ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
5 décembre 2013 (*)
«Pourvoi – Ententes – Marché européen du peroxyde d’hydrogène et du perborate de sodium – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Imputation de la responsabilité en matière de concurrence – Critère de continuité économique – Violation des droits de la défense – Obligation de motivation»
Dans l’affaire C‑448/11 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 29 août 2011,
SNIA SpA, placée sous le régime de l’administration extraordinaire, représentée par M^es A. Santa Maria, C. Biscaretti di Ruffia et E. Gambaro, avvocati,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. V. Di Bucci, L. Malferrari et B. Gencarelli, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M^me R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis (rapporteur), J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: M^me L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 janvier 2013,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, SNIA SpA, placée sous le régime de l’administration extraordinaire (ci-après «SNIA»), successeur juridique de SNIA SpA, et requérante en première instance, demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 juin 2011, SNIA/Commission (T‑194/06, Rec. p. II‑3119, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle de la décision C(2006) 1766 final de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure
d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB, EKA Chemicals AB, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret SA, Kemira Oyj, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2006, L 353, p. 54,
ci-après la «décision litigieuse»), en ce qu’elle la concerne.
Le cadre juridique
2 Le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit à son article 2, intitulé «Charge de la preuve»:
«Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles 81 CE et 82 CE, la charge de la preuve d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, ou de l’article 82 du traité incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 81, paragraphe 3, du traité d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies.»
3 L’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 dispose:
«Avant de prendre les décisions prévues aux articles 7, 8 et 23 et à l’article 24, paragraphe 2, la Commission donne aux entreprises et associations d’entreprises visées par la procédure menée par la Commission l’occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission. La Commission ne fonde ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire valoir leurs observations. […]»
Les antécédents du litige
4 À l’époque des faits, SNIA, société de droit italien, était le principal actionnaire, avec une participation de 53 % à 59 %, de Caffaro SpA (ci‑après l’«ex‑Caffaro»), qui, de son côté, contrôlait 100 % du capital de la société Industrie Chimiche Caffaro SpA (devenue Caffaro SpA et, ensuite, Caffaro Srl, ci‑après «Caffaro»). Cette dernière commercialisait, jusqu’en 1999, du perborate de sodium. Au cours de l’année 2000, l’ex‑Caffaro a fusionné avec SNIA, qui a pris le contrôle de 100 % du
capital de Caffaro.
5 Au mois de novembre 2002, Degussa AG a informé la Commission de l’existence d’une entente sur les marchés du peroxyde d’hydrogène et du perborate de sodium et a sollicité l’application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3). Degussa AG a également fourni à la Commission des preuves matérielles qui l’ont mise en mesure d’effectuer, les 25 et 26 mars 2003, des vérifications
dans les locaux de certaines entreprises.
6 Le 26 janvier 2005, la Commission a envoyé une communication des griefs à SNIA et aux autres entreprises concernées, à laquelle SNIA a répondu le 25 mars 2005.
7 Par lettre du 8 mai 2006, SNIA s’est vu notifier la décision litigieuse dans laquelle il est indiqué qu’elle avait participé, pour la période allant du 29 mai 1997 au 31 décembre 1998, à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), concernant le peroxyde d’hydrogène et le produit en aval, le perborate de sodium. L’infraction constatée a consisté principalement en l’échange, entre
concurrents, d’informations importantes sous l’angle commercial et d’informations confidentielles sur les marchés et les entreprises, en une limitation et en un contrôle de la production et des capacités potentielles et réelles de celle-ci, en une répartition des parts de marché et des clients ainsi qu’en la fixation et en la surveillance du respect d’objectifs de prix.
8 Par la décision litigieuse, la Commission a considéré comme solidairement responsables Caffaro, puisqu’elle avait directement participé à l’entente, ainsi que la société qui la contrôlait à 100 % au titre de sa responsabilité de société mère. L’ex-Caffaro ayant été absorbée par SNIA à la suite de la fusion réalisée au cours de l’année 2000, il convenait donc désormais d’attribuer la responsabilité de la société mère du fait des agissements anticoncurrentiels de sa filiale non plus à
l’ex-Caffaro qui n’existait plus comme entité juridiquement autonome, mais à SNIA. Celle-ci a donc été tenue pour responsable de l’infraction en cause «conjointement et solidairement» avec Caffaro. À l’article 2 de cette décision, la Commission lui a infligé «conjointement et solidairement» avec Caffaro une amende d’un montant de 1,078 million d’euros.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2006, SNIA a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, pour autant que cette dernière la comprend parmi ses destinataires et lui inflige une amende solidairement avec Caffaro.
10 À l’appui de son recours, SNIA a soulevé trois moyens tirés, premièrement, d’une erreur de droit et d’appréciation entachant prétendument le constat de sa responsabilité solidaire, deuxièmement, d’un défaut de concordance entre la communication des griefs et les motifs de la décision litigieuse et, troisièmement, d’une violation de l’obligation de motivation.
11 Le Tribunal a rejeté ces trois moyens et, partant, ledit recours dans son ensemble.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
12 SNIA demande à la Cour:
– d’annuler l’arrêt attaqué;
– d’annuler la décision litigieuse, en ce qu’elle la concerne;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue de nouveau conformément aux indications et aux critères que la Cour voudra fournir dans la présente procédure de pourvoi, et
– de condamner la Commission aux dépens de la première instance et du pourvoi.
13 La Commission demande à la Cour:
– de rejeter le pourvoi, et
– de condamner SNIA aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une application erronée des principes relatifs à l’imputation de la responsabilité en matière de concurrence
Argumentation des parties
14 SNIA estime que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 56 à 69 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il a déduit automatiquement la responsabilité solidaire de SNIA du fait qu’elle a absorbé l’ex-Caffaro, laquelle détenait 100 % du capital de Caffaro, impliquée dans l’infraction en cause, en appliquant, de manière erronée, les conditions relatives au critère de la continuité économique entre entreprises.
15 Selon SNIA, le Tribunal a qualifié à tort de «continuité économique» ce qui, en réalité, est une application dogmatique et mécanique du critère de la succession juridique. Elle considère que, si le Tribunal avait correctement appliqué le critère de la continuité économique, il aurait dû annuler la décision litigieuse, dans la mesure où il n’existerait aucune trace, au sein de SNIA, d’une continuité «matérielle et humaine» qui permettrait l’imputation de la responsabilité à un gérant
différent de celui qui gérait l’entreprise à l’époque de l’infraction.
16 En particulier, SNIA soutient que le Tribunal n’aurait pas dû la considérer comme étant le «successeur économique» de l’ex-Caffaro, dans la mesure où il aurait été démontré dans la procédure devant le Tribunal qu’il n’y a eu ni continuité «humaine», étant donné qu’aucun dirigeant ou membre du conseil d’administration de l’ex-Caffaro n’avait rallié SNIA à la suite de la fusion, ni continuité «matérielle» étant donné que c’était non pas SNIA, mais bien la nouvelle Caffaro qui avait poursuivi
l’activité de l’ex-Caffaro dans le secteur de la chimie et des détergents.
17 SNIA considère que ces éléments, bien que mentionnés au point 26 de l’arrêt attaqué, n’auraient pas été pris en considération par le Tribunal au motif que, en cas de fusion, il ne serait pas nécessaire de vérifier le passage des éléments matériels et humains. Or, selon SNIA, même en cas de fusion, il doit être procédé, en premier lieu, à la localisation des éléments matériels et humains concernés par l’infraction, ce qui, en l’espèce, aurait été totalement méconnu tant par le Tribunal que
par la Commission. SNIA souligne qu’il est possible que, comme cela s’est produit dans la présente espèce, précisément, à la suite de la fusion, la succession juridique ne donne pas nécessairement lieu au transfert des éléments matériels et humains. Ainsi, SNIA soutient que, à l’erreur de droit commise par le Tribunal, s’ajoutent la dénaturation des documents qu’elle lui a soumis ainsi que la qualification juridique erronée des faits.
18 En outre, SNIA invoque la violation du principe général, consacré notamment à l’article 2 du règlement n° 1/2003, selon lequel la charge de la preuve d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE incombe à l’autorité qui allègue ladite infraction. En effet, selon SNIA, sa responsabilité est établie dans l’arrêt attaqué suivant un raisonnement articulé en deux temps constituant la négation même de ce principe. Dans un premier temps, la responsabilité de l’ex-Caffaro repose sur une
simple présomption, en tant que société contrôlant à 100 % Caffaro. Dans un second temps, la responsabilité de SNIA est affirmée de manière automatique, à la suite de la fusion. Le Tribunal serait donc parvenu à cette conclusion «sans preuves», se fondant seulement sur une présomption irréfragable en violation des droits fondamentaux de la défense de SNIA.
19 La Commission conteste cette argumentation de SNIA.
Appréciation de la Cour
20 Par ce premier moyen, la Cour est invitée à examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la Commission était fondée, à la suite de l’absorption de l’ex‑Caffaro par SNIA, à imputer à cette dernière, en tant que nouvel exploitant de l’entité économique en cause, la responsabilité solidaire de l’infraction commise par l’entité constituée, à l’époque des faits, de Caffaro et de l’ex‑Caffaro, cette dernière ayant cessé d’exister
juridiquement, après la commission de l’infraction, en raison de sa fusion avec SNIA.
21 Conformément à une jurisprudence constante, lorsqu’une entreprise enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, notamment, arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 77).
22 S’agissant de la question de savoir dans quelles circonstances une entité qui n’est pas l’auteur de l’infraction peut néanmoins être sanctionnée pour celle-ci, il y a lieu de constater que relève d’une telle hypothèse la situation dans laquelle l’entité ayant commis l’infraction a cessé d’exister juridiquement. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà constaté, lorsqu’une entité ayant commis une infraction aux règles de la concurrence fait l’objet d’un changement juridique ou organisationnel, ce
changement n’a pas nécessairement pour effet de créer une nouvelle entreprise dégagée de la responsabilité des comportements contraires aux règles de la concurrence de la précédente entité si, du point de vue économique, il y a identité entre les deux entités (voir, notamment, arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, précité, points 78 et 79 ainsi que jurisprudence citée).
23 Ainsi, il n’est pas incompatible avec le principe de la responsabilité personnelle d’imputer la responsabilité d’une infraction à une autre société en sa qualité de société absorbante de la société qui a commis l’infraction lorsque cette dernière a cessé d’exister (voir, en ce sens, arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, précité, point 85).
24 En effet, si la Commission ne disposait pas d’une telle faculté, il serait aisé pour des entreprises de pouvoir échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité a été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels. L’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait ainsi compromis (voir arrêt du 11 décembre 2007,
ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, point 41 et jurisprudence citée).
25 Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 57 et 62 de l’arrêt attaqué, qu’il peut s’avérer nécessaire, aux fins de la mise en œuvre efficace des règles de concurrence, d’imputer la responsabilité pour infraction à ces règles à l’acquéreur de l’entreprise ayant commis cette infraction, lorsque cette dernière entreprise cesse d’exister du fait qu’elle a été absorbée par cet acquéreur, lequel reprend, en tant que société absorbante, ses actifs et ses passifs, y compris ses
responsabilités pour cause d’infraction au droit de l’Union.
26 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de l’arrêt attaqué, il n’est pas contesté, premièrement, que SNIA ait acquis au cours de l’année 2000, à l’occasion d’une fusion-absorption, l’intégralité de l’actif et du passif de l’ex-Caffaro et que, deuxièmement, cette opération soit intervenue postérieurement à la cessation de la participation de l’entreprise à l’infraction en cause. Il est également constant, d’une part, que, à la suite de cette fusion-absorption, l’ex-Caffaro a, en tant que
personne morale, cessé d’exister et que SNIA lui a succédé juridiquement et, d’autre part, que cette succession est intervenue antérieurement à l’adoption de la décision litigieuse.
27 Or, étant donné que, ainsi qu’il a été conclu aux points 53 et 60 de l’arrêt attaqué, l’infraction en cause a été commise par l’entité économique constituée, à l’époque des faits, de Caffaro et de l’ex-Caffaro, cette dernière était responsable, en tant que personne morale, et au même titre que sa filiale Caffaro, du comportement infractionnel reproché au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, et, partant, était tenue de répondre elle-même des agissements de ladite entité commis en violation
de cette disposition.
28 Partant, dans la mesure où l’ex-Caffaro, en tant que l’une des deux personnes morales responsables de l’exploitation de l’entité économique en cause, a cessé d’exister juridiquement, il y a lieu de constater que SNIA, en tant que successeur juridique de l’ex-Caffaro, a, à la suite de ladite opération de fusion-absorption intervenue au cours de l’année 2000, endossé la responsabilité de l’ex-Caffaro au titre du comportement infractionnel reproché au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.
SNIA est ainsi devenue responsable du comportement infractionnel imputé à l’ex-Caffaro du seul fait qu’elle a assuré, en tant que personne morale, la continuité juridique des droits et des obligations de cette dernière.
29 Le Tribunal n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la Commission a à juste titre imputé à SNIA, en tant que nouvel exploitant de l’entité économique en cause, la responsabilité solidaire de l’infraction commise par l’entité constituée de Caffaro et de l’ex-Caffaro, cette dernière ayant été absorbée par SNIA à la suite de la commission de l’infraction.
30 De même, c’est à tort que SNIA soutient que le Tribunal aurait dû vérifier, dans l’arrêt attaqué, que la Commission avait procédé, dans un premier temps, à la localisation de l’ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui était devenue responsable de l’exploitation de cet ensemble. En effet, un tel examen n’est pas requis dans les circonstances particulières de l’espèce, où la société auteur
de l’infraction a été absorbée et a perdu sa personnalité juridique.
31 En outre, dans la mesure où SNIA reproche au Tribunal d’avoir erronément appliqué les conditions relatives au critère de la continuité économique, il y a lieu d’écarter ce grief comme étant inopérant. En effet, il résulte des points précédents du présent arrêt que le Tribunal pouvait conclure à la responsabilité solidaire de SNIA pour l’infraction commise par l’entité constituée de Caffaro et de l’ex‑Caffaro, indépendamment de l’application de ces conditions.
32 En ce qui concerne l’argument de SNIA tiré d’une prétendue dénaturation par le Tribunal des éléments de preuve qu’elle lui avait soumis, force est de constater que cet argument doit être rejeté comme étant irrecevable, dès lors que SNIA ne démontre aucunement en quoi le Tribunal aurait dénaturé ces éléments.
33 Il y a également lieu d’écarter comme étant irrecevable l’argument de SNIA tiré d’une prétendue erreur du Tribunal dans la qualification juridique des faits, au motif que SNIA s’est bornée à affirmer que le Tribunal avait commis une telle erreur sans indiquer de façon précise les arguments juridiques qui soutiennent de manière précise cet argument.
34 Quant à l’argument de SNIA reprochant au Tribunal d’avoir méconnu le principe, établi à l’article 2 du règlement n° 1/2003, selon lequel la charge de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE incombe à l’autorité qui l’allègue, il suffit de constater qu’un tel argument est, en tout état de cause, dénué de fondement.
35 En effet, le Tribunal a conclu à la responsabilité solidaire de SNIA en procédant à un raisonnement en deux étapes, sans commettre d’erreur. Premièrement, il a correctement appliqué les principes issus de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237), qui régissent l’imputabilité du comportement d’une filiale à une société mère qui la détient à 100 %. En particulier, il a jugé, au point 53 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait pu, sur la base de
la présomption non renversée par SNIA, constater que, à l’époque de l’infraction, l’ex-Caffaro exerçait une influence déterminante sur Caffaro, ces deux sociétés ayant donc constitué une entité économique responsable de l’infraction. Deuxièmement, ainsi qu’il résulte du point 29 du présent arrêt, le Tribunal a pu conclure à bon droit, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait imputer à SNIA la responsabilité solidaire de l’infraction commise par l’entité formée par Caffaro et
l’ex-Caffaro à la suite de l’absorption de cette dernière. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir méconnu ledit principe établi à l’article 2 du règlement n° 1/2003.
36 En conséquence, aucun des arguments soulevés au soutien du premier moyen du pourvoi n’ayant prospéré, il y a lieu de rejeter ce moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense en raison du défaut de concordance entre la communication des griefs et la décision litigieuse
Argumentation des parties
37 SNIA soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 78 à 92 de l’arrêt attaqué, en ne constatant pas la violation de l’article 27 du règlement n° 1/2003 et de ses droits de la défense, tels que visés à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi qu’aux articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, malgré une «discordance évidente» entre la
communication des griefs du 26 janvier 2005 et la décision litigieuse quant à l’élément sur lequel a été fondée la responsabilité de SNIA, à savoir la fusion de cette dernière avec l’ex-Caffaro.
38 SNIA affirme que, au cours de toute la procédure administrative, elle n’a jamais pris position sur sa fusion avec l’ex-Caffaro en tant qu’élément constitutif de sa responsabilité, mais s’est uniquement positionnée sur l’absence d’une influence décisive de sa part sur Caffaro. SNIA reproche ainsi au Tribunal d’avoir conclu, au point 84 de l’arrêt attaqué, qu’elle pouvait se rendre compte de la pertinence de la fusion aux fins de sa propre responsabilité et que la Commission avait simplement,
dans la décision litigieuse, qualifié juridiquement des faits déjà contenus dans la communication des griefs. Cela constituerait une qualification erronée des faits, en plus d’une dénaturation de la communication des griefs par rapport à la décision litigieuse.
39 En outre, SNIA estime que le Tribunal, en retenant, au point 89 de l’arrêt attaqué, qu’elle aurait «fait valoir une argumentation spécifique» quant aux conséquences de la fusion, aurait dénaturé les faits et/ou des éléments de preuve figurant dans les annexes A.4 et A.5 à la requête, voire même commis une erreur matérielle dans l’appréciation des faits ressortant du dossier au regard des arguments invoqués par SNIA pour sa défense.
40 La Commission conteste cette argumentation de SNIA.
Appréciation de la Cour
41 Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union dont la Cour assure le respect (arrêt du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 26 et jurisprudence citée). Ce principe exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître
utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité CE (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 66 ainsi que jurisprudence citée).
42 En ce sens, l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs. Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, cette communication doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Toutefois, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs, car cette communication
constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (voir, notamment, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 67 ainsi que jurisprudence citée).
43 Il s’ensuit que, la qualification juridique des faits retenue dans la communication des griefs ne pouvant être, par définition, que provisoire, une décision ultérieure de la Commission ne saurait être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées de ces faits ne correspondent pas de manière précise à cette qualification provisoire.
44 En effet, la Commission doit entendre les destinataires d’une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense. Il doit ainsi être permis à la Commission de préciser cette qualification dans sa décision finale, en tenant compte des éléments résultant de la procédure administrative, soit pour abandonner des griefs qui se seraient révélés mal
fondés, soit pour aménager et compléter tant en fait qu’en droit son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient, à condition toutefois qu’elle ne retienne que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer et qu’elle ait fourni, au cours de la procédure administrative, les éléments nécessaires à la défense (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 14).
45 En l’occurrence, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 82 à 86 de l’arrêt attaqué sans commettre de dénaturation, la Commission a, dans la communication des griefs en cause, fait explicitement référence à la fusion de SNIA avec l’ex‑Caffaro ainsi qu’énoncé les principes juridiques selon lesquels, lorsque la personne morale ayant commis l’infraction a cessé d’exister juridiquement, sa responsabilité peut être transmise à son successeur, en mentionnant en particulier l’hypothèse, comme
en l’espèce, où la société responsable de l’infraction a été absorbée par une autre société.
46 Il résulte de ces constatations que SNIA était non seulement pleinement informée que la fusion en cause faisait partie des faits pertinents, mais, en outre, elle ne pouvait, en raison de l’exposé des principes juridiques se rapportant à une fusion comme celle en cause, ignorer qu’il s’agissait, à ce stade de la procédure, d’un élément pertinent au regard de sa responsabilité. Il y a, dès lors, lieu de considérer, comme le Tribunal l’a à juste titre relevé au point 84 de cet arrêt, que
l’exposé de ces éléments dans la communication des griefs en cause a permis à SNIA de comprendre le contenu du grief retenu par la Commission.
47 En outre, eu égard aux considérations et à la jurisprudence développées aux points 41 à 44 du présent arrêt, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir annulé la décision litigieuse au seul motif que la qualification juridique accordée à l’un des faits retenus par la Commission sur lesquels SNIA a eu l’occasion de s’expliquer n’avait pas été explicitée de manière précise dans la communication des griefs en cause. En particulier, il ne saurait lui être reproché d’avoir jugé, au
point 88 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, dans la mesure où les principes de droit et les éléments factuels en cause ont été indiqués dans cette communication, le fait que la Commission n’a pas explicité la qualification précise accordée à l’un de ces éléments factuels n’était pas de nature à empêcher SNIA de se défendre utilement.
48 Cette conclusion faite par le Tribunal est, par ailleurs, corroborée par les pièces du dossier. En effet, ainsi que le Tribunal l’a mis en exergue au point 89 de l’arrêt attaqué sans commettre aucune dénaturation à cet égard, il résulte du dossier que SNIA a, tant dans sa réponse à la communication des griefs que lors de l’audition, fait valoir une argumentation spécifique concernant les conséquences de la fusion en cause pour sa responsabilité dans l’infraction.
49 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 90 de l’arrêt attaqué, que la communication des griefs en cause a permis à SNIA d’apprécier la pertinence de sa fusion avec l’ex-Caffaro, dans le cadre du grief tiré de sa responsabilité solidaire dans l’infraction, et de faire valoir son point de vue sur cet élément.
50 En conséquence, le Tribunal n’ayant commis aucune erreur de droit en jugeant, au point 91 de l’arrêt attaqué, que la communication des griefs en cause n’était pas entachée d’un vice susceptible d’avoir affecté les possibilités de défense de SNIA, ce deuxième moyen ne saurait être accueilli.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation de la décision litigieuse relative à la responsabilité de SNIA
Argumentation des parties
51 SNIA reproche au Tribunal de ne pas avoir constaté la violation de l’article 253 CE commise par la Commission dans la mesure où le Tribunal a rejeté, aux points 93 à 105 de l’arrêt attaqué, son argument relatif à l’insuffisance et au caractère contradictoire de la motivation de la décision litigieuse dans la partie où elle établit la responsabilité solidaire de SNIA.
52 Celle-ci souligne que, d’une part, dans la décision litigieuse, la Commission mentionne la fusion comme étant un élément décisif aux fins de l’imputation de l’infraction à SNIA et, d’autre part, elle invoque, en même temps, de manière insuffisamment précise, des circonstances différentes liées à l’influence décisive de SNIA sur le comportement de Caffaro.
53 En outre, selon SNIA, l’ensemble des circonstances mentionnées par la Commission dans la décision litigieuse n’acquiert une pertinence juridique a posteriori que grâce aux efforts déployés par le Tribunal, qui «révèle», aux points 98 et 99 de l’arrêt attaqué, que la Commission aurait utilisé les éléments de fait en question comme des «indices» d’un «lien structurel ayant déjà existé à l’époque de l’infraction», conformément à l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité.
54 Ainsi, SNIA estime que, dans sa tentative de «rectifier» a posteriori la motivation insuffisante et contradictoire de la décision litigieuse, le Tribunal en a modifié substantiellement le contenu, en substituant son raisonnement à celui de la Commission, en violant manifestement les droits de la défense de SNIA. Par ailleurs, ceci constituerait, selon la jurisprudence, une «dénaturation du contenu» de la décision litigieuse et, partant, une erreur de droit suffisante pour annuler l’arrêt
attaqué.
55 La Commission conteste cette argumentation de SNIA.
Appréciation de la Cour
56 Conformément à une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point
147 et jurisprudence citée).
57 En l’occurrence, sans commettre de dénaturation, le Tribunal a constaté, aux points 95 à 97 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait exposé, dans la décision litigieuse, tant les principes juridiques que les considérations factuelles sur lesquels elle fondait la constatation relative à la responsabilité de SNIA. En particulier, le Tribunal a relevé que, au point 411 des motifs de cette décision, la Commission avait constaté, d’une part, l’exercice d’une influence déterminante de
l’ex-Caffaro sur Caffaro, compte tenu notamment de la relation de contrôle à 100 % qui liait ces sociétés à l’époque de l’infraction, créant une présomption qui n’a pas été renversée par SNIA, et, d’autre part, que cette institution avait retenu la responsabilité de SNIA, en sa qualité de société absorbante, compte tenu de sa fusion avec l’ex-Caffaro, qui était la société mère de Caffaro, société impliquée directement dans l’entente.
58 Force est de constater que la conclusion résultant de ces considérations apparaît de façon claire et non équivoque dans la décision litigieuse, de sorte que SNIA a pu connaître la motivation sur laquelle était fondée sa responsabilité et le Tribunal a pu exercer son contrôle. Ainsi qu’il ressort des points 28 et 29 du présent arrêt, cette conclusion est suffisante pour imputer à SNIA la responsabilité solidaire de l’infraction commise par l’entité formée par Caffaro et l’ex-Caffaro.
59 Une telle conclusion ne saurait, en outre, être contredite par d’autres éléments relevés par la Commission dans la décision litigieuse qui attestent le fait que la fusion en cause a eu lieu au sein d’un groupe de sociétés réunies par un lien structurel ayant déjà existé à l’époque de l’infraction. En effet, ainsi que l’a à juste titre relevé le Tribunal au point 90 de l’arrêt attaqué, étant donné qu’il ressort de l’ensemble des motifs en cause que la responsabilité solidaire de SNIA a été
retenue en sa qualité de société ayant absorbé l’une des sociétés responsables de l’exploitation de l’entité ayant commis l’infraction, l’exposé des liens ayant existé entre les sociétés concernées à l’époque de l’infraction ne peut que renforcer cette considération, en attestant le fait que la fusion en cause a eu lieu au sein d’un groupe de sociétés réunies par un lien structurel.
60 Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en rejetant, au point 105 de l’arrêt attaqué, l’argument de SNIA tiré de l’insuffisance et du caractère contradictoire de la motivation de la décision litigieuse relative à sa responsabilité solidaire. Ce troisième moyen doit, dès lors, être écarté.
61 Aucun des moyens invoqués par SNIA au soutien de son pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté.
Sur les dépens
62 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de SNIA et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) SNIA SpA, placée sous le régime de l’administration extraordinaire, est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’italien.