ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
15 novembre 2017 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 168, sous a), article 178, sous a), et article 226, point 5 – Déduction de la taxe payée en amont – Mentions devant obligatoirement figurer sur les factures – Confiance légitime de l’assujetti en l’existence des conditions du droit à déduction »
Dans les affaires jointes C‑374/16 et C‑375/16,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décisions du 6 avril 2016, parvenues à la Cour le 7 juillet 2016, dans les procédures
Rochus Geissel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de RGEX GmbH i.L.
contre
Finanzamt Neuss (C‑374/16),
et
Finanzamt Bergisch Gladbach
contre
Igor Butin (C‑375/16),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur), A. Borg Barthet, Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour M. Butin, par Me L. Rodenbach, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. M. Wasmeier et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 juillet 2017,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 168, sous a), de l’article 178, sous a), et de l’article 226, point 5, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, M. Rochus Geissel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de RGEX GmbH i.L., au Finanzamt Neuss (administration fiscale de Neuss, Allemagne) et, d’autre part, le Finanzamt Bergisch Gladbach (administration fiscale de Bergisch Gladbach, Allemagne) à M. Igor Butin au sujet du refus de ces administrations fiscales d’accorder la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont au titre des factures
comportant l’indication de l’adresse où l’émetteur de celles-ci peut être joint par courrier postal, mais où il n’exerce aucune activité économique.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 168 de la directive TVA dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
[...] »
4 Aux termes de l’article 178 de cette directive :
« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :
a) pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;
[...] »
5 L’article 220 de ladite directive prévoit :
« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :
1) pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;
[...] »
6 L’article 226 de la directive TVA énonce :
« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :
[...]
5) le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur ;
[...] »
7 L’article 1er de la treizième directive 86/560/CEE du Conseil, du 17 novembre 1986, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté (JO 1986, L 326, p. 40), dispose que, au sens de cette directive, on entend par « assujetti qui n’est pas établi sur le territoire de la Communauté », l’assujetti visé à l’article 4,
paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), qui, au cours de la période visée à l’article 3, paragraphe 1, de la treizième directive 86/560, n’a eu sur ce territoire, ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable à partir duquel les opérations sont
effectuées, ni, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, son domicile ou sa résidence habituelle et qui, au cours de la même période, n’a effectué aucune livraison de biens ou prestation de services réputée se situer dans l’État membre visé à l’article 2 de cette directive, sauf certaines exceptions.
Le droit allemand
8 L’article 14 de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« UStG »), énonce :
« 1. Une facture consiste en tout document par lequel est facturée une livraison ou une autre prestation, indépendamment de la dénomination que revêt ce document dans le commerce. L’authenticité de l’origine de la facture, l’intégrité de son contenu et sa lisibilité doivent être garanties. L’authenticité de l’origine signifie que l’identité de celui qui émet la facture est certaine [...]
[...]
4. Une facture doit comprendre les indications suivantes :
1) le nom complet et l’adresse complète de l’entrepreneur prestataire et du destinataire des prestations, [...]
[...] »
9 L’article 15 de l’UStG prévoit, à son paragraphe 1 :
« L’entrepreneur peut déduire les montants suivants :
1. la taxe légalement due au titre des livraisons et autres prestations effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. L’exercice du droit à déduction présuppose que l’entrepreneur détienne une facture établie conformément aux articles 14 et 14a [de l’UStG] [...]
[...] »
10 Pour satisfaire aux conditions de l’article 14, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’UStG, il suffit, conformément à l’article 31, paragraphe 2, de l’Umsatzsteuer-Durchführungsverordnung (règlement d’application relatif à la taxe sur le chiffre d’affaires), que le nom et l’adresse tant de l’entreprise prestataire que du destinataire des prestations puissent être établis sans équivoque sur la base des indications figurant sur la facture.
11 L’article 163 de l’Abgabenordnung (code des impôts, ci-après l’« AO »), intitulé « Fixation dérogatoire de l’impôt pour des motifs d’équité », dispose :
« L’impôt peut être fixé à un montant inférieur ou ne pas tenir compte d’éléments de la base d’imposition qui le majoreraient, lorsqu’il apparaît que sa perception serait inéquitable dans le cas particulier. Avec l’accord du contribuable, il est possible d’admettre, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, que certains éléments de la base d’imposition, pour autant qu’ils majorent l’impôt, ne soient pris en compte qu’ultérieurement, et que certains éléments de la base d’imposition, pour autant
qu’ils diminuent l’impôt, soient pris en compte par anticipation. La décision relative à une fixation dérogatoire peut être liée à la fixation de l’impôt. »
12 L’article 227 de l’AO prévoit :
« Les autorités fiscales peuvent accorder une exonération totale ou partielle des droits résultant d’une dette fiscale, s’il est inéquitable dans une situation donnée de la percevoir ; dans les mêmes conditions, les montants acquittés peuvent être remboursés ou déduits. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
Affaire C-374/16
13 RGEX est une société à responsabilité limitée qui, durant l’année 2008, sur laquelle porte le litige au principal, avait pour activité le commerce de véhicules automobiles. Constituée au mois de décembre 2007, cette société se trouve en liquidation depuis l’année 2015. L’associé unique et le gérant de ladite société, M. Geissel, la représente désormais en tant que liquidateur.
14 Dans sa déclaration de TVA pour l’année 2008, RGEX a fait état, notamment, de livraisons intracommunautaires de véhicules exonérées de taxe et de taxes acquittées en amont d’un montant de 1985443,42 euros concernant 122 voitures acquises auprès d’EXTEL GmbH.
15 L’administration fiscale de Neuss n’a pas admis la déclaration de RGEX et, par décision du 31 août 2010, a fixé le montant de la TVA dû pour l’année 2008 sur la base des constatations faites à l’issue de deux contrôles spécifiques afférents à la TVA. Cette administration a estimé que les livraisons de véhicules vers l’Espagne, déclarées comme exonérées, étaient soumises à la taxe parce que les véhicules concernés n’avaient pas été acheminés en Espagne, mais avaient été mis sur le marché en
Allemagne. Ladite administration a également considéré que les taxes acquittées en amont au titre des factures émises par EXTEL n’étaient pas déductibles parce que cette dernière était une « société-écran » qui n’avait pas de siège à l’adresse indiquée sur ses factures.
16 Après avoir contesté sans succès cette décision, RGEX a saisi le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) qui a fait droit à son recours en ce qui concerne la taxation d’un véhicule et l’a rejeté pour le surplus comme non fondé.
17 Le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) a notamment constaté que, si le siège statutaire d’EXTEL se trouvait bien à l’adresse indiquée sur ses factures, il s’agissait toutefois d’un siège consistant en une simple boîte aux lettres. EXTEL n’y serait joignable que par voie postale. Cette société n’exercerait aucune activité commerciale à cette adresse.
18 Cette juridiction a écarté les arguments concernant la prétendue confiance légitime de RGEX quant à l’authenticité de l’adresse figurant sur les factures émises par EXTEL. Le principe de protection de la confiance légitime pourrait être pris en compte non pas lors de la fixation de la taxe, mais, le cas échéant, uniquement dans le cadre d’une mesure d’équité au sens des articles 163 et 227 de l’AO.
19 M. Geissel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de RGEX, a formé un pourvoi contre le jugement du Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), en faisant valoir que l’« adresse », au sens de l’article 14, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’UStG et de l’article 226, point 5, de la directive TVA, sert à identifier l’émetteur de la facture et suppose uniquement la possibilité d’être joint par
voie postale.
20 La juridiction de renvoi relève que, en vertu du droit national, RGEX n’est pas fondée à bénéficier de la déduction sollicitée de la taxe en amont au titre des factures émises par EXTEL, dès lors que celle-ci n’exerce aucune activité économique propre à l’adresse figurant sur ses factures. En effet, dans une décision rendue dans un recours parallèle, la juridiction de renvoi aurait jugé que l’« adresse complète », au sens de l’article 14, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’UStG,
implique que l’entrepreneur y exerce ses activités économiques. Si, conformément à une instruction administrative de droit national, il suffirait pour l’administration des finances que la boîte postale ou le code postal CEDEX « soient indiqués au lieu de l’adresse », une telle instruction ne lierait toutefois pas le juge.
21 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La facture exigée aux fins de l’exercice du droit à déduction en vertu des dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive [TVA] mentionne-t-elle l’“adresse” au sens de l’article 226, point 5, de ladite directive lorsque l’entrepreneur prestataire indique, sur la facture émise pour ses prestations, une adresse où il peut être joint par courrier postal, mais où il n’exerce aucune activité économique ?
2) Les dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive [TVA] s’opposent-elles, eu égard au principe d’effectivité, à une pratique nationale en vertu de laquelle la bonne foi du bénéficiaire des prestations quant au respect des conditions applicables à la déduction de la taxe payée en amont n’est prise en considération qu’en dehors de la procédure de fixation de la taxe, dans le cadre d’une procédure distincte introduite pour des motifs d’équité ?
Les dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de ladite directive peuvent-elles être invoquées à cet égard ? »
Affaire C‑375/16
22 Au cours des années 2009 à 2011, M. Butin, exploitant d’un commerce de véhicules en Allemagne, a fourni, aux fins de déduire la TVA en amont, des factures concernant un certain nombre de véhicules achetés auprès de l’entreprise Z et destinés à être revendus. Les véhicules étaient remis à M. Butin ou à ses employés pour partie à l’endroit où Z avait son siège social, même si Z n’exploitait pas un commerce à cette adresse, et pour partie dans des lieux publics, tels qu’une gare ferroviaire.
23 Dans le cadre d’un contrôle fiscal effectué auprès de M. Butin, l’administration fiscale de Bergisch Gladbach est parvenue à la conclusion que les montants de la taxe en amont versés au titre des factures émises par Z ne pouvaient pas être déduits car l’adresse du fournisseur mentionnée par Z sur ces factures était inexacte. Il a été constaté que cette adresse ne servait que de « boîte aux lettres » et que Z n’avait pas d’établissement stable en Allemagne.
24 Le 13 septembre 2013, ladite administration fiscale a adressé des avis d’imposition modifiés de TVA pour la période allant de l’année 2009 à l’année 2011. Par décision du 1er octobre 2013, elle a rejeté la demande de M. Butin visant à obtenir une modification du calcul de la taxe pour des raisons d’équité sur le fondement de l’article 163 de l’AO.
25 Le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne, Allemagne) a fait droit au recours de M. Butin, par lequel ce dernier a contesté le redressement effectué par l’administration fiscale de Bergisch Gladbach. Selon ce tribunal, l’« adresse », au sens de l’article 14, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’UStG, ne requiert pas que des activités commerciales y aient lieu. En outre, ledit tribunal a considéré qu’il convenait de faire droit au recours en ce qui concerne la demande
subsidiaire de modification du calcul de la taxe pour des raisons d’équité. Selon lui, M. Butin a fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour vérifier la qualité d’entrepreneur de Z et l’authenticité des indications figurant sur les factures émises par cette entreprise.
26 L’administration fiscale de Bergisch Gladbach a formé un pourvoi contre le jugement du Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne) devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances). Elle fait valoir notamment que les factures émises par Z ne contenant pas, contrairement à ce que prétend M. Butin, l’adresse à laquelle cette société exercerait ses activités commerciales, et M. Butin n’ayant pas fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour s’assurer de
l’authenticité des indications figurant sur ces factures, l’octroi de la déduction de la taxe payée en amont dans le cadre de la procédure d’équité ne devait pas être attribué.
27 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 226, point 5, de la directive [TVA] requiert-il la mention d’une adresse de l’assujetti à laquelle ce dernier exerce ses activités économiques ?
2) En cas de réponse négative à la première question :
a) La mention d’une adresse correspondant à une simple boîte aux lettres suffit-elle à remplir les exigences de l’article 226, point 5, de la directive [TVA] ?
b) Quelle adresse un assujetti qui exploite une entreprise (dans le commerce électronique, par exemple) ne disposant pas de local commercial doit-il mentionner sur la facture ?
3) Dans l’hypothèse où les exigences de forme applicables à la facture en vertu de l’article 226 de la directive [TVA] ne sont pas remplies, la déduction de la taxe payée en amont doit-elle toujours être accordée lorsqu’il n’y a pas de fraude fiscale ou lorsque l’assujetti ne savait pas et ne pouvait pas savoir qu’il était impliqué dans une fraude, ou la protection de la confiance légitime requiert-elle dans ce cas que l’assujetti ait fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui
pour vérifier l’authenticité des indications figurant sur la facture ? »
La procédure devant la Cour
28 Par ordonnance du président de la Cour du 22 juillet 2016, les affaires C‑374/16 et C‑375/16 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question dans l’affaire C-374/16 et les première et deuxième questions dans l’affaire C-375/16
29 Par la première question dans l’affaire C‑374/16 et les première et deuxième questions dans l’affaire C‑375/16, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 168, sous a), et l’article 178, sous a), de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 226, point 5, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exercice du droit de déduire la TVA en amont à l’indication
sur la facture de l’adresse du lieu où l’émetteur de celle-ci exerce son activité économique.
30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 178, sous a), de la directive TVA, pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et 238 à 240 de cette directive.
31 L’article 226 de cette directive énumère les mentions devant figurer sur une telle facture. Le point 5 de cet article prévoit notamment l’obligation d’indiquer le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur.
32 En vertu de la jurisprudence de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 3 décembre 2009, Yaesu Europe, C‑433/08, EU:C:2009:750, point 24, et du 6 juillet 2017, Air Berlin, C‑290/16, EU:C:2017:523, point 22).
33 En premier lieu, s’agissant du libellé de l’article 226, point 5, de la directive TVA, il est à noter qu’il diverge dans les différentes versions linguistiques de cette disposition. Certaines des versions linguistiques de ladite disposition, telles que les versions en langues espagnole, anglaise, française ou lettonne, se réfèrent, respectivement, au « nombre completo y la dirección », à « the full name and address », au « nom complet et l’adresse » ou à « pilns vārds vai nosaukums un adrese »,
tandis que d’autres versions, notamment les versions en langues allemande ou italienne, prévoient l’obligation de mentionner le « vollständigen Namen und die vollständige Anschrift » ou bien le « nome e l’indirizzo completo ».
34 Toutefois, l’absence ou la présence de l’adjectif « complet » dans la formulation de cette exigence ne donne pas d’indications quant au fait de savoir si l’adresse, indiquée sur la facture, doit correspondre au lieu où l’émetteur de celle-ci exerce son activité économique.
35 En outre, il convient de relever que le sens commun du terme « adresse » présente une portée large. Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, le sens habituel de ce terme recouvre tout type d’adresse, y compris une simple boîte aux lettres, pour autant que la personne peut y être contactée.
36 Par ailleurs, l’article 226 de la directive TVA précise que, sans préjudice des dispositions particulières de cette directive, seules les mentions citées à cet article doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application de l’article 220 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 25).
37 Il en résulte que les obligations afférentes auxdites mentions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte en ce sens qu’il n’est pas possible aux États membres de prévoir des obligations plus exigeantes que celles qui ressortent de la directive TVA.
38 Par conséquent, il n’est pas loisible aux États membres de lier l’exercice du droit à déduction de la TVA au respect de conditions relatives au contenu des factures qui ne sont pas expressément prévues par les dispositions de la directive TVA (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 25).
39 En deuxième lieu, en ce qui concerne le contexte dans lequel s’insère l’article 226 de la directive TVA, il y a lieu de rappeler que le droit à déduction de la TVA ne peut, en principe, être limité (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, point 37).
40 La Cour a jugé, à cet égard, que la détention d’une facture comportant les mentions prévues à l’article 226 de cette directive constitue une condition formelle du droit à déduction de la TVA. Or, la déduction de la TVA en amont doit être accordée si les conditions de fond sont satisfaites, même si certaines conditions formelles n’ont pas été respectées par les assujettis (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, point 38 et jurisprudence citée). Il en
résulte que les modalités de mention de l’adresse de l’émetteur de la facture ne peuvent pas constituer une condition déterminante aux fins de la déduction de la TVA.
41 En troisième lieu, concernant l’interprétation téléologique de l’article 226 de la directive TVA, l’objectif des mentions qui doivent obligatoirement figurer sur une facture est de permettre aux administrations fiscales de contrôler le paiement de la taxe due et, le cas échéant, l’existence du droit à déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 27).
42 À cet effet, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 40 et 41 de ses conclusions, la mention de l’adresse, du nom et du numéro d’identification à la TVA de l’émetteur de la facture vise à permettre d’établir un lien entre une opération économique donnée et un opérateur économique spécifique, l’émetteur de la facture. L’identification de l’émetteur de la facture permet à l’administration fiscale de vérifier si le montant de la TVA donnant lieu à déduction a été déclaré et
payé. Une telle identification permet également à un assujetti de vérifier si l’émetteur de la facture en cause est un assujetti aux fins de l’application des règles en matière de TVA.
43 À cet égard, il convient de relever que le numéro d’identification à la TVA du fournisseur des biens ou des services constitue l’information essentielle dans le cadre de ladite identification. Ce numéro est facilement accessible et vérifiable par l’administration.
44 Par ailleurs, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, pour obtenir un numéro d’identification à la TVA, les entreprises doivent suivre une procédure d’enregistrement au cours de laquelle elles doivent soumettre un formulaire d’enregistrement à la TVA, accompagné de documents justificatifs.
45 Il s’ensuit que la mention de l’adresse de l’émetteur de la facture, en combinaison avec son nom et son numéro d’identification à la TVA, a pour objectif d’identifier ce premier et de permettre ainsi à l’administration fiscale d’effectuer les contrôles visés au point 41 du présent arrêt.
46 Dans ce contexte, il convient également de souligner que la Cour a constaté que le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques (voir, notamment, arrêts du 22 octobre 2015, Sveda, C‑126/14, EU:C:2015:712, point 17, et du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, point 34). Or, pour atteindre les objectifs dudit régime, il n’est pas nécessaire de prévoir l’obligation
d’indiquer l’adresse du lieu où l’émetteur de la facture exerce son activité économique.
47 De plus, une telle interprétation est confirmée par l’arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C‑277/14, EU:C:2015:719), dans lequel la Cour a jugé qu’il était possible de déduire la TVA en amont en se fondant sur des factures établies par une société qui a été considérée par la juridiction nationale comme étant un opérateur inexistant. Même si la juridiction nationale avait constaté l’état délabré de l’immeuble désigné par cette société comme étant son siège social, la Cour a jugé que le fait
qu’aucune activité économique ne pouvait être exercée au siège de ladite société n’exclut pas que cette activité pouvait être déployée en d’autres lieux que le siège social (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 35), en particulier, lorsque les activités sont exercées de manière dématérialisée, en utilisant de nouvelles technologies informatiques.
48 En outre, contrairement à ce que soutiennent les gouvernements allemand et autrichien, le fait que, aux fins du droit à la déduction de la TVA, il n’est pas exigé que les activités économiques de l’assujetti soient exercées à l’adresse figurant sur la facture émise par celui-ci, n’est pas infirmé par les constatations de la Cour dans l’arrêt du 28 juin 2007, Planzer Luxembourg (C‑73/06, EU:C:2007:397). L’analyse de la portée des termes « siège de l’activité économique » et « établissement
stable » aux fins de la treizième directive 86/560 est sans pertinence pour déterminer la signification de la notion d’« adresse » figurant à l’article 226, point 5, de la directive TVA.
49 Il en résulte que, aux fins de l’exercice du droit à la déduction de la TVA par le destinataire des biens ou des services, il n’est pas exigé que les activités économiques du fournisseur soient exercées à l’adresse figurant sur la facture émise par celui-ci.
50 Il convient, dès lors, de répondre à la première question dans l’affaire C‑374/16 et aux première et deuxième questions dans l’affaire C‑375/16 que l’article 168, sous a), et l’article178, sous a), de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 226, point 5, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exercice du droit de déduire la TVA en amont à l’indication sur la facture
de l’adresse du lieu où l’émetteur de celle-ci exerce son activité économique.
Sur la seconde question dans l’affaire C‑374/16 et la troisième question dans l’affaire C‑375/16
51 Compte tenu de la réponse apportée à la première question dans l’affaire C‑374/16 et aux première et deuxième questions dans l’affaire C‑375/16, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question dans l’affaire C‑374/16 et à la troisième question dans l’affaire C‑375/16.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 168, sous a), et l’article178, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec l’article 226, point 5, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’exercice du droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée en amont à l’indication sur la facture de l’adresse du lieu où
l’émetteur de celle-ci exerce son activité économique.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.