ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
22 octobre 2015 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Marques — Directive 2008/95/CE — Motifs supplémentaires de refus ou de nullité — Marque verbale — Même séquence de lettres qu’une marque antérieure — Ajout d’un syntagme descriptif — Existence d’un risque de confusion»
Dans l’affaire C‑20/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets, Allemagne), par décision du 25 avril 2013, parvenue à la Cour le 17 janvier 2014, dans la procédure
BGW Beratungs-Gesellschaft Wirtschaft mbH, anciennement BGW Marketing- & Management-Service GmbH
contre
Bodo Scholz,
LA COUR (première chambre),
composée de MM. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet (rapporteur), E. Levits et Mme M. Berger, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
— pour la Commission européenne, par MM. G. Braun et F.W. Bulst, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mars 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BGW Beratungs-Gesellschaft Wirtschaft mbH, anciennement BGW Marketings- & Management-Service GmbH (ci-après «BGW») à M. Scholz au sujet de la marque verbale BGW Bundesverband der deutschen Gesundheitswirtschaft.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 3 de la directive 2008/95, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», dispose à son paragraphe 1, sous b) et c):
«1. Sont refusés à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:
[...]
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;
[...]»
4 L’article 4 de cette directive, intitulé «Motifs supplémentaires de refus ou de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs», prévoit, à son paragraphe 1, sous b):
«1. Une marque est refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle:
[...]
b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.»
Le droit allemand
5 L’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les marques (Markengesetz), du 25 octobre 1994 (BGB1. I p. 3082; 1995 I p. 156; 1996 I p. 682), est libellé comme suit:
«L’enregistrement d’une marque peut être annulé
[...]
2. lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque demandée ou enregistrée ayant une date de priorité antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure, [...]»
Les faits du litige au principal et la question préjudicielle
6 Le 11 décembre 2006, la marque verbale BGW Bundesverband der deutschen Gesundheitswirtschaft (ci-après la «marque postérieure») a été enregistrée à l’Office allemand des brevets et des marques (Deutsches Patent- und Markenamt), sous le no 306 33835, notamment pour des produits et des services relevant des classes 16, 35, 41 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel
que révisé et modifié, correspondant à la description suivante:
«Classe 16: Produits de l’imprimerie;
Classe 35: Publicité; gestion des affaires commerciales; administration commerciale; travaux de bureau; consultation professionnelle d’affaires; conseils en organisation des affaires; consultation pour la direction des affaires; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité; relations publiques;
Classe 41: Éducation; formation; divertissement; activités sportives et culturelles; organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs; mise à disposition d’installations de loisirs; clubs de sport; organisation et conduite de colloques; organisation et conduite de conférences, de congrès et de symposiums; mise à disposition d’installations sportives; location d’équipement pour les sports; enseignement de la gymnastique; organisation et conduite de séminaires, d’ateliers de formation, de
conférences, de tables rondes et de cours; consultation sur les loisirs; organisation et conduite d’événements de formation et de formation continue; services d’information aux clients en cure concernant les activités sportives et culturelles; conseil en matière de cure;
Classe 43: Services de restauration et d’hébergement de clients; réservation et courtage d’hébergement de clients, notamment de clients en cure; maisons de retraite pour personnes âgées; services de camps de vacances.»
7 BGW a formé opposition contre ledit enregistrement, sur le fondement de la marque verbale et figurative allemande no 304 06 837 suivante (ci-après la «marque antérieure»):
Image
8 La marque antérieure est enregistrée depuis le 21 juillet 2004 pour des produits et des services relevant des classes 16, 35 et 41 au sens dudit arrangement de Nice, correspondant à la description suivante:
«Classe 16: Papier, carton et produits en ces matières, non compris dans d’autres classes; produits de l’imprimerie; articles pour reliures; photographies; papeterie; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage; matériel pour les artistes; pinceaux; machines à écrire et articles de bureau (à l’exception des meubles); matériel d’instruction ou d’enseignement (à l’exception des appareils); matières plastiques pour l’emballage (non compris dans d’autres classes);
Classe 35: Publicité; gestion des affaires commerciales; administration commerciale; travaux de bureau;
Classe 41: Éducation; formation; divertissement; activités sportives et culturelles; publication et édition de journaux, périodiques et livres; édition de textes; organisation d’expositions à buts culturels, sportifs ou de divertissement; production de films; location de films; location de caméras vidéo, d’enregistrements sonores et de postes de télévision et de radio; enseignement par correspondance; organisation et conduite de conférences, de congrès et de symposiums; publication électronique de
livres et de périodiques en ligne; divertissement radiophonique; organisation et conduite de séminaires et d’ateliers de formation; services de traduction; enseignement et éducation; organisation et conduite de colloques; rédaction de scénarios; enregistrement sur bandes vidéo; organisation de concours.»
9 Par décision du 2 octobre 2009, l’Office allemand des brevets et des marques a partiellement fait droit à l’opposition formée par BGW et a partiellement annulé l’enregistrement de la marque postérieure en raison de l’existence d’un risque de confusion entre les deux marques en conflit. À la suite d’un recours introduit par le titulaire de la marque postérieure, cette décision a été révoquée par décision du 9 janvier 2012, au motif que BGW n’avait pas démontré un usage de sa marque propre à
maintenir les droits acquis.
10 BGW a formé un recours en annulation contre cette dernière décision devant le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets).
11 Cette juridiction considère, sur la base de nombreuses pièces produites devant elle par BGW, qu’un usage de la marque antérieure propre à maintenir les droits acquis a été démontré, à tout le moins en ce qui concerne les «produits de l’imprimerie» et les services de «publicité», «organisation et conduite de séminaires» et «organisation de concours», ces services étant fournis principalement à des entreprises du secteur de la santé, notamment à des opticiens et à des audioprothésistes. La
juridiction de renvoi conclut que les marques en conflit couvrent des produits identiques et des services en partie identiques et en partie similaire.
12 S’agissant de la similitude des marques, la juridiction de renvoi considère que l’impression d’ensemble de la marque antérieure est exclusivement dominée par la séquence de lettres «BGW», la composante figurative ne faisant que mettre en valeur ladite séquence du point de vue visuel et étant dénuée de pertinence du point de vue phonétique. En ce qui concerne la marque postérieure, la juridiction de renvoi considère que le syntagme «Bundesverband der deutschen Gesundheitswirtschaft» est de nature
descriptive et dénué de tout caractère distinctif dans la mesure où il se borne à indiquer que les produits et les services en cause sont fournis par une fédération d’entreprise du secteur de la santé, active dans tout le pays, sans, par ailleurs, permettre une identification précise de l’origine commerciale desdits produits et services.
13 La juridiction de renvoi tend à considérer que l’impression d’ensemble de la marque postérieure est, elle aussi, dominée par la séquence de lettres «BGW». En tout état de cause, le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets) ajoute que, indépendamment de l’appréciation à réserver audit syntagme, il convient de reconnaître à cette séquence, à tout le moins, une position distinctive autonome au sein de la marque postérieure, au sens de l’arrêt Medion (C‑120/04, EU:C:2005:594). Dès lors, lorsque
le public concerné sera confronté à la marque postérieure, il reconnaîtra la marque antérieure, la seule différence étant que l’acronyme «BGW» – qui n’a pas de signification en soi – sera désormais traduit par l’indication explicative (descriptive) «Bundesverband der deutschen Gesundheitswirschaft».
14 Par conséquent, la juridiction de renvoi, citant l’arrêt AMS/OHMI – American Medical Systems (AMS Advanced Medical Services), (T‑425/03, EU:T:2007:311), estime qu’il ne fait aucun doute que, en ce qui concerne les produits et les services cités au point 11 du présent arrêt, il existe un risque de confusion entre les marques en conflit pour le public pertinent.
15 Cependant, elle estime ne pouvoir se prononcer en ce sens en raison de la position de la Cour dans l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147), dans lequel celle-ci a jugé que l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/95 s’applique à une marque verbale composée de la juxtaposition d’un syntagme descriptif et d’une séquence de lettres non descriptive en elle-même, si cette séquence, du fait qu’elle reprend la première lettre de chaque mot de ce syntagme,
est perçue par le public comme une abréviation dudit syntagme et que la marque en cause, considérée dans son ensemble, peut ainsi être comprise comme une combinaison d’indications ou d’abréviations descriptives qui, partant, est dépourvue de caractère distinctif. Par ailleurs, la juridiction de renvoi rappelle que, au point 38 de cet arrêt, la Cour a considéré que la séquence de lettres reprenant la première lettre des mots composant le syntagme n’occupe, par rapport à celui-ci, qu’une position
accessoire.
16 Dès lors, il serait exclu de reconnaître à un composant d’une marque complexe, en l’occurrence à la séquence de lettres «BGW», perçue comme acronyme dans la marque postérieure, un caractère dominant ou, du moins, une position distinctive autonome, lorsqu’un tel composant n’occupe qu’une position accessoire.
17 La circonstance que l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147) portait sur les motifs absolus de refus d’enregistrement au sens de l’article 3 de la directive 2008/95 ne justifie pas, selon le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets), qu’une appréciation différente soit portée dans l’affaire au principal, qui met en cause le motif supplémentaire de refus visé à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de cette directive, dans la mesure où la perception que le public a d’une
marque ne peut, par principe, pas dépendre de la question de savoir s’il s’agit d’un motif de refus d’enregistrement au sens de l’article 3 ou de l’article 4 de la directive 2008/95.
18 Dans ces conditions, le Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas de produits et de services identiques et similaires, il y a lieu de considérer qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public lorsqu’une séquence de lettres, qui a un caractère distinctif et qui est l’élément dominant du signe verbal ou figuratif antérieur doté d’un caractère distinctif moyen, est reprise dans le signe verbal postérieur d’un tiers au moyen de l’ajout à
cette séquence de lettres d’un syntagme y relatif et descriptif, lequel explique ladite séquence de lettres comme étant l’acronyme des mots descriptifs?»
Sur la question préjudicielle
19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que, dans le cas de produits et de services identiques ou similaires, un risque de confusion peut exister dans l’esprit du public pertinent entre une marque antérieure composée d’une séquence de lettres, qui a un caractère distinctif et qui est l’élément dominant de cette marque dotée d’un caractère distinctif moyen, et une marque
postérieure qui reprend cette séquence de lettres à laquelle est ajouté un syntagme descriptif composé de mots dont les initiales correspondent aux lettres de ladite séquence, de telle sorte que celle-ci est perçue par ce public comme étant l’acronyme dudit syntagme.
20 Cette question étant posée par la juridiction de renvoi eu égard aux doutes que celle-ci éprouve quant à l’application de l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147) dans le cadre de l’appréciation de la similitude des marques en conflit dans le litige au principal, il convient dès lors, en premier lieu, d’apprécier la portée et la pertinence de cet arrêt.
21 Dans les affaires au principal ayant donné lieu à l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147), étaient en cause deux marques verbales, l’une composée du signe «Multi Markets Fund MMF» pour désigner un fonds de placement actif dans plusieurs marchés financiers et l’autre du signe «NAI – Der Natur-Aktien-Index» pour désigner un index boursier regroupant des actions de sociétés à orientation écologique. Dans la mesure où, dans ces affaires, la juridiction de renvoi estimait que
les signes «MMF» et «NAI», pris isolément, ne revêtaient pas un caractère descriptif au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, elle interrogeait la Cour sur le point de savoir si les motifs de refus prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et/ou c), de cette directive s’appliquaient à une marque verbale composée de la juxtaposition d’un syntagme descriptif et d’une séquence de lettres non descriptive en elle-même, mais qui reprend les lettres initiales de chacun
des mots composant ce syntagme.
22 Dès lors, la question à l’origine des affaires susmentionnées consistait à déterminer si une marque complexe composée d’un syntagme accolé à son acronyme était susceptible d’être enregistrée eu égard aux dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/95, et non pas à apprécier, comme c’est le cas en l’espèce, s’il peut exister un risque de confusion, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, entre une marque antérieure composée d’une
séquence de lettres et une marque postérieure, qui reprend cette séquence juxtaposée à un syntagme.
23 Or, d’une part, les motifs absolus de refus d’enregistrement visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/95 et les motifs relatifs de refus d’enregistrement prévus à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de cette directive poursuivent des finalités différentes et visent à protéger des intérêts distincts.
24 S’agissant de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, l’intérêt général sous-tendant cette disposition consiste à assurer que des signes descriptifs de l’une ou de plusieurs des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels un enregistrement en tant que marque est demandé puissent être librement utilisés par l’ensemble des opérateurs économiques offrant de tels produits ou services (arrêt Strigl et Securvita, C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147, point 31 ainsi que
jurisprudence citée).
25 La notion d’intérêt général sous-jacente à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ladite directive se confond avec la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (voir arrêt Eurohypo/OHMI, C‑304/06 P, EU:C:2008:261, point 56 et jurisprudence citée).
26 En revanche, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive vise à protéger les intérêts individuels des titulaires de marques antérieures qui entrent en conflit avec le signe demandé et garantit ainsi la fonction d’origine de la marque dans l’hypothèse d’un risque de confusion (voir, en ce sens, arrêt Medion, C‑120/04, EU:C:2005:594, points 24 et 26 ainsi que jurisprudence citée).
27 Si la perception que le public pertinent a d’un signe ne peut pas dépendre du motif de refus d’enregistrement en cause, ainsi que l’observe à juste titre la juridiction de renvoi, toutefois, l’angle sous lequel cette perception est appréhendée varie selon qu’il s’agit d’apprécier le caractère descriptif d’un signe ou l’existence d’un risque de confusion.
28 Ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 29 de ses conclusions, si, dans le cadre de l’appréciation du caractère descriptif d’un signe, l’attention est focalisée sur les procédés mentaux susceptibles de conduire à établir des relations entre le signe ou ses différents composants et les produits et/ou les services concernés, dans le cadre de l’appréciation du risque de confusion, l’examen porte sur le processus de mémorisation, de reconnaissance et d’évocation du signe, ainsi que sur les
mécanismes associatifs.
29 D’autre part, au point 32 de l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147), la Cour a relevé que les trois lettres majuscules figurant dans chacun des signes, à savoir «MMF» et «NAI», représentaient les initiales des syntagmes auxquels elles étaient accolées et que le syntagme et la séquence de lettres, dans chaque cas de figure, étaient destinés à s’expliciter réciproquement et à souligner le lien existant entre eux, chaque séquence de lettre étant conçue pour appuyer la
perception du syntagme par le public, en simplifiant son usage et en facilitant sa mémorisation.
30 À cet égard, la Cour a précisé, aux points 37 et 38 de ce même arrêt, que, si les séquences de lettres en causes étaient perçues par le public pertinent comme étant des abréviations des syntagmes auxquels celles-ci sont juxtaposées, lesdites séquences ne pouvaient primer la somme de tous les éléments de la marque prise dans son ensemble, et ce même lorsqu’elles pouvaient être considérées comme présentant, en elles-mêmes, un caractère distinctif. Au contraire, selon la Cour, de telles séquences de
lettres n’occupaient, par rapport au syntagme auquel elles sont accolées, qu’une «position accessoire».
31 Il résulte des motifs de l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147) que le caractère non enregistrable, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/95, d’un signe composé d’une séquence de lettres juxtaposée à un syntagme doit être apprécié au cas par cas, suivant la perception qu’a le public pertinent de l’interdépendance entre les différents éléments du signe ainsi que de celui-ci dans son ensemble.
32 Dès lors, l’affirmation, contenue au point 38 dudit arrêt, évoquée par la juridiction de renvoi, selon laquelle la séquence de lettres reprenant la première lettre des mots composant le syntagme n’occupe, par rapport à celui-ci, qu’une position accessoire doit être lue en ce sens et ne saurait être interprétée comme constituant l’expression d’une règle d’appréciation générale sur le caractère accessoire d’une séquence de lettres reprenant la première lettre de chacun des mots du syntagme auquel
elle est juxtaposée.
33 En effet, cette affirmation se borne à préciser, aux fins de l’application des motifs de refus prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/95, qu’une séquence de lettres, même présentant en elle-même un caractère distinctif, est susceptible de revêtir un caractère descriptif lorsqu’elle est reprise dans une marque composée dans laquelle elle est combinée à une expression principale descriptive, dont elle serait perçue comme l’abréviation, ce qu’il convient d’établir au
cas par cas.
34 Il résulte de ce qui précède que, eu égard au contexte juridique différent des affaires ayant donné lieu à l’arrêt Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, EU:C:2012:147) ainsi qu’à la portée qu’il convient de lui donner, les constatations qui y figurent ne sont pas transposables à l’affaire au principal afin d’apprécier l’existence d’une similitude entre les deux marques en conflit.
35 En second lieu, il convient de rappeler la jurisprudence selon laquelle l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale
dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (arrêt Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 21 et jurisprudence citée).
36 L’appréciation de la similitude entre deux marques ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d’opérer la comparaison en examinant les marques en cause considérées chacune dans son ensemble (arrêts OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 41, et Aceites del Sur-Coosur/Koipe, C‑498/07 P, EU:C:2009:503, point 61).
37 Si l’impression d’ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe peut, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants, ce n’est que si tous les autres composants de la marque sont négligeables que l’appréciation de la similitude pourra se faire sur la seule base de l’élément dominant (arrêts OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, points 41 et 42, ainsi que Nestlé/OHMI, C‑193/06 P, EU:C:2007:539, points 42 et 43 ainsi que
jurisprudence citée).
38 À cet égard, la Cour a précisé que, quand bien même l’élément commun aux marques en conflit ne saurait être considéré comme dominant l’impression d’ensemble, il doit être pris en compte dans l’appréciation de la similitude de celles-ci, dans la mesure où il constitue en lui-même la marque antérieure et conserve une position distinctive autonome dans la marque composée notamment de cet élément et dont l’enregistrement est demandé. En effet, dans l’hypothèse où un élément commun conserve une
position distinctive autonome dans le signe composé, l’impression d’ensemble produite par ce signe peut conduire le public à croire que les produits ou les services en cause proviennent, à tout le moins, d’entreprises liées économiquement, auquel cas l’existence d’un risque de confusion doit être retenue (arrêt Medion, C‑120/04, EU:C:2005:594, points 30 et 36, ainsi que ordonnance ecoblue/OHMI et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑23/09 P, EU:C:2010:35, point 45).
39 Cependant, la Cour a également précisé qu’un élément d’un signe composé ne conserve pas une telle position distinctive autonome si cet élément forme avec le ou les autres éléments du signe, pris ensemble, une unité ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément (arrêt Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 25).
40 Il y a encore lieu de rappeler, ainsi que M. l’avocat général l’a fait au point 40 de ses conclusions que, en principe, même un élément qui n’est doté que d’un faible caractère distinctif peut dominer l’impression d’ensemble d’une marque composée ou revêtir, dans cette marque, une position distinctive autonome au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Medion (C‑120/04, EU:C:2005:594), dès lors que, en raison notamment de sa position dans le signe ou de sa dimension, il est susceptible de
s’imposer à la perception du consommateur et d’être gardé en mémoire par celui-ci.
41 En l’occurrence, il incombera à la juridiction de renvoi de déterminer, au moyen notamment d’une analyse des composants de la marque postérieure et de leur poids relatif dans la perception du public pertinent, l’impression d’ensemble produite par celle-ci dans la mémoire de ce public et de procéder ensuite, à la lumière de cette impression d’ensemble et de tous les facteurs pertinents de l’espèce, à l’appréciation du risque de confusion (arrêt Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 34).
42 Il importe, toutefois, de relever que le simple fait que la marque postérieure est composée d’un signe reproduisant la séquence de lettres qui constitue l’unique élément verbal de la marque antérieure et d’un syntagme dont les initiales correspondent à ladite séquence ne saurait, à lui seul, exclure l’existence d’un risque de confusion avec cette marque antérieure.
43 Ainsi, dans les circonstances de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi devra examiner, entre autres facteurs, si les liens que le public pertinent est susceptible d’établir entre la séquence de lettres et le syntagme, notamment de la possibilité que la première soit perçue comme un acronyme du second, sont tels que cette séquence est susceptible d’être perçue et mémorisée de manière autonome par le public pertinent dans la marque postérieure. De même, elle devra apprécier, le cas
échéant, si les éléments composant la marque postérieure, pris ensemble, forment une unité logique distincte ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément.
44 Il convient, dès lors, de répondre à la question posée que l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que, dans le cas de produits et de services identiques ou similaires, un risque de confusion peut exister dans l’esprit du public pertinent entre une marque antérieure composée d’une séquence de lettres, qui a un caractère distinctif et qui est l’élément dominant de cette marque dotée d’un caractère distinctif moyen, et une marque postérieure qui
reprend cette séquence de lettres à laquelle est ajouté un syntagme descriptif composé de mots dont les initiales correspondent aux lettres de ladite séquence, de telle sorte que celle-ci est perçue par ce public comme étant l’acronyme dudit syntagme.
Sur les dépens
45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
L’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que, dans le cas de produits et de services identiques ou similaires, un risque de confusion peut exister dans l’esprit du public pertinent entre une marque antérieure composée d’une séquence de lettres, qui a un caractère distinctif et qui est l’élément dominant de cette marque dotée
d’un caractère distinctif moyen, et une marque postérieure qui reprend cette séquence de lettres à laquelle est ajouté un syntagme descriptif composé de mots dont les initiales correspondent aux lettres de ladite séquence, de telle sorte que celle-ci est perçue par ce public comme étant l’acronyme dudit syntagme.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.