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14/12/2017 | CJUE | N°C-243/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Antonio Miravitlles Ciurana e.a. contre Contimark SA et Jordi Socias Gispert., 14/12/2017, C-243/16


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 décembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droit des sociétés – Directive 2009/101/CE – Articles 2 et 6 à 8 – Directive 2012/30/UE – Articles 19 et 36 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 20, 21 et 51 – Recouvrement de créances découlant d’un contrat de travail – Droit d’exercer, devant la même juridiction, une action contre la société et son administrateur, en sa qualité de responsable et codébiteur solidaire des dettes de la société »

Dans

l’affaire C‑243/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introdui...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 décembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droit des sociétés – Directive 2009/101/CE – Articles 2 et 6 à 8 – Directive 2012/30/UE – Articles 19 et 36 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 20, 21 et 51 – Recouvrement de créances découlant d’un contrat de travail – Droit d’exercer, devant la même juridiction, une action contre la société et son administrateur, en sa qualité de responsable et codébiteur solidaire des dettes de la société »

Dans l’affaire C‑243/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social n. 30 de Barcelona (tribunal du travail no 30 de Barcelone, Espagne), par décision du 14 avril 2016, parvenue à la Cour le 27 avril 2016, dans la procédure

Antonio Miravitlles Ciurana,

Alberto Marina Lorente,

Jorge Benito García,

Juan Gregorio Benito García

contre

Contimark SA,

Jordi Socías Gispert,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, E. Juhász, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2017,

considérant les observations présentées :

– pour M. Marina Lorente, par Me J. García Vicente, abogado,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. J. Rius et H. Støvlbæk, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 6 à 8 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, [CE], pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO 2009, L 258, p. 11), des articles 19 et 36 de la directive 2012/30/UE du Parlement européen et
du Conseil, du 25 octobre 2012, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, [TFUE], en vue de la protection tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 2012, L 315, p. 74), ainsi que des articles 20, 21 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
(ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Antonio Miravitlles Ciurana, Alberto Marina Lorente, Jorge Benito García et Juan Gregorio Benito García à Contimark SA ainsi que son administrateur, M. Jordi Socías Gispert, au sujet du recouvrement d’arriérés de salaires et d’autres indemnités que cette société a été condamnée à payer aux premiers.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2009/101

3 La directive 2009/101 a été abrogée par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 69, p. 46). À la date des faits afférents au litige au principal, la directive 2009/101 demeurait applicable.

4 Les considérants 1 et 2 de la directive 2009/101 énonçaient :

« (1) La [première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO 1968, L 65, p. 8)] a été modifiée à plusieurs reprises et de façon substantielle [...]. Il convient, dans un souci de clarté et de rationalité, de procéder à la codification de ladite directive.

(2) La coordination des dispositions nationales concernant la publicité, la validité des engagements des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée et la nullité de celles-ci revêt une importance particulière, notamment en vue d’assurer la protection des intérêts des tiers. »

5 L’article 2 de cette directive disposait :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la publicité obligatoire relative aux sociétés visées à l’article 1er porte au moins sur les actes et indications suivants :

a) l’acte constitutif, et les statuts s’ils font l’objet d’un acte séparé ;

b) les modifications des actes mentionnés au point a), y compris la prorogation de la société ;

c) après chaque modification de l’acte constitutif ou des statuts, le texte intégral de l’acte modifié dans sa rédaction mise à jour ;

d) la nomination, la cessation des fonctions ainsi que l’identité des personnes qui, en tant qu’organe légalement prévu, ou membres de tel organe

i) ont le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers et de la représenter en justice ; les mesures de publicité doivent préciser si les personnes qui ont le pouvoir d’engager la société peuvent le faire seules ou doivent le faire conjointement,

ii) participent à l’administration, à la surveillance ou au contrôle de la société ;

e) au moins annuellement, le montant du capital souscrit, lorsque l’acte constitutif ou les statuts mentionnent un capital autorisé, à moins que toute augmentation du capital souscrit n’entraîne une modification des statuts ;

f) les documents comptables de chaque exercice, dont la publication est obligatoire en vertu [de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g) du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO 1978, L 222, p. 11), de la septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité, concernant les comptes consolidés (JO 1983, L 193, p. 1), de la
directive 86/635/CEE du Conseil, du 8 décembre 1986, concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établissements financiers (JO 1986, L 372, p. 1) et de la directive 91/674/CEE du Conseil, du 19 décembre 1991, concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises d’assurance (JO 1991, L 374, p. 7)] ;

g) tout transfert du siège social ;

h) la dissolution de la société ;

i) la décision judiciaire prononçant la nullité de la société ;

j) la nomination et l’identité des liquidateurs ainsi que leurs pouvoirs respectifs, à moins que ces pouvoirs ne résultent expressément et exclusivement de la loi ou des statuts ;

k) la clôture de la liquidation et la radiation du registre dans les États membres où celle-ci entraîne des effets juridiques. »

6 Aux termes de l’article 6 de ladite directive :

« Chaque État membre détermine les personnes tenues d’accomplir les formalités de publicité ».

7 L’article 7 de la même directive était libellé comme suit :

« Les États membres prévoient des sanctions appropriées au moins en cas :

a) de défaut de publicité des documents comptables telle qu’elle est prescrite à l’article 2, point f) ;

b) d’absence, sur les documents commerciaux ou sur tout site internet de la société, des indications obligatoires prévues à l’article 5. »

8 L’article 8 de la directive 2009/101 prévoyait :

« Si des actes ont été accomplis au nom d’une société en formation, avant l’acquisition par celle-ci de la personnalité morale, et si la société ne reprend pas les engagements résultant de ces actes, les personnes qui les ont accomplis en sont solidairement et indéfiniment responsables, sauf convention contraire. »

La directive 2012/30

9 La directive 2012/30 a également été abrogée par la directive 2017/1132. À la date des faits afférents au litige au principal, la directive 2012/30 demeurait applicable.

10 Le considérant 3 de la directive 2012/30 énonçait :

« Pour assurer une équivalence minimale dans la protection tant des actionnaires que des créanciers de ces sociétés, il importe tout particulièrement de coordonner les dispositions nationales concernant leur constitution, ainsi que le maintien, l’augmentation et la réduction de leur capital. »

11 L’article 19 de cette directive disposait :

« 1.   En cas de perte grave du capital souscrit, l’assemblée générale doit être convoquée dans un délai fixé par les législations des États membres afin d’examiner s’il y a lieu de dissoudre la société ou d’adopter toute autre mesure.

2.   La législation d’un État membre ne peut pas fixer à plus de la moitié du capital souscrit le montant de la perte considérée comme grave au sens du paragraphe 1. »

12 Aux termes de l’article 36 de ladite directive :

« 1.   En cas de réduction du capital souscrit, au minimum les créanciers dont les créances sont nées avant la publication de la décision de réduction ont au moins le droit d’obtenir une sûreté pour les créances non encore échues au moment de cette publication. Les États membres ne peuvent écarter ce droit que si le créancier dispose de garanties adéquates ou si ces garanties ne sont pas nécessaires, compte tenu du patrimoine de la société.

Les États membres fixent les conditions d’exercice du droit prévu au premier alinéa. En tout état de cause, les États membres veillent à ce que les créanciers soient autorisés à saisir l’autorité administrative ou judiciaire compétente pour obtenir des garanties adéquates, dès lors qu’ils peuvent démontrer, de manière crédible, que cette réduction du capital souscrit compromet leur désintéressement et que la société ne leur a pas fourni de garanties adéquates.

2.   En outre, les législations des États membres prévoient au moins que la réduction sera sans effet ou qu’aucun paiement ne pourra être effectué au profit des actionnaires, tant que les créanciers n’auront pas obtenu satisfaction ou qu’un tribunal n’aura pas décidé qu’il n’y a pas lieu de faire droit à leur requête.

3.   Le présent article s’applique lorsque la réduction du capital souscrit s’opère par dispense totale ou partielle du versement du solde des apports des actionnaires. »

Le droit espagnol

13 L’article 236 de la Ley de Sociedades de Capital (loi sur les sociétés de capitaux), approuvée par le Real Decreto Legislativo 1/2010 (Décret Royal législatif no 1/2010), du 2 juillet 2010 (ci-après la « loi sur les sociétés »), intitulé « Cas de responsabilité et extension subjective de responsabilité », dispose :

« 1.   Les administrateurs répondent à l’égard de la société, des associés et des créanciers de la société du dommage qu’ils causent par leurs actions ou par leurs omissions contraires à la loi ou aux statuts, ou qui résultent de la méconnaissance des devoirs inhérents à leur fonction [...]

2.   L’adoption, l’autorisation ou la ratification de l’acte ou de l’accord dommageable par l’assemblée générale n’exonère en aucun cas les administrateurs de leur responsabilité.

[...] »

14 Aux termes de l’article 237 de cette loi, intitulé « Solidarité » :

« Tous les membres de l’organe d’administration qui aura posé ou adopté l’acte ou l’accord dommageable sont solidairement responsables, à moins qu’ils ne démontrent qu’ils en ignoraient l’existence pour n’être intervenus ni dans son adoption ni dans son exécution ou, s’ils en avaient connaissance, qu’ils ont agi comme il convenait de le faire pour prévenir le dommage ou qu’ils s’y sont au moins expressément opposés. »

15 L’article 238, paragraphe 1, de ladite loi, intitulé « Action sociale en responsabilité », est rédigé comme suit :

« La société introduit l’action en responsabilité contre les administrateurs avec l’accord préalable de l’assemblée générale, qui peut être soumis au vote à la demande de tout associé [...] »

16 L’article 241 de la même loi, intitulé « Action individuelle en responsabilité », prévoit :

« Les actionnaires et les tiers dont les intérêts sont directement lésés par des actes des administrateurs conservent le droit d’exercer leurs actions en indemnisation respectives. »

17 L’article 362 de la loi sur les sociétés, intitulé « Dissolution pour constat de l’existence d’une cause légale ou statutaire », dispose :

« Les sociétés de capitaux sont dissoutes lorsque l’existence d’une cause légale ou statutaire de dissolution est dûment constatée par l’assemblée générale ou par une décision de justice. »

18 Aux termes de l’article 363, paragraphe 1, de cette loi, intitulé « Causes de dissolution » :

« La société de capitaux est dissoute :

a) Par la cessation des activités qui constituent son objet social. La cessation des activités est présumée après une période d’inactivité supérieure à un an.

[...]

e) Lorsque des pertes réduisent le patrimoine net à un montant inférieur à la moitié du capital social, à moins que celui-ci ne soit augmenté ou réduit dans une mesure suffisante et pour autant qu’il n’y ait pas lieu de solliciter l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

[...] »

19 L’article 365, paragraphe 1, de ladite loi, intitulé « Obligation de convocation », dispose :

« Les administrateurs convoquent l’assemblée générale dans les deux mois afin qu’elle vote la dissolution ou, si la société est insolvable, qu’elle sollicite l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

[...] »

20 L’article 367, paragraphe 1, de la même loi, intitulé « Responsabilité solidaire des administrateurs », énonce :

« Les administrateurs répondent solidairement des engagements de la société postérieurs à la survenance d’une cause légale de dissolution s’ils s’abstiennent de convoquer l’assemblée générale dans le délai de deux mois afin qu’elle vote, s’il y a lieu, la dissolution ou s’ils ne sollicitent pas la dissolution judiciaire ou, le cas échéant, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans un délai de deux mois, prenant cours à la date prévue pour l’assemblée générale lorsque celle-ci ne s’est pas
réunie ou à la date de cette assemblée lorsque celle-ci a voté contre la dissolution.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

21 Contimark est une société anonyme ayant pour administrateur unique M. Socías Gispert. Elle a subi des pertes au cours des années 2012 et 2013 et a cessé ses activités au cours du second semestre de l’année 2013.

22 Les requérants au principal sont d’anciens salariés de Contimark, auxquels cette société a été condamnée à verser, par jugements du Juzgado de lo Social de Barcelona (tribunal du travail de Barcelone, Espagne), des arriérés de salaires et des indemnités à la suite de la rupture de leur contrat de travail dans ce contexte. Compte tenu de l’insolvabilité de Contimark et du montant plafonné de la garantie salariale, ils n’ont pu recouvrer l’intégralité de leurs créances.

23 Dans le cadre de la procédure subséquente en exécution de ces jugements, les requérants au principal ont introduit, devant la juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Social n. 30 de Barcelona (tribunal du travail no 30 de Barcelone), à titre incident, une action en responsabilité à l’encontre de M. Socías Gispert, en sa qualité d’administrateur de Contimark, aux fins de le voir déclarer responsable de manquement à la loi sur les sociétés et codébiteur solidaire, avec cette société, des sommes
leur restant dues. Ils mettent en cause la responsabilité de M. Socías Gispert pour avoir omis de convoquer l’assemblée générale de Contimark afin qu’elle vote sa dissolution ou sollicite l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, alors que cette société avait subi des pertes graves au cours des années 2012 et 2013.

24 La juridiction de renvoi expose que, en vertu de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), elle n’est pas compétente pour connaître de la responsabilité des administrateurs de sociétés anonymes. Selon cette jurisprudence, les titulaires de créances salariales ne seraient pas fondés à saisir le Juzgado de lo Social (tribunal du travail) d’une action tendant, à la fois, à faire valoir leurs créances à l’encontre de la société commerciale qui les employait et à déclarer un
administrateur de cette dernière codébiteur solidaire de ces créances. Contrairement aux autres créanciers de cette société, ceux-ci devraient, dans un premier temps, saisir le Juzgado de lo Social (tribunal du travail) aux fins de voir reconnaître leur créance, puis, dans un second temps, la juridiction civile ou commerciale compétente pour connaître d’une action en responsabilité solidaire à l’encontre de l’administrateur de ladite société.

25 La juridiction de renvoi ajoute que la loi sur les sociétés prévoit la responsabilité des administrateurs en cas de manquement aux dispositions des directives 2009/101 et 2012/30. Plus particulièrement, l’article 367 de cette loi, relatif à la responsabilité solidaire des administrateurs, viserait à transposer en droit interne l’article 19 de la directive 2012/30. Cette juridiction estime ainsi que ladite responsabilité relève de ces directives et considère que la jurisprudence du Tribunal
Supremo (Cour suprême) pourrait contrevenir auxdites directives, lues à la lumière des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination consacrés aux articles 20 et 21 de la Charte, en imposant aux créanciers dont la créance découle d’un contrat de travail, en ce qui concerne le droit d’exercer une telle action en responsabilité, de saisir une juridiction différente de celle compétente pour reconnaître leur créance.

26 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social n. 30 de Barcelona (Tribunal du travail no 30 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les directives 2009/101 et 2012/30 ainsi que les articles 236 à 238, 241 et 367, entre autres, de la [loi sur les sociétés], qui en assurent la transposition en droit espagnol, confèrent-elles au créancier d’une société commerciale qui réclame devant les juridictions espagnoles compétentes, à savoir les juridictions sociales, le paiement de sa créance découlant d’un contrat de travail le droit d’exercer simultanément et cumulativement devant la même juridiction l’action directe dirigée
contre l’entreprise en vue de la reconnaissance de la dette découlant d’un contrat de travail et l’action contre la personne physique, à savoir l’administrateur de la société, en sa qualité de codébiteur solidaire des dettes de la société en raison de manquement aux obligations de nature commerciale prévues dans ces directives et transposées dans la [loi sur les sociétés] ?

2) Les articles 2 et 6 à 8 de la directive 2009/101 ainsi que les articles 19 et 36 de la directive 2012/30 s’opposent-ils à la jurisprudence dégagée par la section des affaires sociales du Tribunal Supremo (Cour suprême) [...], selon laquelle, en matière de créances découlant d’un contrat de travail, les juridictions sociales espagnoles ne peuvent appliquer directement les garanties établies en faveur des créanciers des sociétés commerciales par les directives 2009/101 et 2012/30 ainsi que les
articles 236 à 238, 241 et 367, entre autres, de la [loi sur les sociétés], qui en assurent la transposition en droit espagnol, pour les cas où les plus hauts responsables de ces sociétés, qui sont des personnes physiques, méconnaissent les exigences formelles de publicité des actes essentiels de la société prévues dans les directives 2009/101 et 2012/30 et transposées par la [loi sur les sociétés]?

3) Les articles 20 et 21 de la Charte, lus en combinaison avec son article 51, s’opposent-ils à la jurisprudence dégagée par la section des affaires sociales du Tribunal Supremo (Cour suprême) [...], qui oblige le titulaire d’une créance découlant d’un contrat de travail, qui est un travailleur salarié, à engager deux procédures judiciaires, d’abord devant la juridiction sociale pour obtenir la reconnaissance de sa créance découlant d’un contrat de travail à l’encontre de l’entreprise, puis
devant les juridictions civiles ou commerciales afin de faire constater la responsabilité solidaire de l’administrateur de la société ou d’autres personnes physiques, alors que ni la directive 2009/101, ni la directive 2012/30, ni les dispositions internes qui transposent ces directives ne prévoient la même exigence pour aucun autre type de créancier, indépendamment de la nature de sa créance ? »

Sur les questions préjudicielles

27 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2009/101, et en particulier ses articles 2 et 6 à 8, ainsi que la directive 2012/30, et en particulier ses articles 19 et 36, lues à la lumière des articles 20 et 21 de la Charte, doivent être interprétées en ce sens qu’elles confèrent à des travailleurs salariés, créanciers d’une société anonyme au titre de la rupture de leur contrat de travail, le droit d’exercer, devant la
même juridiction sociale que celle qui est compétente pour connaître de leur action visant la reconnaissance de leur créance salariale, une action en responsabilité contre l’administrateur de cette société, pour avoir omis de convoquer l’assemblée générale de celle-ci malgré les pertes graves qu’elle avait subies, aux fins de voir déclarer cet administrateur codébiteur solidaire de ladite créance salariale.

28 À titre liminaire, il convient de constater que la juridiction de renvoi est saisie d’une action en responsabilité contre l’administrateur de Contimark, pour avoir manqué à l’obligation de convoquer l’assemblée générale malgré les pertes graves subies, sur le fondement de dispositions de la loi sur les sociétés, dont l’article 367 de celle-ci, qui permettent aux créanciers, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, d’invoquer cette responsabilité.

29 À cet égard, il ressort des considérants 1 et 2 de la directive 2009/101 que cette dernière tend à coordonner les dispositions nationales concernant la publicité, la validité des engagements des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée et la nullité de celles-ci. Concernant la directive 2012/30, aux termes de son considérant 3, celle-ci vise à assurer une équivalence minimale dans la protection tant des actionnaires que des créanciers des sociétés anonymes. À cette fin, elle
harmonise les dispositions nationales relatives à la constitution, ainsi qu’au maintien, à l’augmentation et à la réduction du capital desdites sociétés (voir, à propos de la directive 2012/30, arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 86).

30 S’agissant des dispositions de ces directives auxquelles la juridiction de renvoi fait référence, les articles 2, 6 et 7 de la directive 2009/101 prévoient les obligations des États membres en ce qui concerne les formalités de publicité relative aux sociétés et son article 8 porte sur les actes accomplis au nom d’une société en formation. Ces dispositions, de même, par ailleurs, que les autres dispositions de cette directive, ne prévoient ni une obligation de convoquer l’assemblée générale d’une
société commerciale en cas de pertes graves subies par celle-ci, ni un droit des créanciers d’actionner la responsabilité de l’administrateur dans un tel cas de figure, ni de dispositions procédurales à ce titre. Elles sont donc manifestement dépourvues de lien avec les faits afférents au litige au principal. Il en va de même de l’article 36 de la directive 2012/30, qui ne régit que le droit des créanciers d’obtenir une sûreté en cas de réduction du capital souscrit.

31 Quant à l’article 19 de la directive 2012/30, pas plus que les autres dispositions de cette directive, celui-ci ne traite de la responsabilité des administrateurs et n’impose d’exigences particulières quant à la compétence des juridictions pour en connaître. Certes, cet article prévoit une obligation de convocation de l’assemblée générale de la société en cas de perte grave du capital souscrit. Cependant, ledit article se borne à énoncer cette obligation, sans préciser les autres conditions
déclenchant celle-ci, telles que, notamment, l’organe de la société sur lequel elle pèse. Surtout, ledit article n’envisage pas les conséquences éventuelles d’un manquement à ladite obligation.

32 Ainsi, l’article 19 de la directive 2012/30 n’exige pas de droit à réparation à l’encontre de l’administrateur d’une société anonyme ni de règle relative aux modalités matérielles et procédurales de l’engagement de la responsabilité de ce dernier, en cas d’absence de convocation de l’assemblée générale malgré une perte grave du capital souscrit.

33 La question de savoir si, et dans quelles conditions matérielles ainsi que procédurales, les créanciers d’une société anonyme peuvent éventuellement agir en responsabilité contre l’administrateur aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice, lorsque l’assemblée générale n’a pas été convoquée en cas de perte grave du capital souscrit, est, partant, régie par les droits nationaux.

34 L’article 19 de la directive 2012/30 n’imposant aucune obligation spécifique aux États membres à cet égard, la situation en cause au principal ne saurait être appréciée au regard des dispositions de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a., C‑198/13, EU:C:2014:2055, point 35 et jurisprudence citée).

35 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux questions posées que la directive 2009/101, et en particulier ses articles 2 et 6 à 8, ainsi que la directive 2012/30, et en particulier ses articles 19 et 36, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne confèrent pas à des travailleurs salariés, créanciers d’une société anonyme au titre de la rupture de leur contrat de travail, le droit d’exercer, devant la même juridiction sociale que celle qui est compétente pour
connaître de leur action visant la reconnaissance de leur créance salariale, une action en responsabilité contre l’administrateur de cette société, pour avoir omis de convoquer l’assemblée générale de celle-ci malgré les pertes graves qu’elle avait subies, aux fins de voir déclarer cet administrateur codébiteur solidaire de ladite créance salariale.

Sur les dépens

36 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

La directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, [CE], pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, et en particulier ses articles 2 et 6 à 8, ainsi que la directive 2012/30/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les
  garanties qui sont exigées dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, [TFUE], en vue de la protection tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, et en particulier ses articles 19 et 36, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne confèrent pas à des travailleurs salariés, créanciers d’une société anonyme au titre de la rupture de leur contrat de
travail, le droit d’exercer, devant la même juridiction sociale que celle qui est compétente pour connaître de leur action visant la reconnaissance de leur créance salariale, une action en responsabilité contre l’administrateur de cette société, pour avoir omis de convoquer l’assemblée générale de celle-ci malgré les pertes graves qu’elle avait subies, aux fins de voir déclarer cet administrateur codébiteur solidaire de ladite créance salariale.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-243/16
Date de la décision : 14/12/2017
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Social n° 30 de Barcelona.

Renvoi préjudiciel – Droit des sociétés – Directive 2009/101/CE – Articles 2 et 6 à 8 – Directive 2012/30/UE – Articles 19 et 36 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 20, 21 et 51 – Recouvrement de créances découlant d’un contrat de travail – Droit d’exercer, devant la même juridiction, une action contre la société et son administrateur, en sa qualité de responsable et codébiteur solidaire des dettes de la société.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Antonio Miravitlles Ciurana e.a.
Défendeurs : Contimark SA et Jordi Socias Gispert.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: von Danwitz

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:969

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