ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
5 novembre 2014 ( *1 )
«Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur — Directive 80/987/CEE — Salarié ressortissant de pays tiers non titulaire d’un permis de séjour valable — Refus du bénéfice du droit à une indemnité d’insolvabilité»
Dans l’affaire C‑311/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas), par décision du 4 juin 2013, parvenue à la Cour le 7 juin 2013, dans la procédure
O. Tümer
contre
Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mai 2014,
considérant les observations présentées:
— pour O. Tümer, par Me G. T. M. Evers, advocaat,
— pour le Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen, par Mme I. Eijkhout, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement néerlandais, par Mmes B. Koopman, M. Bulterman, H. Stergiou et M. de Ree, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et J. Enegren, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 juin 2014,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 23), telle que modifiée par la directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO L 270, p. 10, ci-après la «directive 80/987»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Tümer au Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (conseil d’administration de l’Institut de gestion des assurances pour les travailleurs salariés, ci-après l’«Uwv») au sujet du refus de ce dernier de verser à M. Tümer une indemnité d’insolvabilité au motif qu’il est un ressortissant de pays tiers ne résidant pas légalement aux Pays-Bas.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 80/987
3 Le considérant 1 de la directive 2002/74 énonce:
«La charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée le 9 décembre 1989, indique en son point 7 que la réalisation du marché intérieur doit conduire à une amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs dans la Communauté européenne et que cette amélioration doit entraîner, là où cela est nécessaire, le développement de certains aspects de la réglementation du travail, tels que les procédures de licenciement collectif ou celles concernant les
faillites.»
4 L’article 1er de la directive 80/987 dispose:
«1. La présente directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1.
2. Les États membres peuvent, à titre exceptionnel, exclure du champ d’application de la présente directive les créances de certaines catégories de travailleurs salariés, en raison de l’existence d’autres formes de garantie, s’il est établi que celles-ci assurent aux intéressés une protection équivalente à celle qui résulte de la présente directive.
3. Les États membres peuvent, si une telle disposition est déjà d’application dans leur législation nationale, continuer d’exclure du champ d’application de la présente directive:
a) les gens de maison occupés par une personne physique;
b) les pêcheurs rémunérés à la part.»
5 L’article 2, paragraphes 2 et 3, de ladite directive se lit comme suit:
«2. La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes ‘travailleur salarié’, ‘employeur’, ‘rémunération’, ‘droit acquis’ et ‘droit en cours d’acquisition’.
Toutefois, les États membres ne peuvent exclure du champ d’application de la présente directive:
a) les travailleurs à temps partiel au sens de la directive 97/81/CE;
b) les travailleurs ayant un contrat à durée déterminée au sens de la directive 1999/70/CE;
c) les travailleurs ayant une relation de travail intérimaire au sens de l’article1er, point 2, de la directive 91/383/CEE.
3. Les États membres ne peuvent pas soumettre le droit des travailleurs de se prévaloir de la présente directive à une durée minimale du contrat de travail ou de la relation de travail.»
6 Aux termes de l’article 3 de la directive 80/987:
«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.
Les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres.»
7 L’article 4 de cette directive énonce:
«1. Les États membres ont la faculté de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie visée à l’article 3.
2. Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils fixent la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Cette durée ne peut toutefois être inférieure à une période portant sur la rémunération des trois derniers mois de la relation de travail se situant avant et/ou après la date visée à l’article 3. Les États membres peuvent inscrire cette période minimale de trois mois dans une période de référence dont la durée
ne peut être inférieure à six mois.
Les États membres qui prévoient une période de référence d’au moins dix-huit mois peuvent limiter la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie à huit semaines. Dans ce cas, les périodes les plus favorables au travailleur sont retenues pour le calcul de la période minimale.
3. En outre, les États membres peuvent assigner des plafonds aux paiements effectués par l’institution de garantie. Ces plafonds ne doivent pas être inférieurs à un seuil socialement compatible avec l’objectif social de la présente directive.
Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond.»
8 La directive 80/987 a été codifiée par la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 36), qui reprend le contenu, en des termes identiques, des articles 2 à 4 de la directive 80/987. La directive 2008/94 est entrée en vigueur le 17 novembre 2008.
La directive 2003/109/CE
9 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO L 16, p. 44), dispose:
«La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre.»
10 L’article 4, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit:
«Les États membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause.»
11 Selon l’article 11, paragraphe 1, sous d), de ladite directive, le résident de longue durée bénéficie de l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne «la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles qu’elles sont définies par la législation nationale».
12 L’article 13 de la même directive, intitulé «Dispositions nationales plus favorables», dispose:
«Les États membres peuvent délivrer des titres de séjour permanents ou d’une durée de validité illimitée à des conditions plus favorables que celles établies dans la présente directive. Ces titres de séjour ne donnent pas accès au droit de séjour dans les autres États membres tel que prévu au chapitre III.»
La décision no 1/80
13 L’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685), a institué un conseil d’association.
14 L’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, énonce:
«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:
— a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur si celui-ci dispose d’un emploi;
— a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;
— bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»
15 L’article 7 de la décision no 1/80 est libellé comme suit:
«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:
— ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;
— y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.
[…]»
Le droit néerlandais
16 L’article 3, paragraphe 1, de la loi sur le chômage (Werkloosheidswet, ci-après la «WW») est libellé comme suit:
«Le travailleur salarié est la personne physique n’ayant pas atteint l’âge de 65 ans qui est employée sur la base d’une relation de droit privé ou de droit public.»
17 Conformément à l’article 3, paragraphe 3, de la WW, par dérogation au paragraphe 1 dudit article, n’est pas considéré comme un travailleur salarié un ressortissant de pays tiers qui ne réside pas légalement aux Pays-Bas au sens de l’article 8, sous a) à e) et l), de la loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000, ci-après la «Vw 2000»).
18 En vertu de l’article 61 de la WW, un travailleur salarié a droit à une indemnité d’insolvabilité sur le fondement du chapitre IV de cette loi s’il peut faire valoir contre l’employeur qui est déclaré en état de faillite une créance en ce qui concerne les rémunérations, le pécule de vacances ou l’allocation de vacances, ou s’il est susceptible de subir un préjudice financier du fait que ledit employeur n’a pas payé des montants dont il est redevable à des tiers en raison de sa relation de travail
avec le travailleur salarié.
19 Aux termes de l’article 8, sous a) à e) et l), de la Vw 2000, un étranger réside légalement aux Pays-Bas exclusivement:
«a. sur la base d’une autorisation de séjour pour une durée déterminée au sens de l’article 14;
b. sur la base d’une autorisation de séjour pour une durée indéterminée au sens de l’article 20;
c. sur la base d’une autorisation de séjour pour une période déterminée au sens de l’article 28;
d. sur la base d’une autorisation de séjour pour une durée indéterminée au sens de l’article 33;
e. en tant que ressortissant de la Communauté aussi longtemps que cette personne réside sur la base d’un régime établi en vertu du traité instituant la Communauté européenne ou de l’accord sur l’Espace économique européen;
[...]
l. si l’étranger tire son droit de séjour de la décision no 1/80 du conseil d’association CEE-Turquie;
[...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 M. Tümer est un ressortissant turc qui réside aux Pays-Bas depuis l’année 1988.
21 Au cours de la période allant du 18 août 1988 au 31 mars 1995, il a bénéficié d’une autorisation de séjour pour une durée déterminée délivrée sous la réserve de résider chez son épouse. Il a divorcé au cours de l’année 1996.
22 Le 14 octobre 2005, M. Tümer a introduit une demande d’autorisation de séjour pour une durée indéterminée. Cette demande a été rejetée par le secrétaire d’État à la Justice. La réclamation introduite contre cette décision a été déclarée non fondée par décision du 16 avril 2007. Le 28 août 2008, le Rechtbank ’s- Gravenhage a rejeté le recours formé contre cette décision, au motif que le requérant au principal ne pouvait tirer aucun droit des articles 6 ou 7 de la décision no 1/80. La décision de
cette juridiction n’a pas fait l’objet d’un recours en appel. Depuis le 25 avril 2007, M. Tümer n’est plus titulaire d’un titre de séjour.
23 Depuis l’année 1997, M. Tümer a travaillé par intermittence aux Pays-Bas. Le 3 janvier 2005, il a été recruté par Halfmoon Cosmetics BV (ci-après «Halfmoon Cosmetics»), qui a versé pour son compte des cotisations au titre de la WW en 2007. À partir du mois d’août 2007, Halfmoon Cosmetics n’a plus payé qu’une partie du salaire et a été déclarée en faillite le 22 janvier 2008. Le 26 janvier 2008, le requérant au principal s’est vu signifier son licenciement.
24 M. Tümer a introduit une demande d’indemnité d’insolvabilité sur le fondement de la WW portant sur les créances que Halfmoon Cosmetics n’avait pas payées depuis le mois d’août 2007 jusqu’à son licenciement, à savoir une période pendant laquelle il ne disposait pas d’un titre de séjour. Cette demande a été rejetée par décision du 8 février 2008. M. Tümer a contesté cette décision. Le 10 juin 2008, l’Uwv a déclaré la réclamation non fondée au motif que M. Tümer n’était pas un «travailleur salarié»
au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la WW, dès lors qu’il ne résidait pas légalement aux Pays-Bas. Par jugement du 18 décembre 2009, le Rechtbank ’s-Hertogenbosch a rejeté, pour le même motif, le recours de M. Tümer contre la décision du 10 juin 2008.
25 Le requérant au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Centrale Raad van Beroep, devant lequel il a fait valoir qu’il était un travailleur salarié, même s’il était ressortissant d’un pays tiers et qu’il devait être considéré comme résidant illégalement aux Pays-Bas. L’Uwv a soutenu que la directive 80/987 ne peut avoir un champ d’application plus étendu que la base légale sur laquelle elle est fondée, à savoir l’article 137 CE, et, partant, elle est inapplicable aux ressortissants
de pays tiers qui ne résident pas légalement aux Pays-Bas. Dans ce contexte, il a relevé que la directive 2003/109, selon laquelle les résidents de longue durée bénéficient de l’égalité de traitement en ce qui concerne la sécurité sociale, ne vise également que les ressortissants des pays tiers qui résident légalement sur le territoire de l’Union européenne.
26 Selon les indications de la juridiction de renvoi, M. Tümer est titulaire de créances salariales impayées qui résultent de son contrat de travail et qui portent sur les rémunérations relatives à une période précédant la date de référence au sens de l’article 3 de la directive 80/987. En ce qui concerne sa qualité de «travailleur salarié» au sens de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, ladite juridiction relève que si M. Tümer, en tant que ressortissant de pays tiers qui ne réside pas
légalement aux Pays-Bas, n’est pas un «travailleur salarié» au sens de la WW, toutefois, sur le plan du droit civil néerlandais, sa relation avec l’employeur constitue un contrat de travail et il est, à ce titre, considéré comme étant un travailleur salarié. En cette qualité, M. Tümer pourrait également saisir le juge et demander sur le fondement de son contrat de travail le paiement de sa rémunération par l’employeur.
27 Dans ces conditions, le Centrale Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Eu égard également à l’article 137, paragraphe 2, CE (actuellement l’article 153, paragraphe 2, TFUE) qui en constitue la base juridique, convient-il d’interpréter la [directive 80/987] et, en particulier, les articles 2 à 4 de celle-ci, en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale telle que celle établie aux articles 3, paragraphe 3, et 61 de la WW, selon laquelle l’étranger ressortissant de pays tiers qui ne réside pas légalement aux Pays-Bas au sens de l’article 8, sous a) à e)
et l), de la [Vw 2000], n’est pas considéré comme un travailleur salarié; également dans une situation comme celle [d’un ressortissant de pays tiers] qui a introduit une demande d’indemnité d’insolvabilité, qui doit être qualifié de travailleur salarié en droit civil et qui remplit les autres conditions d’octroi de ladite indemnité?»
Sur la question préjudicielle
28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 80/987 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que celle en cause au principal, selon laquelle un ressortissant de pays tiers qui ne réside pas légalement dans l’État membre concerné n’est pas considéré comme un travailleur salarié pouvant prétendre à une
indemnité d’insolvabilité au titre, notamment, des créances salariales impayées en cas d’insolvabilité de l’employeur, alors que ce ressortissant de pays tiers est qualifié, en vertu des dispositions du droit civil de cet État membre, de «travailleur salarié» ayant droit à une rémunération pouvant faire l’objet d’un recours contre son employeur devant les juridictions nationales.
29 Dans ses observations soumises à la Cour, la Commission a demandé à la Cour d’examiner la prémisse sur laquelle repose la demande de décision préjudicielle, à savoir que M. Tümer ne résidait pas, pendant la période en cause au principal, légalement aux Pays-Bas au regard de l’accord d’association avec la Turquie et, notamment, de la décision no 1/80. Or, la juridiction de renvoi n’ayant posé aucune question à cet égard, elle a indiqué que le Rechtbank ’s-Gravenhage a rejeté la demande d’une
autorisation de séjour à durée indéterminée de M. Tümer sur le fondement, notamment, des articles 6 et 7 de la décision no 1/80, par un arrêt du 28 août 2008 qui n’a pas fait l’objet d’un appel de la part de ce dernier.
30 Dans ces conditions, il convient de vérifier si les dispositions de la directive 80/987 s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, excluant un ressortissant de pays tiers, tel que M. Tümer, de la protection des travailleurs salariés prévue par cette directive en raison de sa situation de séjour illégal.
31 Dans leurs observations soumises à la Cour, l’Uwv et le gouvernement néerlandais soutiennent que la directive 80/987 ne saurait s’appliquer aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dès lors que l’article 137, paragraphe 2, CE, sur lequel cette directive est fondée, ne vise pas les ressortissants de pays tiers. Une telle application serait, en outre, contraire à la politique de l’Union en matière d’immigration et, en particulier, à la directive 2003/109 qui n’accorderait un droit à
un traitement égal, notamment en matière de sécurité sociale, qu’aux ressortissants des pays tiers qui résident légalement dans un État membre.
32 À cet égard, il suffit de constater, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, que l’article 137, paragraphe 2, CE, qui constitue la base juridique de la directive 2002/74, ne limite pas la compétence pour adopter des prescriptions minimales ayant pour but de réaliser, notamment, l’objectif d’améliorer les conditions de vie et de travail visé à l’article 136 CE aux seuls ressortissants des États membres, à l’exclusion des ressortissants de pays tiers.
33 D’autre part, s’agissant de la directive 2003/109, il convient de relever que, si l’article 3, paragraphe 1, de cette directive soumet l’octroi du statut de résident de longue durée, impliquant un droit à une égalité de traitement dans les matières visées à l’article 11 de ladite directive, à la condition d’un séjour légal, la même directive n’exclut nullement que d’autres actes de l’Union, tels que la directive 80/987, accordent, sous des conditions différentes, des droits aux ressortissants des
pays tiers en vue de réaliser les objectifs qui sont propres à ces actes.
34 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 80/987, celle-ci s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive.
35 Si la directive 80/987 ne définit pas, elle-même, le terme «travailleur salarié» et dispose, à son article 2, paragraphe 2, premier alinéa, qu’elle ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition de ce terme, les articles 1er, paragraphes 2 et 3, ainsi que 2, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive font apparaître que la marge d’appréciation dont disposent les États membres, en vertu du premier alinéa de cette dernière disposition, pour définir le terme
«travailleur salarié» n’est toutefois pas illimitée.
36 À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que ni l’article 1er, paragraphe 1, ni les autres dispositions de cette directive n’excluent les ressortissants de pays tiers du champ d’application de la directive 80/987 ni ne permettent, de manière expresse, aux États membres de le faire.
37 Ensuite, il y a lieu de rappeler que, selon les termes de cet article 1er, paragraphe 1, la directive 80/987 a vocation à s’appliquer aux créances salariales de tout travailleur salarié à l’égard de son employeur. En revanche, la possibilité pour les États membres, prévue à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de cette directive, d’exclure certaines catégories de travailleurs salariés du champ d’application de ladite directive ne concerne que des cas spécifiques et elle est soumise à des
conditions.
38 Dans ce contexte, il importe de souligner que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 80/987, permettant d’exclure, à titre exceptionnel, certaines catégories de travailleurs salariés en raison de l’existence d’autres formes de garantie, ne dispense pas les États membres de toute obligation d’accorder à ces travailleurs salariés une protection en cas d’insolvabilité de leur employeur, mais exige que les travailleurs salariés concernés bénéficient d’une protection équivalente à celle
résultant de cette directive.
39 S’agissant de la réglementation en cause au principal, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que le droit civil néerlandais qualifie toute personne liée par un contrat de travail à un employeur de «travailleur salarié» qui a un droit à une rémunération, sans égard ni à sa nationalité ni à la légalité de sa résidence dans cet État membre.
40 En revanche, si l’article 3, paragraphe 1, de la WW qualifie, en principe, toute personne physique n’ayant pas atteint l’âge de 65 ans qui est employée sur la base d’une relation de droit privé ou de droit public de «travailleur salarié» pouvant prétendre à une indemnité d’insolvabilité conformément à l’article 61 de cette loi, l’article 3, paragraphe 3, de ladite loi exclut les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier de la notion de «travailleur salarié» et, partant, du bénéfice de
cette indemnité d’insolvabilité.
41 Compte tenu du fait que cette disposition n’accorde pas à ces ressortissants de pays tiers une protection équivalente à ladite indemnité d’insolvabilité, il apparaît qu’elle ne remplit pas les conditions permettant d’exclure certaines catégories de «travailleurs salariés», en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 80/987. En outre, il est constant que ladite disposition ne relève pas de l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive.
42 En outre, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive doit être interprété à la lumière de la finalité sociale de ladite directive qui consiste à garantir un minimum de protection à tous les travailleurs salariés au niveau de l’Union en cas d’insolvabilité de l’employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à une période déterminée. Les États membres ne
sauraient dès lors à leur gré définir le terme «travailleur salarié» de manière à mettre en péril la finalité sociale de ladite directive (voir, par analogie, arrêt van Ardennen, C‑435/10, EU:C:2011:751, points 27 et 34).
43 La marge d’appréciation dont disposent les États membres en vertu de cette disposition pour définir le terme de «travailleur salarié», rappelée au point 35 du présent arrêt, est ainsi encadrée par la finalité sociale de la directive 80/987 que les États membres sont tenus de respecter.
44 À cet égard, il convient de relever, compte tenu de cette finalité sociale de la directive 80/987 ainsi que des termes de son article 1er, paragraphe 1, selon lequel celle-ci trouve à s’appliquer «aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail», que la définition du terme «travailleur salarié» se rapporte nécessairement à une relation de travail qui fait naître un droit, existant à l’égard de l’employeur, de demander une rémunération pour le
travail effectué. Tel est le cas, en l’espèce, de la définition du terme «travailleur salarié» prévue par le droit civil néerlandais.
45 Ainsi, il serait contraire à la finalité sociale de la directive 80/987, rappelée au point 42 du présent arrêt, de priver des personnes, auxquelles la réglementation nationale reconnaît généralement la qualité de travailleurs salariés et qui disposent, en vertu de cette réglementation, de créances salariales résultant de contrats de travail ou de relations de travail à l’égard de leur employeur visées aux articles 1er, paragraphe 1, et 3, premier alinéa, de cette directive, de la protection que
ladite directive prévoit en cas d’insolvabilité de l’employeur.
46 Il s’ensuit que les dispositions de la directive 80/987 s’opposent à une réglementation nationale relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que celle en cause au principal, qui exclut un ressortissant de pays tiers du droit de percevoir une indemnité d’insolvabilité en raison de l’illégalité de son séjour, alors que ce ressortissant de pays tiers est qualifié, en vertu des dispositions du droit civil de cet État membre, de «travailleur
salarié» ayant droit à une rémunération.
47 La circonstance, relevée par l’Uwv et le gouvernement néerlandais lors de l’audience devant la Cour, que les ressortissants de pays tiers en situation de séjour irrégulier n’ont pas le droit de travailler aux Pays-Bas ne saurait infirmer cette conclusion. En effet, selon les indications de la juridiction de renvoi, confirmées par l’Uwv et par ce gouvernement, les ressortissants de pays tiers en situation de séjour irrégulier qui travaillent sans y être autorisés sont, au regard du droit civil
national, des «travailleurs salariés» ayant droit à une rémunération pour le travail effectué, à savoir une créance que les articles 1er, paragraphe 1, et 3, premier alinéa, de la directive 80/987 visent à garantir.
48 Certes, l’article 10, sous a), de la directive 80/987 permet aux États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus. Toutefois, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour, et en particulier des observations du gouvernement néerlandais, que les circonstances de l’affaire au principal seraient constitutives d’un abus au sens de ladite disposition. Par ailleurs, la Cour relève à cet égard que l’employeur de M. Tümer, Halfmoon Cosmetics, a satisfait, pendant la période en
cause au principal, à son obligation de paiement des cotisations conformément à la législation nationale relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les dispositions de la directive 80/987 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que celle en cause au principal, selon laquelle un ressortissant de pays tiers qui ne réside pas légalement dans l’État membre concerné n’est pas considéré comme un
travailleur salarié pouvant prétendre à une indemnité d’insolvabilité au titre, notamment, des créances salariales impayées en cas d’insolvabilité de l’employeur, alors que ce ressortissant de pays tiers est qualifié, en vertu des dispositions du droit civil de cet État membre, de «travailleur salarié» ayant droit à une rémunération pouvant faire l’objet d’un recours contre son employeur devant les juridictions nationales.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
Les dispositions de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que modifiée par la directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que celle en cause au principal, selon
laquelle un ressortissant de pays tiers qui ne réside pas légalement dans l’État membre concerné n’est pas considéré comme un travailleur salarié pouvant prétendre à une indemnité d’insolvabilité au titre, notamment, des créances salariales impayées en cas d’insolvabilité de l’employeur, alors que ce ressortissant de pays tiers est qualifié, en vertu des dispositions du droit civil de cet État membre, de «travailleur salarié» ayant droit à une rémunération pouvant faire l’objet d’un recours contre
son employeur devant les juridictions nationales.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.