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10/09/2014 | CJUE | N°C-152/13

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Holger Forstmann Transporte GmbH & Co. KG contre Hauptzollamt Münster., 10/09/2014, C-152/13


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

10 septembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Directive 2003/96/CE — Taxation des produits énergétiques et de l’électricité — Exceptions — Produits énergétiques contenus dans les réservoirs normaux des véhicules automobiles utilitaires et destinés à être utilisés comme carburant par ces véhicules — Notion de ‘réservoirs normaux’ au sens de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive — Réservoirs installés par un carrossier ou un concessionnaire du constructeur»

Dans

l’affaire C‑152/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, i...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

10 septembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Directive 2003/96/CE — Taxation des produits énergétiques et de l’électricité — Exceptions — Produits énergétiques contenus dans les réservoirs normaux des véhicules automobiles utilitaires et destinés à être utilisés comme carburant par ces véhicules — Notion de ‘réservoirs normaux’ au sens de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive — Réservoirs installés par un carrossier ou un concessionnaire du constructeur»

Dans l’affaire C‑152/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Düsseldorf (Allemagne), par décision du 18 mars 2013, parvenue à la Cour le 26 mars 2013, dans la procédure

Holger Forstmann Transporte GmbH & Co. KG

contre

Hauptzollamt Münster,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis (rapporteur), J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

— pour Holger Forstmann Transporte GmbH & Co. KG, par Me U. Möllenhoff, Rechtsanwalt,

— pour le Hauptzollamt Münster, par Mme A. Scholz, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

— pour la Commission européenne, par M. W. Mölls et Mme C. Barslev, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Holger Forstmann Transporte GmbH & Co. KG (ci-après «Forstmann Transporte») au Hauptzollamt Münster (bureau principal des douanes de Münster, ci-après le «Hauptzollamt») au sujet du paiement de la taxe sur l’énergie relative à du gazole acheté aux Pays-Bas et contenu dans les réservoirs d’un camion appartenant à cette société pour être utilisé en Allemagne comme carburant par ce véhicule.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le dix-neuvième considérant de la directive 94/74/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, modifiant la directive 92/12/CEE relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, la directive 92/81/CEE concernant l’harmonisation des structures des droits d’accise sur les huiles minérales ainsi que la directive 92/82/CEE concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO L 365, p. 46), énonçait:

«[...] il convient de prévoir expressément que les huiles minérales mises à la consommation dans un État membre, contenues dans les réservoirs des véhicules automobiles et destinées à être utilisées comme carburants par ces véhicules sont exonérées de l’accise dans un autre État membre aux fins de ne pas entraver la libre circulation des personnes et des biens et de ne pas conduire à des doubles impositions».

4 À cet effet, la directive 94/74 a modifié la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), en y insérant un article 8 bis. Cet article prévoyait non seulement une telle exonération pour les huiles minérales contenues dans les réservoirs normaux des véhicules automobiles utilitaires, mais précisait également ce qu’il y avait lieu d’entendre par «réservoirs normaux», ces derniers étant,
notamment, définis comme les réservoirs fixés à demeure par le constructeur sur tous les moyens de transport du même type que le moyen de transport concerné et dont l’agencement permanent permet l’utilisation directe du carburant, tant pour la traction des véhicules que, le cas échéant, pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et d’autres systèmes.

5 La directive 92/81 a été abrogée par la directive 2003/96 et son article 8 bis remplacé, dans des termes similaires, par l’article 24 de cette dernière.

6 L’article 24 de la directive 2003/96 dispose:

«1.   Les produits énergétiques mis à la consommation dans un État membre, contenus dans les réservoirs normaux des véhicules automobiles utilitaires et destinés à être utilisés comme carburant par ces mêmes véhicules, ainsi que contenus dans des conteneurs à usages spéciaux et destinés à être utilisés pour le fonctionnement, pendant le transport, des systèmes dont sont équipés ces mêmes conteneurs, ne sont pas soumis à taxation dans un autre État membre.

2.   Aux fins du présent article,

on entend par ‘réservoirs normaux’:

— les réservoirs fixés à demeure par le constructeur sur tous les véhicules à moteur du même type que le véhicule concerné et dont l’agencement permanent permet l’utilisation directe du carburant tant pour la propulsion des véhicules que, le cas échéant, pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et autres systèmes. Sont également considérés comme réservoirs normaux les réservoirs à gaz adaptés sur des véhicules à moteur qui permettent l’utilisation directe du gaz
comme carburant, ainsi que les réservoirs adaptés aux autres systèmes dont peuvent être équipés les véhicules,

— les réservoirs fixés à demeure par le constructeur sur tous les conteneurs du même type que le conteneur concerné et dont l’agencement permanent permet l’utilisation directe du carburant pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et autres systèmes dont sont équipés les conteneurs à usages spéciaux.

Par ‘conteneur à usages spéciaux’, on entend tout conteneur équipé de dispositifs spécialement adaptés pour les systèmes de réfrigération, d’oxygénation, d’isolation thermique ou autres systèmes.»

Le droit allemand

7 L’article 1er de la loi relative à la taxe sur l’énergie (Energiesteuergesetz), du 15 juillet 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1534), dans sa version applicable aux faits du litige au principal (ci-après l’«EnergieStG»), prévoit que les produits énergétiques sont soumis, sur le territoire fiscal, à la taxe sur l’énergie. À cet égard, cet article précise que le territoire fiscal visé par l’EnergieStG est constitué par le territoire allemand, à l’exclusion du territoire de Büsingen et de l’île de Helgoland.

8 L’article 15 de l’EnergieStG, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 mars 2010, disposait:

«1.   Si des produits énergétiques au sens de l’article 4 de la présente loi, mis à la consommation dans un État membre, sont achetés à des fins commerciales, l’impôt est dû lorsque l’acheteur

1) réceptionne les produits énergétiques sur le territoire fiscal ou

2) introduit ou fait introduire sur le territoire fiscal les produits énergétiques réceptionnés en dehors du territoire fiscal. [...]

2.   Si des produits énergétiques au sens de l’article 4 de la présente loi, mis à la consommation dans un État membre, sont introduits sur le territoire fiscal dans d’autres cas que ceux visés au paragraphe 1, première phrase, points 1 et 2, du présent article, l’impôt est dû lorsque les produits sont pour la première fois détenus ou utilisés à des fins commerciales sur le territoire fiscal. L’assujetti est la personne qui détient ou utilise ces produits. [...]

[...]

4.   Les paragraphes 1 à 3 du présent article ne s’appliquent pas

1) aux carburants contenus dans les réservoirs normaux des véhicules, dans des conteneurs à usages spéciaux, dans des machines-outils ou des outils ainsi que dans des systèmes de réfrigération et de climatisation,

2) aux carburants transportés dans le bidon de réserve d’un véhicule à concurrence d’une quantité de 20 litres,

3) aux combustibles contenus dans le réservoir du chauffage auxiliaire d’un véhicule.

[...]»

9 L’article 6, point 15, de la loi du 15 juillet 2009 portant modification des lois sur le droit d’accise (BGBl. 2009 I, p. 1870) a modifié, à compter du 1er avril 2010, cet article 15, paragraphe 2, lequel est désormais libellé comme suit:

«Si des produits énergétiques mis à la consommation dans un État membre au sens de l’article 4 de la présente loi sont introduits sur le territoire fiscal dans d’autres cas que ceux visés au paragraphe 1, première phrase, points 1 et 2, du présent article, l’impôt est dû lorsque les produits sont pour la première fois détenus ou utilisés à des fins commerciales sur le territoire fiscal. Cette règle ne s’applique pas lorsque les produits énergétiques détenus sont destinés à un autre État membre et
transportés à travers le territoire fiscal sous couvert du document d’accompagnement visé à l’article 34 de la directive [2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12)]. L’assujetti est la personne qui expédie les produits énergétiques ou qui les détient ou les utilise. [...]»

10 Le règlement d’application de la loi relative à la taxe sur l’énergie (Energiesteuer-Durchführungsverordnung), du 31 juillet 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1753), dans sa version résultant de l’article 6 du règlement du 5 octobre 2009 (BGBl. 2009 I, p. 3262), définit à son article 41 la notion de «réservoirs normaux» dans les termes suivants:

«Les réservoirs normaux au sens des articles 15, paragraphe 4, point 1, 16, paragraphe 1, deuxième phrase, point 2, 21, paragraphe 1, troisième phrase, point 1, et 46, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’EnergieStG sont:

1) les réservoirs fixés à demeure par le constructeur sur tous les véhicules du même type que le véhicule concerné et dont l’agencement permanent permet l’utilisation directe du carburant tant pour la propulsion des véhicules que, le cas échéant, pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et d’autres systèmes,

2) les réservoirs fixés à demeure par le constructeur sur tous les conteneurs du même type que le conteneur concerné et dont l’agencement permanent permet l’utilisation directe du carburant pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et d’autres systèmes dont sont équipés les conteneurs à usages spéciaux.

Si un réservoir normal se compose de plus d’un réservoir à carburant, l’existence d’une vanne d’arrêt sur la conduite reliant les deux réservoirs à carburant n’a aucune incidence.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Forstmann Transporte est une entreprise allemande de transport de marchandises par route qui fournit des services d’expédition transitaire. À cet effet, elle a acquis un véhicule à moteur auprès de Daimler AG, un constructeur de camions. Au cours du processus de construction, Daimler AG a monté sur ce véhicule un réservoir à carburant d’une contenance de 780 litres. Envisageant de faire modifier par la suite ledit véhicule, Forstmann Transporte n’a pas commandé un autre réservoir à carburant à
Daimler AG et le même véhicule ne lui a, dès lors, été livré qu’avec un seul réservoir à carburant.

12 Afin que le véhicule construit par Daimler AG puisse transporter des conteneurs standardisés et des conteneurs sur châssis, il était nécessaire de monter des supports pour caisse mobile que ce constructeur ne pouvait pas fournir dans la forme souhaitée. Forstmann Transporte a, dès lors, chargé R&S Fahrzeugbau, une entreprise de carrosserie, de monter ces supports sur ce véhicule. Lors de ce montage, R&S Fahrzeugbau a dû déplacer le réservoir à carburant installé par Daimler AG (ci-après le
«réservoir 1»), car, sans un tel déplacement, ces supports n’auraient pas pu être montés.

13 Par ailleurs, lors de cette modification du véhicule, R&S Fahrzeugbau a installé un second réservoir à carburant d’une contenance de 780 litres (ci-après le «réservoir 2»), lequel avait été préalablement acquis auprès de Hoppe Truck-Tanks GmbH & Co. KG. Forstmann Transporte aurait pu confier directement à Daimler AG le montage du réservoir 2, mais une telle solution n’aurait pas été économiquement rentable, étant donné que le réservoir 2 aurait dû, lui aussi, être déplacé dans le cadre de ladite
modification. Le Technischer Überwachungsverein (association de contrôle technique) a vérifié que les réservoirs 1 et 2 étaient conformes aux règles relatives à l’immatriculation des véhicules routiers motorisés et n’a émis aucune objection.

14 Les véhicules de Forstmann Transporte se ravitaillaient régulièrement en carburant aux Pays-Bas en raison des prix avantageux pratiqués dans ce pays. Le véhicule en cause au principal s’est lui aussi ravitaillé en gazole à Oldenzaal (Pays-Bas) les 2 décembre 2009 (495,03 litres pour le réservoir 2) et 14 février 2011 (618,92 litres pour le réservoir 1 et 570,50 litres pour le réservoir 2). Après s’être ainsi ravitaillé en carburant, le conducteur a immédiatement traversé la frontière
germano-néerlandaise avant de poursuivre sa route en Allemagne. Ce carburant était exclusivement utilisé afin de propulser le véhicule.

15 Le 28 juin 2012, Forstmann Transporte a déclaré, à titre préventif, auprès du Hauptzollamt les ravitaillements en gazole du réservoir 2, à savoir 495,03 litres et 570,50 litres.

16 À la suite de cette déclaration fiscale, le Hauptzollamt a, par avis du 3 juillet 2012, exigé le paiement d’un montant de 501,22 euros, dont 232,86 euros pour le ravitaillement du 2 décembre 2009 et 268,36 euros pour celui du 14 février 2011, au titre de la taxe sur l’énergie pour le carburant contenu dans le réservoir 2. Conformément à une interprétation du droit national résultant d’une jurisprudence du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances), le Hauptzollamt a considéré que la taxe sur
l’énergie était due en raison de l’introduction en Allemagne du gazole contenu dans le réservoir 2, carburant qui n’était pas exonéré de la taxe sur l’énergie, car ce réservoir, installé sur le véhicule ultérieurement à sa construction, n’était pas normal étant donné qu’il n’avait pas été fixé à demeure par le constructeur du châssis.

17 En outre, le Hauptzollamt a, par avis du 19 septembre 2012, exigé le paiement d’un montant de 291,14 euros au titre de la taxe sur l’énergie pour le carburant contenu dans le réservoir 1. Conformément à ladite interprétation, le Hauptzollamt a considéré que le gazole contenu dans le réservoir 1 n’était pas davantage exonéré de la taxe sur l’énergie, car ce réservoir installé originellement par Daimler AG n’avait pas non plus été fixé à demeure, à la suite de son démontage et de son remontage, par
le constructeur du châssis et ne pouvait donc pas être considéré comme normal.

18 Après avoir formé contre ces avis des recours gracieux que le Hauptzollamt a rejetés, Forstmann Transporte a introduit devant le Finanzgericht Düsseldorf un recours visant à l’annulation desdits avis.

19 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi relève que, compte tenu de la jurisprudence actuelle du Bundesfinanzhof suivie, en l’occurrence, par le Hauptzollamt, le recours devrait être rejeté. En effet, selon cette jurisprudence, l’exonération visée à l’article 15, paragraphe 4, point 1, de l’EnergieStG ne saurait être d’application dans l’affaire au principal, étant donné que la notion de «réservoirs normaux», définie à l’article 41, première phrase, point 1, du
règlement d’application du 31 juillet 2006 de la loi relative à la taxe sur l’énergie, transposant l’article 24, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/96, ne couvrirait pas les réservoirs à carburant qui ont été montés par des concessionnaires ou des carrossiers, y compris lorsque le travail de montage est partagé entre le constructeur et le carrossier. La juridiction de renvoi souligne que, à cet égard, le Bundesfinanzhof a considéré que cette dernière disposition, s’inspirant des
dispositions du droit de l’Union en matière douanière, comme l’article 112, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 918/83 du Conseil, du 28 mars 1983, relatif à l’établissement du régime communautaire des franchises douanières (JO L 105, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 1315/88 du Conseil, du 3 mai 1988 (JO L 123, p. 2, ci-après le «règlement no 918/83»), pouvait être interprétée en référence à l’arrêt de la Cour Schoonbroodt (C‑247/97, EU:C:1998:586) concernant la notion de
«réservoirs normaux» en matière douanière, selon lequel l’exonération prévue à cet article 112, paragraphe 1, qui doit recevoir une interprétation stricte, ne peut pas s’appliquer aux réservoirs montés par les concessionnaires et les carrossiers.

20 La juridiction de renvoi émet, néanmoins, des doutes en ce qui concerne cette interprétation du Bundesfinanzhof et se demande si la notion de «constructeur», figurant à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2003/96, doit faire l’objet d’une telle interprétation restrictive ou bien s’il ne serait pas préférable d’adopter une interprétation large en vertu de laquelle cette notion couvrirait également les carrossiers et les concessionnaires. Elle considère que cette dernière interprétation
pourrait être justifiée par la finalité de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive, telle qu’elle ressortirait du dix-neuvième considérant de la directive 94/74. Elle relève, à cet égard, que ce considérant se rapporte à l’article 8 bis de la directive 92/81 qui a été remplacé par ledit article 24 et auquel la Cour a donné une interprétation large dans son arrêt Meiland Azewijn (C‑292/02, EU:C:2004:499). En revanche, selon la juridiction de renvoi, l’interprétation restrictive retenue par
le Bundesfinanzhof se fonderait sur l’arrêt Schoonbroodt (EU:C:1998:586) qui portait sur le règlement no 918/83, lequel, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Meiland Azewijn (EU:C:2004:499), poursuivait, toutefois, un objectif différent de celui sous-tendant les dispositions relatives au droit d’accise pertinentes dans l’affaire au principal. La juridiction de renvoi souligne, en outre, qu’une interprétation large de ladite notion pourrait également se justifier compte tenu des conditions
réelles de production des camions à laquelle plusieurs entreprises participent afin de pouvoir équiper les véhicules conformément aux exigences techniques et/ou économiques propres à chacun de ces véhicules.

21 La juridiction de renvoi précise que, à supposer que la notion de «constructeur» doive être interprétée largement, il convient de déterminer dans quel sens doit être interprétée la condition selon laquelle l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96 couvre les véhicules à moteur «du même type». En effet, selon cette juridiction, un processus de construction en plusieurs étapes, qui vise à satisfaire à des exigences techniques et/ou économiques propres à chacun des
véhicules, exclut logiquement la construction en série de certains types de véhicules.

22 Dans ces conditions, le Finanzgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Convient-il d’interpréter la notion de ‘constructeur’ figurant à l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive [2003/96] en ce sens qu’elle couvre également les carrossiers et les concessionnaires qui ont monté le réservoir de carburant au cours du processus de construction du véhicule, étant entendu que, pour des raisons techniques et/ou économiques, plusieurs entreprises indépendantes ont participé à ce processus dans le cadre de la division du travail?

2) En cas de réponse affirmative à la première question: dans quel sens convient-il d’interpréter la condition selon laquelle l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96 couvre les véhicules à moteur ‘du même type’?»

Sur les questions préjudicielles

23 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «réservoirs normaux», visée à l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96, doit être interprétée en ce sens qu’elle exclut les réservoirs fixés à demeure sur les véhicules automobiles utilitaires destinés à l’approvisionnement direct en carburant de ces véhicules, lorsque ces réservoirs ont été installés par une personne autre que le constructeur.

24 À titre liminaire, comme M. l’avocat général l’a fait observer au point 41 de ses conclusions, il convient de relever que, dans le contexte économique et technique actuel, il est courant que la construction des véhicules utilitaires se fasse en plusieurs étapes, le constructeur ne produisant que le châssis et la cabine, le reste étant ensuite aménagé par des entreprises spécialisées. Le même principe s’applique aux réservoirs de carburant. Ainsi, les constructeurs proposent non pas un seul type
de réservoir pour chaque type de véhicule, mais différents réservoirs selon l’usage prévu du véhicule, le marché auquel le véhicule est destiné ou encore les souhaits du client. Il se peut aussi, comme cela fut le cas dans l’affaire au principal, que le réservoir soit non pas installé par le constructeur, mais par un tiers à une étape ultérieure du processus de construction du véhicule.

25 Dans ces conditions, il devient très difficile, voire impossible, de déterminer si un réservoir donné fait effectivement partie de la catégorie des réservoirs «fixés à demeure par le constructeur sur tous les véhicules à moteur du même type que le véhicule concerné» ainsi que cela ressort du libellé de la définition de la notion de «réservoirs normaux», visée à l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96. Il se pourrait même que, pour un type donné de véhicule, aucun
réservoir ne réponde à cette définition et que, en conséquence, les utilisateurs de ce véhicule soient exclus du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 24 de cette directive.

26 Toutefois, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêt Feltgen et Bacino Charter Company, C‑116/10, EU:C:2010:824, point 12 et jurisprudence citée). De même, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de faire l’objet
de plusieurs interprétations, il convient de privilégier celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (voir arrêt Lassal, C‑162/09, EU:C:2010:592, point 51 et jurisprudence citée).

27 Les objectifs poursuivis par la disposition en cause sont énoncés au dix-neuvième considérant de la directive 94/74, selon lequel l’exonération du droit d’accise dans un État membre du carburant mis à la consommation dans un autre État membre et contenu dans les réservoirs des véhicules utilitaires est accordée «aux fins de ne pas entraver la libre circulation des personnes et des biens et de ne pas conduire à des doubles impositions».

28 À cette fin, le législateur de l’Union a prévu que, par exception à la règle générale visée à l’article 7 de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), selon laquelle un produit soumis à accise mis à la consommation dans un État membre et détenu à des fins commerciales dans un autre État membre est taxé dans cet autre État membre, les produits énergétiques sous
la forme de carburant contenu dans les réservoirs des véhicules utilitaires sont soumis à la taxation dans l’État membre où ledit carburant a été mis à la consommation. En effet, l’obligation de déclarer à chaque passage d’une frontière intérieure la quantité de carburant contenue dans les réservoirs du véhicule et la nécessité de demander ensuite, afin d’éviter une double imposition, le remboursement du droit d’accise dans l’État membre d’achat du carburant constitueraient un obstacle important
au transport routier entre les États membres et, partant, une entrave aux échanges au sein du marché intérieur. L’article 24 de la directive 2003/96 vise ainsi à remédier à cette entrave et à assurer la libre circulation, tout en protégeant les intérêts fiscaux légitimes des États membres.

29 Afin de garantir cette finalité, il n’est pas nécessaire de savoir si le réservoir de carburant a été fixé à demeure sur le véhicule concerné par le constructeur ou par un tiers. Il importe, en revanche, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 32 et 47 de ses conclusions, de savoir si ce réservoir sert à l’approvisionnement direct du véhicule en carburant pour sa propulsion et, le cas échéant, pour le fonctionnement de ses systèmes de réfrigération ou de ses autres systèmes.

30 Cette analyse est corroborée par la seconde phrase de l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96, selon laquelle «[s]ont également considérés comme réservoirs normaux les réservoirs à gaz adaptés sur des véhicules à moteur». En effet, ces réservoirs à gaz ne sont normalement pas fixés par les constructeurs, et sont encore moins montés «sur tous les véhicules à moteur du même type», car les véhicules à moteur sont, à l’origine, habituellement, destinés à être propulsés non
pas par du gaz, mais par un carburant dérivé du pétrole. Dès lors, les réservoirs à gaz sont généralement installés par des entreprises spécialisées, indépendantes des constructeurs.

31 Cette précision ressortant de ladite seconde phrase reflète la volonté du législateur de définir d’une manière large la notion de «réservoirs normaux» afin que les utilisateurs de véhicules équipés de réservoirs à gaz ne soient pas injustement exclus du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 24 de la directive 2003/96. S’il est vrai, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, que cette souplesse pouvait se limiter aux réservoirs à gaz à une époque où les
réservoirs pour essence ou gazole étaient normalement montés en série, il n’en demeure pas moins qu’elle ne serait pas suffisante dans le contexte économique et technique actuel de la construction des véhicules par étapes. Dès lors, si ladite directive prévoit que le gaz contenu dans des réservoirs fixés par des tiers relève de l’exonération considérée, pour les mêmes raisons l’essence ou le gazole contenu dans de tels réservoirs doivent pouvoir bénéficier de cette exonération.

32 Il s’ensuit que, à l’instar de ce que la Cour a jugé au point 41 de l’arrêt Meiland Azewijn (EU:C:2004:499) en ce qui concerne l’article 8 bis de la directive 92/81, l’article 24 de la directive 2003/96 doit être interprété de manière extensive. La notion de «réservoirs normaux» visée à cet article 24, paragraphe 2, ne saurait, en particulier, être interprétée de sorte que les réservoirs fixés à demeure sur les véhicules automobiles utilitaires destinés à l’approvisionnement direct en carburant
de ces véhicules en soient exclus lorsque ces réservoirs ont été installés par une personne autre que le constructeur.

33 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le Hauptzollamt, cette conclusion n’est pas contraire à l’arrêt Schoonbroodt (EU:C:1998:586). En effet, il y a lieu de rappeler à cet égard que, dans l’affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, la Cour interprétait non pas une disposition d’une directive relative à la taxation des produits énergétiques au sein du marché intérieur, telle que l’article 24 de la directive 2003/96, mais, par le truchement de la législation belge en cause, une
disposition du règlement no 918/83 en matière douanière. Or, ces textes poursuivent des objectifs différents (voir, en sens, arrêt Meiland Azewijn, EU:C:2004:499, point 40).

34 En outre, s’il est vrai que la Cour a affirmé, au point 20 de l’arrêt Schoonbroodt (EU:C:1998:586), que «les définitions de la notion de ‘réservoirs normaux’ données dans les différentes dispositions susceptibles de se révéler pertinentes ne présentent pas de divergence significative dans le contexte de l’espèce au principal», il n’en demeure pas moins que l’argumentation retenue par la Cour dans ce dernier arrêt est fondée sur sa jurisprudence en matière douanière, et non sur la finalité d’une
disposition adoptée dans le cadre du marché intérieur.

35 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que la notion de «réservoirs normaux», visée à l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’exclut pas les réservoirs fixés à demeure sur les véhicules automobiles utilitaires destinés à l’approvisionnement direct en carburant de ces véhicules, lorsque ces réservoirs ont été installés par une personne autre que le
constructeur, pour autant que lesdits réservoirs permettent l’utilisation directe du carburant tant pour la propulsion desdits véhicules que, le cas échéant, pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et d’autres systèmes.

Sur les dépens

36 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

  La notion de «réservoirs normaux», visée à l’article 24, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’exclut pas les réservoirs fixés à demeure sur les véhicules automobiles utilitaires destinés à l’approvisionnement direct en carburant de ces véhicules, lorsque ces réservoirs ont été installés par une personne autre
que le constructeur, pour autant que lesdits réservoirs permettent l’utilisation directe du carburant tant pour la propulsion desdits véhicules que, le cas échéant, pour le fonctionnement, au cours du transport, des systèmes de réfrigération et d’autres systèmes.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-152/13
Date de la décision : 10/09/2014
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Finanzgericht Düsseldorf.

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Exceptions – Produits énergétiques contenus dans les réservoirs normaux des véhicules automobiles utilitaires et destinés à être utilisés comme carburant par ces véhicules – Notion de ‘réservoirs normaux’ au sens de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive – Réservoirs installés par un carrossier ou un concessionnaire du constructeur.

Fiscalité

Énergie


Parties
Demandeurs : Holger Forstmann Transporte GmbH & Co. KG
Défendeurs : Hauptzollamt Münster.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Arestis

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:2184

Source

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