ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
10 avril 2014 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Liberté d’établissement — Libre circulation des capitaux — Articles 63 TFUE et 65 TFUE — Impôt sur le revenu des personnes morales — Différence de traitement entre les dividendes versés à des fonds d’investissement résidents et non-résidents — Exclusion d’exonération fiscale — Restriction non justifiée»
Dans l’affaire C‑190/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Bydgoszczy (Pologne), par décision du 28 mars 2012, parvenue à la Cour le 23 avril 2012, dans la procédure
Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company
contre
Dyrektor Izby Skarbowej w Bydgoszczy,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur), Mme M. Berger et M. S. Rodin, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 septembre 2013,
considérant les observations présentées:
— pour Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company, par M. M. Rudnicki, conseiller juridique,
— pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar ainsi que par Mme A. Kramarczyk, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, J.‑S. Pilczer et D. Colas, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. De Stefano, avvocato dello Stato,
— pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,
— pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. W. Roels, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 novembre 2013,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 TFUE, 63 TFUE et 65 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company, un fonds d’investissement dont le siège est établi aux États-Unis, au Dyrektor Izby Skarbowej w Bydgoszczy (directeur de l’administration fiscale de Bydgoszcz, ci-après le «Dyrektor»), au sujet du refus de ce dernier de constater et de rembourser un trop-perçu d’impôt forfaitaire sur les sociétés, relatif aux années 2005 et 2006, acquitté au titre de l’imposition des dividendes
distribués au requérant au principal par des sociétés de capitaux dont le siège se situe sur le territoire polonais.
Le cadre juridique
Le droit polonais
3 L’article 6, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt des sociétés (ustawy o podatku dochodowym od osób prawnych), du 15 février 1992 (Dz. U. no 54, position 654), dans sa version applicable aux faits de l’affaire au principal, soit au cours des années 2005 et 2006 (ci-après la «loi relative à l’impôt des sociétés»), disposait:
«Sont exonérés de l’impôt:
[...]
10) les fonds d’investissement exerçant leur activité conformément aux dispositions de la [loi relative aux fonds d’investissement (ustawy o funduszach inwestycyjnych), du 27 mai 2004 (Dz. U. no 146, position 1546, ci-après la ‘loi relative aux fonds d’investissement’)].»
4 L’article 6, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt des sociétés a été modifié par la loi modifiant la loi relative à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la loi relative à l’impôt des sociétés et la loi relative à l’impôt forfaitaire sur le revenu applicable à certains revenus perçus par des personnes physiques (ustawa – Zmiana ustawy o podatku dochodowym od osób fizycznych, ustawy o podatku dochodowym od osób prawnych oraz ustawy o zryczałtowanym podatku dochodowym od niektórych
przychodów osiąganych przez osoby fizyczne), du 25 novembre 2010 (Dz. U. de 2010, no 226, position 1478). Cette disposition, entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2011, énonce:
«Sont exonérés de l’impôt:
[...]
10) les fonds d’investissement exerçant leur activité conformément aux dispositions de la loi [relative aux fonds d’investissement];
10a) les organismes de placement collectif dont le siège se situe dans un État membre de l’Union européenne autre que la République de Pologne, ou dans un autre État de l’Espace économique européen [EEE], lorsque ces organismes remplissent cumulativement les conditions suivantes:
a) ils sont, dans l’État du siège, soumis à l’impôt sur les sociétés sur la totalité de leurs revenus, quelle qu’en soit la provenance,
b) leurs activités ont pour unique objet le placement collectif, dans des valeurs mobilières, dans des instruments du marché monétaire et dans d’autres droits patrimoniaux, de ressources financières collectées par voie d’appel public ou non public à l’achat de leurs titres de placement,
c) ils exercent leurs activités en vertu d’une autorisation octroyée par les autorités compétentes pour la surveillance du marché financier dans l’État où se situe leur siège [...]
d) leurs activités sont directement contrôlées par les autorités compétentes pour la surveillance du marché financier de l’État dans lequel le siège de ces organismes se situe,
e) ils ont désigné un dépositaire pour la garde de leurs actifs,
f) ils sont gérés par des opérateurs disposant, pour l’exercice de leur activité, de l’autorisation des autorités compétentes pour la surveillance du marché financier de l’État dans lequel le siège de ces organismes se situe.»
5 L’article 22 de la loi relative à l’impôt des sociétés est libellé comme suit:
«1. L’imposition des dividendes et autres revenus au titre de la participation aux bénéfices de personnes morales dont le siège se situe en [...] Pologne est fixée à 19 % des revenus perçus, sous réserve du paragraphe 2.
2. L’imposition des revenus visés au paragraphe 1 des personnes énumérées à l’article 3, paragraphe 2, est fixée à 19 % des revenus, à moins qu’une convention relative à la double imposition conclue avec l’État du siège ou du centre de direction de l’assujetti n’en dispose autrement.»
6 Conformément à l’article 1er de la loi relative aux fonds d’investissement, telle que modifiée:
«La loi définit les règles applicables à la création et à l’activité des fonds d’investissement dont le siège se situe sur le territoire de la République de Pologne, ainsi que les règles régissant l’exercice par les fonds étrangers et les sociétés de gestion de leurs activités sur le territoire de la République de Pologne.»
7 L’article 2, points 7 et 9, de cette loi prévoit:
«Aux fins de la présente loi, on entend par:
[...]
7) États membres: les États membres de l’Union européenne autres que la [République de] Pologne;
[...]
9) fonds étranger: un fonds d’investissement de type ouvert ou une société d’investissement dont le siège se situe dans un État membre et qui exerce son activité conformément aux dispositions communautaires régissant le placement collectif en valeurs mobilières;
[...]»
8 L’article 3, paragraphe 1, de ladite loi dispose:
«Le fonds d’investissement est une personne morale dont les activités ont pour unique objet le placement collectif, dans des valeurs mobilières, dans des instruments du marché monétaire et dans d’autres droits patrimoniaux définis par la loi, de ressources financières collectées par voie d’appel public ou non public à l’achat de leurs titres de placement.»
La convention préventive de la double imposition
9 Conformément à l’article 11 de la convention conclue entre le gouvernement de la [République de Pologne] et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale (Umowy miedzy Rządem [Polskiej] Rzeczypospolitej Ludowej a Rządem Stanów Zjednoczonych Ameryki o uniknięciu podwójnego opodatkowania i zapobieżeniu uchylaniu się od opodatkowania w zakresie podatków od dochodu), signée à Washington le 8 octobre 1974 (Dz. U. de 1976, no 31,
position 178, ci-après la «convention préventive de la double imposition»):
«1. Les dividendes provenant de sources situées dans un État contractant et perçus par un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet État.
2. L’État contractant sur le territoire duquel se situe le siège de la société peut également imposer ces dividendes conformément à son droit, mais cet impôt ne peut excéder:
a) 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire est une personne morale détenant au moins 10 % des actions avec droit de vote de la société distributrice,
b) 15 % du montant brut des dividendes dans tous les autres cas.
Le présent paragraphe ne concerne pas l’imposition de la personne morale sur les bénéfices dont sont issus les dividendes versés.
[...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Au mois de décembre 2010, le requérant au principal, un fonds d’investissement dont le siège se situe sur le territoire des États-Unis d’Amérique et dont l’activité consiste notamment à prendre des participations dans des sociétés polonaises, a sollicité de l’administration fiscale polonaise le remboursement d’un trop-perçu de l’impôt forfaitaire sur les sociétés ayant grevé, à hauteur de 15 %, les dividendes qui lui avaient été versés par ces sociétés établies en Pologne. Le requérant au
principal estimait qu’il était fondé à obtenir ce remboursement sur la base de l’article 22, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt des sociétés, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 2, sous b), de la convention préventive de la double imposition.
11 Cette demande a été rejetée par la décision du 2 mai 2011, au motif que, en tant que fonds d’investissement établi sur le territoire des États-Unis d’Amérique, le requérant au principal ne remplissait pas les conditions d’exonération visées à l’article 6, paragraphe 1, point 10, de la loi relative à l’impôt des sociétés.
12 Cette décision ayant été confirmée par une décision du Dyrektor du 6 octobre 2011, le demandeur au principal a introduit un recours en annulation devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir que les dispositions de la loi relative à l’impôt des sociétés opèrent une discrimination entre les fonds d’investissement établis dans des États tiers et ceux établis en Pologne.
13 La juridiction de renvoi se demande si, compte tenu de la nature particulière de l’exonération fiscale prévue par la loi relative à l’impôt des sociétés, qui équivaudrait à une exonération personnelle intégrale de l’impôt des sociétés réservée aux fonds d’investissement respectant les exigences prévues par la loi relative aux fonds d’investissement, et du lien étroit entre les dispositions de cette dernière loi et ladite exonération, il convient d’examiner cette disposition de la loi polonaise au
regard non pas du principe de la libre circulation de capitaux, mais de celui de la liberté d’établissement.
14 À supposer qu’il faille procéder à cet examen au regard du principe de la libre circulation des capitaux, la juridiction de renvoi se pose alors la question de savoir si la législation en cause au principal entraîne une restriction non justifiée à cette liberté.
15 En particulier, la juridiction de renvoi se demande si la similitude dans les modalités et le domaine d’activité exercée suffit à considérer qu’un fonds d’investissement dont le siège se situe en Pologne est comparable à celui dont le siège se situe aux États-Unis, tandis que les exigences posées par le droit de l’Union en matière de création et de fonctionnement de ces fonds diffèrent de celles posées par le droit de l’État tiers et n’y sont pas applicables.
16 En outre, la juridiction de renvoi estime qu’une éventuelle restriction pourrait être justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux en raison du caractère personnel de l’exonération et qu’elle serait également proportionnelle.
17 C’est dans ces conditions que le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Bydgoszczy a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article [63 TFUE] s’applique‑t‑il lorsque la juridiction saisie est amenée à déterminer si, dans le cadre d’une exonération fiscale personnelle de portée générale, un État membre peut mettre en œuvre des dispositions de droit national distinguant la situation juridique des assujettis de telle façon que les fonds d’investissement ayant leur siège dans l’un des États membres de l’Union [...] bénéficient d’une exonération du prélèvement forfaitaire de l’impôt des sociétés [en] raison des
dividendes qu’ils perçoivent, alors qu’un fonds d’investissement résidant fiscalement aux États-Unis n’en bénéficie pas?
2) La différence de traitement entre les fonds d’investissement ayant leur siège dans un État tiers et ceux dont le siège se situe dans l’un des États membres de l’Union, prévue par le droit national pour l’exonération personnelle en matière d’impôt des sociétés, peut-elle être considérée comme juridiquement fondée au regard des dispositions de l’article [65, paragraphe 1, sous a), TFUE, lu en combinaison avec l’article 65, paragraphe 3, TFUE]?»
Sur la demande tendant à la réouverture de la phase orale de la procédure
18 La phase orale de la procédure a été clôturée le 6 novembre 2013 à la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général.
19 Par lettre du 6 décembre 2013, déposée au greffe de la Cour le 9 décembre 2013, en invoquant l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, le requérant au principal a demandé, en substance, la réouverture de la phase orale de la procédure en faisant valoir la survenance de faits nouveaux de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour. Selon cette partie, les autorités fiscales des États-Unis l’ont informée que les autorités fiscales polonaises avaient ouvert une
procédure d’échange d’informations pour une affaire la concernant et ayant un objet identique à celui de l’affaire au principal.
20 À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour (voir arrêt du 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel e.a., C‑228/12 à C‑232/12
et C‑254/12 à C‑258/12, point 26).
21 En l’occurrence, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi et que le fait nouveau mentionné par le requérant au principal n’est pas de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.
22 Par conséquent, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande du requérant au principal tendant à la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à déterminer si l’article 63 TFUE s’applique dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, en vertu de la législation fiscale d’un État membre, les dividendes versés par des sociétés établies dans cet État membre au profit d’un fonds d’investissement établi dans un État tiers ne font pas l’objet d’une exonération fiscale, alors que les fonds d’investissement établis dans ledit État membre bénéficient d’une telle exonération.
24 Seul le gouvernement polonais estime que cette réglementation nationale doit être appréciée à la lumière non pas de la libre circulation des capitaux, mais de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services. Selon ce gouvernement, l’exonération personnelle en cause au principal, qui s’applique à l’ensemble des revenus de certains opérateurs économiques indépendamment du type de transactions qu’ils ont réalisées, a pour objectif non pas d’introduire un critère distinctif fondé
sur le lieu d’établissement, mais d’inciter le consommateur à recourir aux services de fonds d’investissement qui exercent leur activité dans un cadre juridique précisément défini. Par ailleurs, l’activité exercée par les fonds d’investissement constituerait une activité de service d’intermédiaire financier ou de gestion de portefeuille d’actifs, au sens des articles 49 TFUE ou 56 TFUE.
25 À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le traitement fiscal de dividendes est susceptible de relever de l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement et de l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux et que, s’agissant de la question de savoir si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2012,
Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑35/11, points 89 et 90 et jurisprudence citée).
26 En particulier, relève du champ d’application de la liberté d’établissement, une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 91 et jurisprudence citée).
27 Il s’ensuit que, s’agissant des dividendes originaires d’un pays tiers, lorsqu’il ressort de l’objet d’une telle législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société concernée et d’en déterminer les activités, ni l’article 49 TFUE ni l’article 63 TFUE ne peuvent être invoqués (voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 98).
28 En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations prises dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 92).
29 Dans un contexte relatif au traitement fiscal de dividendes originaires d’un pays tiers, il convient de considérer que l’examen de l’objet d’une législation nationale suffit pour apprécier si le traitement fiscal de dividendes originaires d’un pays tiers relève des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 96).
30 À cet égard, la Cour a précisé qu’une réglementation nationale relative au traitement fiscal de dividendes d’un pays tiers, qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société distribuant les dividendes, doit être appréciée au regard de l’article 63 TFUE. Une société établie dans un État membre peut par conséquent, indépendamment de l’ampleur de la participation qu’elle détient dans la société distributrice de dividendes
établie dans un pays tiers, se prévaloir de cette disposition afin de mettre en cause la légalité d’une telle réglementation (voir, en ce sens, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 99).
31 Il convient toutefois d’éviter que l’interprétation de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, permette à des opérateurs économiques qui n’entrent pas dans les limites du champ d’application territorial de la liberté d’établissement de tirer profit de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 100).
32 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 21 de ses conclusions, cette appréciation concernant le traitement fiscal des dividendes versés par une société d’un pays tiers au profit d’une personne établie sur le territoire d’un État membre est également applicable à la situation dans laquelle des dividendes sont versés par une société établie dans un État membre au profit de son actionnaire établi dans un pays tiers, comme c’est le cas dans l’affaire au principal.
33 En effet, d’une part, l’exonération en cause au principal, visée à l’article 6, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt des sociétés, ne fait pas de distinction en fonction du type de participation ayant généré les dividendes perçus par le fonds d’investissement. D’autre part, le risque qu’un opérateur économique ne relevant pas du champ d’application territorial de la liberté d’établissement tire profit de celle-ci n’existe pas, dès lors que la législation fiscale en cause au principal
concerne le traitement fiscal de ces dividendes et ne vise pas à soumettre à conditions l’accès au marché national des opérateurs provenant de pays tiers.
34 Un tel constat n’est pas remis en cause par les arguments soulevés notamment par le gouvernement polonais, tels que rappelés au point 24 du présent arrêt, dans la mesure où ce qu’il y a lieu d’examiner afin de déterminer si cette législation relève de l’application de l’article 63 TFUE est non pas la nature de l’exonération prévue par ladite législation ni le caractère de l’activité exercée par le fonds d’investissement, mais bien la forme de participation des fonds d’investissement dans les
sociétés résidentes.
35 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux s’applique dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, en vertu de la législation fiscale nationale, les dividendes versés par des sociétés établies dans un État membre au profit d’un fonds d’investissement établi dans un État tiers ne font pas l’objet d’une exonération fiscale, alors que les fonds d’investissement établis dans ledit État
membre bénéficient d’une telle exonération.
Sur la seconde question
36 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 63 TFUE et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle ne peuvent bénéficier d’une exonération fiscale les dividendes versés par des sociétés établies dans cet État membre au profit d’un fonds d’investissement situé dans un État tiers.
37 En particulier, selon la loi relative à l’impôt des sociétés, dans sa version applicable aux faits du litige au principal, à savoir au cours des années 2005 et 2006 et jusqu’au mois de janvier 2011, les dividendes distribués par une société résidente à un fonds d’investissement établi dans un pays tiers étaient imposés, en principe, au taux de 19 %, par une retenue à la source, sauf application d’un taux différent en vertu d’une convention préventive de la double imposition, tandis que de tels
dividendes étaient exonérés lorsqu’ils étaient versés à un fonds d’investissement résident, si ce dernier satisfaisait également aux conditions imposées par la loi relative aux fonds d’investissement.
Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux
38 Il convient de rappeler d’emblée que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union (arrêt du 10 mai 2012, Santander Asset Management SGIIC e.a., C‑338/11 à C‑347/11, point 14 et jurisprudence citée).
39 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents dudit État membre d’en faire dans d’autres États (arrêts du 18 décembre 2007, A, C-101/05, Rec. p. I-11531, point 40; du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et
Österreichische Salinen, C-436/08 et C-437/08, Rec. p. I-305, point 50, ainsi que Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 15).
40 En l’occurrence, l’exonération fiscale prévue par la législation fiscale nationale en cause au principal était octroyée uniquement aux fonds d’investissement exerçant leur activité conformément à la loi relative aux fonds d’investissement.
41 Il ressort également de la décision de renvoi que, aux termes de la législation nationale en cause au principal, les fonds d’investissement ne bénéficient de l’exonération qu’à la condition que leur siège se situe sur le territoire polonais. Dès lors, les dividendes versés à des fonds d’investissement non-résidents ne pourraient pas bénéficier, du seul fait du lieu d’établissement de ces fonds, de l’exonération de la retenue à la source, même si ces dividendes pourraient éventuellement faire
l’objet d’une réduction du taux d’imposition en application d’une convention préventive de la double imposition.
42 Or, une telle différence de traitement fiscal des dividendes entre les fonds d’investissement résidents et les fonds d’investissement non-résidents est susceptible de dissuader, d’une part, les fonds d’investissement établis dans un pays tiers de prendre des participations dans des sociétés établies en Pologne, et, d’autre part, les investisseurs résidant dans cet État membre d’acquérir des parts dans des fonds d’investissement non-résidents (voir, en ce sens, arrêt Santander Asset Management
SGIIC e.a., précité, point 17).
43 Il s’ensuit qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal est de nature à entraîner une restriction à la libre circulation des capitaux contraire, en principe, à l’article 63 TFUE.
44 Il convient, toutefois, d’examiner si cette restriction est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité.
Sur l’applicabilité de l’article 64, paragraphe 1, TFUE
45 Aux termes de l’article 64, paragraphe 1, TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte à l’application, aux États tiers, des restrictions existant au 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des
capitaux.
46 À cet égard, les gouvernements polonais et allemand ont fait valoir, dans leurs observations et lors de l’audience, que, premièrement, la disposition nationale en cause au principal, prévoyant l’imposition des dividendes versés par des sociétés polonaises aux fonds d’investissement non-résidents, était déjà en vigueur avant le 31 décembre 1993, sans que les modalités de cette imposition n’aient été modifiées ultérieurement, et que, deuxièmement, dans la mesure où ladite imposition s’appliquait
indistinctement, c’est-à-dire quel que soit le nombre d’actions détenues dans les sociétés polonaises, les mouvements de capitaux en cause au principal peuvent également relever de la notion d’«investissements directs», telle que précisée par la jurisprudence de la Cour. En tout état de cause, la restriction en cause impliquerait la prestation de services financiers.
47 S’agissant du critère temporel établi par l’article 64, paragraphe 1, TFUE, il résulte d’une jurisprudence de la Cour bien établie que, s’il appartient, en principe, au juge national de déterminer le contenu de la législation existante à une date fixée par un acte de l’Union, il appartient à la Cour de fournir les éléments d’interprétation de la notion du droit de l’Union qui constitue la référence pour l’application d’un régime dérogatoire, prévu par ce droit, à une législation nationale
«existante» à une date fixée (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, Rec. p. I-11753, point 191).
48 Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé que toute mesure nationale adoptée postérieurement à une date ainsi fixée n’est pas, de ce seul fait, automatiquement exclue du régime dérogatoire instauré par l’acte de l’Union en cause. En effet, une disposition qui est, dans sa substance, identique à la législation antérieure ou qui se borne à réduire ou à supprimer un obstacle à l’exercice des droits et des libertés établis par le droit de l’Union figurant dans la législation antérieure bénéficie de la
dérogation. En revanche, une législation qui repose sur une logique différente de celle du droit antérieur et met en place des procédures nouvelles ne peut être assimilée à la législation existante à la date retenue par l’acte de l’Union en cause (voir arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 192, et du 24 mai 2007, Holböck, C-157/05, Rec. p. I-4051, point 41).
49 À cet égard, il ressort des observations de la Commission, sans que cet élément soit contesté par le gouvernement polonais, que l’exonération fiscale prévue à l’article 6, paragraphe 1, point 10, de la loi relative à l’impôt des sociétés a été introduite par une loi du 28 août 1997.
50 Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 57 de ses conclusions, une restriction, au sens des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, qui aurait été maintenue après le 31 décembre 1993 n’existait pas avant cette date.
51 En effet, à la date du 31 décembre 1993, les dividendes versés par des sociétés polonaises à des entités non-résidentes auraient été soumis soit à la même retenue à la source que ceux versés à des entités établies en Pologne, soit à une imposition à un taux réduit, en application d’une convention préventive de la double imposition conclue entre la République de Pologne et l’État concerné. C’est la loi du 28 août 1997, mentionnée au point 49 du présent arrêt, qui a introduit pour la première fois
une restriction, dans la mesure où elle a établi une différence de traitement entre les fonds d’investissement résidents et les fonds d’investissement non-résidents, en exonérant les premiers de la retenue à la source et des procédures administratives liées au prélèvement forfaitaire de l’impôt sur les dividendes qui leur sont distribués.
52 Par conséquent, la législation nationale en cause au principal ne saurait être considérée comme une restriction existant à la date du 31 décembre 1993, puisque l’élément constitutif d’une restriction à la libre circulation des capitaux, à savoir l’exonération fiscale prévue à l’article 6, paragraphe 1, point 10, de la loi relative à l’impôt des sociétés, a été introduit ultérieurement, en se départant de la logique de la législation antérieure et en mettant en place une procédure nouvelle, au
sens de la jurisprudence citée au point 48 du présent arrêt.
53 Dès lors que le critère temporel n’est pas rempli et que les deux critères, temporel et matériel, prévus à l’article 64, paragraphe 1, TFUE doivent être remplis cumulativement, ce dernier article n’est pas applicable à l’affaire au principal, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si le critère matériel est satisfait.
Sur le caractère justifié de la restriction
54 Conformément à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.
55 Cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité (voir arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a.,
C-11/07, Rec. p. I-6845, point 57; du 22 avril 2010, Mattner, C-510/08, Rec. p. I-3553, point 32, et Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 56).
56 En effet, la dérogation prévue à ladite disposition est elle-même limitée par l’article 65, paragraphe 3, TFUE qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63» (voir arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 57).
57 Les différences de traitement autorisées par l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE doivent être ainsi distinguées des discriminations interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu’une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement qu’elle prévoit concerne des
situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 58 et jurisprudence citée).
Sur la comparabilité objective des situations
58 S’agissant de la question de la comparabilité, il convient, en premier lieu, de préciser que, à l’égard d’une règle fiscale, telle que celle en cause au principal, visant à ne pas soumettre à l’impôt les bénéfices distribués par des sociétés résidentes, la situation d’un fonds d’investissement bénéficiaire résident est comparable à celle d’un fonds d’investissement bénéficiaire non-résident, dans la mesure où, dans les deux cas, les bénéfices réalisés sont, en principe, susceptibles de faire
l’objet d’une double imposition économique ou d’une imposition en chaîne (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 62; Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 113; du 20 octobre 2011, Commission/Allemagne, C-284/09, Rec. p. I-9879, point 56, ainsi que Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 42 et jurisprudence citée).
59 Or, dans la mesure où c’est le seul exercice par l’État membre en question de sa compétence fiscale qui, indépendamment de toute imposition dans un autre État tiers, engendre un risque d’imposition en chaîne ou de double imposition économique, l’article 63 TFUE impose à ce même État qui établit une exonération fiscale à l’égard de dividendes versés aux opérateurs économiques résidents par d’autres sociétés résidentes d’accorder un traitement équivalent aux dividendes versés aux opérateurs
économiques établis dans les États tiers (voir, en ce sens, arrêts précités du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, point 72; Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, point 60, et Commission/Allemagne, point 57).
60 Or, la législation fiscale nationale en cause au principal ne prévoit pas un tel traitement équivalent. En effet, alors que cette législation prévient la double imposition économique des dividendes d’origine nationale perçus par des fonds d’investissement résidents, en alignant la situation des participants à de tels fonds et celle des investisseurs individuels, elle n’élimine pas, ni même n’atténue, la double imposition à laquelle un fonds d’investissement non-résident risque d’être soumis
lorsqu’il perçoit de tels dividendes.
61 En deuxième lieu, il convient de rappeler que seuls les critères de distinction pour l’imposition des bénéfices distribués établis par la législation fiscale nationale en cause au principal doivent être pris en compte aux fins d’apprécier la comparabilité objective des situations soumises à un traitement différencié (voir, en ce sens, arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 28).
62 À cet égard, il est constant que le seul critère de distinction établi par la législation fiscale en cause au principal est fondé sur le lieu de résidence du fonds d’investissement, seuls les fonds d’investissement établis en Pologne pouvant bénéficier d’une exonération de la retenue à la source des dividendes qu’ils perçoivent. En effet, l’exonération fiscale dont bénéficient les fonds d’investissement résidents n’est pas subordonnée à l’imposition des revenus distribués dans le chef de leurs
porteurs de parts.
63 Eu égard à ce critère de distinction, l’appréciation de la comparabilité des situations doit être effectuée au seul niveau du véhicule d’investissement, dans la mesure où la réglementation en cause ne prend pas en compte la situation fiscale de leurs porteurs de parts (voir, en ce sens, arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, points 32, 39 et 41).
64 Par conséquent, l’argument avancé par le gouvernement allemand selon lequel les effets d’une restriction peuvent généralement être neutralisés lorsque l’investisseur peut, dans son État de résidence, imputer sur sa dette fiscale personnelle l’impôt auquel le fonds d’investissement non-résident est soumis à la source ou déduire cet impôt lors de la détermination de l’assiette de l’impôt auquel il est soumis dans son État de résidence ne saurait être retenu.
65 En troisième lieu, il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises par les gouvernements polonais, allemand, espagnol, français, italien et finlandais ainsi que par la Commission que la situation d’un fonds d’investissement ayant son siège dans un État tiers n’est pas comparable à celle des fonds d’investissement établis en Pologne et soumis à la loi relative aux fonds d’investissement, voire à la situation des fonds d’investissement qui ont leur siège dans un autre État membre.
66 Plus précisément, la différence entre les fonds d’investissement dont le siège se situe aux États-Unis et ceux dont le siège se situe dans les États membres de l’Union tiendrait en substance au fait que ces derniers sont soumis à une réglementation uniforme applicable à la création et au fonctionnement des fonds d’investissement européens, à savoir la directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives
concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3), telle que modifiée par la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004 (JO L 145, p. 1, ci-après la «directive OPCVM»), dont les exigences seraient, en substance, reprises par la loi relative aux fonds d’investissement. Dès lors que seuls les fonds d’investissement respectant ces exigences seraient susceptibles de bénéficier de l’exonération prévue par la loi
relative à l’impôt des sociétés, les fonds d’investissement non-résidents, non soumis à la directive OPCVM, se trouveraient par conséquent dans une situation juridique et factuelle fondamentalement différente de celle des fonds d’investissement établis dans les États membres de l’Union.
67 Or, la circonstance que les fonds d’investissement non-résidents ne font pas partie du cadre réglementaire uniforme de l’Union mis en place par la directive OPCVM régissant les modalités de la création et du fonctionnement des fonds d’investissement au sein de l’Union, telle que transposée en droit interne par la loi polonaise relative aux fonds d’investissement, ne saurait suffire en elle-même pour établir le fait que les situations desdits fonds sont différentes. En effet, dans la mesure où la
directive OPCVM ne s’applique pas aux fonds d’investissement établis dans des pays tiers, en raison du fait qu’ils se trouvent en dehors du champ d’application du droit de l’Union, exiger que ces derniers soient réglementés de manière identique par rapport aux fonds d’investissement résidents priverait la liberté de circulation des capitaux de tout effet utile.
68 En tout état de cause, comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 37 et 38 de ses conclusions et comme cela a déjà été dit au point 62 du présent arrêt, dans la mesure où le critère principal établi par la réglementation fiscale nationale en cause au principal est fondé sur le lieu de résidence du fonds d’investissement, en permettant seulement aux fonds d’investissement qui sont établis en Pologne de bénéficier de l’exonération fiscale, en ce qui concerne l’affaire au principal, une
comparaison entre le cadre réglementaire régissant les fonds établis dans un pays tiers et le cadre réglementaire uniforme appliqué au sein de l’Union est dépourvue de pertinence en ce qu’elle ne relève pas de la réglementation applicable en cause dans cette affaire.
69 Au vu de ce qui précède, à l’égard d’une législation fiscale d’un État membre, telle que la loi relative à l’impôt des sociétés, qui retient comme critère de distinction principal le lieu de résidence des fonds d’investissement, entraînant la perception ou non d’une retenue à la source sur les dividendes qui leur sont versés par des sociétés polonaises, les fonds d’investissement non-résidents se trouvent dans une situation objectivement comparable à celle dont le siège est situé sur le
territoire polonais.
70 Cela étant établi, il convient encore d’examiner si la restriction résultant d’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 63 et jurisprudence citée).
Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général
– La nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux
71 Il est de jurisprudence constante que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (arrêt du 6 octobre 2011, Commission/Portugal, C-493/09, Rec. p. I-9247, point 42 et jurisprudence citée).
72 À cet égard, ainsi que cela ressort de la décision de renvoi et comme l’ensemble des gouvernements ainsi que la Commission l’ont fait valoir dans le cadre de leurs observations déposées devant la Cour, en l’absence d’un cadre juridique commun en matière de coopération administrative avec les États tiers, à l’instar, au sein de l’Union, de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts
directs (JO L 336, p. 15), l’administration fiscale polonaise ne serait pas en mesure de vérifier, à l’égard d’un fonds d’investissement non-résident, le respect des conditions spécifiques posées par la législation polonaise et d’apprécier la portée et l’efficacité du contrôle exercé sur ce fond par rapport aux mécanismes de coopération renforcée prévus par la directive OPCVM au sein de l’Union.
73 Or, en ce qui concerne l’argument relatif à l’absence d’instrument juridique permettant aux autorités fiscales polonaises de vérifier la preuve et les informations présentées par les fonds d’investissement établis aux États-Unis en vue d’établir leur nature comparable à celle des fonds d’investissement établis en Pologne ou dans un autre État membre, il convient de préciser d’emblée que le mécanisme d’échange d’informations entre les États membres mis en place par la directive OPCVM fait partie
du système de coopération établi entre leurs autorités d’agrément et de surveillance des fonds d’investissement, aux fins de garantir l’accomplissement de leur mission, dont l’étendue est précisée à l’article 50, paragraphe 5, de cette directive.
74 En vertu de cet article susmentionné, les autorités compétentes qui reçoivent des informations confidentielles ne peuvent les utiliser que dans l’exercice de leurs fonctions soit pour vérifier que les conditions d’accès à l’activité des OPCVM ou des entreprises qui concourent à leur activité sont remplies et pour faciliter le contrôle des conditions d’exercice de l’activité, de l’organisation administrative et comptable ainsi que des mécanismes de contrôle interne, soit pour l’imposition de
sanctions, soit dans le cadre d’un recours administratif contre une décision des autorités compétentes, soit encore dans les actions en justice intentées conformément à l’article 51, paragraphe 2, de la directive OPCVM.
75 En outre, les autres dispositions de la directive OPCVM afférentes à ce système d’échange d’informations mettent l’accent sur la nécessité de la préservation du secret professionnel dans ce contexte.
76 Il ressort de l’article 50, paragraphe 5, de la directive OPCVM et de l’économie générale de celle-ci que ledit système d’échange d’informations fait partie du système de surveillance mis en place par cette directive. Par conséquent, cette forme de coopération prévue entre les États membres ne porte pas sur la matière fiscale, mais a uniquement trait à l’activité des fonds d’investissement en matière d’OPCVM.
77 La directive OPCVM ne saurait par conséquent conférer à l’administration fiscale polonaise le pouvoir de procéder, ou de faire procéder, à un contrôle afin de vérifier si les fonds d’investissement se sont conformés aux obligations qui leur incombent au titre de la loi relative aux fonds d’investissement, cette compétence étant réservée aux autorités de surveillance investies de ce pouvoir par ladite directive.
78 La directive OPCVM ne saurait non plus autoriser une autorité de surveillance d’un État membre à échanger des informations avec l’autorité de surveillance de l’État membre d’imposition, obtenues à la suite de contrôles que la première autorité a effectués auprès de fonds d’investissement établis sur son territoire, afin de permettre à l’autorité de surveillance de l’État membre d’imposition de transmettre ces informations aux autorités fiscales nationales.
79 Il résulte de ce qui précède que la circonstance que le système d’échange d’informations mis en place par la directive OPCVM n’est pas susceptible de s’appliquer aux fonds d’investissement non-résidents n’est pas de nature à justifier la restriction en cause au principal.
80 En outre, en excluant de l’exonération fiscale les fonds d’investissement non-résidents au seul motif qu’ils sont établis sur le territoire d’un État tiers, la législation fiscale nationale en cause au principal ne donne pas la possibilité à ces contribuables de prouver qu’ils répondent à des exigences équivalentes à celles contenues dans la loi relative aux fonds d’investissement.
81 Il ressort, certes, de la jurisprudence de la Cour que, dans les relations entre les États membres de l’Union, il ne saurait être exclu a priori que le contribuable soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l’État membre d’imposition de vérifier, de façon claire et précise, qu’il remplit des exigences équivalentes à celles prévues par la législation nationale en cause dans son État de résidence (voir, en ce sens, arrêts précités A,
point 59, et Commission/Portugal, point 46).
82 Toutefois, cette jurisprudence ne saurait être intégralement transposée aux mouvements de capitaux entre les États membres et les États tiers, de tels mouvements s’inscrivant dans un contexte juridique différent (arrêts A, précité, point 60; du 19 novembre 2009, Commission/Italie, C-540/07, Rec. p. I-10983, point 69; du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud,C-72/09, Rec. p. I-10659, point 40, ainsi que Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, point 65).
83 En effet, il convient de relever que le cadre de coopération entre les autorités compétentes des États membres établi par la directive 77/799 n’existe pas entre celles-ci et les autorités compétentes d’un État tiers lorsque ce dernier n’a pris aucun engagement d’assistance mutuelle (arrêts précités Commission/Italie, point 70; Établissements Rimbaud, point 41, ainsi que Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, point 66).
84 Il découle des considérations qui précèdent que la justification tirée de la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux n’est admissible que si la réglementation d’un État membre fait dépendre le bénéfice d’un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu’en obtenant des renseignements des autorités compétentes d’un État tiers et que, en raison de l’absence d’une obligation conventionnelle de cet État tiers de fournir des informations, il
s’avère impossible d’obtenir ces renseignements de ce dernier (voir arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 67 et jurisprudence citée).
85 Or, contrairement aux affaires ayant donné lieu aux arrêts mentionnés au point 82 du présent arrêt, dans le cadre desquelles il n’existait aucune obligation conventionnelle des États tiers en cause de fournir des informations, de sorte que la Cour a exclu la possibilité pour le contribuable de fournir lui-même les preuves nécessaires pour l’établissement correct des taxes concernées, en ce qui concerne l’affaire au principal, il existe un cadre réglementaire d’assistance administrative mutuelle
établi entre la République de Pologne et les États-Unis d’Amérique permettant l’échange d’informations qui s’avèrent nécessaires pour l’application de la législation fiscale.
86 Plus précisément, ce cadre de coopération découle de l’article 23 de la convention préventive de la double imposition ainsi que de l’article 4 de la convention élaborée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Conseil de l’Europe, signée à Strasbourg le 25 janvier 1988, concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
87 Il s’ensuit que, compte tenu de l’existence de ces obligations conventionnelles entre la République de Pologne et les États-Unis d’Amérique, établissant un cadre juridique commun de coopération et prévoyant des mécanismes d’échange d’informations entre les autorités nationales concernées, il ne saurait être exclu a priori que les fonds d’investissement établis sur le territoire des États-Unis d’Amérique puissent être tenus de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités
fiscales polonaises de vérifier, en coopération avec les autorités compétentes des États-Unis d’Amérique, qu’ils exercent leurs activités dans des conditions équivalentes à celles applicables aux fonds d’investissement établis sur le territoire de l’Union.
88 Il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi d’examiner si les obligations conventionnelles entre la République de Pologne et les États-Unis d’Amérique, établissant un cadre juridique commun de coopération et prévoyant des mécanismes d’échange d’informations entre les autorités nationales concernées, sont effectivement susceptibles de permettre aux autorités fiscales polonaises de vérifier, le cas échéant, les informations fournies par les fonds d’investissement établis sur le territoire
des États-Unis d’Amérique portant sur les conditions de la création et de l’exercice de leurs activités, afin d’établir qu’ils opèrent dans un cadre réglementaire équivalent à celui de l’Union.
– La nécessité de préserver la cohérence du système fiscal
89 À l’appui de l’argument selon lequel la restriction qu’implique la législation fiscale nationale en cause au principal trouve une justification dans la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal, le gouvernement polonais soutient que l’exonération que cette législation prévoit est étroitement liée à l’imposition des versements effectués par les fonds d’investissement à leurs participants. La cohérence du système fiscal nécessiterait que soit assurée une imposition uniforme et effective
des revenus d’un assujetti déterminé, indépendamment de l’État membre dans lequel ils ont été perçus, et qui prendrait en compte le montant des impôts acquittés dans d’autres États membres.
90 En outre, le gouvernement allemand soutient que, dans des situations impliquant des États tiers, notamment lorsque des fonds d’investissement sont concernés, il conviendrait d’élargir la notion de cohérence fiscale et d’apprécier ensemble les différents stades de l’imposition, en supposant que les dividendes sont versés aux porteurs de parts établis à l’étranger.
91 Il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que la nécessité de préserver une telle cohérence peut justifier une réglementation de nature à restreindre les libertés fondamentales (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 50 et jurisprudence citée).
92 Toutefois, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut, selon une jurisprudence constante, que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 51 et jurisprudence citée).
93 Or, ainsi que cela a déjà été exposé au point 62 du présent arrêt, l’exonération de la retenue à la source des dividendes en cause au principal n’est pas soumise à la condition que les dividendes perçus par le fonds d’investissement concerné soient redistribués par celui-ci et que leur imposition dans le chef des porteurs de parts de ce fonds permette de compenser l’exonération de la retenue à la source.
94 En outre, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 113 de ses conclusions, l’interprétation élargie de la notion de cohérence fiscale proposée par le gouvernement allemand repose sur la prémisse non démontrée que les porteurs de parts de fonds d’investissement établis dans des pays tiers résident eux-mêmes également dans ces pays ou, à tout le moins, en dehors du territoire national. Or, l’examen du motif de la cohérence fiscale exige, en principe, un examen au regard d’un seul et même
régime fiscal.
95 Par conséquent, en l’absence d’un lien direct, au sens de la jurisprudence citée au point 92 du présent arrêt, entre l’exonération de la retenue à la source des dividendes d’origine nationale perçus par un fonds d’investissement résident et l’imposition desdits dividendes en tant que revenus des porteurs de parts dudit fonds d’investissement, la législation nationale en cause au principal ne saurait être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal.
– La répartition des pouvoirs d’imposition et la sauvegarde des recettes fiscales
96 Le gouvernement allemand a en outre invoqué la nécessité de préserver la répartition des pouvoirs d’imposition entre la République de Pologne et les États-Unis d’Amérique ainsi que la sauvegarde des recettes fiscales comme motifs visant à justifier la restriction en cause, motifs qu’il convient d’examiner conjointement en raison des arguments similaires invoqués à leur égard.
97 D’une part, s’agissant de la répartition des pouvoirs d’imposition, le gouvernement allemand fait valoir que la jurisprudence concernant ce motif justificatif ne doit être appliquée qu’aux seules situations internes à l’Union, dans la mesure où, dans les cas de mouvements de capitaux à destination et en provenance de pays tiers, les personnes concernées ne peuvent se prévaloir des règles du marché intérieur, puisqu’une restriction de la souveraineté fiscale d’un État membre par l’effet de la
libre circulation des capitaux aurait pour conséquence directe de transférer l’assiette imposable vers un pays tiers.
98 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 47 et jurisprudence citée).
99 Toutefois, dès lors qu’un État membre a choisi de ne pas imposer les fonds d’investissement résidents bénéficiaires de dividendes d’origine nationale, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des fonds d’investissement non-résidents bénéficiaires de tels revenus (voir, en ce sens, arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 48 et jurisprudence citée).
100 À cet égard, il ne saurait être valablement soutenu que cette jurisprudence ne trouve pas à s’appliquer aux relations entre les États membres et les États tiers, dans la mesure où une absence de réciprocité dans le cadre de telles relations, telle qu’invoquée par le gouvernement allemand, ne saurait justifier une restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres et lesdits États tiers (voir, en ce sens, arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité,
point 128).
101 D’autre part, s’agissant de la sauvegarde des recettes fiscales nationales, le gouvernement allemand soutient que la libre circulation des capitaux ne devrait pas contraindre les États membres à renoncer aux recettes fiscales au profit des États tiers. En effet, le marché intérieur viserait à garantir une allocation efficace des ressources au sein de l’Union tout en préservant la neutralité fiscale au sein dudit marché. Or, les États tiers qui ne font pas partie de ce marché ne sont, par
conséquent, pas tenus d’accepter une perte comparable de recettes fiscales à l’égard des États membres.
102 À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale (arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 126).
103 Cette jurisprudence s’applique tant dans l’hypothèse où l’État membre concerné renonce à des recettes fiscales au profit d’un autre État membre que si ce renoncement s’opère au profit d’un État tiers. En tout état de cause, comme l’observe M. l’avocat général au point 127 de ses conclusions, les sociétés polonaises continuent d’être soumises à l’impôt sur les bénéfices et le droit de l’Union n’empêche pas l’État membre concerné, à plus long terme, de renoncer à prévenir la double imposition, en
lui imposant l’adoption ou le maintien de mesures visant à éliminer les situations d’une telle imposition.
104 Il découle de ce qui précède que la restriction résultant de la législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, n’est pas justifiée par la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et la sauvegarde des recettes fiscales de l’État membre concerné.
105 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que les articles 63 TFUE et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle ne peuvent bénéficier d’une exonération fiscale les dividendes versés par des sociétés établies dans cet État membre au profit d’un fonds d’investissement situé dans un État tiers, pour autant qu’une
obligation conventionnelle d’assistance administrative mutuelle qui permet aux autorités fiscales nationales de vérifier les renseignements éventuellement transmis par le fonds d’investissement existe entre cet État membre et l’État tiers en cause. Il appartient à la juridiction de renvoi, dans le cadre de l’affaire au principal, d’examiner si le mécanisme d’échange d’informations prévu par ce cadre de coopération est effectivement susceptible de permettre aux autorités fiscales polonaises de
vérifier, le cas échéant, les informations fournies par les fonds d’investissement établis sur le territoire des États-Unis d’Amérique portant sur les conditions de la création et de l’exercice de leurs activités, afin d’établir qu’ils opèrent dans un cadre réglementaire équivalent à celui de l’Union.
Sur l’effet du présent arrêt dans le temps
106 Dans ses observations écrites, le gouvernement polonais a demandé à la Cour de limiter dans le temps les effets du présent arrêt au cas où elle constaterait que les articles 63 TFUE et 65 TFUE s’opposent à la législation fiscale en cause au principal.
107 À l’appui de sa demande, ledit gouvernement a, d’une part, attiré l’attention de la Cour sur le risque de graves troubles financiers qu’aurait un arrêt opérant une telle constatation, compte tenu du nombre significatif de cas dans lesquels l’article 22, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt des sociétés a été appliqué. Le gouvernement polonais expose que c’est de bonne foi que la République de Pologne a considéré que les dispositions de la loi relative à l’impôt des sociétés étaient
conformes au droit de l’Union, la Commission ayant remis en cause lesdites dispositions non pas au regard de la libre circulation des capitaux avec les États tiers, mais uniquement au regard des autres États membres de l’Union et de l’EEE.
108 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation que celle-ci donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports
juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 58 et jurisprudence citée).
109 Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés
et le risque de troubles graves (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 59 et jurisprudence citée).
110 Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison
d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 60 et jurisprudence citée).
111 S’agissant de l’argument du gouvernement polonais concernant les implications considérables que l’arrêt à intervenir pourrait entraîner sur le budget de l’État polonais, il résulte d’une jurisprudence bien établie que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., précité, point 62 et jurisprudence
citée).
112 Or, le gouvernement polonais n’a fourni, ni dans ses observations écrites ni lors de l’audience, des données qui permettraient à la Cour d’apprécier si cet État membre risque effectivement d’être gravement affecté d’un point de vue économique par les effets de l’arrêt à intervenir.
113 Dans cette mesure, et sans qu’il soit besoin d’examiner si la République de Pologne a considéré de bonne foi que les dispositions de la loi relative à l’impôt des sociétés étaient conformes au droit de l’Union, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de cet État membre de limiter les effets dans le temps du présent arrêt, dès lors qu’il ne présente aucun élément susceptible d’étayer son argumentation selon laquelle cet arrêt risquerait, si ses effets n’étaient pas limités dans le temps,
d’entraîner des troubles financiers graves.
Sur les dépens
114 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux s’applique dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, en vertu de la législation fiscale nationale, les dividendes versés par des sociétés établies dans un État membre au profit d’un fonds d’investissement établi dans un État tiers ne font pas l’objet d’une exonération fiscale, alors que les fonds d’investissement établis dans ledit État membre bénéficient d’une telle exonération.
2) Les articles 63 TFUE et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle ne peuvent bénéficier d’une exonération fiscale les dividendes versés par des sociétés établies dans cet État membre au profit d’un fonds d’investissement situé dans un État tiers, pour autant qu’une obligation conventionnelle d’assistance administrative mutuelle qui permet aux autorités fiscales nationales
de vérifier les renseignements éventuellement transmis par le fonds d’investissement existe entre cet État membre et l’État tiers en cause. Il appartient à la juridiction de renvoi, dans le cadre de l’affaire au principal, d’examiner si le mécanisme d’échange d’informations prévu par ce cadre de coopération est effectivement susceptible de permettre aux autorités fiscales polonaises de vérifier, le cas échéant, les informations fournies par les fonds d’investissement établis sur le territoire
des États-Unis d’Amérique portant sur les conditions de la création et de l’exercice de leurs activités, afin d’établir qu’ils opèrent dans un cadre réglementaire équivalent à celui de l’Union.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le polonais.