ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
15 mars 2017 ( *1 )
«Pourvoi — Règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) — Article 57, sous f) — Autorisation — Substances extrêmement préoccupantes — Identification — Niveau de préoccupation équivalent — Cyclohexane-1,2-dicarboxylic anhydride, cis-cyclohexane-1,2-dicarboxylic anhydride et trans-cyclohexane-1,2-dicarboxylic anhydride»
Dans l’affaire C‑323/15 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 30 juin 2015,
Polynt SpA, établie à Scanzorosciate (Italie), représentée par Mes C. Mereu et M. Grunchard, avocats,
partie requérante,
soutenue par
New Japan Chemical, établie à Osaka (Japon), représentée par Mes C. Mereu et M. Grunchard, avocats,
REACh ChemAdvice GmbH, établie à Kelkheim (Allemagne), représentée par Mes C. Mereu et M. Grunchard, avocats,
parties intervenantes en première instance,
les autres parties à la procédure étant :
Sitre Srl, établie à Milan (Italie), représentée par Mes C. Mereu et M. Grunchard, avocats,
partie demanderesse en première instance,
Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mmes M. Heikkilä et C. Buchanan ainsi que par MM. W. Broere, et T. Zbihlej, en qualité d’agents, assistés de Me J. Stuyck, advocaat,
partie défenderesse en première instance,
soutenue par
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Schillemans et M. Bulterman, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée par MM. D. Kukovec et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. E. Regan, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2016,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 septembre 2016,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Polynt demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA (T‑134/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:254) par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle de la décision ED/169/2012 de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 18 décembre 2012, relative à l’inclusion de substances extrêmement préoccupantes dans la liste des substances candidates (ci-après la « décision
litigieuse »), au titre de l’article 59 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive
76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (CE) no 1272/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO 2008, L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH »), dans la mesure où elle concerne l’anhydride cyclohexane-1,2-dicarboxylique (CE no 201-604-9), l’anhydride cis-cyclohexane-1,2-dicarboxylique (CE no 236-086-3) et
l’anhydride trans-cyclohexane-1,2-dicarboxylique (CE no 238-009-9) (ci-après, pris ensemble, le « HHPA »).
Le cadre juridique
2 L’article 57 du règlement REACH, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV », prévoit :
« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :
a) les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 ;
b) les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5, du règlement (CE) no 1272/2008 ;
c) les substances répondant aux critères de classification comme substances toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, ayant des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité ou sur le développement, conformément à l’annexe I, section 3.7, du règlement (CE) no 1272/2008 ;
d) les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;
e) les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;
f) les substances, – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation
d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »
3 L’article 58 du règlement REACH, intitulé « Inclusion des substances dans l’annexe XIV », énonce :
« [...]
5. Sous réserve du paragraphe 6, une substance incluse dans l’annexe XIV n’est pas soumise à de nouvelles restrictions en application de la procédure visée au titre VIII couvrant les risques qu’entraîne pour la santé humaine ou l’environnement l’utilisation de la substance, telle quelle ou contenue dans un mélange ou un article, en raison de ses propriétés intrinsèques, visées à l’annexe XIV.
6. Une substance inscrite à l’annexe XIV peut être soumise à de nouvelles restrictions en application de la procédure visée au titre VIII couvrant les risques qu’entraîne pour la santé humaine ou l’environnement la présence de la substance dans un ou plusieurs articles.
7. Les substances dont toutes les utilisations ont été interdites en application du titre VIII ou par d’autres actes législatifs communautaires ne sont pas incluses à l’annexe XIV ou sont retirées de celle-ci.
8. Les substances qui, du fait de nouvelles informations, ne remplissent plus les critères visés à l’article 57 sont retirées de l’annexe XIV conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 4. »
4 L’article 59 du règlement REACH, intitulé « Identification des substances visées à l’article 57 », prévoit :
« 1. La procédure prévue aux paragraphes 2 à 10 du présent article est applicable aux fins de l’identification des substances remplissant les critères visés à l’article 57 et de l’établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV. [...]
[...]
3. Tout État membre peut élaborer un dossier conformément à l’annexe XV pour les substances dont il estime qu’elles répondent aux critères énoncés à l’article 57 et le transmettre à l’Agence. [...]
[...]
7. Après avoir reçu ou émis des observations, l’Agence renvoie le dossier au comité des États membres dans les quinze jours suivant la fin de la période de soixante jours visée au paragraphe 5.
8. Si, dans les trente jours qui suivent le renvoi du dossier, le comité des États membres parvient à un accord unanime sur l’identification, l’Agence inclut cette substance sur la liste visée au paragraphe 1. L’Agence peut inclure cette substance dans les recommandations qu’elle formule conformément à l’article 58, paragraphe 3.
9. Si le comité des États membres ne parvient pas à un accord unanime, la Commission élabore un projet de proposition sur l’identification de la substance dans les trois mois qui suivent la réception de l’avis du comité des États membres. Une décision définitive concernant l’identification de la substance est prise conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 3.
10. L’Agence publie et met à jour sur son site internet la liste visée au paragraphe 1 dès qu’une décision a été prise concernant l’inclusion d’une substance »
5 L’article 60 du règlement REACH, intitulé « Octroi des autorisations », est ainsi libellé :
« 1. La Commission est compétente pour prendre des décisions concernant les demandes d’autorisation conformément au présent titre.
2. Sans préjudice du paragraphe 3, une autorisation est octroyée si le risque que représente pour la santé humaine ou pour l’environnement l’utilisation d’une substance en raison de ses propriétés intrinsèques, visées à l’annexe XIV, est valablement maîtrisé conformément à l’annexe I, section 6.4, comme le démontre le rapport sur la sécurité chimique du demandeur, en tenant compte de l’avis du comité d’évaluation des risques visé à l’article 64, paragraphe 4, point a). Lors de l’octroi de
l’autorisation et dans toutes les conditions que celle-ci impose, la Commission prend en compte tous les rejets, émissions et pertes, en ce compris les risques découlant d’utilisations dispersives ou diffuses, connus au moment de la décision.
La Commission ne prend pas en compte les risques qu’entraîne pour la santé humaine l’utilisation d’une substance dans un dispositif médical régi par la directive 90/385/CEE du Conseil du 20 juin 1990 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs, la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux ou la directive 98/79/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 relative aux
dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
3. Le paragraphe 2 n’est pas applicable :
a) aux substances répondant aux critères énoncés à l’article 57, points a), b), c) ou f), pour lesquelles il n’est pas possible de déterminer un seuil conformément à l’annexe I, section 6.4 ;
b) aux substances répondant aux critères énoncés à l’article 57, points d) ou e) ;
c) aux substances identifiées en vertu de l’article 57, point f), possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables.
4. Lorsqu’une autorisation ne peut être octroyée en application du paragraphe 2 ou pour les substances énumérées au paragraphe 3, elle ne peut être octroyée que s’il est démontré que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées. [...] »
Les antécédents du litige
6 Il ressort des points 1 à 3 de l’arrêt attaqué que le HHPA est un anhydride d’acide cyclique. Cette substance est destinée à des usages industriels, en tant qu’intermédiaire ou monomère, ainsi que pour la fabrication d’articles ou d’intermédiaires dans la production de résines polymères. Le HHPA est classifié parmi les sensibilisants respiratoires de catégorie 1, qui peuvent provoquer des symptômes allergiques ou d’asthme ou des difficultés respiratoires par inhalation, conformément au tableau 3.1
figurant dans la partie 3 de l’annexe VI du règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1).
7 Il ressort du point 4 de l’arrêt attaqué que, le 6 août 2012, le Royaume des Pays-Bas a transmis à l’ECHA un dossier proposant d’identifier le HHPA comme substance extrêmement préoccupante, à inclure dans l’annexe XIV du règlement REACH.
8 Au terme de la procédure prévue à l’article 59 du règlement REACH, l’ECHA a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a identifié le HHPA comme substance répondant aux critères visés à l’article 57, sous f), de ce règlement.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 2013, Polynt a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la condamnation de l’ECHA aux dépens.
10 Par ordonnances du 6 septembre 2013, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont été admis à intervenir au soutien de l’ECHA.
11 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours et condamné Polynt aux dépens.
Les conclusions des parties
12 Polynt demande à la Cour :
— à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué et la décision litigieuse ;
— à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour statuer sur son recours en annulation ;
— de condamner l’ECHA aux dépens exposés au titre des procédures devant la Cour et devant le Tribunal.
13 L’ECHA demande à la Cour :
— de rejeter le pourvoi et
— de condamner Polynt aux dépens exposés au titre des procédures devant la Cour et devant le Tribunal.
14 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Polynt aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur les premier à troisième moyens, tirés d’erreurs d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH
Argumentation des parties
15 Polynt soutient que le point 71 de l’arrêt attaqué affirme que l’ECHA n’est pas obligée de tenir compte d’une évaluation des risques alors que, au point 73 de cet arrêt, il serait indiqué le contraire. Cette contradiction aurait conduit le Tribunal à commettre une erreur d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
16 Au point 81 dudit arrêt, le Tribunal aurait rejeté l’argumentation de Polynt relative à la nécessité de prendre en considération, entre autres, les mesures de gestion des risques existantes au motif que les propriétés intrinsèques suffisent à justifier l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante. Polynt conteste cette interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
17 Polynt fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 61 et 68 de l’arrêt attaqué, il ne ressort pas de l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH que le fait que les effets négatifs d’une substance liés à l’utilisation de celle-ci peuvent être contrôlés de manière appropriée n’empêche pas son identification comme une substance extrêmement préoccupante. L’interprétation retenue par le Tribunal serait contraire au « Guide pour la préparation d’un dossier annexe XV pour
l’identification de substances extrêmement préoccupantes », dans sa version applicable à la date de la décision litigieuse et mentionné au point 49 de l’arrêt attaqué.
18 L’ECHA et la Commission considèrent que la motivation de l’arrêt attaqué n’est pas contradictoire. Le Tribunal aurait fait une application correcte de l’arrêt du 21 juillet 2011, Etimine (C‑15/10, EU:C:2011:504), lorsqu’il a jugé, au point 71 de l’arrêt attaqué, que l’article 57, sous f), du règlement REACH n’exige pas de procéder à une évaluation des risques. Selon cette agence, seule une évaluation des dangers résultant des propriétés intrinsèques d’une substance est nécessaire. L’ECHA et la
Commission ajoutent que, à défaut de pouvoir établir un niveau dérivé sans effet (Derived No-Effect Level) pour le HHPA, il n’était pas possible d’effectuer une évaluation normale des risques pour cette substance.
19 L’ECHA et la Commission estiment que le Tribunal a, à bon droit, jugé que, si les substances dont les utilisations peuvent être maîtrisées ne pouvaient être identifiées comme extrêmement préoccupantes et incluses dans l’annexe XIV du règlement REACH, alors l’article 60, paragraphe 2, de ce règlement serait vidé de sa substance.
Appréciation de la Cour
20 Afin de déterminer si, ainsi que le soutient Polynt, en jugeant, aux points 61, 68, 71 et 81 de l’arrêt attaqué, que l’article 57, sous f), du règlement REACH requiert une analyse des propriétés intrinsèques des substances concernées, à l’exclusion de toute prise en considération des données relatives à l’exposition humaine reflétant les mesures de gestion des risques en vigueur, le Tribunal a commis une erreur de droit, il importe de rappeler que, selon l’article 1er, paragraphe 1, du règlement
REACH, celui-ci vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. À cette fin, ce règlement instaure un système intégré de contrôle des substances chimiques incluant leur enregistrement, leur évaluation, ainsi que leur autorisation et
d’éventuelles restrictions à leur emploi.
21 Ainsi qu’il est souligné notamment aux considérants 69 et 70 du règlement REACH, celui-ci réserve aux substances dites « extrêmement préoccupantes » une attention particulière. Ces substances sont en effet soumises au régime d’autorisation prévu au titre VII de ce règlement. Il ressort de l’article 55 dudit règlement que ce régime d’autorisation a pour but « d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes
seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci seront économiquement et techniquement viables ».
22 La première étape de ce régime d’autorisation est la procédure d’identification des substances extrêmement préoccupantes, sur la base des critères énoncés à l’article 57 du règlement REACH. La deuxième étape est l’inscription de ces substances sur la liste des substances soumises à autorisation qui forme l’annexe XIV de ce règlement et la troisième et dernière étape concerne la procédure conduisant, le cas échéant, à l’autorisation d’une substance extrêmement préoccupante.
23 Afin d’identifier les substances destinées à être inscrites sur la liste des substances soumises à autorisation prévue à l’annexe XIV du règlement REACH, l’article 57 de ce règlement envisage plusieurs situations.
24 L’article 57, sous a) à c), dudit règlement vise, tout d’abord, les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (ci-après « CMR »), de catégorie 1A ou 1B, conformément aux sections 3.5 à 3.7 de l’annexe I du règlement no 1272/2008. Ensuite, cet article 57, sous d) et e), vise les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (ci-après « PBT ») et celles qui sont très persistantes et très bioaccumulables
(ci-après « vPvB »), conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du règlement REACH. Ces critères sont fondés sur l’évaluation des dangers présentés par ces substances. Enfin, l’article 57, sous f), de ce règlement vise toutes les autres substances qui ne répondent à aucun des critères précédents mais « pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou sur l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à
celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »
25 Il ressort ainsi de son libellé que l’article 57 du règlement REACH n’exige pas qu’il soit procédé, à l’égard des substances concernées, à une évaluation des risques analogue à celle requise, dans le cadre de la procédure d’évaluation, à la section 6 de l’annexe I de ce règlement ou, dans le cadre de la procédure d’autorisation, à l’article 64, paragraphe 4, dudit règlement ou, s’agissant de la procédure de restriction, à l’article 70 du même règlement. Il apparaît en outre que, à cet article 57,
il est prévu, sous f), un mécanisme autonome permettant d’identifier comme extrêmement préoccupantes des substances qui n’ont pas déjà été désignées comme telles au titre de cette disposition.
26 L’article 57, sous f), du règlement REACH exige, pour l’identification de substances autres que celles répondant aux critères de classification CMR, PBT ou vPvB, qu’il soit établi, cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, qu’il est probable que les substances concernées aient des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets « suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances [CMR, PBT ou vPvB] ». Ces
conditions sont cumulatives, de telle sorte que l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante doit être écartée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut.
27 S’agissant de la première condition, celle-ci exige que les effets de la substance sur la santé humaine ou l’environnement puissent, en raison, par exemple, de leur importance ou de leur caractère irréversible, être considérés comme « graves ». L’examen de cette condition repose sur une évaluation des dangers pour la santé ou pour l’environnement, sur la base des éléments qui relèvent des parties pertinentes des sections 1 à 4 de l’annexe I du règlement REACH, ainsi qu’il est énoncé à la
section 2 de l’annexe XV de ce règlement. Il est donc manifeste que cette première condition prévue à l’article 57, sous f), dudit règlement requiert une analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques de la substance considérée.
28 À cet égard, la classification d’une substance à l’annexe I du règlement no 1272/2008 constitue un élément pertinent, mais pas déterminant. Lorsqu’une substance relève d’une des classes de danger pour la santé humaine ou pour l’environnement prévues par ce règlement, cette circonstance peut suffire à démontrer la probabilité « d’effets graves sur la santé humaine ou l’environnement ». Ainsi que M. l’avocat général l’a souligné aux points 61 et 63 de ses conclusions, l’appartenance à une classe de
danger n’est cependant ni une condition nécessaire ni une condition suffisante à cet égard.
29 En effet, il découle de la structure de l’article 57 du règlement REACH que, d’une part, le législateur de l’Union a considéré que toutes les substances extrêmement préoccupantes ne relèvent pas nécessairement des classes de danger visées à l’annexe I du règlement no 1272/2008. Ainsi, le champ d’application de l’article 57, sous f), s’étend expressément aux perturbateurs endocriniens, alors même que ce type d’effets ne relève d’aucune classe de danger répertoriée à cette annexe.
30 D’autre part, le législateur de l’Union a considéré que toutes les classes de danger prévues à l’annexe I du règlement no 1272/2008 ne sont pas nécessairement extrêmement préoccupantes. Ainsi, le fait de ne pas avoir prévu que tous les sensibilisants respiratoires soient, à l’instar de ce qui est prévu pour les substances CMR, considérés comme extrêmement préoccupants, alors même que ces substances relèvent d’une telle classe de danger, démontre que l’intention du législateur de l’Union est de
réserver la procédure d’autorisation à certaines substances seulement, selon une analyse au cas par cas, et non pas de l’appliquer à toutes les substances classées comme dangereuses pour la santé ou pour l’environnement.
31 S’agissant de la seconde condition énoncée à l’article 57, sous f), du règlement REACH, il convient de prouver scientifiquement que ces effets « suscitent un niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB.
32 À cet égard, il y a lieu de souligner que l’article 57, sous f), du règlement REACH ne fixe aucun critère et n’apporte aucune précision en ce qui concerne la nature des préoccupations qui sont susceptibles d’être prises en considération aux fins de l’identification d’une substance autre que CMR, PBT ou vPvB. Dans ces conditions, il importe de déterminer si, ainsi que le soutient Polynt, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la notion de « préoccupation », employée à
l’article 57, sous f), de ce règlement est restreinte à l’examen des seuls dangers issus des propriétés intrinsèques des substances concernées, à l’exclusion de toute autre considération.
33 Il convient de relever que, si telle avait été l’intention du législateur de l’Union, il aurait suffi à celui-ci de prévoir, à l’article 57, sous f), du règlement REACH, par exemple, que peuvent être identifiées comme extrêmement préoccupantes les substances pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir « des effets graves équivalents » à ceux suscités par les substances CMR, PBT ou vPvB ou des « effets d’une gravité équivalente » à celle suscitée par lesdites substances.
34 Or, il ressort du libellé de l’article 57, sous f), du règlement REACH, qui précise que l’identification des substances autres que CMR, PBT ou vPvB n’est possible qu’à l’égard de celles dont les effets graves suscitent « un niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB, que le champ d’application de cette disposition englobe la possibilité de prendre en considération, à des fins de comparaison, des éléments qui dépassent les seuls dangers issus des
propriétés intrinsèques des substances concernées.
35 À cet égard, il convient de souligner que l’application de la procédure d’autorisation suppose que les critères énoncés à l’article 57 du règlement REACH soient préalablement réunis. Dès qu’une substance est identifiée comme extrêmement préoccupante, elle relève de la procédure d’autorisation, bien que son inscription formelle sur la liste des substances soumises à autorisation puisse être reportée dans le temps en fonction du degré de priorité que l’ECHA lui accorde, conformément à l’article 58
de ce règlement.
36 Pour une substance qui ne relève pas des catégories de danger CMR, PBT ou vPvB spécifiquement identifiées par le législateur comme extrêmement préoccupantes, son identification comme telle au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH en raison du niveau de préoccupation équivalent à celui des substances CMR, PBT ou vPvB, implique également de s’assurer que, parmi les différents régimes établis par ce règlement, celui de l’autorisation s’impose afin de parvenir à contrôler les risques nés
de l’utilisation de cette substance. Une telle détermination nécessite de prendre en considération un éventail de facteurs plus vaste que ceux pertinents aux fins d’un simple exercice technique de qualification des effets ou des propriétés intrinsèques d’une substance.
37 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, s’agissant des dangers pour la santé humaine, les substances CMR sont les seules à être identifiées comme extrêmement préoccupantes, et donc soumises au régime d’autorisation, sur la seule base de leur classification au titre de l’annexe I du règlement no 1272/2008. Il ressort des travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption du règlement REACH, notamment du point 1.7. de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (SEC(2003) 1171
final), que ce traitement se justifie « par le fait que les catégories 1 et 2 des produits CMR ont, en règle générale, des effets normalement irréversibles et d’une gravité telle qu’ils doivent être empêchés plutôt que corrigés ».
38 Le législateur de l’Union a donc estimé que, par nature, les effets de ces substances sur la santé humaine suscitent des préoccupations d’un niveau tel qu’il est justifié de les différencier par rapport à toutes les autres substances, y compris celles relevant d’autres classes de danger susceptibles d’entraîner la mort ou d’autres effets irréversibles. En réponse aux questions écrites de la Cour, l’ECHA et la Commission ont ainsi exposé que le niveau de préoccupation suscité par les substances
CMR provient non seulement de la gravité de leurs effets, souvent irréversibles, mais également des conséquences de ces effets pour la société et des difficultés à procéder à une évaluation de leurs risques fondée sur la détermination d’un seuil d’effets.
39 Ces éléments démontrent que le règlement REACH vise à réserver la procédure d’autorisation à certaines substances, identifiées comme extrêmement préoccupantes en raison, non seulement de la gravité de leurs effets dangereux pour la santé ou pour l’environnement, mais également compte tenu d’autres facteurs. Ces derniers peuvent comprendre, outre la probabilité que les effets graves d’une substance se produisent dans les conditions normales de son utilisation, la difficulté à évaluer de manière
adéquate les risques posés par ces substances lorsqu’il est impossible de déterminer avec la certitude requise un niveau dérivé sans effet ou une concentration prévisible sans effet ou encore le niveau d’inquiétude que ces substances génèrent pour le public, le nombre de personnes affectées, ainsi que l’impact de ces effets sur la vie, notamment professionnelle, des personnes affectées.
40 En prévoyant que des substances puissent être identifiées, cas par cas, si leurs effets graves sur la santé humaine suscitent « un niveau de préoccupation équivalent » à celui des substances CMR, l’article 57, sous f), du règlement REACH n’interdit donc pas la prise en considération de données autres que celles relatives aux dangers issus des propriétés intrinsèques des substances concernées.
41 Contrairement à ce qu’ont affirmé l’ECHA et la Commission, dans le cadre de l’examen de la seconde condition édictée à l’article 57, sous f), du règlement REACH, la prise en considération de données relatives à l’exposition humaine reflétant des mesures de gestion des risques en vigueur, lorsqu’elles existent, n’a pas pour conséquence de rendre impossible l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante et de vider de sa substance l’article 60, paragraphe 2, de ce règlement. La
prise en considération de telles données permet d’affiner, pour les substances autres que CMR, PBT ou vPvB, les éléments sur la base desquels le recours à la procédure d’autorisation apparaît, à la lumière de l’ensemble des données disponibles, le mieux adapté compte tenu des préoccupations suscitées par leurs effets graves sur la santé ou sur l’environnement.
42 Il convient de relever que ces données sont, en tout état de cause, requises dans le cadre de la procédure d’identification au titre des dispositions de l’annexe XV du règlement REACH. La section 2 de cette annexe, sous le titre « Information concernant les expositions, les substances de remplacement et les risques », prévoit en effet qu’« il y a lieu de fournir les informations disponibles en matière d’utilisation et d’exposition et des informations concernant les substances et les techniques de
remplacement. »
43 En outre, le document de l’ECHA, intitulé « Guide pour la préparation d’un dossier annexe XV pour l’identification de substances extrêmement préoccupantes », mentionné au point 49 de l’arrêt attaqué, qui a pour objet de donner des lignes directrices de nature technique aux États membres et à l’ECHA pour la préparation des dossiers présentés à l’appui des propositions d’identification des substances extrêmement préoccupantes selon la procédure prévue à l’article 59 du règlement REACH, fait
également ressortir, à sa section 3.3.3.2, que l’article 57, sous f), du règlement REACH n’interdit pas la prise en considération de données autres que celles relatives aux dangers issus des propriétés intrinsèques des substances concernées.
44 Dès lors, Le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, en substance, que l’article 57, sous f), du règlement REACH exclut, par principe, toute prise en considération des données autres que celles relatives aux dangers issus des propriétés intrinsèques des substances concernées, telles que celles relatives à l’exposition humaine reflétant les mesures de gestion des risques en vigueur.
45 Il convient, toutefois, de relever que cette erreur de droit n’est pas susceptible de conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué. En effet, nonobstant cette interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH, le Tribunal a néanmoins examiné, aux points 59 et 60, 74 à 77 ainsi que 82, 87 et 88 de l’arrêt attaqué, les données invoquées à cet égard par les requérantes, pour les considérer comme non probantes.
46 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au Tribunal seul d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.
47 Ces appréciations factuelles ne relevant pas du contrôle exercé par la Cour lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi et faute pour Polynt d’avoir évoqué la dénaturation des éléments de preuve sur lesquels elles reposent, il s’ensuit que les premier à troisième moyens doivent être rejetés comme étant inopérants.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation des arguments concernant l’absence d’exposition du consommateur ou du travailleur à la substance conduisant à une application erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH
Argumentation des parties
48 Polynt critique les motifs par lesquels le Tribunal a rejeté son argumentation relative à l’absence de risque d’exposition d’un consommateur ou d’un travailleur posé par le HHPA grâce aux mesures de gestion des risques et aux dispositions légales applicables, en jugeant, au point 67 de l’arrêt attaqué, que toute exposition à cette substance ne peut être exclue. Ce motif, que Polynt a critiqué lors de l’audience comme s’apparentant à une « probatio diabolica », s’écarterait de la jurisprudence
selon laquelle le « risque zéro » n’existe pas dans le cadre d’une évaluation des risques qui applique le principe de précaution (arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 145).
49 L’ECHA et la Commission concluent au rejet du quatrième moyen.
Appréciation de la Cour
50 Au point 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, relevé que les requérantes avaient admis que toute exposition humaine au HHPA ne pouvait être exclue, de faibles quantités de HHPA non réagi pouvant encore être présentes dans l’article final destiné aux consommateurs, et, d’autre part, rappelé divers constats effectués à cet égard par l’ECHA dans le document d’appui mentionné au point 55 de l’arrêt attaqué, notamment le fait que l’exposition au HHPA entraîne des problèmes de santé de
type respiratoire pour les travailleurs, même à des taux d’exposition relativement faibles.
51 Contrairement à ce que soutient Polynt, le Tribunal n’a pas exigé la preuve d’un « risque zéro ». En effet, le point 67 de l’arrêt attaqué, qui doit être lu dans son contexte, se limite à énoncer certains constats de nature factuelle et à renvoyer à la lecture des sections pertinentes du document d’appui de l’ECHA.
52 Polynt n’ayant pas allégué l’inexactitude matérielle des constatations factuelles ainsi opérées par le Tribunal ni la dénaturation des éléments de preuve auxquels le Tribunal s’est référé, il y a lieu de conclure que le quatrième moyen est dirigé contre des constatations d’ordre factuel qui relèvent de la seule compétence du Tribunal.
53 Le quatrième moyen doit, dès lors, être rejeté comme étant irrecevable.
54 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
55 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
56 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
57 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, de ce même règlement de procédure, la Cour peut décider qu’une partie intervenante en première instance qui a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour supporte ses propres dépens.
58 L’ECHA ayant conclu à la condamnation de Polynt aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner Polynt aux dépens.
59 Le Royaume des Pays-Bas et la Commission, parties intervenantes en première instance, supporteront leurs propres dépens.
60 New Japan Chemical et REACh ChemAdvice, parties intervenantes en première instance, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Polynt SpA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
3) Le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.
4) New Japan Chemical et REACh ChemAdvice GmbH supportent leurs propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.