ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
22 septembre 2016 ( *1 )
«Recours en annulation — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Échange automatisé de données — Immatriculation des véhicules — Données dactyloscopiques — Cadre juridique applicable à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne — Dispositions transitoires — Base juridique dérivée — Distinction des actes législatifs et des mesures d’exécution — Consultation du Parlement européen — Initiative d’un État membre ou de la Commission européenne — Règles de vote»
Dans les affaires jointes C‑14/15 et C‑116/15,
ayant pour objet deux recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduits respectivement les 14 janvier et 6 mars 2015,
Parlement européen, représenté par MM. F. Drexler et A. Caiola ainsi que par Mme M. Pencheva, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes M.‑M. Joséphidès et K. Michoel ainsi que par M. K. Pleśniak, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et A. Lippstreu, en qualité d’agents,
et
Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson et N. Otte Widgren ainsi que par MM. E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. D. Šváby, J. Malenovský, M. Safjan et M. Vilaras, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juin 2016,
rend le présent
Arrêt
1 Par ses requêtes dans les affaires C‑14/15 et C‑116/15, le Parlement européen demande l’annulation, respectivement, d’une part, de la décision 2014/731/UE du Conseil, du 9 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules à Malte (JO 2014, L 302, p. 56), de la décision 2014/743/UE du Conseil, du 21 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules à Chypre (JO 2014,
L 308, p. 100) et de la décision 2014/744/UE du Conseil, du 21 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules en Estonie (JO 2014, L 308, p. 102) ainsi que, d’autre part, de la décision 2014/911/UE du Conseil, du 4 décembre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives aux données dactyloscopiques en Lettonie (JO 2014, L 360, p. 28) (ci-après, ensemble, les « décisions attaquées »).
Le cadre juridique
Le traité de Prüm
2 L’article 34, paragraphe 2, du traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, signé à Prüm (Allemagne) le 27 mai 2005 (ci-après le « traité de Prüm »), est ainsi rédigé :
« La transmission de données à caractère personnel prévue dans le présent Traité ne peut être entamée que lorsque les dispositions du présent chapitre ont été transposées dans le droit national sur le territoire des Parties contractantes concernées par la transmission. Le Comité des ministres visés à l’article 43 constate par décision si ces conditions sont réunies. »
3 L’article 43, paragraphe 1, de ce traité prévoit :
« Les parties contractantes créent un comité composé de ministres des Parties contractantes. Ce Comité des ministres prend les décisions nécessaires à la transposition et à l’application du présent Traité. Les décisions du Comité des ministres sont prises à l’unanimité de toutes les Parties contractantes. »
Le droit de l’Union
La décision 2008/615/JAI
4 Le considérant 1 de la décision 2008/615/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière (JO 2008, L 210, p. 1), est rédigé comme suit :
« À la suite de l’entrée en vigueur du [traité de Prüm], la présente initiative est présentée [...] dans le but d’intégrer, en substance, les dispositions du traité de Prüm dans le cadre juridique de l’Union européenne. »
5 L’article 1er de cette décision dispose :
« Par la présente décision, les États membres visent à approfondir la coopération transfrontalière dans les matières relevant du titre VI du traité [UE], en particulier l’échange d’informations entre les services chargés de la prévention des infractions pénales et des enquêtes en la matière. À cet effet, la présente décision contient des règles dans les domaines suivants :
a) dispositions relatives aux conditions et aux procédures applicables au transfert automatisé des profils ADN, des données dactyloscopiques et de certaines données nationales relatives à l’immatriculation des véhicules (chapitre 2) ;
[...] »
6 Le chapitre 6 de ladite décision comprend des dispositions générales relatives à la protection des données dans le cadre de l’échange d’informations prévu par la même décision.
7 L’article 25, paragraphes 2 et 3, de la décision 2008/615, qui figure sous le chapitre 6 de celle-ci, est ainsi rédigé :
« 2. La transmission de données à caractère personnel prévue par la présente décision ne peut avoir lieu qu’après la mise en œuvre du présent chapitre dans le droit national sur le territoire des États membres concernés par cette transmission. Le Conseil décide à l’unanimité si cette condition a été remplie.
3. Le paragraphe 2 ne s’applique pas aux États membres dans lesquels la transmission de données à caractère personnel prévue par la présente décision a déjà commencé conformément au [traité de Prüm]. »
8 Aux termes de l’article 33 de cette décision, intitulé « Mesures d’exécution », le Conseil, statuant à la majorité qualifiée et après consultation du Parlement, arrête les mesures nécessaires pour mettre en œuvre cette décision au niveau de l’Union.
La décision 2008/616/JAI
9 L’article 20 de la décision 2008/616/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, concernant la mise en œuvre de la décision 2008/615 (JO 2008, L 210, p. 12), est libellé comme suit :
« 1. Le Conseil prend la décision visée à l’article 25, paragraphe 2, de la décision [2008/615] sur la base d’un rapport d’évaluation fondé sur un questionnaire.
2. En ce qui concerne l’échange automatisé de données visé au chapitre 2 de la décision [2008/615], le rapport d’évaluation est aussi fondé sur une visite d’évaluation et un essai pilote effectué lorsque l’État membre concerné a communiqué au secrétariat général du Conseil les informations visées à l’article 36, paragraphe 2, première phrase, de la décision [2008/615].
3. D’autres modalités pour cette procédure sont exposées au chapitre 4 de l’annexe. »
Les décisions attaquées
10 Les décisions attaquées, qui visent, d’une part, la décision 2008/615, notamment l’article 25 de celle-ci, et, d’autre part, la décision 2008/616, notamment l’article 20 et le chapitre 4 de l’annexe de celle-ci, prévoient, à leurs considérants 1 à 3 :
« (1) Conformément au protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité [UE], au traité [FUE] et au traité [CEEA], les effets juridiques des actes des institutions, organes, organismes de l’Union adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne sont préservés aussi longtemps que ces actes n’auront pas été abrogés, annulés ou modifiés en application des traités.
(2) En conséquence, l’article 25 de la décision [2008/615] s’applique et le Conseil doit décider à l’unanimité si les États membres ont mis en œuvre les dispositions du chapitre 6 de ladite décision.
(3) L’article 20 de la décision [2008/616] prévoit que les décisions visées à l’article 25, paragraphe 2, de la décision [2008/615] doivent être prises sur la base d’un rapport d’évaluation fondé sur un questionnaire. En ce qui concerne l’échange automatisé de données visé au chapitre 2 de la décision [2008/615], le rapport d’évaluation doit être fondé sur une visite d’évaluation et un essai pilote. »
11 L’article 1er de la décision 2014/731 dispose :
« Aux fins de la consultation automatisée de données relatives à l’immatriculation des véhicules, Malte a pleinement mis en œuvre les dispositions générales relatives à la protection des données énoncées au chapitre 6 de la décision [2008/615] et est autorisée à recevoir et à transmettre des données à caractère personnel conformément à l’article 12 de ladite décision à compter du jour d’entrée en vigueur de la présente décision. »
12 L’article 1er de la décision 2014/743 précise :
« Aux fins de la consultation automatisée de données relatives à l’immatriculation des véhicules, Chypre a pleinement mis en œuvre les dispositions générales relatives à la protection des données énoncées au chapitre 6 de la décision [2008/615] et est autorisée à recevoir et à transmettre des données à caractère personnel conformément à l’article 12 de ladite décision à compter du jour d’entrée en vigueur de la présente décision. »
13 L’article 1er de la décision 2014/744 est ainsi rédigé :
« Aux fins de la consultation automatisée de données relatives à l’immatriculation des véhicules, l’Estonie a pleinement mis en œuvre les dispositions générales relatives à la protection des données énoncées au chapitre 6 de la décision [2008/615] et est autorisée à recevoir et à transmettre des données à caractère personnel conformément à l’article 12 de ladite décision à compter du jour d’entrée en vigueur de la présente décision. »
14 L’article 1er de la décision 2014/911 est libellé comme suit :
« Aux fins de la consultation automatisée de données dactyloscopiques, la Lettonie a pleinement mis en œuvre les dispositions générales relatives à la protection des données énoncées au chapitre 6 de la décision [2008/615] et est autorisée à recevoir et à transmettre des données à caractère personnel conformément à l’article 9 de ladite décision à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente décision. »
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
15 Le Parlement demande à la Cour :
— d’annuler les décisions attaquées et
— de condamner le Conseil aux dépens.
16 Le Conseil demande à la Cour :
— de rejeter les recours comme non fondés en ce qui concerne le premier moyen ainsi que la première branche et les deux premiers éléments de la seconde branche du second moyen, le Conseil s’en remettant à la sagesse de la Cour s’agissant du troisième élément de la seconde branche du second moyen ;
— à titre subsidiaire, en cas d’annulation des décisions attaquées, de maintenir les effets de celles-ci jusqu’à leur remplacement par de nouveaux actes, et
— de condamner le Parlement aux dépens.
17 Par décision du président de la Cour 8 avril 2015, les affaires C‑14/15 et C‑116/15 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et de la procédure orale, ainsi que de l’arrêt.
18 Par décisions du président de la Cour du 24 juin 2015, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Suède ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil dans les affaires C‑14/15 et C‑116/15. La République fédérale d’Allemagne n’a toutefois pris part à aucune phase de la présente procédure.
Sur les recours
19 Le Parlement invoque deux moyens au soutien de ses recours, tirés, respectivement, du choix d’une base juridique erronée ou illégale des décisions attaquées et de la violation de formes substantielles lors de l’adoption de ces décisions.
Sur le premier moyen, tiré du choix d’une base juridique erronée ou illégale
Argumentation des parties
20 À titre liminaire, le Parlement avance que l’article 9 du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires (ci-après le « protocole sur les dispositions transitoires »), relatif aux actes adoptés sur la base du traité sur l’Union européenne avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, doit être interprété en ce sens qu’il ne maintient que les effets substantiels des actes de l’ancien « troisième pilier » et non les procédures décisionnelles auxquelles ces actes se réfèrent. Partant, ces
procédures ne pourraient plus être utilisées lorsqu’elles ne figurent plus dans les traités.
21 Le Parlement relève que les décisions attaquées se fondent sur l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 et soutient que cette disposition doit être interprétée comme instituant une procédure relative à l’adoption d’actes législatifs.
22 Il fait valoir, à cet égard, que, à l’époque de l’adoption de cette décision, l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE prévoyait deux procédures distinctes pour l’adoption des actes législatifs et des mesures d’exécution et que seule celle relative aux actes législatifs impliquait une décision du Conseil à l’unanimité, telle que celle exigée par l’article 25, paragraphe 2, de ladite décision. En outre, l’adoption des mesures d’exécution de la même décision serait spécifiquement régie par
l’article 33 de celle-ci, ce qui impliquerait que les mesures adoptées sur le fondement d’une autre disposition de la décision 2008/615 ne pourraient pas être qualifiées de « mesures d’exécution ». Enfin, alors que, à la suite de l’introduction du recours du Parlement ayant donné lieu à l’arrêt du 16 avril 2015, Parlement/Conseil (C‑317/13 et C‑679/13, EU:C:2015:223), le Conseil aurait ajouté le mot « exécution » dans le titre de diverses décisions adoptées sur le fondement d’actes relevant de
l’ancien « troisième pilier », cette dernière institution n’aurait pas procédé à une modification comparable du titre des décisions attaquées.
23 Or, dans la mesure où le législateur de l’Union ne serait jamais obligé de déléguer ou de conférer des pouvoirs, un acte donné pourrait parfois être adopté soit comme un acte législatif soit comme une mesure d’exécution, en fonction du choix opéré par ce législateur.
24 Partant, les décisions attaquées devraient être considérées comme des actes législatifs et auraient donc dû être fondées sur les mêmes bases juridiques que la décision 2008/615, telles que modifiées par le traité de Lisbonne, à savoir l’article 82, paragraphe 1, sous d), et l’article 87, paragraphe 2, sous a), TFUE.
25 À titre subsidiaire, le Parlement fait valoir que, même si la Cour estimait que les articles 82 et 87 TFUE ne constituent pas les bases juridiques appropriées pour l’adoption des décisions attaquées, ces dernières devraient tout de même être annulées, du fait de l’illégalité ab initio de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615, base juridique retenue par le Conseil.
26 À cet égard, le Parlement allègue que l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 crée une base juridique dérivée qui allège les modalités prévues dans les traités pour l’adoption d’actes législatifs dans le domaine concerné, puisqu’elle ne prévoit ni initiative préalable d’un État membre ou de la Commission européenne ni consultation du Parlement, alors que ces éléments étaient exigés par l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE, applicable à la date de l’adoption de la décision 2008/615.
27 En outre, si la Cour devait considérer que les décisions attaquées constituent des mesures d’exécution, la procédure instituée à l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 s’écarterait du traité UE, non seulement en ce qui concerne le régime de l’initiative et l’absence de consultation du Parlement, mais également en tant qu’il exige une décision unanime du Conseil en lieu et place d’une décision de cette institution à la majorité qualifiée.
28 Le Conseil considère que l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 met en place une réserve de pouvoir d’exécution en sa faveur. Les décisions attaquées seraient donc bien des mesures d’exécution et non des actes législatifs.
29 Il avance, à cet égard, que la thèse du Parlement, selon laquelle le fait que cet article prévoit un vote à l’unanimité indique qu’il vise à adopter des actes législatifs, méconnaît la jurisprudence de la Cour selon laquelle c’est la base juridique qui détermine la procédure à suivre et non l’inverse.
30 En outre, les termes utilisés à l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615, l’économie générale de cette décision et la circonstance que les actes adoptés sur le fondement de cette disposition seraient dépourvus d’objectifs autonomes permettraient d’établir que ces actes sont des mesures d’exécution de ladite décision.
31 En ce qui concerne l’illégalité alléguée de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615, le Conseil relève qu’il découle des arrêts du 16 avril 2015, Parlement/Conseil (C‑317/13 et C‑679/13, EU:C:2015:223) et du 16 avril 2015, Parlement/Conseil (C‑540/13, EU:C:2015:224) que l’écart entre les procédures prévues par cette disposition et les traités ne saurait impliquer l’illégalité de celle-ci, une interprétation conforme devant plutôt être envisagée.
32 S’agissant plus spécifiquement de l’exigence d’un vote à l’unanimité, le Conseil estime que l’argument du Parlement est fondé sur un malentendu résultant d’une rédaction malheureuse de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615.
33 Ainsi, alors qu’une décision unanime du Conseil serait ordinairement prévue par l’évocation de « l’adoption d’une décision par le Conseil statuant à l’unanimité », cette disposition utiliserait l’expression plus ambiguë « décide à l’unanimité ».
34 Dans ce contexte, le Conseil estime, sur la base de l’économie générale de la décision 2008/615 et des termes qu’elle emploie, que le processus en cause comporte en réalité deux étapes. Dans un premier temps, le Conseil devrait procéder au constat factuel de ce qu’il est satisfait à la condition mentionnée à l’article 25, paragraphe 2, de celle-ci, ce qui impliquerait un faisceau d’accords, explicites ou tacites, de tous les États membres. Cette étape serait imposée par le besoin réel d’assurer
l’intégrité et la sécurité du système d’échange de données entre les États membres. Dans un second temps, le Conseil prendrait une décision, à la majorité qualifiée, sur la fixation d’une date de début des transmissions.
35 Un système comparable, caractérisé par la combinaison d’une phase de vérification consensuelle du bon fonctionnement d’un réseau donné et d’une phase de décision formelle du Conseil à la suite de cette vérification, présiderait à l’adoption de divers instruments juridiques.
36 En ce qui concerne la décision 2008/615, le législateur de l’Union, en raison du contexte historique de l’adoption de celle-ci, à savoir l’intégration du mécanisme institué par le traité de Prüm dans le cadre juridique de l’Union, n’aurait pas suffisamment distingué les deux stades du processus en cause, en traduisant le consensus de la première phase et la majorité qualifiée de deuxième phase en une seule exigence, celle d’une unanimité en référence à l’étape consensuelle préalable.
Appréciation de la Cour
37 Il importe d’emblée de constater qu’il ressort clairement du texte des décisions attaquées que celles-ci sont fondées sur l’article 25 de la décision 2008/615 et sur l’article 20 de la décision 2008/616 (voir, par analogie, arrêts du 16 avril 2015, Parlement/Conseil, C‑317/13 et C‑679/13, EU:C:2015:223, points 28 à 31, ainsi que du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, points 23 à 26), ce dernier article se contentant, au demeurant, de préciser les conditions d’adoption
des décisions visées à l’article 25 de la décision 2008/615.
38 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (arrêt du 6 mai 2014, Commission/Parlement et Conseil, C‑43/12, EU:C:2014:298, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
39 Or, les parties ne sont pas en désaccord quant au rapport entre l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 et la finalité ou le contenu des décisions attaquées.
40 Le Parlement soutient en revanche, d’une part, que cette disposition ne peut plus servir de base juridique à l’adoption de nouveaux actes après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et, d’autre part, qu’elle est, en tout état de cause, illégale.
41 En ce qui concerne l’argument du Parlement selon lequel la procédure prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 ne pourrait plus être appliquée après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il convient de rappeler que le protocole sur les dispositions transitoires comprend des dispositions portant spécifiquement sur le régime juridique applicable, après l’entrée en vigueur de ce traité, aux actes adoptés sur la base du traité UE avant cette date (arrêt du 10 septembre 2015,
Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 68 et jurisprudence citée).
42 Ainsi, l’article 9 de ce protocole prévoit que les effets juridiques de tels actes sont préservés aussi longtemps que ces derniers n’ont pas été abrogés, annulés ou modifiés en application des traités.
43 Or, la Cour a jugé que cet article doit être interprété comme impliquant qu’une disposition d’un acte adopté régulièrement sur la base du traité UE avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui prévoit des modalités d’adoption d’autres mesures continue de produire ses effets juridiques tant qu’elle n’a pas été abrogée, annulée ou modifiée et permet l’adoption de ces mesures en application de la procédure qu’elle définit (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2015, Parlement/Conseil,
C‑540/13, EU:C:2015:224, point 47, et du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 70).
44 Il s’ensuit que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne n’exclut pas, en tant que telle, l’adoption d’actes tels que les décisions attaquées dans le cadre de la procédure définie à l’article 25 de la décision 2008/615. Par conséquent, l’argument du Parlement selon lequel de tels actes doivent nécessairement être fondés sur l’article 82, paragraphe 1, sous d), et l’article 87, paragraphe 2, sous a), TFUE ne saurait prospérer.
45 Partant, le premier moyen invoqué par le Parlement au soutien de ses recours ne pourra être accueilli que si l’illégalité de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 est établie.
46 Le Parlement fait valoir que tel est bien le cas, dès lors qu’il ressort de cet article que les modalités d’adoption qu’il institue pour des mesures telles que les décisions attaquées diffèrent de celles découlant de la procédure prévue à cette fin par les traités.
47 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans la mesure où les règles relatives à la formation de la volonté des institutions de l’Union sont établies par les traités et ne sont à la disposition ni des États membres ni des institutions elles-mêmes, seuls les traités peuvent, dans des cas particuliers, habiliter une institution à modifier une procédure décisionnelle qu’ils établissent. Dès lors, reconnaître à une institution la possibilité d’établir des bases juridiques dérivées
permettant l’adoption d’actes législatifs ou de mesures d’exécution, que ce soit dans le sens d’un renforcement ou dans celui d’un allégement des modalités d’adoption d’un acte, reviendrait à lui attribuer un pouvoir législatif qui excède ce qui est prévu par les traités (arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 43 et jurisprudence citée).
48 À cet égard, étant donné que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté, la légalité de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 doit être appréciée au regard des dispositions qui régissaient l’adoption de mesures telles que les décisions attaquées à la date où cette décision a été adoptée, à savoir au regard de l’article 34, paragraphe 2, sous c), et de l’article 39, paragraphe 1, UE
(voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2015, Parlement/Conseil, C‑540/13, EU:C:2015:224, point 35, et du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 59).
49 Il résulte de ces dispositions que le Conseil, statuant à l’unanimité à l’initiative de tout État membre ou de la Commission, peut arrêter des actes législatifs à toute fin conforme aux objectifs du titre VI du traité UE, à l’exclusion toutefois des domaines visés à l’article 34, paragraphe 2, sous a) et b), UE, et, statuant à la majorité, arrête les mesures nécessaires pour mettre en œuvre ces actes au niveau de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14,
EU:C:2015:579, points 60 à 66). Dans les deux cas, ces mesures ne peuvent être adoptées qu’après avoir consulté le Parlement (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Parlement/Conseil, C‑540/13, EU:C:2015:224, point 36).
50 Il ressort de ce qui précède que la procédure fixée par le droit primaire à laquelle la procédure prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 doit correspondre sera différente selon que les actes adoptés en application de cette disposition doivent être considérés comme des actes législatifs ou comme des mesures d’exécution.
51 Dans ce contexte, il importe de relever que le Parlement ne conteste pas le fait que le législateur de l’Union avait la possibilité de prévoir l’adoption d’actes tels que les décisions attaquées en tant que mesures d’exécution. En revanche, il soutient que ce législateur a fait le choix de ne pas user de cette faculté et qu’il a, au contraire, décidé de se réserver le pouvoir d’adopter de tels actes.
52 Dès lors, contrairement à ce que soutient le Conseil, cet argument du Parlement ne saurait être rejeté du seul fait qu’il serait établi, le cas échéant, qu’il découle du but et du contenu des actes visés à l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 que l’adoption de ceux-ci peut être déléguée à une autorité d’exécution, en tant qu’ils n’établissent pas les éléments essentiels d’une réglementation de base, dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant exclusivement
des responsabilités propres du législateur de l’Union.
53 En effet, le désaccord entre les parties ne porte pas sur ce point mais plutôt sur la question de savoir si, en adoptant l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615, le législateur de l’Union a décidé d’accorder au Conseil une compétence législative dérivée ou un simple pouvoir d’exécution.
54 À cet égard, force est de constater que cette disposition ne qualifie pas explicitement les actes dont elle permet l’adoption.
55 Cependant, il ressort du libellé de celle-ci que l’acte adopté par le Conseil dans ce cadre vise uniquement à s’assurer que le chapitre 6 de la décision 2008/615, qui établit des dispositions générales relatives à la protection des données, a bien été mis en œuvre sur le territoire d’un État membre en vue de permettre la transmission à cet État membre de données à caractère personnel prévue par cette décision.
56 Il s’ensuit qu’il découle tant des conditions d’adoption de cet acte que des effets de celui-ci que le législateur de l’Union a entendu limiter strictement l’objet dudit acte à la mise en œuvre du cadre établi par la décision 2008/615, sans confier au Conseil la tâche d’opérer, à l’occasion de l’adoption du même acte, des choix politiques notables.
57 Ce constat est conforté par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 25, paragraphe 2, de cette décision, qui doit être pris en compte en vue de l’interprétation de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj, C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 34).
58 Ainsi, cette disposition figure sous un chapitre de ladite décision ayant pour objet de préciser les conditions permettant l’application, dans des États membres autres que ceux visés à l’article 25, paragraphe 3, de celle-ci, des mécanismes d’échange d’informations mis en place par la même décision.
59 Il importe également de relever qu’il découle de l’article 20 de la décision 2008/616 et du chapitre 4 de l’annexe de celle-ci, à laquelle cet article renvoie, que des actes tels que les décisions attaquées doivent être adoptés à la suite d’une procédure d’évaluation essentiellement technique menée par un groupe du travail du Conseil et par une équipe d’experts.
60 Ces différents éléments, combinés à l’absence, dans la décision 2008/615, de toute référence à l’adoption d’un acte législatif ou à une éventuelle volonté du législateur de l’Union de se réserver la compétence de régir le domaine concerné, sont de nature à indiquer que celui-ci, en adoptant l’article 25, paragraphe 2, de cette décision, a décidé de confier au Conseil le soin d’adopter des mesures nécessaires pour mettre en œuvre ladite décision au niveau de l’Union.
61 Cette analyse ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par le Parlement.
62 En premier lieu, le fait que l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 précise que le Conseil « décide à l’unanimité » ne saurait suffire à démontrer que le législateur a ainsi entendu se référer à la procédure prévue à l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE pour l’adoption des actes législatifs.
63 En effet, bien que cette procédure exige effectivement que le Conseil statue à l’unanimité, l’énoncé de cette seule règle de vote sans mentionner les autres exigences de ladite procédure, à savoir l’initiative d’un État membre ou de la Commission et la consultation du Parlement, ne saurait être vue comme indiquant clairement la volonté du législateur de l’Union de prévoir l’application de celle-ci.
64 Cette analyse est confortée par le contexte historique entourant l’adoption de la décision 2008/615. En effet, comme le souligne le considérant 1 de cette décision, celle-ci a pour but d’intégrer, en substance, les dispositions du traité de Prüm dans le cadre juridique de l’Union. Or, l’article 34, paragraphe 2, de ce traité prévoyait un mécanisme proche de celui institué par l’article 25, paragraphe 2, de ladite décision, qui impliquait notamment, en application de l’article 43, paragraphe 1,
dudit traité, une décision unanime des ministres des États parties à celui-ci.
65 En deuxième lieu, la circonstance que l’article 33 de la décision 2008/615 confère au Conseil le pouvoir d’adopter des mesures d’exécution de celle-ci ne saurait être déterminante.
66 En effet, il apparaît que l’article 33 et l’article 25, paragraphe 2, de cette décision ont des fonctions sensiblement différentes. Ainsi, alors que le premier, qui reflète simplement le pouvoir conféré au Conseil par l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE, vise, de manière générale, l’adoption de mesures d’exécution de ladite décision, le second prévoit l’adoption de mesures particulières dans le cadre d’un processus, spécialement prévu par le législateur de l’Union, d’autorisation de la
transmission de données à caractère personnel dans des États membres autres que ceux visés à l’article 25, paragraphe 3, de la même décision.
67 Partant, le fait que le législateur de l’Union ait décidé de consacrer l’article 33 de la décision 2008/615 aux mesures d’exécution de cette dernière ne saurait, en tant que tel, impliquer que les actes adoptés sur le fondement de l’article 25, paragraphe 2, de cette décision ne pourraient plus être qualifiés de « mesures d’exécution » et devraient être considérés comme des actes législatifs.
68 En troisième lieu, la circonstance que le Conseil n’a pas choisi d’intituler les actes effectivement adoptés sur ce fondement « décisions d’exécution » ne saurait, au regard de l’absence de conséquence juridique de ce choix et de la date à laquelle il est intervenu, être utilement invoqué à l’appui de l’argumentation du Parlement.
69 Par conséquent, l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2008/615 doit être interprété comme prévoyant l’adoption, par le Conseil statuant à l’unanimité, de mesures d’exécution de cette décision.
70 À cet égard, l’argument du Conseil selon lequel cette disposition devrait être lue comme prévoyant une procédure en deux phases, comportant une décision par consensus suivie d’une décision à la majorité qualifiée, est incompatible avec le libellé clair de ladite disposition, aux termes duquel « le Conseil décide à l’unanimité », et ne trouve, de surcroît, aucun appui dans d’autres éléments de la décision 2008/615.
71 Dans ces conditions, les circonstances que d’autres actes de l’Union prévoiraient une procédure de cet ordre ou que celle-ci serait justifiée par d’impérieuses raisons politiques, à les supposer établies, ne mènent en tout état de cause pas à ce que l’interprétation de l’article 25, paragraphe 2, de cette décision proposée par le Conseil puisse être retenue.
72 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en exigeant que des mesures nécessaires pour mettre en œuvre la décision 2008/615 au niveau de l’Union soient adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité, alors que l’article 34, paragraphe 2, sous c), UE prévoyait que de telles mesures devaient être adoptées par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, l’article 25, paragraphe 2, de cette décision institue illégalement des modalités d’adoption de mesures, telles que les
décisions attaquées, renforcées par rapport à la procédure prévue à cette fin par les traités.
73 Il s’ensuit que le premier moyen invoqué par le Parlement est fondé et que les décisions attaquées doivent, en conséquence, être annulées.
Sur le second moyen, tiré de la violation de formes substantielles
74 Le premier moyen du Parlement ayant été accueilli et les décisions attaquées devant être annulées de ce chef, il n’est pas nécessaire d’examiner le second moyen invoqué par le Parlement au soutien de ses recours.
Sur la demande de maintien des effets des décisions attaquées
75 Le Conseil demande à la Cour de maintenir, dans le cas où elle annulerait les décisions attaquées, les effets de ces dernières jusqu’à ce que celles-ci soient remplacées par de nouveaux actes. Le Parlement précise qu’il ne s’oppose pas à cette demande.
76 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.
77 En l’espèce, prononcer l’annulation des décisions attaquées sans prévoir le maintien de leurs effets serait susceptible de porter atteinte à l’efficacité de l’échange d’informations entre les autorités compétentes des États membres aux fins de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière et, partant, au maintien de l’ordre public et de la sécurité publique. Or, si le Parlement demande l’annulation de ces décisions au motif qu’une base juridique illégale a été utilisée par le
Conseil, il n’en conteste ni la finalité ni le contenu.
78 Il y a lieu, par conséquent, de maintenir les effets des décisions attaquées jusqu’à l’entrée en vigueur de nouveaux actes appelés à les remplacer.
Sur les dépens
79 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation du Conseil aux dépens et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.
80 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) Les décisions 2014/731/UE du Conseil, du 9 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules à Malte, la décision 2014/743/UE du Conseil, du 21 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules à Chypre, la décision 2014/744/UE du Conseil, du 21 octobre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives à l’immatriculation des véhicules en
Estonie et la décision 2014/911/UE du Conseil, du 4 décembre 2014, concernant le lancement de l’échange automatisé de données relatives aux données dactyloscopiques en Lettonie, sont annulées.
2) Les effets des décisions 2014/731, 2014/743, 2014/744 et 2014/911 sont maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur de nouveaux actes appelés à les remplacer.
3) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.
4) La République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.