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06/10/2016 | CJUE | N°C-466/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Jean-Michel Adrien e.a. contre Premier ministre e.a., 06/10/2016, C-466/15


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

6 octobre 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des travailleurs — Fonctionnaires nationaux détachés au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union — Pension de vieillesse — Droit d’option — Suspension ou maintien de l’affiliation au régime de pension national — Limitation du cumul de la pension acquise au titre du régime de pension national avec celle acquise au titre du régime de pension de l’Union»

Dans l’affaire C‑466/15,

ayant pour objet une demande de dÃ

©cision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

6 octobre 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des travailleurs — Fonctionnaires nationaux détachés au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union — Pension de vieillesse — Droit d’option — Suspension ou maintien de l’affiliation au régime de pension national — Limitation du cumul de la pension acquise au titre du régime de pension national avec celle acquise au titre du régime de pension de l’Union»

Dans l’affaire C‑466/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 8 avril 2015, parvenue à la Cour le 3 septembre 2015, dans la procédure

Jean-Michel Adrien e.a.

contre

Premier ministre,

Ministre des Finances et des Comptes publics,

Ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Lycourgos, E. Juhász, C. Vajda et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

— pour M. Adrien e.a., par eux-mêmes,

— pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme S. Ghiandoni, en qualité d’agents,

— pour la Commission européenne, par M. D. Martin, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 45 et 48 TFUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant, d’une part, M. Adrien e.a. et, d’autre part, le Premier ministre, le ministre des Finances et des Comptes publics ainsi que le ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique au sujet de la pension de retraite des requérants au principal dans le cadre du régime de pension national.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et le régime applicable aux autres agents de l’Union (ci-après le « RAA ») sont établis par le règlement (CEE, Euratom, CECA) no 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (JO 1968, L 56, p. 1),
tel que modifié par le règlement (UE) no 1240/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010 (JO 2010, L 338, p. 7).

4 Aux termes de l’article 77 du statut :

« Le fonctionnaire qui a accompli au moins dix années de service a droit à une pension d’ancienneté. […] »

5 L’article 83, paragraphe 2, du statut énonce :

« Les fonctionnaires contribuent pour un tiers au financement de ce régime de pensions. […] »

6 L’article 12, paragraphes 1 et 2, de l’annexe VIII du statut dispose :

« 1.   Le fonctionnaire âgé de moins de 63 ans qui cesse définitivement ses fonctions pour une raison autre que le décès ou l’invalidité et qui ne peut bénéficier d’une pension d’ancienneté immédiate ou différée, a droit, lors de son départ :

a) s’il a accompli moins d’un an de service, et pour autant qu’il n’ait pas bénéficié de l’application de l’article 11, paragraphe 2, au versement d’une allocation de départ égale au triple des sommes retenues sur son traitement de base au titre de sa contribution à sa pension d’ancienneté, déduction faite des montants éventuellement vers[és] en application des articles 42 et 112 du [RAA] ;

b) dans les autres cas, à l’application des dispositions de l’article 11, paragraphe 1, ou au versement de l’équivalent actuariel à une assurance privée ou à un fonds de pension de son choix qui garantisse :

[…]

2.   Par dérogation au paragraphe 1, point b), le fonctionnaire âgé de moins de 63 ans qui, depuis son entrée en fonctions, a effectué des versements pour la constitution ou le maintien de ses droits à pension à un régime de pension national ou à une assurance privée ou à un fonds de pension de son choix qui remplisse les conditions mentionnées au paragraphe 1, qui cesse définitivement ses fonctions pour une raison autre que le décès ou l’invalidité et qui ne peut bénéficier d’une pension
d’ancienneté immédiate ou différée a droit, lors de son départ, au versement d’une allocation de départ égale à l’équivalent actuariel de ses droits à pension acquis pendant le service dans les institutions. Dans ce cas, les montants versés pour la constitution ou le maintien de ses droits à pensions dans le régime de pension national, en application des articles 42 ou 112 du [RAA], sont déduits de l’allocation de départ. »

7 Selon l’article 2 du RAA :

« Est considéré comme agent temporaire, au sens du présent régime :

[…]

c) L’agent engagé en vue d’exercer des fonctions auprès d’une personne remplissant un mandat prévu par le traité sur l’Union européenne ou le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou auprès du président élu d’une des institutions ou d’un des organes de l’Union ou auprès d’un groupe politique du Parlement européen ou du Comité des régions ou auprès d’un groupe du Comité économique et social européen, et qui n’est pas choisi parmi les fonctionnaires de l’Union ;

[…] »

8 Aux termes de l’article 39, paragraphe 1, premier alinéa, du RAA :

« Lors de la cessation de ses fonctions, l’agent visé à l’article 2 a droit à la pension d’ancienneté, au transfert de l’équivalent actuariel ou au versement de l’allocation de départ dans les conditions prévues au titre V, chapitre 3, du statut et à l’annexe VIII du statut. Lorsque l’agent a droit à une pension d’ancienneté, ses droits à pension sont réduits proportionnellement au montant des versements effectués en vertu de l’article 42. »

9 L’article 41 du RAA dispose :

« En ce qui concerne le financement du régime de sécurité sociale prévu aux sections B et C ci-avant, les dispositions de l’article 83 et de l’article 83 bis du statut, ainsi que des articles 36 et 38 de son annexe VIII sont applicables par analogie. »

Le droit français

10 L’article 46 ter de la loi no 84‑16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, telle que modifiée par la loi no 2002‑73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (ci-après la « loi no 2002‑73 »), dispose :

« Le fonctionnaire détaché dans une administration ou un organisme implanté sur le territoire d’un État étranger ou auprès d’un organisme international peut demander, même s’il est affilié au régime de retraite dont relève la fonction de détachement, à cotiser au régime du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dans ce cas, le montant de la pension acquise au titre de ce dernier, ajouté au montant de la pension éventuellement acquise au titre des services accomplis en détachement,
ne peut être supérieur à la pension qu’il aurait acquise en l’absence de détachement et la pension du code des pensions civiles et militaires de retraite est, le cas échéant, réduite à concurrence du montant de la pension acquise lors de ce détachement.

Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »

11 L’article L. 87 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi no 2002‑73, dispose :

« Dans le cas où le fonctionnaire ou le militaire détaché dans une administration ou un organisme implanté sur le territoire d’un État étranger ou auprès d’un organisme international au cours de sa carrière a opté pour la poursuite de la retenue prévue à l’article L. 61, le montant de la pension acquise au titre de ce code, ajouté au montant de la pension éventuellement servie au titre des services accomplis en position de détachement, ne peut être supérieur à la pension qu’il aurait acquise en
l’absence de détachement et la pension du présent code est, le cas échéant, réduite à concurrence du montant de la pension acquise lors de ce détachement.

[…] »

12 L’article R‑74‑1 de ce même code prévoit :

« Les fonctionnaires détachés mentionnés à l’article 46 ter de la loi no 84‑16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État peuvent demander à cotiser au régime du code des pensions civiles et militaires de retraite dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la décision de détachement ou de renouvellement de celui-ci leur a été notifiée.

La demande est présentée par écrit à l’administration dont le fonctionnaire est détaché.

Le fonctionnaire qui a souscrit à l’option prévue au premier alinéa est redevable de la cotisation mentionnée au 2° de l’article L. 61 auprès du comptable unique désigné par arrêté du ministre chargé du budget, selon des modalités fixées par arrêté. Le non-respect de cette obligation de versement suspend l’affiliation du fonctionnaire au présent régime.

Le fonctionnaire qui, dans le délai prescrit, n’a pas exercé son droit d'option, est réputé avoir renoncé à la possibilité de cotiser au régime du code des pensions civiles et militaires de retraite.

En cas de renouvellement d’un détachement, l’option émise par le fonctionnaire pour la précédente période de détachement est tacitement reconduite sauf pour lui à présenter, dans les délais prescrits au premier alinéa du présent article, une option contraire. »

13 La circulaire du 18 décembre 2002 précise à l’intention des services de l’administration concernés la mise en œuvre du dispositif prévu par l’article 46 ter de la loi no 84‑16 du 11 janvier 1984 et l’article L. 87 du code des pensions civiles et militaires de retraite, tels que modifiés par la loi no 2002‑73.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 Les requérants au principal sont des fonctionnaires français, détachés en qualité de référendaires à la Cour de justice de l’Union européenne, où ils sont employés en tant qu’agents temporaires. Contribuant obligatoirement au financement du régime de pension de l’Union, ils ont droit à une pension au titre de ce régime s’ils accomplissent au moins dix années de service auprès d’une institution ou d’un organe de l’Union. Dans l’hypothèse où ils cessent leurs fonctions avant l’accomplissement de
ces dix années, ils ont essentiellement droit, selon la durée du service accompli, soit à une allocation de départ égale au triple des sommes retenues sur leur traitement de base au titre de la contribution à la pension d’ancienneté, soit au versement de l’équivalent actuariel des droits à pension d’ancienneté acquis auprès de l’Union à une assurance privée ou à un fonds de pension de leur choix.

15 Selon la réglementation française en cause au principal, un fonctionnaire détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union doit choisir entre deux options concernant sa pension au titre du régime national.

16 Le fonctionnaire peut, d’une part, suspendre son affiliation au régime de pension français pendant la durée de son détachement. Dans cette hypothèse, il est, pour cette durée, uniquement affilié au régime de pension de l’Union, sa pension au titre du régime de pension français étant réduite à due proportion des années sans affiliation. Cette dernière pension sera cependant intégralement cumulée avec la pension résultant des droits acquis dans le cadre de l’affiliation au régime de pension de
l’Union.

17 D’autre part, le fonctionnaire peut continuer à contribuer au régime de pension français et, dès lors, demeurer affilié à ce régime. Dans cette hypothèse, il acquiert, pendant la période de détachement, des droits au titre dudit régime. Cependant, le montant de la pension qu’il percevra à ce titre ne peut compléter la pension acquise au titre du régime de l’Union que dans la limite de la pension qu’il aurait acquise au titre du régime national en l’absence de détachement (règle du plafonnement).
En conséquence, la pension de retraite nationale est diminuée à concurrence de la pension due au titre du régime de pension de l’Union de telle manière que le montant cumulé des deux pensions ne dépasse pas le plafond ainsi fixé (règle de l’écrêtement). L’écrêtement porte sur le montant total de la pension française, et non pas seulement sur le montant de la pension correspondant à la période de détachement ayant donné lieu à une double affiliation.

18 Les requérants au principal ont choisi de rester affiliés, pendant la durée de leur détachement, au régime de pension français et ont, dès lors, cotisé en même temps à ce dernier régime et au régime de pension de l’Union. Ils ont accompli, ou sont susceptibles d’accomplir, dix années de service dans une institution de l’Union leur donnant droit au bénéfice d’une pension au titre du régime de pension de l’Union. La pension de l’Union que les requérants au principal ont acquise, ou sont
susceptibles d’acquérir, étant supérieure à la pension française qu’ils auraient acquise en l’absence de détachement, ils ne perçoivent ou ne percevront, conformément à la réglementation française en cause au principal, aucune pension au titre du régime de pension français.

19 Les requérants au principal ont, par une demande reçue le 6 mars 2012, demandé à l’État français d’abroger la réglementation nationale en cause. Cette demande ayant été rejetée par une décision implicite acquise le 6 mai 2012, ils ont introduit un recours contre ce rejet devant le Conseil d’État.

20 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [U]ne réglementation nationale qui permet à un fonctionnaire détaché au sein d’une institution de l’Union européenne d’opter, pour la durée de son détachement, soit pour la suspension du versement de cotisations au titre du régime de pension de son État d’origine, sa pension au titre de ce régime étant alors intégralement cumulée avec les avantages de retraite liés à la fonction de détachement, soit pour la poursuite de ce versement, sa pension au titre de ce régime étant alors limitée au
montant nécessaire pour porter le total des pensions, y compris la pension acquise au titre du régime dont relève la fonction de détachement, au montant de la pension qu’il aurait acquise en l’absence de détachement, méconnaît-elle les obligations découlant de l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lu à la lumière de l’article 48 du même traité et du principe de coopération loyale mentionné par l’article 4 du traité sur l’Union européenne ? »

Sur la question préjudicielle

21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45 TFUE, lu à la lumière de l’article 48 TFUE, et l’article 4, paragraphe 3, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet qu’un fonctionnaire national détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union qui choisit de rester affilié au régime de pension national pendant la durée de son détachement perd tout ou
partie des avantages correspondant à son affiliation à ce dernier régime s’il accomplit la période de dix années au service de l’Union lui ouvrant droit à une pension au titre du régime de pension de l’Union.

22 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union, et notamment les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des travailleurs (arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 43, et du 21 janvier 2016, Commission/Chypre,
C‑515/14, EU:C:2016:30, point 38).

23 Il convient ainsi de vérifier si les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des travailleurs sont applicables dans une situation telle que celle en cause au principal. Si tel est le cas, il y aura ensuite lieu de déterminer, d’une part, si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs et, d’autre part, dans l’affirmative, si cette entrave est justifiée.

24 En premier lieu, s’agissant de l’applicabilité des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des travailleurs, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un ressortissant de l’Union travaillant dans un État membre autre que son État membre d’origine et qui a accepté un emploi dans une organisation internationale relève du champ d’application de l’article 45 TFUE (voir arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 11 ; du 16 février 2006,
Rockler, C‑137/04, EU:C:2006:106, point 15, et du 4 juillet 2013, Gardella, C‑233/12, EU:C:2013:449, point 25 et jurisprudence citée).

25 Il s’ensuit que des ressortissants de l’Union travaillant pour une institution ou un organe de celle-ci dans un État membre autre que leur État membre d’origine, tels les requérants au principal, ne sauraient se voir refuser le bénéfice des droits et des avantages sociaux que leur procure l’article 45 TFUE (voir arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 12, ainsi que du 16 février 2006, Rockler, C‑137/04, EU:C:2006:106, point 16 et jurisprudence citée).

26 En deuxième lieu, s’agissant du point de savoir si une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, il y a lieu de rappeler que l’article 45 TFUE s’oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE
(arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 45 ; du 10 mars 2011, Casteels, C‑379/09, EU:C:2011:131, point 22, et du 5 février 2015, Commission/Belgique, C‑317/14, EU:C:2015:63, point 23).

27 Certes, si le droit primaire de l’Union ne saurait garantir à un assuré qu’un déplacement dans un autre État membre soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de prestations de maladie et de pensions de vieillesse, un tel déplacement, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, pouvant, selon le cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale, il ressort d’une
jurisprudence bien établie que, dans le cas où son application est moins favorable, une réglementation nationale n’est conforme au droit de l’Union que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’État membre où elle s’applique et qu’elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdu (arrêts du 18 avril 2013, Mulders, C‑548/11,
EU:C:2013:249, point 45, et du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 40).

28 Ainsi, la Cour a itérativement qualifié d’entraves des mesures qui ont pour effet de faire perdre aux travailleurs, par suite de l’exercice de leur droit de libre circulation, des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d’un État membre, notamment lorsque ces avantages représentent la contrepartie de cotisations qu’ils ont versées (voir arrêts du 21 octobre 1975, Petroni, 24/75, EU:C:1975:129, point 13 ; du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et
gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 46, et du 18 avril 2013, Mulders, C‑548/11, EU:C:2013:249, point 46 et jurisprudence citée).

29 En ce qui concerne la réglementation nationale en cause au principal, il convient de constater que, dans l’hypothèse où un fonctionnaire détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union reste affilié à son régime de pension national pendant la durée de son détachement, ladite réglementation nationale soumet la pension découlant de cette affiliation à une règle de plafonnement et à une règle d’écrêtement. Selon ces règles, le montant de la pension que percevra le fonctionnaire au titre
du régime de pension national ne peut compléter la pension acquise au titre du régime de pension de l’Union que dans la limite de la pension nationale qu’il aurait acquise en l’absence de détachement et la pension nationale est diminuée à concurrence de la pension due au titre du régime de l’Union de telle manière que le montant cumulé des deux pensions ne dépasse pas le plafond ainsi fixé.

30 Ces règles de plafonnement et d’écrêtement ont pour effet qu’un fonctionnaire détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union qui reste affilié, pendant la durée de son détachement, au régime de pension national, perd tout ou partie des avantages correspondant à son affiliation à ce dernier régime s’il accomplit la période de dix années au service de l’Union lui ouvrant droit à une pension au titre du régime de pension de l’Union. Dans de telles conditions, le fonctionnaire qui reste
affilié au régime de pension national verse des contributions à fonds perdu. Lesdites règles sont ainsi susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par un tel fonctionnaire, de sa liberté garantie par l’article 45 TFUE.

31 Pour autant que le gouvernement français fait valoir que le maintien de l’affiliation au régime de pension national constitue une faculté offerte par la réglementation en cause au principal, et non pas une obligation, il convient de constater que cette circonstance n’enlève pas à une telle réglementation son caractère d’entrave à la libre circulation des travailleurs.

32 En effet, le caractère facultatif du maintien de l’affiliation au régime de pension national ne change rien au fait que les règles de plafonnement et d’écrêtement qui s’appliquent en cas d’exercice de cette faculté ont pour effet que le fonctionnaire qui se prévaut de ladite faculté a versé des contributions à fonds perdu s’il accomplit la période de dix années au service de l’Union lui ouvrant droit à une pension au titre du régime de pension de l’Union. Or, lorsqu’un régime de pension national
permet aux fonctionnaires détachés de demeurer affiliés, cette faculté doit être conçue de façon à ne pas avoir un tel effet, sous peine de constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs.

33 Le caractère d’entrave à la libre circulation des travailleurs d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal n’est pas non plus remis en cause par l’argumentation avancée par le gouvernement français selon laquelle une telle réglementation ne défavorise pas les fonctionnaires détachés par rapport à ceux qui effectuent la totalité de leur carrière dans l’État membre d’origine.

34 En effet, une telle réglementation défavorise un fonctionnaire détaché affilié à la fois au régime de pension de l’Union et au régime de pension national par rapport à un fonctionnaire resté dans l’État membre d’origine qui n’est affilié qu’à ce dernier régime en ce que seul le premier subit, tout en ayant cotisé à la fois aux deux régimes, une perte de tout ou partie des avantages correspondant à son affiliation au régime de pension national, s’il obtient des droits à pension au titre du régime
de pension de l’Union.

35 En troisième et dernier lieu, s’agissant de l’existence d’une éventuelle justification, il convient de constater que la juridiction de renvoi ne fait pas état d’un motif susceptible de justifier l’entrave à la libre circulation des travailleurs que constitue une réglementation telle que celle en cause au principal. De même, dans ses observations présentées devant la Cour, le gouvernement français s’est abstenu d’invoquer une justification à cette réglementation.

36 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’une réglementation telle que celle en cause au principal constitue une entrave injustifiée à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE.

37 Dès lors, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’interprétation de l’article 48 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

38 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet qu’un fonctionnaire national détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union qui choisit de rester affilié au régime de pension national pendant la durée de son détachement perd tout ou partie des avantages correspondant à son
affiliation à ce dernier régime s’il accomplit la période de dix années au service de l’Union lui ouvrant droit à une pension au titre du régime de pension de l’Union.

Sur les dépens

39 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet qu’un fonctionnaire national détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union européenne qui choisit de rester affilié au régime de pension national pendant la durée de son détachement perd tout ou partie des avantages correspondant à son affiliation à ce dernier régime s’il accomplit la période de dix années au service de l’Union lui
ouvrant droit à une pension au titre du régime de pension de l’Union.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-466/15
Date de la décision : 06/10/2016
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).

Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Fonctionnaires nationaux détachés au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union – Pension de vieillesse – Droit d’option – Suspension ou maintien de l’affiliation au régime de pension national – Limitation du cumul de la pension acquise au titre du régime de pension national avec celle acquise au titre du régime de pension de l’Union.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Jean-Michel Adrien e.a.
Défendeurs : Premier ministre e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wathelet
Rapporteur ?: von Danwitz

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:749

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