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21/03/2018 | CJUE | N°C-551/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, J. Klein Schiphorst contre Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen., 21/03/2018, C-551/16


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 mars 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Articles 7, 63 et 64 – Prestations de chômage – Chômeur se rendant dans un autre État membre – Maintien du droit aux prestations – Durée »

Dans l’affaire C‑551/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite pa

r le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays-Bas), par décision d...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 mars 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Articles 7, 63 et 64 – Prestations de chômage – Chômeur se rendant dans un autre État membre – Maintien du droit aux prestations – Durée »

Dans l’affaire C‑551/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays-Bas), par décision du 26 octobre 2016, parvenue à la Cour le 31 octobre 2016, dans la procédure

J. Klein Schiphorst

contre

Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Arabadjiev, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2017,

considérant les observations présentées :

– pour le Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen, par Mme J. Hut, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. L. Noort et M. K. Bulterman, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Pavliš et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement danois, par Mme M. Wolff ainsi que par MM. C. Thorning et J. Nymann-Lindegren, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz et H. Shev ainsi que par MM. L. Swedenborg et F. Bergius, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement norvégien, par MM. K. Moen et D. Lund, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. J. Klein Schiphorst au Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (conseil d’administration de l’Institut de gestion des assurances pour les travailleurs salariés, Pays-Bas) au sujet du rejet de sa demande d’extension de la période d’exportation de sa prestation de chômage au-delà de trois mois.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’accord CE-Suisse

3 L’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 et approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission concernant l’accord de coopération scientifique et technologique, du 4 avril 2002, relative à la conclusion de sept accords avec la Confédération suisse (JO 2002, L 114, p. 1,
ci-après l’« accord CE-Suisse »), stipule :

« Les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer notamment :

[...]

b) la détermination de la législation applicable ;

[...]

d) le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes ;

[...] »

4 L’article 1er de l’annexe II de l’accord CE-Suisse, relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale, telle que modifiée par la décision no 1/2012 du comité mixte institué par l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 31 mars 2012 (JO 2012, L 103, p. 51), prévoit :

« 1.   Les parties contractantes conviennent d’appliquer entre elles, dans le domaine de la coordination des systèmes de sécurité sociale, les actes juridiques de l’Union européenne auxquels il est fait référence dans la section A de la présente annexe, tels que modifiés par celle-ci, ou des règles équivalentes à ceux-ci.

2.   Le terme “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de la présente annexe est réputé s’appliquer, outre les États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse. »

5 La section A de cette annexe fait référence, notamment, au règlement no 883/2004.

Le règlement no 883/2004

6 Les considérants 3, 4, 32 et 45 du règlement no 883/2004 énoncent :

« (3) Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté [(JO 1971, L 149, p. 2)] a été modifié et mis à jour à de nombreuses reprises afin de tenir compte non seulement des développements intervenus au niveau communautaire, y compris des arrêts de la Cour de justice, mais également des modifications
apportées aux législations nationales. Ces facteurs ont contribué à rendre les règles communautaires de coordination complexes et lourdes. Remplacer ces règles en les modernisant et en les simplifiant est dès lors essentiel à la réalisation de l’objectif de la libre circulation des personnes.

(4) Il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination.

[...]

(32) Dans le souci de promouvoir la mobilité des travailleurs, il y a lieu en particulier de faciliter leur recherche d’emploi dans les différents États membres ; il est donc nécessaire d’assurer une coordination plus complète et plus efficace entre les régimes d’assurance chômage et les services de l’emploi de tous les États membres.

(45) Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe
de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ».

7 L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 dispose :

« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »

8 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement :

« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

[...]

h) les prestations de chômage ;

[...] »

9 L’article 7 dudit règlement, intitulé « Levée des clauses de résidence », énonce :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les prestations en espèces dues en vertu de la législation d’un ou de plusieurs États membres ou du présent règlement ne peuvent faire l’objet d’aucune réduction, modification, suspension, suppression ou confiscation du fait que le bénéficiaire ou les membres de sa famille résident dans un État membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice. »

10 L’article 63 du même règlement, intitulé « Dispositions spéciales concernant la levée des clauses de résidence », dispose :

« Aux fins du présent chapitre, l’article 7 s’applique uniquement dans les cas prévus par les articles 64, 65 et 65 bis et dans les limites qui y sont fixées. »

11 L’article 64 du règlement no 883/2004, intitulé « Chômeurs se rendant dans un autre État membre », prévoit :

« 1.   La personne en chômage complet qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent pour avoir droit aux prestations et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit aux prestations de chômage en espèces aux conditions et dans les limites indiquées ci-après :

[...]

c) le droit aux prestations est maintenu pendant une durée de trois mois à compter de la date à laquelle le chômeur a cessé d’être à la disposition des services de l’emploi de l’État membre qu’il a quitté, sans que la durée totale pour laquelle des prestations sont servies puisse excéder la durée totale des prestations auxquelles il a droit en vertu de la législation de cet État membre ; cette période de trois mois peut être étendue par les services ou institutions compétents jusqu’à un maximum
de six mois ;

[...]

2.   Si l’intéressé retourne dans l’État membre compétent à l’expiration ou avant la fin de la période pendant laquelle il a droit aux prestations en vertu du paragraphe 1, point c), il continue à avoir droit aux prestations conformément à la législation de cet État membre. Il perd tout droit à des prestations en vertu de la législation de l’État membre compétent s’il n’y retourne pas à l’expiration ou avant la fin de cette période, sous réserve de dispositions plus favorables de cette
législation. Dans des cas exceptionnels, les services ou institutions compétents peuvent autoriser l’intéressé à retourner à une date ultérieure sans perte de son droit.

[...] »

Le droit néerlandais

12 L’article r3 :4 de l’Algemene wet bestuursrecht (code administratif) énonce :

« 1.   L’organe administratif met en balance les intérêts directement concernés par la décision, dans les limites tracées par la loi ou par la nature de la compétence à exercer.

2.   Les effets néfastes qu’une décision a pour un ou plusieurs intéressés ne peuvent pas être disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par la décision. »

13 Conformément à l’article 19, paragraphe 1, sous e), de la Werkloosheidswet (loi relative au chômage, ci-après la « WW »), le travailleur qui réside ou séjourne en dehors des Pays-Bas, pour d’autres motifs que des vacances, n’a pas droit aux prestations.

14 Aux termes de l’article 19, paragraphes 9 et 10, de la WW :

« 9.   Par dérogation au paragraphe 1, sous e), le droit aux prestations est maintenu à l’égard du travailleur qui réside ou séjourne en dehors des Pays-Bas, pour d’autres motifs que des vacances, s’il participe durant ce séjour à des activités favorisant son insertion professionnelle au sens des chapitres VI et XA, à condition :

a. que les activités ne durent pas plus de six mois ;

b. qu’une déclaration d’intention fasse apparaître qu’elles offrent une perspective réelle d’un engagement subséquent d’au moins six mois ; et

c. qu’elles aient lieu dans un État membre de l’Union européenne, dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ou en Suisse.

10.   Aux fins du présent article, on entend par “déclaration d’intention” : une déclaration signée dans laquelle le déclarant indique qu’il a l’intention d’engager un travailleur qui participe à des activités favorisant son insertion professionnelle, visées aux chapitres VI et XA, à la fin de ces activités. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Alors qu’il résidait aux Pays-Bas et y bénéficiait, depuis le 2 mai 2011, de prestations de chômage au titre de la WW, M. Klein Schiphorst, ressortissant néerlandais, a, le 19 juillet 2012, informé l’Institut de gestion des assurances pour les travailleurs salariés (ci-après l’« Uwv ») qu’il entendait se rendre en Suisse pour y chercher un emploi et a demandé à cet effet le maintien de ses droits à prestations de chômage.

16 Par décision du 8 août 2012, l’Uwv a fait droit à la demande de M. Klein Schiphorst pour la période allant du 1er septembre 2012 au 30 novembre 2012.

17 Par courrier électronique du 19 novembre 2012, M. Klein Schiphorst a demandé à l’Uwv, sur la base du règlement no 883/2004, l’extension de la période d’exportation de ses prestations de chômage au-delà des trois mois.

18 Par des décisions du 21 novembre 2012 et du 16 janvier 2013, l’Uwv a rejeté ladite demande ainsi que la réclamation introduite contre ce rejet. Dans cette dernière décision, l’Uwv a expliqué qu’il ne faisait pas usage de la faculté accordée aux services ou aux institutions compétentes en vertu de l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 d’étendre jusqu’à un maximum de six mois la période d’exportation des prestations de chômage.

19 Par jugement du 2 octobre 2013, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) a accueilli le recours introduit par M. Klein Schiphorst contre la décision de l’Uwv du 16 janvier 2013, au motif que ce dernier n’avait pas motivé à suffisance les raisons pour lesquelles il n’exerçait pas une telle faculté.

20 Par décision du 15 novembre 2013, l’Uwv a de nouveau déclaré non fondée la réclamation de M. Klein Schiphorst contre la décision du 21 novembre 2012. Considérant que les chances de trouver un emploi étaient en général plus grandes aux Pays-Bas que dans d’autres pays, l’Uwv a relevé qu’il avait pour principe de ne pas prolonger l’exportation des prestations de chômage après la période de trois mois, conformément aux instructions du Minister van Sociale zaken en Werkgelegenheid (ministre des
Affaires sociales et de l’Emploi, Pays-Bas). Dans ce cadre, l’Uwv a estimé que les initiatives de M. Klein Schiphorst pour trouver un emploi en Suisse et les circonstances invoquées par celui-ci n’étaient pas de nature à considérer qu’il était déraisonnable, en l’occurrence, de s’en tenir à un tel principe.

21 Par jugement du 4 juin 2014, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a rejeté le recours introduit par M. Klein Schiphorst contre la décision du 15 novembre 2013. Cette juridiction a considéré que, compte tenu du caractère discrétionnaire de la faculté visée à l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004, il était loisible à l’Uwv de mettre en œuvre cette faculté conformément aux règles du droit national.

22 M. Klein Schiphorst a interjeté appel de ce dernier jugement devant le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays-Bas).

23 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité avec le droit de l’Union de la décision de l’Uwv refusant de faire usage au profit de M. Klein Schiphorst de la faculté que confère aux services ou institutions compétents l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004 d’étendre la durée de l’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois.

24 En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge, d’abord, sur le point de savoir si les États membres sont autorisés à ne faire usage en aucune circonstance de cette faculté. En cas de réponse négative, cette juridiction considère qu’il serait alors nécessaire de déterminer si, eu égard à l’objectif et à la finalité du règlement no 883/2004, à l’interdiction d’imposer une clause de résidence ou à la libre circulation des citoyens de l’Union et des travailleurs, les États membres peuvent, en
principe, refuser d’exercer ladite faculté et se contenter d’en faire concrètement usage seulement dans des circonstances particulières. Enfin, en cas de réponse à nouveau négative, la juridiction de renvoi se demande comment les États membres doivent faire usage de cette même faculté.

25 Dans ces conditions, le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La faculté que confère l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 peut-elle être exercée, eu égard aux articles 63 et 7 [de ce règlement], à l’objectif et à la finalité [dudit] règlement et à la libre circulation des personnes et des travailleurs, en refusant par principe toute demande d’extension de la durée de l’exportation de prestations de chômage, à moins que l’Uwv estime que les circonstances particulières de l’espèce, par exemple l’existence de perspectives
concrètes et perceptibles d’emploi, ne lui permettent raisonnablement pas de refuser d’étendre la durée de l’exportation ?

2) Si cette question appelle une réponse négative, comment les États membres doivent-ils exercer la faculté que confère l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

26 Les questions préjudicielles portent sur l’interprétation du règlement no 883/2004, en particulier de l’article 64 de celui-ci, lequel régit les conditions dans lesquelles une personne en chômage complet qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent pour avoir droit aux prestations et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit aux prestations de chômage en espèces.

27 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal a trait à la conservation d’un droit à des prestations de chômage d’un ressortissant néerlandais qui s’est rendu non pas dans un autre État membre, mais dans un État tiers, à savoir la Confédération suisse, afin d’y chercher un emploi.

28 Aux termes de l’article 8 de l’accord CE-Suisse, les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II dudit accord, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer, notamment, la détermination de la législation applicable et le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes. Or, la section A, point 1, de l’annexe II de l’accord CE-Suisse prévoit l’application, entre les parties contractantes, du règlement no 883/2004.
Ainsi, et dès lors que, selon l’article 1er, paragraphe 2, de ladite annexe, « [l]e terme “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de cette annexe est réputé s’appliquer, outre [aux] États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse », les dispositions de ce règlement couvrent également la Confédération suisse.

29 Dans ces conditions, la situation du requérant au principal, ressortissant d’un État membre soumis à la législation néerlandaise relative aux prestations de chômage et se rendant en Suisse pour y chercher un emploi, relève du champ d’application du règlement no 883/2004.

Sur la première question

30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, imposant à l’institution compétente de refuser par principe toute demande d’extension de la période d’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois, à moins que ladite institution n’estime que le refus de cette demande conduirait à un
résultat déraisonnable.

31 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes des considérants 4 et 45 du règlement no 883/2004, celui-ci a pour objet de coordonner les systèmes de sécurité sociale en place dans les États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Ce règlement a procédé à la modernisation et à la simplification des règles contenues dans le règlement no 1408/71, tout en conservant le même objectif que ce dernier.

32 Ainsi qu’il ressort de l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, la personne au chômage complet qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent pour avoir droit aux prestations et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit aux prestations de chômage en espèces aux conditions et dans les limites que cette disposition énumère.

33 En particulier, l’article 64, paragraphe 1, sous c), premier membre de phrase, dudit règlement prévoit que le droit aux prestations « est » maintenu pendant une durée de trois mois à compter de la date à laquelle le chômeur a cessé d’être à la disposition des services de l’emploi de l’État membre qu’il a quitté, sans que la durée totale pour laquelle des prestations sont servies puisse excéder la durée totale des prestations auxquelles il a droit en vertu de la législation de cet État membre.
L’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du même règlement énonce, en revanche, que cette période de trois mois « peut » être étendue par les services ou les institutions compétents jusqu’à un maximum de six mois.

34 Selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 8 novembre 2016, Ognyanov, C‑554/14, EU:C:2016:835, point 31).

35 S’agissant des termes de l’article 64, paragraphe 1, sous c), premier membre de phrase, du règlement no 883/2004, il ressort sans équivoque de ceux-ci que le droit aux prestations de chômage est assuré pour une période de trois mois à une personne au chômage complet qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi. À cet égard, la Cour a déjà jugé, au sujet de l’article 69 du règlement no 1408/71, disposition antérieure à l’article 64 du règlement no 883/2004, que la première de
ces dispositions accordait au travailleur au chômage la faculté de se soustraire pour une période déterminée, afin de chercher du travail dans un autre État membre, à l’obligation, imposée par les diverses législations nationales, de se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent, sans pour autant perdre le droit aux prestations de chômage à l’égard de cet État (arrêts du 19 juin 1980, Testa e.a., 41/79, 121/79 et 796/79, EU:C:1980:163, point 4, ainsi que du 21 février
2002, Rydergård, C‑215/00, EU:C:2002:111, point 17).

36 Quant à l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004, celui-ci énonce que la période de trois mois en question « peut » être étendue par les services ou les institutions compétents jusqu’à un maximum de six mois.

37 À cet égard, ainsi que le relèvent les gouvernements néerlandais, danois, suédois et norvégien dans leurs observations écrites, il ressort de l’emploi du terme « peut » que le libellé de cette disposition n’impose pas aux institutions compétentes d’étendre jusqu’à un maximum de six mois la période au cours de laquelle les prestations de chômage perçues par une personne en chômage complet qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi sont maintenues.

38 Par ailleurs, ainsi que l’ensemble des parties intervenantes l’ont précisé au cours de l’audience, les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de cette disposition mettent en évidence, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 34 de ses conclusions, que la proposition initiale de la Commission visant à rendre obligatoire une période d’exportation d’une durée de six mois n’a pu recevoir l’assentiment du Conseil de l’Union européenne, les États membres s’étant, par la suite, finalement
accordés sur la formule que constitue l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004.

39 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004, il importe de relever, d’une part, que les prestations de chômage sont servies par l’institution compétente selon la législation qu’elle applique et à sa charge, conformément à l’article 64, paragraphe 1, sous d), de ce règlement.

40 D’autre part, il découle de l’article 64, paragraphe 2, dudit règlement que, si l’intéressé ne retourne pas dans l’État membre compétent à l’expiration ou avant la fin de la période pendant laquelle il a droit aux prestations en vertu de l’article 64, paragraphe 1, sous c), du même règlement, à savoir, trois mois ou, le cas échéant, si cette période est étendue par les institutions compétentes, jusqu’à un maximum de six mois, il perd tout droit à des prestations en vertu de la législation de
l’État membre compétent, lesdites institutions pouvant néanmoins, dans des cas exceptionnels, autoriser l’intéressé à retourner à une date ultérieure sans perte de son droit.

41 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, cette disposition permet notamment aux institutions compétentes d’étendre, dans des « cas exceptionnels », la période de trois mois pendant laquelle l’intéressé a droit aux prestations afin d’éviter que la perte de tout droit à des prestations en cas de retour tardif à l’expiration de cette période ne donne lieu à des résultats disproportionnés. Une telle possibilité confirme que la période d’exportation des prestations
de chômage peut être limitée à trois mois, les institutions compétentes n’étant pas tenues par l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004 de l’étendre jusqu’à un maximum de six mois.

42 Cette constatation est corroborée par la circonstance selon laquelle le règlement no 883/2004 ne fixe pas les conditions selon lesquelles une personne au chômage complet qui se rend dans un autre État membre afin d’y chercher un emploi peut bénéficier de la prolongation de ladite période au-delà de trois mois.

43 En ce qui concerne l’objectif poursuivi par le règlement no 883/2004, ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, ce règlement vise à coordonner les systèmes de sécurité sociale en place dans les États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation.

44 À cet égard, il y a lieu de rappeler que ce règlement n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Ledit règlement laisse ainsi subsister des régimes distincts engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes contre lesquelles le prestataire possède des droits directs en
vertu soit du seul droit interne, soit du droit interne complété si nécessaire par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 43, et du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 67).

45 En outre, il convient de relever que, sous l’empire du règlement no 1408/71, la Cour a déjà jugé que le droit au maintien des prestations de chômage pendant une période de trois mois contribue à assurer la libre circulation des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 1980, Testa e.a., 41/79, 121/79 et 796/79, EU:C:1980:163, point 14). Or, une telle conclusion s’impose également en ce qui concerne le règlement no 883/2004, dans la mesure où celui-ci, outre qu’il garantit l’exportation des
prestations de chômage pendant une période de trois mois, permet en plus la prolongation de cette période jusqu’à un maximum de six mois.

46 Il en résulte que l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 ne garantit l’exportation des prestations de chômage que pendant une période de trois mois, permettant, toutefois, en vertu du droit national, l’extension de ladite période jusqu’à un maximum de six mois.

47 Cette interprétation n’est pas remise en cause par le principe de la levée des clauses de résidence auquel fait référence la juridiction de renvoi dans le libellé de sa question préjudicielle, tel qu’il figure à l’article 7 du règlement no 883/2004.

48 En effet, il ressort de cet article, en particulier des termes « à moins que le [règlement no 883/2004] n’en dispose autrement », que ce règlement contient des dispositions spéciales dérogeant au principe de la levée des clauses de résidence. Tel est le cas de l’article 63 dudit règlement, intitulé « [d]ispositions spéciales concernant la levée des clauses de résidence », qui prévoit, s’agissant de la situation de la personne au chômage complet qui satisfait aux conditions requises par la
législation de l’État membre compétent pour avoir droit aux prestations et qui se rend dans un autre État membre, que la levée des clauses de résidence s’applique uniquement dans les cas prévus à l’article 64 du même règlement et dans les limites qui y sont fixées.

49 Ainsi que l’ont soutenu les gouvernements danois, suédois et norvégien lors de l’audience, il ressort clairement de la lecture combinée des articles 7 et 63 ainsi que de l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 que l’exportabilité des prestations de chômage de la personne en chômage complet qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi est assurée, d’une part, pendant la période de trois mois en vertu de l’article 64, paragraphe 1, sous c), premier membre de
phrase, de ce règlement et, d’autre part, le cas échéant, pendant la période ultérieure jusqu’à un maximum de six mois dans le cas où l’intéressé a bénéficié d’une extension de la période de trois mois en vertu de la législation nationale de l’État membre concerné.

50 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général en substance aux points 80 et 81 de ses conclusions, les disparités existant entre les régimes et les mesures des États membres ayant mis en œuvre la faculté visée à l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004 ne sauraient être considérées comme des restrictions à la libre circulation des travailleurs, dès lors que l’article 48 TFUE prévoit une coordination des législations des États membres, et non
leur harmonisation, les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque État membre, et, partant, dans les droits des personnes affiliées à ces régimes n’étant pas touchées par cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski, C‑208/07, EU:C:2009:455, point 84, ainsi que du 11 avril 2013, Jeltes e.a., C‑443/11, EU:C:2013:224, point 43).

51 En ce qui concerne les critères en vertu desquels l’institution compétente peut prolonger la période d’exportation des prestations de chômage jusqu’à un maximum de six mois, il y a lieu de souligner que, lorsque, comme dans la présente affaire, l’État membre concerné a exercé la faculté visée à l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004, il lui incombe, en l’absence de critères fixés par ce règlement, d’adopter, dans le respect du droit de l’Union, des
mesures nationales qui encadrent la marge d’appréciation de l’institution compétente, notamment en précisant les conditions dans lesquelles l’extension de la période d’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois et jusqu’à un maximum de six mois doit ou non être accordée à un chômeur qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi.

52 En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour ainsi que des précisions apportées par le gouvernement néerlandais lors de l’audience que le Royaume des Pays-Bas aurait, dans un premier temps, renoncé à exercer la faculté offerte à l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement no 883/2004, en vertu d’une instruction du ministre des Affaires sociales et de l’Emploi du mois de janvier 2011. Toutefois, dans un second temps, après que, par un jugement
du 2 octobre 2013 rendu dans l’affaire au principal, le Rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a considéré que le rejet d’une demande de prolongation au-delà de trois mois de l’exportation des prestations de chômage doit être motivé, l’Uwv aurait décidé, tout en maintenant le principe selon lequel une demande de cette nature ne saurait être accueillie, que des circonstances particulières propres à l’espèce concernée, notamment l’existence de perspectives concrètes et perceptibles d’emploi,
peuvent justifier qu’il soit fait droit à une telle demande. En particulier, ainsi qu’il ressort des indications contenues dans la décision de renvoi, l’Uwv considérerait que de telles circonstances se vérifient lorsque l’intéressé se trouve dans un processus susceptible d’aboutir à un emploi et qui requiert l’extension du séjour dans l’État membre d’accueil, ou que l’intéressé a fourni une déclaration d’intention de la part d’un employeur lui offrant une perspective réelle d’engagement dans
ledit État membre.

53 Dans de telles circonstances, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 78 de ses conclusions, un État membre reste dans les limites autorisées par le droit de l’Union s’il adopte des mesures aux termes desquelles l’extension de la période d’exportation des prestations de chômage jusqu’à six mois au maximum ne peut être accordée que lorsque certaines conditions sont satisfaites.

54 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que l’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, imposant à l’institution compétente de refuser par principe toute demande d’extension de la période d’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois, à moins que ladite institution
n’estime que le refus de cette demande conduirait à un résultat déraisonnable.

Sur la seconde question

55 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 64, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, imposant à l’institution compétente de refuser par principe toute demande d’extension de la période d’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois, à moins que ladite institution
n’estime que le refus de cette demande conduirait à un résultat déraisonnable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-551/16
Date de la décision : 21/03/2018
Type de recours : Recours préjudiciel, Recours préjudiciel - non-lieu à statuer

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Centrale Raad van Beroep.

Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Articles 7, 63 et 64 – Prestations de chômage – Chômeur se rendant dans un autre État membre – Maintien du droit aux prestations – Durée.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : J. Klein Schiphorst
Défendeurs : Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:200

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