ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
11 janvier 2017 ( *1 )
«Recours en annulation — Pêche — Règlement (UE) no 1380/2013 — Règlement (UE) no 1367/2014 — Validité — Possibilités de pêche — Approche de précaution — Principe de stabilité relative des activités de pêche — Principe de proportionnalité — Principe d’égalité de traitement — Grenadier de roche et grenadier berglax»
Dans l’affaire C‑128/15,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 13 mars 2015,
Royaume d’Espagne, représenté par MM. A. Rubio González et L. Banciella Rodríguez-Miñón, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme A. Westerhof Löfflerová ainsi que par MM. A. de Gregorio Merino et F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
Commission européenne, représentée par M. A. Bouquet ainsi que par Mmes I. Galindo Martín et A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet, E. Levits et F. Biltgen (rapporteur), juges,
avocat général: M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier: Mme L. Carrasco Marco, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mai 2016,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 juillet 2016,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, le Royaume d’Espagne demande l’annulation du règlement (UE) no 1367/2014 du Conseil, du 15 décembre 2014, établissant, pour 2015 et 2016, les possibilités de pêche ouvertes aux navires de l’Union pour certains stocks de poissons d’eau profonde (JO 2014, L 366, p. 1), dans la mesure où le Conseil de l’Union européenne aurait dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en fixant un total admissible des captures (TAC) commun pour le grenadier de roche (Coryphaenoides rupestris,
en langue anglaise « Roundnose grenadier ») et le grenadier berglax (Macrourus berglax, en langue anglaise « Roughhead grenadier ») dans deux zones de gestion, à savoir les zones « 5B67 » et « 8X14 », sans tenir compte du principe de stabilité relative des activités de pêche et en violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.
Le cadre juridique
Le règlement (UE) no 1380/2013
2 Le règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22, ci-après le « règlement PCP »), comporte des dispositions tendant à la réalisation d’objectifs poursuivis par la politique commune de la pêche (PCP).
3 Les considérants 4, 6, 10 et 24 ainsi que 34 à 36 du règlement PCP énoncent :
« (4) Il convient que la PCP garantisse que les activités de pêche et d’aquaculture contribuent à assurer la viabilité à long terme sur les plans environnemental, économique et social. Elle devrait comprendre des règles visant à assurer la traçabilité, la sécurité et la qualité des produits commercialisés dans l’Union. Par ailleurs, la PCP devrait contribuer à accroître la productivité, à garantir un niveau de vie équitable pour le secteur de la pêche, y compris pour les pêcheries à petite
échelle, et la stabilité des marchés et elle devrait veiller à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et l’approvisionnement des consommateurs à des prix raisonnables. Il convient que la PCP contribue à la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive et participe à la réalisation des objectifs qui y sont définis.
[...]
(6) [L]es instruments internationaux définissent principalement des obligations en matière de conservation, notamment l’obligation de prendre des mesures de conservation et de gestion visant à maintenir ou à rétablir les ressources marines à des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable tant dans les zones marines relevant de la juridiction nationale qu’en haute mer, et de coopérer avec les autres États à cette fin, l’obligation d’appliquer largement l’approche de précaution en
matière de conservation, de gestion et d’exploitation des stocks halieutiques, l’obligation de garantir la compatibilité des mesures de conservation et de gestion lorsque les ressources marines se trouvent dans des zones marines ayant un statut juridictionnel différent, et l’obligation de prendre dûment en considération les autres utilisations légitimes des mers et océans. [...]
[...]
(10) Il convient que l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer repose sur l’approche de précaution, issue du principe de précaution mentionné à l’article 191, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, en tenant compte des données scientifiques disponibles.
[...]
(24) Il convient que les plans pluriannuels couvrent, dans la mesure du possible, des stocks multiples lorsque ces stocks font l’objet d’une exploitation conjointe. Ces plans pluriannuels devraient établir le cadre aux fins de l’exploitation durable des stocks et des écosystèmes marins concernés, en définissant des calendriers précis et des mécanismes de sauvegarde pour faire face aux événements imprévus. Les plans pluriannuels devraient également être soumis à des objectifs de gestion clairement
définis afin de contribuer à l’exploitation durable des stocks et à la protection des écosystèmes marins concernés. Ces plans devraient être adoptés en concertation avec les conseils consultatifs, les opérateurs du secteur de la pêche, les scientifiques et les autres parties prenantes ayant un intérêt dans la gestion de la pêche.
[...]
(34) Pour ce qui est des stocks pour lesquels aucun plan pluriannuel n’a été établi, il convient de garantir des taux d’exploitation permettant d’obtenir le rendement maximal durable en fixant des limites concernant les captures ou l’effort de pêche. Si les données disponibles ne sont pas suffisantes, des paramètres approximatifs devraient être utilisés pour la gestion des pêches.
(35) Compte tenu de la situation économique précaire dans laquelle se trouve le secteur de la pêche et de la dépendance de certaines communautés côtières à l’égard de la pêche, il est nécessaire de garantir une stabilité relative des activités de pêche en répartissant les possibilités de pêche entre les États membres de manière à attribuer à chacun d’entre eux une part prévisible des stocks.
(36) Il convient que cette stabilité relative des activités de pêche, vu la situation biologique temporaire des stocks, permette de préserver et de tenir pleinement compte des besoins particuliers des régions dont les communautés locales sont particulièrement tributaires de la pêche et des activités connexes, comme l’a décidé le Conseil dans sa résolution du 3 novembre 1976 [...] »
4 L’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement PCP prévoit que la PCP couvre la « conservation des ressources biologiques de la mer, ainsi que la gestion des pêcheries et des flottes qui exploitent ces ressources ».
5 L’article 2, paragraphe 2, dudit règlement dispose :
« La PCP applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable.
[...] »
6 Selon l’article 3, sous c), du même règlement, les mesures adoptées dans le cadre de la PCP sont établies « conformément aux meilleurs avis scientifiques disponibles ».
7 L’article 4 du règlement PCP, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1, point 8 :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
“approche de précaution en matière de gestion des pêches”, telle que visée à l’article 6 de l’accord des Nations unies sur les stocks de poisson, une approche selon laquelle l’absence de données scientifiques pertinentes ne devrait pas servir de justification pour ne pas adopter ou pour reporter l’adoption de mesures de gestion visant à conserver les espèces cibles, les espèces associées ou dépendantes, les espèces non cibles et leur environnement ».
8 L’article 6, paragraphe 2, dudit règlement est libellé comme suit :
« Dans le cadre de l’application du présent règlement, la Commission européenne consulte les organismes consultatifs et les organismes scientifiques compétents. Les mesures de conservation sont adoptées en tenant compte des avis scientifiques, techniques et économiques disponibles, y compris, le cas échéant, des rapports établis par le [comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP)] et d’autres organismes consultatifs, d’avis émanant des conseils consultatifs et des
recommandations communes présentées par les États membres en vertu de l’article 18. »
9 L’article 16 du même règlement dispose :
« 1. Les possibilités de pêche réparties entre les États membres garantissent une stabilité relative des activités de pêche à chaque État membre pour chaque stock halieutique ou pêcherie. Les intérêts de chaque État membre sont pris en compte lors de la répartition de nouvelles possibilités de pêche.
2. Lorsqu’une obligation de débarquement pour un stock halieutique est établie, les possibilités de pêche sont déterminées en tenant compte du fait qu’elles visent à rendre compte non plus des débarquements, mais des captures, étant donné que la première année et les années suivantes, les rejets de ce stock ne seront plus autorisés.
3. Lorsque de nouvelles preuves scientifiques montrent qu’il y a une nette disparité entre les possibilités de pêche qui ont été fixées pour un stock précis et l’état réel de ce stock, les États membres ayant un intérêt direct peuvent soumettre une demande motivée à la Commission pour qu’elle présente une proposition visant à atténuer cette disparité tout en respectant les objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 2.
4. Les possibilités de pêche sont déterminées conformément aux objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 2, et dans le respect des objectifs ciblés quantifiables, les échéances et les marges établis conformément à l’article 9, paragraphe 2, et à l’article 10, paragraphe 1, points b) et c).
[...] »
10 L’article 25 du règlement PCP, inséré dans la partie V dudit règlement, intitulée « Base scientifique pour la gestion des pêches », dispose :
« 1. Conformément aux règles adoptées en matière de collecte des données, les États membres collectent et gèrent des données biologiques, environnementales, techniques et socioéconomiques nécessaires à la gestion des pêches et les mettent à la disposition des utilisateurs finals, y compris les organismes désignés par la Commission. L’acquisition et la gestion de ces données peuvent faire l’objet d’un financement au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, conformément à
un futur acte de l’Union établissant les conditions du soutien financier à la politique maritime et de la pêche pour la période 2014-2020. Ces données permettent notamment d’évaluer :
a) l’état des ressources biologiques de la mer exploitées ;
b) le niveau de la pêche et l’incidence des activités de pêche sur les ressources biologiques de la mer et les écosystèmes marins ; et
c) les performances socioéconomiques des secteurs de la pêche, de l’aquaculture et de la transformation dans les eaux de l’Union et hors de celles-ci.
2. La collecte, la gestion et l’utilisation des données reposent sur les principes suivants :
a) les données sont exactes et fiables, et collectées en temps utile ;
b) des mécanismes de coordination sont utilisés pour éviter que les mêmes données soient collectées plusieurs fois à des fins différentes ;
c) les données recueillies sont stockées et protégées en toute sécurité dans des bases de données informatisées, et mises à disposition du public, le cas échéant, notamment sous forme agrégée tout en garantissant leur confidentialité ;
d) la Commission ou des organismes qu’elle désigne ont accès aux bases de données nationales et aux systèmes nationaux utilisés pour traiter les données collectées afin de vérifier l’existence et la qualité des données ;
e) les données pertinentes et les méthodes ayant permis de les obtenir sont mises, en temps utile, à la disposition des instances intéressées, dans un but de recherche ou de gestion, par l’analyse scientifique des données dans le secteur de la pêche, et de toute partie intéressée, sauf circonstances imposant la protection et la confidentialité en vertu du droit applicable de l’Union.
3. Chaque année, les États membres présentent à la Commission un rapport sur l’exécution de leurs programmes nationaux de collecte des données et le rendent public.
La Commission procède à l’évaluation du rapport annuel sur la collecte des données après consultation de son organisme consultatif scientifique et, le cas échéant, des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) dont l’Union est partie contractante ou dans lesquelles elle a le statut d’observateur, et des instances scientifiques internationales compétentes.
4. Les États membres assurent la coordination, au niveau national, de la collecte et de la gestion des données scientifiques, y compris de nature socioéconomique, aux fins de la gestion des pêches. Dans ce but, ils désignent un correspondant national et organisent une réunion nationale annuelle de coordination. La Commission est informée des activités de coordination menées au niveau national et est invitée aux réunions de coordination.
[...] »
Le règlement no1367/2014
11 Les considérants 3 à 7 du règlement no 1367/2014 énoncent :
« (3) Il incombe au Conseil d’adopter les mesures relatives à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche, y compris, le cas échéant, certaines conditions qui leur sont liées sur le plan fonctionnel. Il convient que les possibilités de pêche soient réparties entre les États membres de manière à assurer à chaque État membre une stabilité relative des activités de pêche pour chaque stock ou pêcherie et compte tenu des objectifs de la politique commune de la pêche définis par le
règlement (UE) no 1380/2013.
(4) Il convient que les [TAC] soient établis sur la base des avis scientifiques disponibles et compte tenu des aspects biologiques et socio-économiques, tout en veillant à ce que les différents secteurs halieutiques soient traités de manière équitable, ainsi qu’à la lumière des avis exprimés lors de la consultation des parties intéressées, notamment les conseils consultatifs régionaux concernés.
(5) Il convient que les possibilités de pêche soient conformes aux accords et principes internationaux, tels que l’accord des Nations unies de 1995 sur la conservation et la gestion des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs [...], et aux principes de gestion détaillés énoncés dans les directives internationales de 2008 sur la gestion de la pêche profonde en haute mer de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, selon lesquels, en
particulier, le législateur devrait prendre d’autant plus de précautions que les données sont incertaines, peu fiables ou inadéquates. Le manque de données scientifiques adéquates ne saurait être invoqué pour ne pas prendre de mesures de conservation et de gestion ou pour en différer l’adoption.
(6) Les avis scientifiques les plus récents du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) [...] indiquent que la plupart des stocks d’eau profonde restent soumis à une exploitation qui n’est pas durable et qu’il convient, afin d’assurer leur durabilité, de continuer de réduire les possibilités de pêche pour ces stocks jusqu’à ce que leur évolution présente une courbe positive. Le CIEM a en outre recommandé de n’autoriser aucune pêche ciblée pour l’hoplostète orange dans l’ensemble
des zones et pour certains stocks de dorade rose et de grenadier de roche.
(7) En ce qui concerne les quatre stocks de grenadier de roche, il apparaît, d’après l’avis scientifique et les récentes discussions au sein de la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE), que les captures de cette espèce peuvent avoir été erronément déclarées comme des captures de grenadier berglax. Dans ce contexte, il est approprié de fixer un TAC couvrant les deux espèces, tout en prévoyant des déclarations distinctes pour chacune d’entre elle. »
12 L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1367/2014 prévoit :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “navire de pêche de l’Union” : un navire de pêche battant pavillon d’un État membre et immatriculé dans l’Union ;
b) “eaux de l’Union” : les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction des États membres, à l’exception des eaux adjacentes aux territoires indiqués à l’annexe II du traité ;
c) “total admissible des captures” (TAC) : la quantité annuelle qui peut être prélevée et débarquée pour chaque stock ;
d) “quota” : la proportion du TAC allouée à l’Union ou à un État membre ;
e) “eaux internationales” : les eaux qui ne relèvent pas de la souveraineté ou de la juridiction d’un État. »
13 Dans la partie 2 de l’annexe dudit règlement figurent les TAC concernant les différentes zones et espèces. Les possibilités de pêche pour le grenadier de roche et le grenadier berglax ont été fixées dans un TAC commun pour ces deux espèces. Les TAC pertinents en l’occurrence ont été fixés comme suit :
— pour la zone de gestion 5B67 : 4010 tonnes pour l’année 2015 et 4078 tonnes pour l’année 2016 ; dans aucun des deux cas les débarquements de grenadier de roche ne pourront dépasser 95 % du quota de chaque État membre ;
— pour la zone de gestion 8X14 : 3644 tonnes pour l’année 2015 et 3279 tonnes pour l’année 2016 ; dans aucun des deux cas les débarquements de grenadier de roche ne pourront dépasser 80 % du quota de chaque État membre.
14 Pour la première zone, l’Espagne a obtenu 65 tonnes pour l’année 2015 et 66 tonnes pour l’année 2016. S’agissant de la seconde zone, l’Espagne a obtenu 2617 tonnes pour l’année 2015 et 2354 tonnes pour l’année 2016.
Les antécédents du litige
15 Il ressort des observations du Conseil et de la Commission que le grenadier de roche et le grenadier berglax sont deux espèces de poissons d’eau profonde qui, à l’œil nu, ne peuvent être distinguées que par la forme de leur tête. Une fois que les poissons de ces espèces sont étêtés et congelés, il serait pratiquement impossible de les distinguer.
16 La Commission précise que le grenadier de roche figure parmi les espèces ciblées dans les deux zones de gestion concernées et que sa pêche y est réglementée depuis l’année 2003 par un TAC établi au niveau de l’Union. Cette institution ajoute que le grenadier berglax est moins fréquent dans ces zones et que sa pêche n’était pas soumise à un TAC au niveau de l’Union avant l’adoption du règlement no 1367/2014.
17 Selon le Conseil et la Commission, le groupe de travail du CIEM sur la biologie et l’évaluation des ressources halieutiques d’eau profonde, qui s’est réuni du 4 avril au 11 avril 2014, a indiqué dans son rapport de 2014 (ci-après le « rapport du groupe de travail du CIEM de 2014 ») qu’il avait été informé de captures importantes de grenadier berglax au cours des années précédentes sur le banc de Hatton, notamment par des chalutiers espagnols. Selon ces institutions, ce rapport faisait également
état d’écarts importants entre les données des observateurs et les données officielles espagnoles relatives aux débarquements de grenadier de roche, ce qui suscitait certaines inquiétudes quant à la possibilité de déclarations erronées concernant les différentes espèces de grenadier.
18 Le contenu du rapport du groupe de travail du CIEM de 2014 a été discuté par le comité permanent chargé de la gestion et des questions scientifiques de la CPANE au mois de septembre 2014. Ce comité permanent a souligné, en particulier, que le niveau de pêche déclaré du grenadier berglax par rapport au grenadier de roche était « surprenant » étant donné que les captures de grenadier berglax étaient traditionnellement moins élevées. Le CIEM a été invité à fournir des éclaircissements, dans la
mesure du possible, sur ces pêcheries. Il lui a notamment été demandé d’examiner s’il pouvait exister des erreurs dans les déclarations de captures ou s’il existait une pêcherie nouvelle ou en croissance rapide visant le grenadier berglax.
19 Parallèlement, l’Union, représentée par l’unité C2 de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission a également interrogé le CIEM à ce sujet au mois de septembre 2014.
20 Le 3 octobre 2014, la Commission a présenté au Conseil une proposition de règlement du Conseil établissant, pour les années 2015 et 2016, les possibilités de pêche ouvertes aux navires de l’Union pour certains stocks de poissons d’eau profonde. La Commission proposait notamment que, dans chacune des zones de gestion concernées, soit fixé un TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax. Le niveau du TAC commun était fondé sur l’avis scientifique du CIEM pour le grenadier de roche,
en l’absence d’un tel avis pour le grenadier berglax. De même, les quotas nationaux répartissant le TAC commun étaient déterminés conformément au principe de stabilité relative des activités de pêche pour le seul grenadier de roche.
21 Le 7 novembre 2014, le CIEM a présenté un avis scientifique en vue de répondre aux demandes de la CPANE et de l’Union (ci-après l’« avis du CIEM du 7 novembre 2014»). Il ressort de cet avis qu’il existe des incertitudes quant à la composition, par stock, des captures déclarées de grenadier de roche et de grenadier berglax. Pour ce qui concerne la répartition et l’abondance de ces deux espèces de poissons, le CIEM a signalé que celles-ci étaient habituellement présentes dans des environnements
hydrologiques différents, le grenadier berglax vivant généralement dans des eaux boréales, plus froides.
22 L’avis du CIEM du 7 novembre 2014 souligne que des captures importantes de grenadier berglax ont été déclarées dans la zone de gestion 8X14 ainsi que dans une partie de la zone de gestion 5B67. En moyenne, les captures commerciales de grenadier de roche observées dans les sous-zones VI et XII, appartenant auxdites zones de gestion, sont d’un niveau trois fois plus élevés que celui des captures de grenadier berglax. Cependant, le CIEM a souligné l’existence de différences importantes, allant du
simple au double, entre les proportions relatives de grenadier de roche et de grenadier berglax déclarées lors des débarquements officiels, d’une part, et celles observées lors des captures et des études scientifiques menées dans les zones où est pêché le grenadier berglax, d’autre part.
23 L’avis du CIEM du 7 novembre 2014 a néanmoins indiqué que les données disponibles fournissaient des informations peu probantes, d’une couverture spatiale et temporelle limitée. Par conséquent, le CIEM a conclu à la nécessité de procéder à une collecte de données plus étendue sur les captures et l’effort de pêche du grenadier berglax dans le cas où la CPANE et l’Union souhaiteraient réglementer cette pêcherie.
24 Le lundi 10 novembre 2014, le Conseil a débattu de la proposition de règlement soumise par la Commission le 3 octobre 2014. Sur la base des débats qui se sont déroulés au sein du Conseil, la présidence de cette institution, en accord avec la Commission, a proposé un texte de compromis. En substance, ce compromis consistait à augmenter le niveau du TAC initialement établi pour le grenadier de roche de manière à tenir compte de son extension au grenadier berglax.
25 Il ressort des observations du Conseil que, en pratique, ce complément a été calculé sur la base de la proportion moyenne des débarquements de grenadier berglax par rapport à celle des débarquements de grenadier de roche. Ainsi, pour la zone de gestion 5B67, dès lors que l’avis scientifique du CIEM suggérait un TAC de 3794 tonnes pour le grenadier de roche et que la moyenne annuelle estimée de débarquements de grenadier berglax dans cette zone représentait 5,7 % de la moyenne annuelle estimée de
débarquements de grenadier de roche, la quantité de 3794 tonnes a été majorée de 216 tonnes (soit 5,7 % de 3794 tonnes), pour obtenir une quantité finale de 4010 tonnes. Le même procédé a été suivi pour la zone de gestion 8X14, où la moyenne annuelle estimée de débarquements de grenadier berglax représentait 25,6 % de la moyenne annuelle estimée de débarquements de grenadier de roche.
26 Les TAC ainsi fixés ont été répartis entre les États membres concernés conformément à la clé d’attribution garantissant la stabilité relative des activités de pêche du grenadier de roche. Par conséquent, les quotas du Royaume d’Espagne représentaient 1,62 % et 71,8 % des TAC communs fixés respectivement pour les zones de gestion 5B67 et 8X14.
27 Le 15 décembre 2014, un accord politique est intervenu sur la base du compromis élaboré par la présidence du Conseil, légèrement adapté. Toutes les délégations se sont déclarées favorables à cet accord, à l’exception des délégations espagnoles et portugaises qui ont demandé l’inscription d’une déclaration au procès-verbal du Conseil. Dans cette déclaration, le Royaume d’Espagne a fait notamment valoir que la répartition des TAC communs établis pour le grenadier de roche et le grenadier berglax ne
respectait pas le principe de stabilité relative des activités de pêche fondé sur le niveau historique des captures de chaque État membre.
28 Le règlement no 1367/2014 a été adopté dans les termes du libellé résultant dudit accord et a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 20 décembre 2014. Il est entré en vigueur le jour suivant sa publication.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
29 Le Royaume d’Espagne demande à la Cour :
— d’annuler le règlement no 1367/2014, et
— de condamner le Conseil aux dépens.
30 Le Conseil demande à la Cour :
— de rejeter le recours dans son intégralité, et
— de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.
31 Par décision du président de la Cour du 1er juillet 2015, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.
Sur les demandes de réouverture de la procédure orale
32 Après la présentation des conclusions de M. l’avocat général, le Conseil a introduit, le 9 septembre 2016, une demande de réouverture de la procédure orale au titre de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour. Par lettre parvenue au greffe de la Cour à la même date, la Commission a formulé une demande similaire.
33 À l’appui de leurs demandes, ces institutions font valoir, en substance, que l’interprétation du principe de stabilité relative des activités de pêche retenue par M. l’avocat général repose sur des arguments qui n’ont pas été débattus entre les parties.
34 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
35 En l’espèce, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le recours dont elle est saisie et que celui-ci ne doit pas être tranché sur le fondement d’un argument qui n’a pas été débattu devant elle.
36 Par conséquent, il convient de rejeter les demandes de réouverture du Conseil et de la Commission.
Sur le recours
37 À l’appui de son recours en annulation du règlement no 1367/2014, le Royaume d’Espagne invoque trois moyens tirés, premièrement, d’un dépassement, par le Conseil, de sa marge d’appréciation ainsi que d’une violation du principe de stabilité relative des activités de pêche, deuxièmement, d’une violation du principe de proportionnalité et, troisièmement, d’une violation du principe d’égalité de traitement.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
38 Par la première branche de son premier moyen, le Royaume d’Espagne reproche au Conseil de s’être fondé sur des données inexactes lorsqu’il a fixé un TAC commun couvrant le grenadier de roche et le grenadier berglax au motif que les captures de grenadier de roche « peuvent avoir été déclarées comme des captures de grenadier berglax ». Ainsi qu’il ressortirait du considérant 7 du règlement no 1367/2014, cette décision a été adoptée sur la base de l’avis scientifique et des récentes discussions au
sein de la CPANE. Or, l’avis scientifique de la CPANE n’aurait pas été concluant quant à la question de savoir s’il était nécessaire de fixer un TAC commun aux deux espèces de grenadier.
39 D’ailleurs, dans son avis du 7 novembre 2014, le CIEM aurait indiqué qu’il lui était impossible de rendre un avis sur l’existence d’une pêcherie pour le grenadier berglax, puisqu’il n’existerait aucune indication relative à la capture des différentes espèces de grenadier, les données pour l’année 2010 étant insuffisantes pour permettre de tirer de quelconques conclusions sur ce point. Il y serait également précisé qu’il existerait des différences considérables entre les données relatives au
débarquement de captures de grenadier berglax et de grenadier de roche. Partant, le CIEM aurait conclu que, pour établir une pêcherie de grenadier berglax, il était nécessaire d’obtenir des informations plus complètes et détaillées sur les captures et leur débarquement. Il ressortirait donc clairement de cet avis qu’il n’existerait pas de données scientifiques claires permettant de conclure que ces deux espèces évoluaient dans les zones de gestion 5B67 et 8X14.
40 De surcroît, selon le Royaume d’Espagne, il ne saurait être soutenu qu’il n’était pas possible de tenir compte des données fournies, le 28 novembre 2014, par cet État membre, en réponse à la demande de transmission de données, au motif que l’accord politique sur le règlement no 1367/2014 avait été trouvé le 10 novembre 2014, alors que ce règlement n’a été adopté que le 15 décembre 2014.
41 Le Royaume d’Espagne en déduit que le Conseil a outrepassé sa marge d’appréciation en fixant un TAC commun pour les deux espèces alors que l’avis scientifique du CIEM indiquait clairement que les données disponibles ne prouvaient pas que ces espèces évoluaient dans les zones de gestion concernées et qu’elles pouvaient donc être capturées ensemble.
42 Dans le cadre de la seconde branche de son premier moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que ni le Conseil ni la Commission n’ont pris en considération le niveau historique des captures de grenadier berglax pour définir la clé de répartition appliquée au TAC commun établi pour cette espèce et le grenadier de roche. Ce faisant, les quotas nationaux établis par les dispositions attaquées violeraient le principe de stabilité relative des activités de pêche, lequel exigerait que soit prise en
compte la répartition des niveaux historiques des captures entre les flottes de chaque État membre pour chaque espèce concernée.
43 Le Royaume d’Espagne estime que les quotas de pêche communs lui ayant été attribués pour le grenadier de roche et le grenadier berglax auraient dû être plus élevés, étant donné que la flotte espagnole a réalisé une partie importante des captures de grenadier berglax au cours de la période allant de l’année 2009 à l’année 2013. Le préjudice subi par la flotte espagnole en raison de cette violation alléguée du principe de stabilité relative des activités de pêche s’élèverait à 346926 euros.
44 Ni le Conseil ni la Commission ne contesteraient qu’il n’a pas été tenu compte du niveau historique des captures de grenadier berglax pour établir le TAC commun litigieux. En effet, il est constant que ce TAC a été réparti entre les États membres conformément à la clé de répartition garantissant la stabilité relative des activités de pêche du seul grenadier de roche.
45 Le Conseil et la Commission considèrent que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.
Appréciation de la Cour
46 S’agissant, en premier lieu, du prétendu dépassement de la marge d’appréciation du Conseil, il convient, d’abord, de rappeler que, lorsque le Conseil détermine les TAC et répartit les possibilités de pêche entre les États membres, il est appelé à procéder à l’évaluation d’une situation économique complexe, pour laquelle il dispose d’un large pouvoir d’appréciation. En pareille circonstance, le pouvoir discrétionnaire dont jouit le Conseil porte non pas exclusivement sur la détermination de la
nature et de la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, sur la constatation des données de base. En contrôlant l’exercice d’une telle compétence, le juge doit se limiter à examiner si cet exercice n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 19 février 1998, NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation,
C‑4/96, EU:C:1998:67, points 41 et 42 ; du 5 octobre 1999, Espagne/Conseil, C‑179/95, EU:C:1999:476, point 29, ainsi que du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C‑304/01, EU:C:2004:495, point 23).
47 Ensuite, il ressort de l’article 2, paragraphe 2, du règlement PCP que l’« approche de précaution » doit être appliquée en matière de gestion des pêches.
48 Or, conformément à la définition qui en est donnée à l’article 4, paragraphe 1, point 8, dudit règlement, cette approche implique que l’absence de données scientifiques pertinentes ne doit pas servir de justification pour ne pas adopter ou pour reporter l’adoption de mesures de gestion visant à conserver les espèces cibles, les espèces associées ou dépendantes, les espèces non cibles et leur environnement.
49 Enfin, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 54 et 55 de ses conclusions, l’article 6, paragraphe 2, du même règlement se limite à établir une obligation de « tenir compte » des avis scientifiques, techniques et économiques disponibles lors de l’adoption de mesures de conservation, mais n’empêche pas le législateur de l’Union de procéder à l’adoption de telles mesures de conservation en l’absence d’avis scientifiques, techniques et économiques concluants.
50 D’ailleurs, la Cour a jugé, au sujet d’une obligation similaire découlant du règlement (CEE) no 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO 1983, L 24, p. 1), que les mesures de conservation des ressources de pêche ne doivent pas être pleinement conformes aux avis scientifiques et que l’absence ou le caractère non concluant de tels avis ne doit pas empêcher le Conseil d’adopter les mesures qu’il juge
indispensables pour réaliser les objectifs de la PCP (voir, par analogie, arrêt du 24 novembre 1993, Mondiet, C‑405/92, EU:C:1993:906, point 31).
51 Il découle de ce qui précède que, en l’occurrence, d’une part, le Conseil avait le pouvoir d’adopter un TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax, y compris en l’absence de données scientifiques « concluantes » sur la présence et la capture de ces deux espèces de poissons dans les zones de gestion concernées, dès lors qu’il estimait que cette mesure était appropriée en vue de la conservation des ressources de grenadier de roche.
52 D’autre part, dans la mesure où le rapport du groupe de travail du CIEM de 2014 et l’avis du CIEM du 7 novembre 2014 faisaient état de déclarations de captures de grenadier berglax dans les zones de gestion concernées, dont l’importance faisait douter de leur fiabilité, les captures de grenadier de roche étant vraisemblablement déclarées en tant que captures de grenadier berglax, et où une telle circonstance risquait d’affecter de manière substantielle l’effet utile des TAC établis pour le
grenadier de roche étant donné que les deux espèces en question ne peuvent être distinguées l’une de l’autre une fois les poissons étêtés et congelés, le Conseil a pu juger nécessaire d’adopter une mesure en vue de contrecarrer ce risque.
53 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le Conseil a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en établissant un TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax.
54 La première branche du premier moyen doit dès lors être rejetée comme non fondée.
55 En ce qui concerne, en second lieu, la violation alléguée du principe de stabilité relative des activités de pêche, il convient de rappeler que l’article 16 du règlement PCP précise que les « possibilités de pêche réparties entre les États membres garantissent une stabilité relative des activités de pêche à chaque État membre pour chaque stock halieutique ou pêcherie ». Il ajoute que les « intérêts de chaque État membre sont pris en compte lors de la répartition de nouvelles possibilités de
pêche ».
56 Il ressort par ailleurs des considérants 35 et 36 dudit règlement que, vu, notamment, la dépendance de certaines communautés côtières à l’égard de la pêche, il est nécessaire de garantir une stabilité relative des activités de pêche, en répartissant les possibilités de pêche entre les États membres de manière à attribuer à chacun d’entre eux une part prévisible des stocks, sachant que cette stabilité doit permettre de « préserver et de tenir compte des besoins particuliers des régions dont les
communautés locales sont particulièrement tributaires de la pêche et des activités connexes ».
57 Il résulte de ce qui précède que la finalité du régime des quotas nationaux consiste à assurer à chaque État membre une portion équitable du TAC fixé, déterminée essentiellement en fonction des captures dont les activités de pêche traditionnelles, les populations locales tributaires de la pêche et les industries connexes de cet État membre ont bénéficié avant l’institution du régime des quotas (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1989, Agegate, C‑3/87, EU:C:1989:650, point 24).
58 C’est à la lumière de ces considérations ainsi que de la circonstance que le législateur de l’Union dispose d’une large marge d’appréciation quant au choix de la nature et de la portée des dispositions à prendre qu’il convient de rechercher si le Conseil, en ne tenant pas compte du niveau historique des captures de grenadier berglax déclarées par le Royaume d’Espagne lorsqu’il a déterminé les quotas revenant à chaque État membre à la suite de l’établissement d’un TAC commun pour cette espèce et
le grenadier de roche, a violé le principe de stabilité relative des activités de pêche.
59 À cet égard, il importe de constater que la présente affaire se distingue à plusieurs égards des autres affaires dont la Cour a été saisie en matière de PCP jusqu’à présent. Ainsi, d’abord, les deux espèces de poissons en question ne sauraient être distinguées à l’œil nu une fois les poissons étêtés et congelés. Ensuite, les avis scientifiques dont disposait le législateur de l’Union font état de la possibilité que les déclarations de captures élevées de grenadier berglax provenant principalement
d’un seul État membre, à savoir le Royaume d’Espagne, soient relatives à des captures de grenadier de roche déclarées, à tort, comme des captures de grenadier berglax. Enfin, le Conseil n’a pas procédé à l’élaboration d’un nouveau TAC pour le grenadier berglax et n’a donc pas procédé à la répartition d’une nouvelle possibilité de pêche, mais s’est limité à l’établissement, uniquement pour les années 2015 et 2016, d’un TAC commun pour les deux espèces en question.
60 En l’occurrence, le Conseil a ainsi décidé de ne pas procéder à une répartition des quotas telle que réclamée par le Royaume d’Espagne alors que la prise en compte des déclarations de captures de grenadier berglax soumises par cet État membre pour le calcul des quotas en question aurait eu pour conséquence de créer un avantage durable pour un État membre dont les déclarations de captures peuvent, selon les avis scientifiques, être erronées. En revanche, en suivant l’approche qu’il a retenue,
consistant, dans un premier stade, à ne pas tenir compte de ces déclarations de captures lors du calcul des quotas nationaux, le Conseil a évité de fournir des assurances à cet égard, susceptibles de fonder une confiance légitime, tout en se préservant la possibilité de fixer, une fois les informations relatives aux déclarations de captures vérifiées et des avis scientifiques concluants déposés, des quotas reposant sur des données établies et qui pourraient, partant, être considérés comme des
quotas équitables.
61 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel, dès lors que le Conseil a tenu compte des déclarations de captures relatives aux grenadiers berglax en établissant un TAC commun aux deux espèces, il aurait dû prendre en considération le niveau historique des captures de grenadier berglax déclarées par ledit État membre, eu égard, d’une part, aux doutes sur la fiabilité des déclarations concernant les captures des espèces de poissons en cause soulevés par les
avis scientifiques visés au point 52 du présent arrêt et, d’autre part, à la large marge d’appréciation dont le législateur de l’Union dispose en matière de PCP.
62 Partant, en l’occurrence, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir violé le principe de stabilité relative des activités de pêche.
63 Eu égard aux considérations qui précèdent, la seconde branche du premier moyen doit également être écartée comme non fondée.
64 Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
65 Le Royaume d’Espagne reproche au Conseil d’avoir violé le principe de proportionnalité en fixant, dans le règlement no 1367/2014, un TAC commun couvrant le grenadier de roche et le grenadier berglax dans les zones 5B67 et 8X14.
66 En effet, d’abord, le caractère approprié de la mesure en question ferait défaut puisque, dans le cadre de la fixation d’un TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax, le principe de stabilité relative des activités de pêche n’aurait pas été respecté en ce qui concerne le niveau historique des captures de grenadier berglax réalisées par le Royaume d’Espagne les années précédentes.
67 Ensuite, la fixation d’un TAC commun pour les deux espèces de grenadier ne constituerait pas une mesure nécessaire, puisqu’il aurait été possible de tenir compte du niveau historique des captures de grenadier berglax du Royaume d’Espagne et ainsi d’adopter une mesure moins préjudiciable aux intérêts de cet État membre.
68 Enfin, la mesure en cause serait disproportionnée en ce qu’elle repose sur l’hypothèse selon laquelle des captures significatives de grenadier de roche pourraient avoir été déclarées, à tort, comme des captures de grenadier berglax. Or, cette hypothèse ne serait pas scientifiquement vérifiée et la retenir serait disproportionnée par rapport au préjudice causé aux intérêts du Royaume d’Espagne résultant de l’absence de prise en compte du niveau historique de ses captures de grenadier berglax pour
la fixation du TAC commun pour les deux espèces.
69 Le Royaume d’Espagne précise, par ailleurs, que ce n’est pas tant la fixation d’un TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax qui lui porte préjudice que la circonstance que le niveau historique des captures de grenadier berglax n’ait pas été pris en considération par le Conseil lors de la fixation du TAC commun pour ces deux espèces.
70 Le Conseil et la Commission considèrent que ce moyen doit être rejeté comme non fondé.
Appréciation de la Cour
71 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne
doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, notamment, arrêt du 14 novembre 2013, SFIR e.a., C‑187/12 à C‑189/12, EU:C:2013:737, point 42 et jurisprudence citée).
72 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, en ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions de la mise en œuvre de ce principe, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union en matière de politique commune de la pêche, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, est susceptible d’affecter la légalité d’une telle mesure. Ainsi, il s’agit
de savoir non pas si la mesure adoptée par le législateur était la seule ou la meilleure possible, mais si elle était manifestement inappropriée (voir, en ce qui concerne la politique agricole commune, arrêt du 14 novembre 2013, SFIR e.a., C‑187/12 à C‑189/12, EU:C:2013:737, point 43 et jurisprudence citée).
73 En ce qui concerne la proportionnalité de la réglementation en cause en l’espèce, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort des points 59 et 60 du présent arrêt, la prise en compte du niveau historique des captures de grenadier berglax du Royaume d’Espagne lors de la fixation du TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax aurait précisément eu pour conséquence d’attribuer des quotas à cet État membre sur la base de déclarations de captures que le Conseil pouvait, en
s’appuyant sur les avis scientifiques, considérer comme étant vraisemblablement erronées.
74 Or, dès lors que le Conseil entendait, d’une part, protéger le grenadier de roche contre la surpêche et, d’autre part, se préserver la possibilité de fixer, une fois les informations relatives aux déclarations de captures de grenadier berglax vérifiées et des avis scientifiques concluants déposés, des TAC et des quotas reposant sur des données fiables établies, la décision de ne pas prendre en considération les déclarations de captures de grenadier berglax soumises par le Royaume d’Espagne lors
de la fixation du TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax ne saurait être considérée comme manifestement inappropriée.
75 Il convient d’ajouter que, en tout état de cause, le Royaume d’Espagne n’a pas démontré qu’une mesure moins préjudiciable à ses intérêts aurait également permis d’atteindre les objectifs poursuivis par le Conseil.
76 Dès lors, il convient de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
77 Par son troisième moyen, le Royaume d’Espagne reproche au Conseil d’avoir violé le principe d’égalité de traitement en fixant unilatéralement un TAC commun couvrant le grenadier de roche et le grenadier berglax alors que, dans des affaires comparables, les institutions de l’Union auraient soit respecté le principe de stabilité relative des activités de pêche en prenant en compte des quotas de captures historiques des États membres pour fixer le TAC, soit n’auraient pas fixé de TAC commun dès lors
que l’un des États membres s’y opposait.
78 Ainsi, d’abord, au cours de l’année 2011, à la suite de discussions portant sur l’inclusion d’une nouvelle espèce, à savoir le sébaste de type démersal, au TAC couvrant le sébaste, la Commission aurait tenu compte des allégations de la République fédérale d’Allemagne et de la République d’Estonie relatives à la fixation du TAC du sébaste de type démersal. Ensuite, la Commission, envisageant de fixer un TAC pour le bar depuis l’année 2012, confrontée à l’opposition de certains États membres dont
l’Irlande, aurait indiqué que la fixation d’un TAC pour cette espèce se ferait en tenant compte du niveau historique des captures de chaque État membre, conformément au principe de stabilité relative des activités de pêche, et aurait laissé les États membres négocier librement un accord susceptible de convenir à chacun. Enfin, toujours dans une démarche de recherche de consensus, la Commission encouragerait depuis plusieurs années le Royaume d’Espagne et la République portugaise à conclure, en ce
qui concerne la sardine, un accord en vue de la fixation d’un TAC qui tienne compte du principe de stabilité relative des activités de pêche.
79 Le Conseil et la Commission considèrent que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.
Appréciation de la Cour
80 S’agissant du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 40, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 38, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, qui énonce l’interdiction de toute discrimination dans le cadre de la politique commune de l’agriculture et de la pêche, n’est que l’expression spécifique du principe général d’égalité, lequel exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière
différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, SFIR e.a., C‑187/12 à C‑189/12, EU:C:2013:737, point 48 et jurisprudence citée).
81 En l’occurrence, il convient de rappeler que la fixation du TAC commun pour le grenadier de roche et le grenadier berglax ainsi que l’absence de prise en compte du niveau historique des captures de grenadier berglax déclarées par le Royaume d’Espagne étaient, selon le Conseil, nécessaires pour garantir une protection effective du grenadier de roche dans une situation se caractérisant par des circonstances bien précises, ainsi qu’il ressort du point 59 du présent arrêt.
82 Or, le Royaume d’Espagne ne fournit aucun élément permettant d’établir que les exemples qu’il cite à l’appui de son troisième moyen se caractérisaient par des circonstances identiques ou similaires à celles rappelées au point précédent du présent arrêt. En particulier, le Royaume d’Espagne n’a pas établi que, dans les affaires invoquées à titre comparatif, il était vraisemblable que des erreurs significatives aient été commises dans les déclarations de captures d’une espèce soumise à un TAC qui,
lors du débarquement des captures, ait pu être confondue avec une autre espèce non soumise à un TAC.
83 Partant, le troisième moyen doit également être écarté comme non fondé.
84 Aucun des moyens invoqués n’ayant été accueilli, le recours du Royaume d’Espagne doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
85 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens. La Commission, qui est intervenue au soutien des conclusions présentées par le Conseil, supporte, conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.
3) La Commission européenne supporte ses propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.