Baltique, a été ajoutée à cette liste.
21 À ce jour, la République fédérale d’Allemagne n’a ni désigné ces zones en tant que zones spéciales de protection, au titre de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 92/43, ni adopté de mesures de conservation.
22 Les trois zones concernées se trouvent toutes dans des eaux relevant de la zone économique exclusive allemande. La pêche maritime y est pratiquée au moyen d’engins traînants et de filets dormants, ce qui affecte les récifs ainsi que les bancs de sable et a également pour conséquence la capture indésirée de marsouins et d’oiseaux marins.
23 Le 30 juillet 2014, le Cercle allemand de protection de la nature a présenté à l’Office fédéral pour la conservation de la nature une demande d’interdiction des techniques de pêche maritime utilisant des engins traînants ou des filets dormants dans les zones « Sylter Außenriff », « Pommersche Bucht mit Oderbank » et « Pommersche Bucht », au motif que l’utilisation de ces techniques n’était pas compatible avec l’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43. Au demeurant, cette interdiction
constituerait une mesure nécessaire de prévention et de réparation, au sens de l’article 2, points 10 et 11, de la directive 2004/35, que, conformément à l’article 5, paragraphe 3, à l’article 6, paragraphe 2, ainsi qu’à l’article 12 de cette directive, les autorités compétentes seraient tenues de prendre.
24 Par une décision du 29 octobre 2014 de l’Office fédéral pour la conservation de la nature, la demande du Cercle allemand de protection de la nature a été rejetée. Cette décision a été confirmée par une décision de ce même office du 19 décembre 2014.
25 Le Cercle allemand de protection de la nature a par la suite formé un recours contre ladite décision de rejet devant le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne).
26 En défense, l’Office fédéral pour la conservation de la nature soutient que, pour des raisons de compétence, il ne peut adopter les mesures réclamées par le Cercle allemand de protection de la nature, cette compétence revenant, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous d), TFUE, exclusivement à l’Union. Certes, l’article 11 du règlement no 1380/2013 permettrait aux États membres d’adopter certaines mesures de conservation, mais, dès lors que de telles mesures sont susceptibles d’avoir une
incidence pour les navires de pêche des autres États membres, ces mesures ne pourraient être prises, selon ce même article, que par la Commission.
27 Considérant que le recours ne peut être fondé que si la République fédérale d’Allemagne, et non la Commission, peut adopter les mesures demandées par le requérant, le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 11 du règlement [no 1380/2013] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux mesures prises par un État membre pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, nécessaires afin de satisfaire à ses obligations en vertu de l’article 6 de la directive [92/43], qui ont des incidences sur les navires de pêche des autres États membres et qui interdisent complètement, dans les zones Natura 2000, la pêche maritime professionnelle à l’aide d’engins traînants et de
filets dormants (“filets maillants et filets emmêlants”) ?
En particulier :
a) L’article 11 du règlement [no 1380/2013] doit-il être interprété en ce sens que la notion de “mesures de conservation” inclut l’interdiction des techniques de pêche mentionnées à la première question ?
b) L’article 11 du règlement [no 1380/2013] doit-il être interprété en ce sens que la notion de “navires de pêche des autres États membres” comprend également les navires de pêche d’un autre État membre qui battent pavillon de la République fédérale d’Allemagne ?
c) L’article 11 du règlement [no 1380/2013] doit-il être interprété en ce sens que la notion [de mesures permettant] d’“atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union” comprend également les mesures adoptées par [un] État membre qui ne font qu’encourager à atteindre les objectifs précisés dans la législation de l’Union mentionnée ?
2) L’article 11 du règlement [no 1380/2013] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux mesures prises par un État membre pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, qui sont nécessaires afin de satisfaire à ses obligations en vertu de la directive [2004/35] en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ?
3) Dans l’hypothèse où une réponse négative serait donnée à l’une ou aux deux questions préjudicielles qui précèdent, la compétence exclusive de l’Union européenne dans le domaine de la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous d), du TFUE, s’oppose-t-elle à l’adoption par un État membre des mesures mentionnées ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
Sur la recevabilité
28 L’Office fédéral pour la conservation de la nature soutient que la première question est irrecevable au motif qu’elle se réfère à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, alors que seul serait applicable à des mesures telles que celles mentionnées par la juridiction de renvoi l’article 11, paragraphes 2 et suivants, de ce règlement.
29 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de
manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, EU:C:2010:601, point 33 et jurisprudence citée).
30 Or, en l’occurrence, l’argumentation exposée par l’Office fédéral pour la conservation de la nature ne tend pas à démontrer que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, que le problème soulevé serait de nature hypothétique ou que la Cour ne disposerait pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées, mais constitue une prise de position sur
l’interprétation des dispositions des différents paragraphes de l’article 11 du règlement no 1380/2013 que la Cour est appelée à fournir.
31 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de déclarer la première question irrecevable.
Sur le fond
32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 11 du règlement no 1380/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre adopte, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, les mesures qui sont nécessaires aux fins de satisfaire à ses obligations en vertu de l’article 6 de la directive 92/43, qui ont des incidences sur les navires de pêche des autres États membres et qui interdisent complètement, dans les zones Natura 2000, la
pêche maritime professionnelle au moyen d’engins traînants et de filets dormants.
33 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, les États membres sont habilités à adopter des mesures de conservation qui n’ont pas d’incidences pour les navires de pêche des autres États membres, qui sont applicables dans les eaux relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction et qui sont nécessaires aux fins de respecter leurs obligations en vertu de l’article 13, paragraphe 4, de la directive 2008/56, de l’article 4 de
la directive 2009/147 ou de l’article 6 de la directive 92/43, à condition que ces mesures soient compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2 de ce règlement, permettent d’atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union qu’elles ont pour but de mettre en œuvre, et ne soient pas moins strictes que les mesures en vertu du droit de l’Union.
34 S’agissant, tout d’abord, des obligations mises à la charge des États membres à l’article 6 de la directive 92/43, qui sont celles auxquelles l’adoption des mesures mentionnées par la juridiction de renvoi vise à répondre, il découle du libellé de cet article 6 que celles-ci consistent, pour les États membres, à prendre « les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations
touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ».
35 Étant donné que la juridiction de renvoi formule sa question en constatant que les mesures en cause au principal visent à satisfaire aux obligations découlant de cette disposition, il n’y a pas lieu, pour la Cour, de se prononcer à cet égard.
36 Ensuite, la juridiction de renvoi indique que sa question porte « en particulier » sur l’interprétation de trois notions employées à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, à savoir celle, premièrement, de « mesures de conservation », deuxièmement, de « mesures permettant d’atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union » et, troisièmement, de « navires de pêche des autres États membres ». Dès lors, il convient, pour la Cour, de préciser chacune de ces notions.
37 S’agissant, en premier lieu, de la notion de « mesures de conservation », il doit être constaté que les termes employés à l’article 11 de ce règlement ne permettent pas de déterminer la portée de cette notion. Toutefois, aux fins de l’interprétation du paragraphe 1 de cet article, il doit être tenu compte non seulement du libellé de cette disposition, mais aussi de son contexte et de l’objectif qu’elle poursuit (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertise
comptable, C‑119/09, EU:C:2011:208, point 25).
38 Or, le contexte dans lequel l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 s’insère est caractérisé par le fait que les mesures de conservation énoncées à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement comprennent les mesures techniques mentionnées à l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement, parmi lesquelles figurent, sous c), les mesures portant sur « les limitations ou les interdictions dont font l’objet l’utilisation de certains engins de pêche et les activités de pêche dans certaines
zones ou durant certaines périodes ».
39 Eu égard à cette définition, des mesures telles que celles mentionnées par la juridiction de renvoi, qui consistent à interdire, dans les eaux de l’Union, la pêche au moyen d’engins traînants et de filets dormants, sont susceptibles de constituer des mesures de conservation, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1380/2013 et donc de relever de l’article 11, paragraphe 1, de ce dernier.
40 L’objectif poursuivi par ledit article 11, paragraphe 1, corrobore cette conclusion.
41 En effet, ainsi qu’il découle du considérant 25 et du libellé même de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, l’objectif sous-jacent à cette disposition consiste à permettre à un État membre, sous réserve principalement de ne pas affecter les navires de pêche des autres États membres, d’adopter les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui lui incombent, notamment en vertu de l’article 6 de la directive 92/43.
42 Or, parmi les mesures qu’un État membre peut devoir adopter afin de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu dudit article 6, figure, ainsi que le quinzième considérant de la directive 92/43 le mentionne, l’interdiction, afin de protéger certaines espèces, de certaines modalités de capture ou de mise à mort, notamment de la faune marine.
43 Le Cercle allemand de protection de la nature et le gouvernement portugais soutiennent, certes, que la notion de « mesures de conservation » ne vise que les mesures poursuivant un objectif en lien avec la politique commune de la pêche, alors que les mesures de conservation mentionnées auraient une portée plus large, car adoptées en vue de préserver l’environnement.
44 Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 23 de ses conclusions, le fait que des mesures interdisant l’utilisation de certains équipements et techniques de pêche ont également une incidence sur des espèces autres que celles qui sont pêchées n’est pas suffisant pour que ces mesures sortent du champ d’application de ladite politique.
45 En effet, l’argumentation contraire ne résiste pas à l’examen des termes et de l’économie des articles 7 et 11 du règlement no 1380/2013, dont la validité n’est pas contestée. Ces articles ne comportent ainsi aucune exclusion en ce qui concerne l’adoption de mesures limitant les techniques de pêche autorisées en vue de préserver l’environnement. Au contraire, l’article 7, paragraphe 1, sous d), et paragraphe 2, sous e), de ce règlement envisage explicitement l’adoption de mesures de conservation
ayant pour objet d’encourager les pratiques de pêche ayant une faible incidence sur l’écosystème marin et, plus largement, l’adoption de mesures spécifiques destinées à réduire au minimum les incidences négatives des activités de pêche sur la biodiversité marine et les écosystèmes marins.
46 S’agissant, en deuxième lieu, de la notion de « mesures permettant d’atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union », certes, à première vue, l’emploi du verbe « atteindre » pourrait être compris comme exprimant l’obligation, pour les mesures visées, de permettre de réaliser, à elles seules, l’objectif poursuivi par la législation pertinente.
47 Toutefois, il doit être relevé que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/43, le réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation prévu par cette directive, auquel renvoient les termes « zones Natura 2000 », employés par la juridiction de renvoi, vise à assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition
naturelle.
48 Eu égard à la nature de cet objectif et à l’inscription de ces habitats dans des écosystèmes complexes, une mesure donnée de conservation ne peut, en général, que contribuer, en combinaison avec d’autre mesures, à atteindre lesdits objectifs sans pouvoir, à elle-seule, suffire à les atteindre. Partant, interpréter l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 comme n’autorisant que l’adoption de mesures qui, prises isolément, seraient suffisantes pour atteindre ledit objectif priverait
cette disposition de son effet utile.
49 Il y a lieu, d’ailleurs, de relever, plus largement, que, selon une jurisprudence constante, pour satisfaire au test de proportionnalité, une mesure doit être de nature à contribuer à l’objectif poursuivi et non nécessairement à l’atteindre à elle seule (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 92).
50 Par conséquent, la notion de « mesures permettant d’atteindre les objectifs de la législation pertinente de l’Union » doit être comprise en ce sens qu’elle inclut les mesures adoptées par un État membre, qui ne font qu’encourager la réalisation des objectifs précisés dans la législation de l’Union concernée.
51 Or, des mesures, telles que celles mentionnées par la juridiction de renvoi, qui interdisent complètement la pêche maritime professionnelle au moyen d’engins traînants et de filets dormants sont susceptibles d’encourager le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement des types d’habitats naturels et des habitats des espèces maritimes présents dans les zones concernées et, par voie de conséquence, de relever de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013.
52 En ce qui concerne, en troisième lieu, la notion de « navires de pêche des autres États membres », le libellé de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 ne contient aucune indication quant aux éléments constitutifs de cette notion.
53 Toutefois, il découle de l’article 91, paragraphe 1, et de l’article 94, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay, que l’Union est tenue de respecter, que les navires possèdent la nationalité de l’État dont ils sont autorisés à battre le pavillon et que tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle sur les navires battant son pavillon.
54 Il s’ensuit que la notion de « navires de pêche des autres États membres », employée à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, doit être comprise comme se référant exclusivement aux navires battant le pavillon d’un État membre autre que celui exerçant sa souveraineté ou sa juridiction sur la zone concernée et qui sont soumis, à ce titre, à la juridiction et au contrôle effectifs de l’État membre dont ils battent le pavillon.
55 Or, dans la mesure où la juridiction de renvoi a constaté elle-même, ainsi qu’il ressort de la formulation de sa question, que les mesures qu’elle mentionne ont des incidences pour de tels navires, ces mesures ne sauraient satisfaire aux exigences de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 et, partant, ne sauraient être adoptées unilatéralement, sur ce fondement, par un État membre.
56 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre adopte, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, les mesures qui lui sont nécessaires afin de satisfaire à ses obligations en vertu de l’article 6 de la directive 92/43 et qui interdisent complètement, dans les zones Natura 2000, la pêche maritime professionnelle au moyen d’engins traînants
et de filets dormants, dès lors que de telles mesures ont des incidences pour les navires de pêche battant le pavillon des autres États membres.
Sur la deuxième question
57 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 11 du règlement no 1380/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’adoption, par un État membre, de mesures, telles que celles en cause au principal, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, qui sont nécessaires afin de lui permettre de satisfaire à ses obligations découlant de la directive 2004/35.
58 À cet égard, il découle de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 que l’habilitation que cette disposition instaure est limitée aux mesures qui sont nécessaires aux États membres pour se conformer aux obligations édictées par trois dispositions précises de la législation de l’Union en matière d’environnement, à savoir l’article 13, paragraphe 4, de la directive 2008/56, l’article 4 de la directive 2009/147 et l’article 6 de la directive 92/43.
59 Ainsi, cet article 11, paragraphe 1, ne fait pas mention de la directive 2004/35 et son libellé ne contient aucun indice laissant supposer que la liste des dispositions du droit de l’Union auxquelles cette disposition se réfère n’est pas exhaustive.
60 Par ailleurs, dès lors que ledit article 11, paragraphe 1, institue une exception à la règle générale, énoncée à l’article 6 du règlement no 1380/2013, selon laquelle la compétence pour adopter des mesures de conservation revient à l’Union, ses dispositions doivent être interprétées de manière stricte (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O., C‑554/13, EU:C:2015:377, point 42).
61 Par conséquent, si le législateur avait voulu établir une habilitation ouverte à l’adoption de mesures de conservation nécessaires afin de permettre à un État membre de satisfaire à ses obligations découlant de la directive 2004/35, il aurait dû l’indiquer expressément.
62 Il s’ensuit que l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’adoption, par un État membre, de mesures, telles que celles en cause au principal, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, qui sont nécessaires afin de lui permettre de satisfaire à ses obligations découlant de la directive 2004/35.
Sur la troisième question
63 Étant donné que la troisième question n’a été posée que dans l’hypothèse où la première ou la deuxième question recevrait une réponse négative, il n’y a pas lieu d’y répondre.
Sur les dépens
64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 11, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre adopte, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, les
mesures qui lui sont nécessaires afin de satisfaire à ses obligations en vertu de l’article 6 de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, et qui interdisent complètement, dans les zones Natura 2000, la pêche maritime professionnelle au moyen d’engins traînants et de filets dormants, dès lors que de telles mesures ont des incidences pour les navires de pêche battant le pavillon des autres
États membres.
2) L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’adoption, par un État membre, de mesures, telles que celles en cause au principal, pour des eaux relevant de sa souveraineté ou de sa juridiction, qui sont nécessaires afin de lui permettre de satisfaire à ses obligations découlant de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la
réparation des dommages environnementaux.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.