ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
14 décembre 2017 ( *1 )
« Pourvoi – Dumping – Règlement (UE) no 502/2013 – Importations de bicyclettes originaires de Chine – Règlement (CE) no 1225/2009 – Article 18, paragraphe 1 – Coopération – Notion d’“informations nécessaires” – Article 9, paragraphe 5 – Demande de traitement individuel – Risque de contournement »
Dans l’affaire C‑61/16 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 4 février 2016,
European Bicycle Manufacturers Association (EBMA), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me L. Ruessmann, avocat, et M. J. Beck, solicitor,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Giant (China) Co. Ltd, établie à Kunshan (Chine), représentée par Me P. De Baere, avocat,
partie demanderesse en première instance,
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme H. Marcos Fraile, en qualité d’agent, assistée de M. B. O’Connor, solicitor, et de Me S. Gubel, avocat,
partie défenderesse en première instance,
Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland et M. França ainsi que par Mme A. Demeneix, en qualité d’agents,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, E. Juhász, Mme K. Jürimäe (rapporteur) et M. C. Lycourgos, juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mars 2017,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juillet 2017,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, l’European Bicycle Manufacturers Association (EBMA) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 novembre 2015, Giant (China)/Conseil (T‑425/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:896), par lequel celui-ci a annulé le règlement (UE) no 502/2013 du Conseil, du 29 mai 2013, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 990/2011 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire
de Chine à l’issue d’un réexamen intermédiaire au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1225/2009 (JO 2013, L 153, p. 17, ci-après le « règlement litigieux »), pour autant qu’il concernait Giant (China) Co. Ltd (ci-après « Giant »).
I. Le cadre juridique
2 À l’époque de l’enquête ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union européenne figuraient dans le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7, p. 22, ci-après le « règlement de base »).
3 Le considérant 28 du règlement de base énonçait :
« Il est nécessaire de prévoir que, à l’égard de parties qui ne coopèrent pas d’une manière satisfaisante, d’autres renseignements peuvent être utilisés aux fins des déterminations et que ces renseignements peuvent être moins favorables auxdites parties que dans le cas où elles auraient coopéré. »
4 L’article 2, paragraphe 7, de ce règlement disposait :
« a) Dans le cas d’importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché [...], la valeur normale est déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite, dans un pays tiers à économie de marché, du prix pratiqué à partir d’un tel pays tiers à destination d’autres pays, y compris la Communauté, ou, lorsque cela n’est pas possible, sur toute autre base raisonnable, y compris le prix effectivement payé ou à payer dans la Communauté pour le produit similaire, dûment ajusté, si
nécessaire, afin d’y inclure une marge bénéficiaire raisonnable.
Un pays tiers à économie de marché approprié est choisi d’une manière non déraisonnable, compte tenu de toutes les informations fiables disponibles au moment du choix. Il est également tenu compte des délais et, le cas échéant, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu.
Les parties à l’enquête sont informées rapidement après l’ouverture de celle-ci du pays tiers à économie de marché envisagé et disposent de dix jours pour présenter leurs commentaires.
b) Dans le cas d’enquêtes antidumping concernant les importations en provenance de la République populaire de Chine, du Viêt Nam et du Kazakhstan et de tout pays dépourvu d’une économie de marché qui est membre de l’[Organisation mondiale du commerce (OMC)] à la date d’ouverture de l’enquête, la valeur normale est déterminée conformément aux paragraphes 1 à 6, s’il est établi, sur la base de requêtes dûment documentées présentées par un ou plusieurs producteurs faisant l’objet de l’enquête et
conformément aux critères et aux procédures énoncés au point c), que les conditions d’une économie de marché prévalent pour ce ou ces producteurs, en ce qui concerne la fabrication et la vente du produit similaire concerné. Si tel n’est pas le cas, les règles du point a) s’appliquent.
[...] »
5 L’article 5 dudit règlement était libellé comme suit :
« [...]
10. L’avis d’ouverture de la procédure annonce l’ouverture d’une enquête, indique le produit et les pays concernés, fournit un résumé des informations reçues et prévoit que toute information utile doit être communiquée à la Commission ; il fixe le délai dans lequel les parties intéressées peuvent se faire connaître, présenter leur point de vue par écrit et communiquer des informations si ces points de vue et ces informations doivent être pris en compte au cours de l’enquête ; il précise
également le délai dans lequel les parties intéressées peuvent demander à être entendues par la Commission conformément à l’article 6, paragraphe 5.
11. La Commission avise les exportateurs, les importateurs ainsi que les associations représentatives des importateurs ou exportateurs notoirement concernés, de même que les représentants du pays exportateur et les plaignants, de l’ouverture de la procédure et, tout en veillant à protéger les informations confidentielles, fournit le texte intégral de la plainte écrite reçue conformément au paragraphe 1 aux exportateurs connus, aux autorités du pays exportateur et, à leur demande, aux autres
parties intéressées. Lorsque le nombre d’exportateurs concernés est particulièrement élevé, il convient plutôt de n’adresser le texte intégral de la plainte écrite qu’aux autorités du pays exportateur ou à l’association professionnelle concernée.
[...] »
6 L’article 6, paragraphe 2, du même règlement disposait :
« Les destinataires de questionnaires utilisés dans une enquête antidumping disposent d’au moins trente jours pour y répondre. Le délai pour les exportateurs commence à courir à compter de la date de réception du questionnaire, lequel est réputé avoir été reçu dans les sept jours suivant la date à laquelle il a été envoyé à l’exportateur ou transmis au représentant diplomatique approprié du pays exportateur. Une prorogation du délai de trente jours peut être accordée, compte tenu du délai fixé
pour l’enquête et sous réserve que la partie concernée indique une raison valable, en termes de circonstances particulières, pour bénéficier d’une telle prorogation. »
7 L’article 9, paragraphe 5, du règlement de base énonçait :
« Un droit antidumping dont le montant est approprié à chaque cas est imposé d’une manière non discriminatoire sur les importations d’un produit, de quelque source qu’elles proviennent, dont il a été constaté qu’elles font l’objet d’un dumping et causent un préjudice, à l’exception des importations en provenance des sources dont un engagement pris au titre du présent règlement a été accepté. Le règlement imposant le droit précise le montant du droit imposé à chaque fournisseur ou, si cela est
irréalisable et, en règle générale, dans les cas visés à l’article 2, paragraphe 7, point a), le nom du pays fournisseur concerné.
En cas d’application de l’article 2, paragraphe 7, point a), un droit individuel peut toutefois être déterminé pour les exportateurs dont il peut être démontré, sur la base de requêtes dûment documentées, que :
a) dans le cas d’entreprises contrôlées entièrement ou partiellement par des étrangers ou d’entreprises communes, les exportateurs sont libres de rapatrier les capitaux et les bénéfices ;
b) les prix à l’exportation, les quantités exportées et les modalités de vente sont décidés librement ;
c) la majorité des actions appartient à des particuliers. Les fonctionnaires d’état figurant dans le conseil d’administration ou occupant des postes clés de gestion sont en minorité ou la société est suffisamment indépendante de l’intervention de l’État ;
d) les opérations de change sont exécutées au taux du marché ; et
e) l’intervention de l’État n’est pas de nature à permettre le contournement des mesures si les exportateurs bénéficient de taux de droit individuels. »
8 L’article 18 de ce règlement prévoyait :
« 1. Lorsqu’une partie intéressée refuse l’accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par le présent règlement ou fait obstacle de façon significative à l’enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles. S’il est constaté qu’une partie concernée a fourni un renseignement faux ou trompeur, ce renseignement n’est pas pris en considération et il peut être fait usage des données
disponibles. Les parties intéressées doivent être informées des conséquences d’un défaut de coopération.
[...]
3. Lorsque les informations présentées par une partie concernée ne sont pas les meilleures à tous égards, elles ne doivent pas pour autant être ignorées, à condition que les insuffisances éventuelles ne rendent pas excessivement difficile l’établissement de conclusions raisonnablement correctes, que les informations soient fournies en temps utile, qu’elles soient contrôlables et que la partie ait agi au mieux de ses possibilités.
[...]
6. Si une partie concernée ne coopère pas ou ne coopère que partiellement et que, de ce fait, des renseignements pertinents ne sont pas communiqués, il peut en résulter pour ladite partie une situation moins favorable que si elle avait coopéré. »
II. Les antécédents du litige et le règlement litigieux
9 Durant l’année 1993, le Conseil de l’Union européenne a institué un droit antidumping définitif de 30,6 % sur les importations dans l’Union de bicyclettes originaires de Chine. Par la suite, ce droit antidumping a été maintenu au même niveau. Au cours de l’année 2005, ledit droit a été relevé à 48,5 % pour ensuite être maintenu à ce dernier niveau.
10 Le 9 mars 2012, la Commission a annoncé l’ouverture d’office d’un réexamen intermédiaire des mesures antidumping applicables aux importations de bicyclettes originaires de Chine, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base.
11 Quatre groupes de producteurs-exportateurs chinois ont déclaré avoir réalisé des exportations vers l’Union au cours de la période d’enquête, qui couvrait la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011. Parmi ces quatre groupes de producteurs-exportateurs figurait le groupe auquel appartient Giant (ci-après le « groupe Giant »), une société établie en Chine qui fabrique des bicyclettes destinées aux ventes intérieures et à l’exportation, y compris vers l’Union. L’actionnaire en
dernier ressort du groupe Giant est G.M., une société établie à Taïwan. La coentreprise Shanghai Giant & Phoenix Bicycle Co. Ltd (ci-après « GP »), qui est l’une des sociétés appartenant au groupe Giant, ayant cessé toute activité au mois de septembre 2011 et étant en liquidation, Giant a demandé à la Commission qu’elle soit exclue de l’enquête.
12 Le 15 mai 2012, la Commission a envoyé aux quatre groupes de producteurs-exportateurs cités au point précédent des formulaires de demande de statut de société opérant dans les conditions d’une économie de marché (ci-après la « SEM »), conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base. Dans la lettre qui lui était adressée, Giant a été informée que, si elle souhaitait obtenir le statut de SEM, chacune des sociétés liées situées en Chine devait remplir un formulaire de demande
de statut de SEM, y compris GP, étant donné que cette société produisait des bicyclettes et était le plus grand exportateur du groupe Giant vers l’Union au cours de la période d’enquête.
13 Le 4 juin 2012, Giant a soumis les formulaires de demande de statut de SEM pour six sociétés appartenant au groupe Giant, dont GP. Dans son formulaire de demande de statut de SEM, GP était présentée comme une coentreprise créée par une société établie à Taïwan, à savoir B.I., elle-même liée à G.M., et deux sociétés établies en Chine, S. G. et Jinshan Development and Construction (ci-après « Jinshan »). B. I. et Jinshan détenaient chacune 45 % des parts de GP et S. G. en détenait 10 %.
14 Par lettre du 14 juin 2012, la Commission a demandé des éclaircissements sur les relations entre le groupe Giant et Jinshan. Sur la base d’une évaluation préliminaire, la Commission a conclu que ce groupe était lié à Jinshan et que les principaux investissements de cette dernière portaient sur la fabrication et la vente de bicyclettes. Par conséquent, Giant a été informée qu’elle devait retourner le formulaire de demande de statut de SEM pour Jinshan et l’ensemble des sociétés appartenant à cette
société (ci-après le « groupe Jinshan »). En l’absence de ces formulaires, la Commission a indiqué qu’elle pourrait établir des conclusions sur la base de données disponibles, conformément à l’article 18 du règlement de base, et rejeter la demande de statut de SEM pour l’ensemble du groupe Giant.
15 Le 21 juin 2012, Giant a présenté des observations sur la lettre de la Commission du 14 juin 2012. Elle a notamment indiqué que, du fait qu’elle n’était que très indirectement liée à Jinshan par l’intermédiaire de GP et que Jinshan n’était pas un producteur du produit concerné, elle n’était pas tenue de présenter une demande de statut de SEM pour Jinshan.
16 Par lettre du 4 juillet 2012, la Commission a confirmé qu’elle considérait que Giant était effectivement liée à Jinshan et que, les entités du groupe Jinshan n’ayant pas rempli le formulaire de demande de statut de SEM, elle avait l’intention d’appliquer l’article 18 du règlement de base et de rejeter la demande de statut de SEM du groupe Giant. En outre, la Commission a réitéré sa demande à Giant de présenter des réponses au questionnaire antidumping pour l’ensemble des producteurs-exportateurs
de bicyclettes qui lui étaient liés, y compris ceux appartenant au groupe Jinshan.
17 Par lettre du 16 juillet 2012, Giant a une nouvelle fois indiqué que sa relation avec Jinshan n’était qu’indirecte et que cette dernière n’était, dès lors, pas tenue de remplir une demande de statut de SEM ni de compléter le questionnaire antidumping.
18 Le 20 juillet 2012, Giant a envoyé les réponses au questionnaire antidumping pour onze sociétés faisant partie du groupe Giant et participant à la production et à l’exportation du produit concerné, y compris GP, ainsi que pour six filiales de vente établies sur le territoire de l’Union.
19 Le 28 août 2012, au cours d’une audition tenue dans les locaux de la Commission, Giant a formulé des objections contre l’intention de la Commission d’appliquer l’article 18 du règlement de base dans le cadre de sa demande de statut de SEM en soutenant qu’il n’était ni nécessaire ni possible de présenter des demandes de statut de SEM, pas plus que des réponses au questionnaire pour les autres sociétés dans lesquelles Jinshan avait investi.
20 Le 23 octobre 2012, la Commission a informé Giant que, n’ayant pas reçu de demandes de statut de SEM pour les sociétés appartenant au groupe Jinshan, il lui était impossible d’examiner au fond sa demande de statut de SEM. En conséquence, la Commission a décidé d’appliquer l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base et de ne pas tenir compte des informations présentées par Giant relativement à sa demande de statut de SEM dans son ensemble.
21 Le 21 mars 2013, la Commission a informé Giant qu’elle avait l’intention d’appliquer l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base et d’établir ses conclusions sur la base des données disponibles également aux fins de la détermination du prix à l’exportation, étant donné que, en l’absence d’informations complètes sur toutes les parties liées à GP, il était impossible d’effectuer des calculs complets et fiables concernant le prix à l’exportation et donc de déterminer une marge individuelle de
dumping pour GP et, partant, pour le groupe Giant dans son ensemble.
22 Le 5 juin 2013, le Conseil a adopté le règlement litigieux. Ce règlement a maintenu le droit antidumping définitif de 48,5 % applicable à Giant.
23 Aux considérants 63 et 64 ainsi que 131 à 138 de ce règlement, le Conseil a, d’une part, confirmé qu’il faisait usage de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base et qu’il ne pouvait déterminer une marge individuelle de dumping pour le groupe Giant et, d’autre part, rejeté les arguments de Giant visant à démontrer qu’il n’existait aucun risque de contournement des mesures antidumping si une telle marge individuelle était calculée pour le groupe Giant.
III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
24 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 août 2013, Giant a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux, en tant qu’il la concerne.
25 À l’appui de son recours devant le Tribunal, Giant a invoqué huit moyens. Seuls la première branche du troisième moyen ainsi que les cinquième et septième moyens ont été examinés par le Tribunal. Ces moyens concernaient, en substance, d’une part, la notion d’« informations nécessaires », au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base et, d’autre part, la question de savoir si le refus d’octroyer un traitement individuel pouvait être fondé sur l’existence d’un risque de contournement.
26 Le Tribunal a accueilli lesdits moyens et constaté qu’il y avait lieu d’annuler le règlement litigieux pour autant qu’il concernait Giant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.
IV. Les conclusions des parties au pourvoi
27 L’EBMA demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer au fond et de rejeter le recours en annulation ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond du recours en annulation, et
– de condamner Giant aux dépens encourus aux fins du pourvoi et de l’intervention devant le Tribunal.
28 Giant demande à la Cour :
– de déclarer le pourvoi manifestement irrecevable et/ou manifestement dépourvu de fondement et, par conséquent, de rejeter le pourvoi dans son intégralité par voie d’ordonnance motivée, en application de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour ;
– en toute hypothèse, de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable et/ou dépourvu de fondement, et
– de condamner l’EBMA aux dépens de la présente procédure.
29 Le Conseil et la Commission demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer au fond et de rejeter le recours en annulation ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond du recours en annulation, et
– de condamner Giant aux dépens exposés devant le Tribunal et la Cour.
V. Sur le pourvoi
30 L’EBMA invoque trois moyens. Les premier et deuxième moyens sont tirés d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 18 du règlement de base. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal a considéré qu’il n’y aurait pas de risque de contournement si Giant bénéficiait d’un droit antidumping individuel.
31 Giant considère que ces trois moyens sont irrecevables.
A. Sur la recevabilité
32 Giant excipe de l’irrecevabilité du pourvoi, en ce que les trois moyens soulevés par l’EBMA portent sur l’appréciation des faits, qui échappe au contrôle de la Cour, sans qu’aucune dénaturation des faits ou des éléments de preuve ait été invoquée.
33 À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour en vertu de laquelle il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou
apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise,
comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 29, ainsi que ordonnances du 29 novembre 2012, Dimos Peramatos/Commission, C‑647/11 P, non publiée, EU:C:2012:764, point 28, et du 9 février 2017, Syndial/Commission, C‑410/16 P, non publiée, EU:C:2017:112, point 9).
34 Par les arguments qu’elle invoque au soutien des premier et deuxième moyens, l’EBMA reproche, en substance, au Tribunal, premièrement, d’avoir fait preuve d’une compréhension erronée de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, deuxièmement, d’avoir procédé à une application erronée de cette disposition dans le cadre de l’appréciation de la coopération de Giant, troisièmement, d’avoir imposé à la Commission une charge excessive en lui demandant de démontrer en quoi les informations
qu’elle souhaitait obtenir en ce qui concerne les sociétés liées étaient « nécessaires » et, quatrièmement, d’avoir procédé à une substitution de motifs.
35 Dans le cadre du troisième moyen, l’EBMA fait grief au Tribunal d’avoir considéré que le Conseil ne pouvait pas invoquer le risque de contournement pour justifier le refus d’appliquer un droit antidumping individuel à Giant.
36 Si certains arguments de l’EBMA mettent en cause des appréciations factuelles opérées par le Tribunal, ces trois moyens soulèvent, toutefois, des questions relatives à l’interprétation des règles de droit à laquelle celui-ci s’est livré et portent donc sur des questions de droit susceptibles d’être soumises à l’appréciation de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
37 Dès lors, l’exception d’irrecevabilité du pourvoi soulevée par Giant ne saurait être accueillie.
B. Sur les premier et deuxième moyens
1. Argumentation des parties
38 Les premier et deuxième moyens concernent les points 56 à 78 de l’arrêt attaqué.
39 Dans le cadre du premier moyen, l’EBMA, soutenue par le Conseil et la Commission, fait valoir que le Tribunal a erronément considéré que la question qui se posait en l’espèce était celle de l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base au prix à l’exportation de Giant, alors que, dans le règlement litigieux, le Conseil a appliqué cette disposition globalement au groupe Giant parce qu’il ne disposait pas d’informations complètes et exhaustives concernant les sociétés liées. Ce
faisant, le Tribunal aurait fait preuve d’une compréhension erronée de l’article 18, paragraphes 1 et 3, de ce règlement.
40 À cet égard, l’EBMA précise que, en vertu de ces dispositions, les institutions de l’Union peuvent recourir aux données disponibles de trois manières, à savoir, premièrement, globalement, en ce qui concerne toutes les informations et données fournies par une partie, deuxièmement, en ce qui concerne un ensemble complet d’informations ou de données, par exemple une demande de traitement individuel, ou, troisièmement, en ce qui concerne certains aspects d’un ensemble d’informations ou de données,
par exemple les commissions sur les ventes à l’exportation. Dans les deuxième et troisième cas de figure, les institutions de l’Union remplaceraient uniquement les informations ou les données rejetées et utiliseraient les autres informations ou données. Dans le premier cas de figure, les institutions rejetteraient l’intégralité des informations et des données fournies.
41 Dans le cadre du deuxième moyen, l’EBMA, soutenue par le Conseil et la Commission, considère, premièrement, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’analyse de l’existence d’un défaut de coopération, au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base. En effet, le raisonnement du Tribunal serait basé sur un postulat erroné, à savoir que les informations et les données fournies par Giant ne serviraient qu’à permettre aux institutions de l’Union d’établir le prix à
l’exportation. Dans une première phase, les informations requises correspondraient au minimum de base indispensable pour permettre à ces institutions d’obtenir un tableau complet et exact du groupe Giant ainsi que de ses sociétés liées. Or, les données fournies par Giant n’auraient pas été suffisantes pour établir un tel tableau. Deuxièmement, l’EBMA fait valoir que le Tribunal a imposé, à tort, à la Commission une charge excessive en lui demandant de démontrer en quoi les informations qu’elle
souhaitait obtenir en ce qui concerne les sociétés liées étaient nécessaires. Troisièmement, l’EBMA estime que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont jouissent le Conseil et la Commission dans les procédures antidumping, le Tribunal ne saurait se substituer au Conseil en jugeant que ses conclusions sont tirées de preuves partielles.
42 Giant conteste le bien-fondé de ces moyens.
2. Appréciation de la Cour
43 Par ses premier et deuxième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, l’EBMA fait valoir, d’une part, que le Tribunal a erronément interprété et appliqué l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base. D’autre part, l’EBMA fait valoir, en substance, que le Tribunal a illégalement substitué sa propre appréciation à celle du Conseil.
a) Sur l’erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base
1) Sur l’interprétation de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base
44 L’EBMA estime, en substance, que la conclusion du Tribunal, figurant notamment au point 77 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le Conseil a violé l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base en recourant aux données disponibles pour le calcul du prix à l’exportation, repose sur une erreur d’interprétation de cette disposition.
45 Selon l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, les institutions de l’Union peuvent recourir aux données disponibles afin d’établir des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, notamment lorsqu’une partie intéressée refuse l’accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par ce règlement.
46 Le règlement de base ne comprend pas de définition de la notion d’« informations nécessaires ». Il s’ensuit que, afin de déterminer la portée de l’article 18, paragraphe 1, de ce règlement, il convient de tenir compte à la fois de ses termes, de son contexte et de ses finalités (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, Changshu City Standard Parts Factory et Ningbo Jinding Fastener/Conseil, C‑376/15 P et C‑377/15 P, EU:C:2017:269, point 52 ainsi que jurisprudence citée).
47 En premier lieu, en ce qui concerne le libellé de l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement, l’adjectif « nécessaire » renvoie, dans son sens usuel, à ce qui est exigé ou indispensable pour atteindre un but donné. Ainsi, seules les informations sans lesquelles l’enquête antidumping ne peut être menée à son terme peuvent être considérées comme « nécessaires », au sens de cette disposition.
48 En outre, ladite disposition précise que les données disponibles, auxquelles les institutions de l’Union peuvent avoir recours lorsqu’une partie intéressée omet de fournir les informations nécessaires, doivent servir à établir des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives.
49 Il s’ensuit que des informations sont considérées comme étant « nécessaires » dès lors qu’elles permettent, dans une enquête donnée, d’établir de telles conclusions. Étant donné qu’un élément d’information peut permettre d’établir lesdites conclusions dans une enquête et être inutile dans une autre enquête, il y a lieu de considérer que l’appréciation permettant de déterminer si un élément d’information donné constitue ou non une « information nécessaire », au sens de l’article 18, paragraphe 1,
du règlement de base, doit être effectuée compte tenu des circonstances spécifiques de chaque enquête, et non dans l’abstrait.
50 En deuxième lieu, s’agissant du contexte de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, il y a lieu de relever que l’article 5, paragraphe 10, de ce règlement dispose que l’avis d’ouverture de la procédure antidumping, qui doit être publié par la Commission, fixe le délai dans lequel les parties intéressées peuvent se faire connaître, présenter leur point de vue par écrit et communiquer des informations, si ces points de vue et ces informations doivent être pris en compte au cours de
l’enquête antidumping. En outre, l’article 5, paragraphe 11, dudit règlement prévoit que la Commission avise notamment les exportateurs, les importateurs ainsi que les associations représentatives des importateurs ou des exportateurs notoirement concernés de l’ouverture de cette enquête. De plus, il découle de l’article 6, paragraphe 2, du même règlement qu’un questionnaire est préparé par les services de la Commission, aux fins d’obtenir les renseignements nécessaires à ladite enquête. Ce
questionnaire est transmis aux parties intéressées, qui disposent, en principe, de 30 jours pour y répondre.
51 Il ressort donc de l’article 5, paragraphes 10 et 11, ainsi que de l’article 6, paragraphe 2, du règlement de base que les parties intéressées sont tenues de fournir aux services de la Commission les informations qui lui permettront de mener à bien l’enquête antidumping. Partant, lue à la lumière de ces dispositions, la notion d’« informations nécessaires », visée à l’article 18, paragraphe 1, de ce règlement, renvoie à ces mêmes informations.
52 En outre, il découle de l’article 18, paragraphes 3 et 6, du règlement de base que les renseignements que les parties intéressées sont tenues de fournir à la Commission doivent être utilisés par les institutions de l’Union aux fins de l’établissement des conclusions de l’enquête antidumping et que ces mêmes parties ne doivent pas omettre de renseignements pertinents. Dès lors qu’un élément d’information particulier peut jouer un rôle décisif dans une enquête et ne pas être pertinent dans une
autre, il découle de l’article 18, paragraphes 3 et 6, de ce règlement que le caractère « nécessaire » d’un élément d’information donné s’apprécie au cas par cas.
53 Partant, l’analyse du contexte de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base corrobore l’interprétation de la notion d’« informations nécessaires » telle que dégagée à l’issue de l’analyse littérale de cette disposition. Ainsi, des informations sont considérées comme « nécessaires », au sens de ladite disposition, si elles sont de nature à permettre aux institutions de l’Union d’établir les conclusions qui s’imposent dans le cadre de l’enquête antidumping, l’appréciation du caractère
« nécessaire » d’une information s’effectuant au cas par cas.
54 En troisième lieu, la définition de la notion d’« informations nécessaires » doit tenir compte de l’objectif de l’article 18 du règlement de base. À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 50 de ses conclusions, c’est à la Commission qu’il incombe, en tant qu’autorité investigatrice, d’établir l’existence d’un dumping, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les importations faisant l’objet d’un dumping et le préjudice. Toutefois, aucune disposition du règlement de
base ne confère à la Commission le pouvoir de contraindre les parties intéressées à participer à l’enquête ou à produire des renseignements. La Commission est donc tributaire de la coopération volontaire de ces parties pour lui fournir les informations nécessaires (voir, par analogie, arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, points 31 et 32).
55 Dans ce contexte, il découle du considérant 28 du règlement de base que le législateur de l’Union a entendu prévoir que, à l’égard de parties qui ne coopèrent pas d’une manière satisfaisante, d’autres renseignements peuvent être utilisés aux fins des déterminations et que ces renseignements peuvent être moins favorables auxdites parties que dans le cas où elles auraient coopéré. Ainsi, l’objectif de l’article 18 du règlement de base est de permettre à la Commission de poursuivre l’enquête quand
bien même les parties intéressées refuseraient de coopérer ou coopéreraient de manière insuffisante.
56 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 53 et 54 de ses conclusions, étant donné que les parties intéressées sont tenues de coopérer au mieux de leurs possibilités, ces parties doivent fournir toutes les informations dont elles disposent et que les institutions de l’Union estiment nécessaires afin d’établir leurs conclusions.
57 Il découle ainsi des termes, du contexte et de la finalité de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base que la notion d’« informations nécessaires » renvoie aux renseignements détenus par les parties intéressées que les institutions de l’Union leur demandent de fournir afin d’établir les conclusions qui s’imposent dans le cadre de l’enquête antidumping.
58 C’est au regard de la notion d’« informations nécessaires », telle que définie au point précédent, qu’il convient de vérifier si le Tribunal a commis une erreur de droit, dans le cadre de l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, en considérant que le Conseil avait, à tort, recouru aux données disponibles pour le calcul du prix à l’exportation.
2) Sur l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base par le Tribunal
59 En premier lieu, en ce qui concerne l’argument tiré du postulat erroné sur lequel le Tribunal se serait fondé, il importe de relever que l’EBMA considère, en substance, que le Tribunal a mal compris le règlement litigieux. Il aurait erronément considéré que la question qui se posait en l’espèce était celle de l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base au prix à l’exportation de Giant, alors que, dans le règlement litigieux, le Conseil aurait appliqué cette disposition
globalement au groupe Giant parce qu’il ne disposait pas d’informations complètes concernant les sociétés liées.
60 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 67 de ses conclusions, le Conseil a indiqué, au considérant 131 du règlement litigieux, que l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base avait été appliqué pour déterminer le prix à l’exportation. En outre, il ressort notamment du point 52 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a entendu répondre à l’argument de Giant selon lequel, contrairement à ce que le Conseil affirmait dans le règlement litigieux, les informations demandées par
la Commission concernant les sociétés du groupe Jinshan n’étaient pas nécessaires pour le calcul d’un prix à l’exportation fiable et, partant, pour la détermination d’une marge de dumping individuelle. Enfin, au point 23 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a mentionné un courrier de la Commission, adressé à Giant, daté du 21 mars 2013, dans lequel cette institution a informé cette dernière qu’elle avait l’intention d’appliquer cette disposition aux fins de la détermination du prix à l’exportation.
61 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’argument selon lequel le Tribunal se serait fondé sur un postulat erroné en considérant que la question qui se posait en l’espèce était celle de l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base au prix à l’exportation.
62 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’appréciation du Tribunal relative à la coopération de Giant, ainsi qu’il a été observé au point 57 du présent arrêt, la notion d’« informations nécessaires » vise des renseignements de nature à permettre aux institutions de l’Union d’établir les conclusions qui s’imposent dans le cadre de l’enquête antidumping.
63 En l’espèce, le Tribunal a vérifié, aux points 63 à 69 de l’arrêt attaqué, si les informations relatives aux sociétés du groupe Jinshan, que les institutions de l’Union souhaitaient obtenir afin, notamment, de déterminer le prix à l’exportation de Giant, étaient susceptibles d’influencer cette détermination. Au point 74 de l’arrêt attaqué, il a conclu que ces informations étaient dépourvues de pertinence dans le cadre du calcul du prix à l’exportation.
64 Dans ces conditions, eu égard à la définition de la notion d’« informations nécessaires » établie au point 57 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 77 de l’arrêt attaqué, que le Conseil avait violé l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, en recourant aux données disponibles pour le calcul du prix à l’exportation.
65 En troisième lieu, l’argument tiré de ce que le Tribunal a imposé une charge excessive aux institutions de l’Union en leur demandant de démontrer en quoi les informations dont elles souhaitaient la communication étaient « nécessaires » ne saurait prospérer. En effet, il découle notamment des points 54 et 57 du présent arrêt que c’est à ces institutions qu’incombe la charge d’établir la preuve de l’existence d’un dumping, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les importations faisant
l’objet d’un dumping et ce préjudice et, partant, également, le caractère « nécessaire » d’une information pour parvenir aux conclusions qui s’imposent dans le cadre de l’enquête antidumping.
66 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’argument de l’EBMA selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, comme étant non fondé.
b) Sur l’argument tiré de ce que le Tribunal se serait illégalement substitué aux institutions de l’Union
67 L’EBMA fait valoir que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont jouissent les institutions de l’Union dans les procédures antidumping, le Tribunal ne saurait se substituer à ces institutions en jugeant que les conclusions sont tirées de preuves partielles. Le Tribunal aurait ainsi méconnu ce large pouvoir d’appréciation et outrepassé son pouvoir de contrôle juridictionnel.
68 À cet égard, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner. Quant au contrôle juridictionnel d’une telle appréciation, il doit ainsi être limité à la vérification du respect des
règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (arrêt du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, EU:C:2012:78, point 63 ainsi que jurisprudence citée).
69 En outre, la Cour a jugé que le contrôle par le Tribunal des éléments de preuve sur lesquels les institutions de l’Union fondent leurs constatations ne constitue pas une nouvelle appréciation des faits remplaçant celle de ces institutions. Ce contrôle n’empiète pas sur le large pouvoir d’appréciation de ces institutions dans le domaine de la politique commerciale, mais se limite à relever si ces éléments sont de nature à étayer les conclusions tirées par les institutions. Il appartient, dès lors,
au Tribunal non seulement de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à fonder les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 89 ainsi que
jurisprudence citée).
70 Or, ainsi qu’il ressort du point 63 du présent arrêt, le Tribunal s’est contenté de contrôler le respect par le Conseil de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, sur le fondement des éléments factuels qui lui avaient été soumis. Il a considéré que, dans la situation particulière de l’espèce, cette institution ne pouvait pas recourir aux données disponibles pour déterminer le prix à l’exportation de Giant dans la mesure où, d’une part, les renseignements fournis par Giant permettaient
d’exclure le caractère nécessaire des informations relatives aux sociétés du groupe Jinshan aux fins du calcul de ce prix à l’exportation et, d’autre part, ladite institution n’avait pas été en mesure de préciser quelle information additionnelle relative à ces sociétés aurait pu se révéler nécessaire pour le calcul dudit prix à l’exportation.
71 Ce faisant, le Tribunal n’a pas outrepassé les limites du contrôle juridictionnel qu’il est tenu d’effectuer au regard de la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt.
72 Il résulte de ce qui précède que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés comme étant non fondés.
C. Sur le troisième moyen
1. Argumentation des parties
73 Par son troisième moyen, l’EBMA, soutenue par le Conseil, conteste les points 79 à 91 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a considéré que le Conseil ne pouvait pas invoquer le risque de contournement pour justifier le refus d’appliquer un droit antidumping individuel à Giant.
74 L’EBMA considère, premièrement, que le Tribunal s’est fondé, erronément, sur la prémisse selon laquelle l’affaire porte sur la détermination du prix à l’exportation. Ce serait sur la base de cette prémisse erronée que le Tribunal a estimé, aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, que les institutions de l’Union ne sauraient invoquer le risque de contournement dès lors qu’elles n’ont pas appliqué l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base et qu’elles n’ont invoqué aucune autre disposition de
ce règlement prévoyant que l’existence d’un risque de contournement puisse justifier le refus d’accorder un droit antidumping individuel à un producteur-exportateur.
75 Deuxièmement, dans le cas de sociétés liées, comme les groupes Giant et Jinshan, il existerait toujours un risque de contournement si une entité liée obtient un droit antidumping plus bas qu’une autre entité du même groupe. Ce serait la raison pour laquelle la pratique établie de l’Union consiste à appliquer des droits antidumping au niveau du groupe et non au niveau de l’entité. Partant, le point 83 de l’arrêt attaqué, qui se réfère au risque théorique de contournement entre entreprises non
liées, serait fondamentalement vicié et erroné en droit, le contournement étant plus probable et plus difficile à déceler entre sociétés liées. En outre, le point 84 de cet arrêt manquerait de pertinence. En effet, les rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends de l’OMC qui y sont cités porteraient sur la conformité de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base avec l’article 9.2 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103).
76 Troisièmement, en ce qui concerne les points 85 à 89 de l’arrêt attaqué, l’EBMA relève qu’il ne saurait être exclu que les groupes Giant et Jinshan étaient liés pendant la période d’enquête d’une manière qui dépasse ce qui ressort des réponses au questionnaire de Giant et des états financiers de Jinshan.
77 Giant conteste le bien-fondé de ces arguments.
2. Appréciation de la Cour
78 Par son troisième moyen, l’EBMA reproche au Tribunal d’avoir considéré, aux points 79 à 91 de l’arrêt attaqué, que le Conseil ne pouvait pas invoquer le risque de contournement pour justifier le refus d’appliquer un droit antidumping individuel à Giant.
79 En premier lieu, l’EBMA met en cause les points 81 et 82 de l’arrêt attaqué. Au point 81 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé la teneur de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base. Au point 82 dudit arrêt, il a considéré que l’existence d’un risque de contournement ne pouvait pas être invoquée par le Conseil pour justifier le refus d’octroyer un droit antidumping individuel dès lors que, d’une part, cette disposition n’avait pas été prise en considération lors de l’examen de la situation de
Giant et, d’autre part, aucune autre disposition du règlement de base prévoyant la prise en compte du risque de contournement n’avait été invoquée.
80 L’EBMA fait valoir que lesdits points de l’arrêt attaqué reposent sur la prémisse erronée selon laquelle l’affaire porte sur la détermination du prix à l’exportation. Or, ainsi qu’il ressort des points 60 et 61 du présent arrêt, le Conseil a effectivement appliqué l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base à la détermination du prix à l’exportation, ce qui a été contesté par Giant tant dans le cadre de l’enquête antidumping que devant le Tribunal.
81 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument tiré de ladite prémisse erronée comme étant non fondé.
82 En deuxième lieu, l’EBMA met en cause les points 83 et 84 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal a indiqué que le Conseil ne pouvait pas se fonder sur un risque seulement hypothétique de contournement. Le Tribunal a également fait référence, à cet égard, à certains rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends de l’OMC.
83 Selon l’EBMA, le raisonnement du Tribunal, auxdits points, est vicié dès lors que, dans le cas de sociétés liées, il existe toujours un risque de contournement.
84 Cet argument ne saurait prospérer. En effet, quand bien même le risque de contournement des mesures antidumping serait plus élevé s’agissant d’exportateurs liés auxquels des droits antidumping d’un niveau différent pourraient être imposés, les institutions de l’Union sont néanmoins tenues de démontrer que, eu égard aux circonstances propres à l’enquête concernée, ce risque est avéré.
85 Ainsi que l’a relevé, à juste titre, le Tribunal, au point 83 de l’arrêt attaqué, toute autre interprétation laisserait l’octroi d’un droit individuel à la seule discrétion des institutions de l’Union.
86 Au demeurant, cette interprétation est confirmée par les termes de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, selon lesquels un droit antidumping individuel peut être déterminé pour les exportateurs dont il peut être démontré, sur la base de requêtes dûment documentées, que, notamment, l’intervention de l’État n’est pas de nature à permettre le contournement des mesures antidumping. Il s’ensuit que l’absence de risque de contournement, tout comme l’existence d’un tel risque, ne saurait être
présumée.
87 En troisième lieu, en ce qui concerne les points 85 à 89 de l’arrêt attaqué, l’EBMA estime qu’il ne saurait être exclu que les groupes Giant et Jinshan étaient liés pendant la période d’enquête.
88 Aux points 85 à 89 de cet arrêt, le Tribunal a démontré que les informations dont disposaient les institutions de l’Union, lors de l’adoption du règlement litigieux, étaient suffisantes pour conclure à l’absence de risque de contournement entre le groupe Giant et le groupe Jinshan.
89 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 108 de ses conclusions, si l’EBMA affirme qu’un lien entre les groupes Giant et Jinshan ne saurait être exclu, il ne remet toutefois pas en question les éléments avancés aux points 86 à 89 dudit arrêt, sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour conclure à l’absence d’un tel lien.
90 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’argument tiré de ce que, contrairement à ce qu’a estimé le Tribunal, il ne saurait être exclu que les groupes Giant et Jinshan étaient liés pendant la période d’enquête ainsi que le troisième moyen, dans son ensemble, comme étant non fondés.
91 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
92 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphes 1 et 2, du même règlement, rendu applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose, d’une part, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens et, d’autre part, que la Cour décide du partage des dépens si plusieurs parties succombent.
93 Giant ayant conclu à la condamnation aux dépens de l’EBMA et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux de Giant. Le Conseil ayant succombé, il supportera ses propres dépens.
94 Conformément à l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, si une partie intervenante en première instance a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour, celle-ci peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.
95 Par conséquent, la Commission supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) L’European Bicycle Manufacturers Association (EBMA) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux de Giant (China) Co. Ltd.
3) Le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.