ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
28 novembre 2013 (*)
«Pourvoi – Dumping – Règlement (CE) n° 172/2008 − Importations de ferrosilicium originaire de Chine, d’Égypte, du Kazakhstan, de l’ancienne République yougoslave de Macédoine et de Russie − Règlement (CE) n° 384/96 − Article 2, paragraphe 9 − Prix à l’exportation – Article 3, paragraphes 5 et 6 – Détermination du préjudice − Article 6, paragraphe 7 – Enquête − Article 8, paragraphe 4 – Offre des engagements – Version non confidentielle − Article 20, paragraphe 1 – Informations des parties − Accord
de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et l’ancienne République yougoslave de Macédoine, d’autre part»
Dans l’affaire C‑13/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 janvier 2012,
Chelyabinsk electrometallurgical integrated plant OAO (CHEMK), établie à Chelyabinsk (Russie),
Kuzneckie ferrosplavy OAO (KF), établie à Novokuznetsk (Russie),
représentées par M^es P. Vander Schueren, advocaat, et N. Mizulin, avocat,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant:
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, en qualité d’agent, assisté de M^e G. Berrisch, Rechtsanwalt, et de M^e N. Chesaites, barrister,
partie défenderesse en première instance,
Commission européenne, représentée par MM. H. van Vliet et M. França, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M^me R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis (rapporteur), J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M^me L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 janvier 2013,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Chelyabinsk electrometallurgical integrated plant OAO (CHEMK) et Kuzneckie ferrosplavy OAO (KF) (ci-après, ensemble, «CHEMK et KF») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 octobre 2011, CHEMK et KF/Conseil (T-190/08, Rec. p. II‑7359, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation du règlement (CE) n° 172/2008 du Conseil, du 25 février 2008, instituant un droit antidumping définitif et portant
perception définitive des droits provisoires institués sur les importations de ferrosilicium originaire de la République populaire de Chine, d’Égypte, du Kazakhstan, de l’ancienne République yougoslave de Macédoine et de Russie (JO L 55, p. 6, ci-après le «règlement litigieux»), dans la mesure où ce dernier concerne CHEMK et KF.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Le règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), a été remplacé et codifié par le règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7,
p. 22). Toutefois, compte tenu de la date de l’adoption du règlement litigieux, le litige doit être examiné sur le fondement du règlement n° 384/96 (ci-après le «règlement de base»).
3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base:
«Lorsqu’il n’y a pas de prix à l’exportation ou lorsqu’il apparaît que le prix à l’exportation n’est pas fiable en raison de l’existence d’une association ou d’un arrangement de compensation entre l’exportateur et l’importateur ou un tiers, le prix à l’exportation peut être construit sur la base du prix auquel les produits importés sont revendus pour la première fois à un acheteur indépendant ou, si les produits ne sont pas revendus à un acheteur indépendant ou ne sont pas revendus dans l’état où
ils ont été importés, sur toute autre base raisonnable.
Dans de tels cas, des ajustements sont opérés pour tenir compte de tous les frais, y compris les droits et les taxes, intervenus entre l’importation et la revente et d’une marge bénéficiaire, afin d’établir un prix à l’exportation fiable au niveau frontière communautaire.
Les coûts au titre desquels un ajustement est opéré incluent ceux normalement supportés par un importateur, mais payés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de la Communauté et paraissant être associée à ou avoir conclu un arrangement de compensation avec l’importateur ou l’exportateur, et notamment les éléments suivants: transport habituel, assurance, manutention, déchargement et coûts accessoires; droits de douane, droits antidumping et autres taxes payables dans le
pays importateur du fait de l’importation ou de la vente des marchandises, ainsi qu’une marge raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et le bénéfice.»
4 L’article 3, paragraphes 5 à 7, de ce règlement, portant sur la détermination de l’existence d’un préjudice, prévoit:
«5. L’examen de l’incidence des importations faisant l’objet d’un dumping sur l’industrie communautaire concernée comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie, y compris le fait pour une industrie de ne pas encore avoir surmonté entièrement les effets de pratiques passées de dumping ou de subventionnement, l’importance de la marge de dumping effective, la diminution effective et potentielle des ventes, des
bénéfices, de la production, de la part de marché, de la productivité, du rendement des investissements ou de l’utilisation des capacités; les facteurs qui influent sur les prix dans la Communauté, les effets négatifs, effectifs et potentiels, sur les flux de liquidités, les stocks, l’emploi, les salaires, la croissance, l’aptitude à mobiliser les capitaux ou l’investissement. Cette liste n’est pas exhaustive et un seul ou plusieurs de ces facteurs ne constituent pas nécessairement une base de
jugement déterminante.
6. Il doit être démontré à l’aide de tous les éléments de preuve pertinents présentés en relation avec le paragraphe 2 que les importations faisant l’objet d’un dumping causent un préjudice au sens du présent règlement. En l’occurrence, cela implique la démonstration que le volume et/ou les niveaux des prix visés au paragraphe 3 ont un impact sur l’industrie communautaire au sens du paragraphe 5 et que cet impact est tel qu’on puisse le considérer comme important.
7. Les facteurs connus, autres que les importations faisant l’objet d’un dumping, qui, au même moment, causent un préjudice à l’industrie communautaire sont aussi examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l’objet d’un dumping au sens du paragraphe 6. Les facteurs qui peuvent être considérés comme pertinents à cet égard comprennent, entre autres, le volume et les prix des importations non vendues à des prix de dumping,
la contraction de la demande ou les modifications de la configuration de la consommation, les pratiques commerciales restrictives des producteurs de pays tiers et communautaires et la concurrence entre ces mêmes producteurs, l’évolution des techniques, ainsi que les résultats à l’exportation et la productivité de l’industrie communautaire.»
5 Selon l’article 6, paragraphe 7, dudit règlement:
«Les plaignants, les importateurs et les exportateurs ainsi que leurs associations représentatives, les utilisateurs et les associations des consommateurs qui se sont fait connaître conformément à l’article 5 paragraphe 10, ainsi que les représentants du pays exportateur, peuvent, sur demande écrite, prendre connaissance de tous les renseignements fournis par toute partie concernée par l’enquête, mis à part les documents internes établis par les autorités de la Communauté ou de ses États membres,
pour autant que ces renseignements soient pertinents pour la défense de leurs intérêts, qu’ils ne soient pas confidentiels au sens de l’article 19 et qu’ils soient utilisés dans l’enquête. Ces parties peuvent répondre à ces renseignements et leurs commentaires doivent être pris en considération dans la mesure où ils sont suffisamment étayés dans la réponse.»
6 Aux termes de l’article 8, paragraphe 4, du même règlement:
«Les parties qui offrent un engagement sont tenues de fournir une version non confidentielle de cet engagement de manière à ce qu’il puisse être communiqué aux parties concernées par l’enquête.»
7 Selon l’article 20, paragraphe 1, du règlement de base, intitulé «Information des parties»:
«Les plaignants, importateurs et exportateurs ainsi que leurs associations représentatives et représentants du pays exportateur peuvent demander à être informés des détails sous-tendant les faits et considérations essentiels sur la base desquels des mesures provisoires ont été instituées. Les demandes d’information doivent être adressées par écrit immédiatement après l’institution des mesures provisoires et l’information doit être donnée par écrit aussitôt que possible.»
L’ASA
8 L’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et l’ancienne République yougoslave de Macédoine, d’autre part (JO 2004, L 84, p. 13, ci‑après l’«ASA»), a été établi afin de fournir un cadre approprié au dialogue politique et permettre le développement de relations politiques étroites entre les parties. L’objectif de cet accord était encore de promouvoir des relations économiques harmonieuses et d’élaborer pas à pas une zone
de libre-échange entre la Communauté et l’ancienne République yougoslave de Macédoine.
9 Aux termes de l’article 36 de l’ASA, intitulé «Dumping»:
«1. Si l’une des parties constate des pratiques de dumping dans ses échanges avec l’autre partie au sens de l’article VI [de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994, faisant partie de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses
compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1, ci-après le ‘GATT de 1994’)], elle peut prendre les mesures appropriées à l’encontre de ces pratiques, conformément à l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI du GATT de 1994 et à sa législation propre y afférente.
2. En ce qui concerne le paragraphe 1 du présent article, le conseil de stabilisation et d’association doit être informé du cas de dumping dès que les autorités de la partie importatrice ont entamé l’enquête. S’il n’a pas été mis fin au dumping, au sens de l’article VI du [GATT de 1994], ou si aucune autre solution satisfaisante n’a été trouvée dans les trente jours suivant la notification de l’affaire au conseil de stabilisation et d’association, la partie importatrice peut adopter les mesures
appropriées.»
Les antécédents du litige et le règlement litigieux
10 Les antécédents du litige sont exposés comme suit aux points 1, 2, 6 et 12 de l’arrêt attaqué:
«1 Les requérantes, [CHEMK et KF], sont deux sociétés établies en Russie, actives dans la production de ferrosilicium. À l’époque des faits litigieux, les ventes de ces deux sociétés dans la Communauté européenne étaient effectuées par l’intermédiaire de sociétés liées.
2 À la suite d’une plainte déposée le 16 octobre 2006 par Euroalliages (le comité de liaison des industries de ferro-alliages), la Commission des Communautés européennes a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires de l’ancienne République yougoslave de Macédoine, de Chine, d’Égypte, du Kazakhstan et de Russie, conformément au [règlement de base]. [...]
[...]
6 Le 29 août 2007, la Commission a publié le règlement (CE) n° 994/2007, du 28 août 2007, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de ferrosilicium originaire de la République populaire de Chine, d’Égypte, du Kazakhstan, de l’ancienne République yougoslave de Macédoine et de Russie (JO L 223, p. 1, ci-après le ‘règlement provisoire’). Le règlement provisoire a notamment institué un droit antidumping provisoire dont le taux a été fixé à 22,8 % pour les produits des
requérantes.
[...]
12 Le 25 février 2008, le Conseil de l’Union européenne a adopté le [règlement litigieux]. En vertu de l’article 1^er du [règlement litigieux], le taux du droit antidumping définitif applicable au prix net franco frontière communautaire, avant dédouanement, a été établi à 22,7 % pour les produits fabriqués par [CHEMK et KF].»
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 À l’appui de leur recours en première instance, CHEMK et KF ont soulevé cinq moyens tirés respectivement:
– des erreurs commises à propos de l’utilisation d’une marge bénéficiaire notionnelle dans le cadre de la construction du prix à l’exportation,
– des erreurs commises relatives à l’engagement de prix offert par Silmak Ltd, un producteur de ferrosilicium établi dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ci-après «Silmak»),
– d’une erreur manifeste d’appréciation ainsi que de la violation de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base concernant la détermination du préjudice,
– d’une erreur manifeste d’appréciation lors de l’analyse du lien de causalité entre les importations faisant l’objet du dumping et le préjudice, et
– de la violation des droits de la défense de CHEMK et KF s’agissant de la communication d’informations relatives à l’ouverture de la procédure antidumping.
12 Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur recours n’ayant été accueilli, le Tribunal a rejeté celui-ci dans sa totalité.
Les conclusions des parties
13 Par leur pourvoi, CHEMK et KF demandent à la Cour:
– d’annuler l’arrêt attaqué et de statuer elle-même sur le litige, et
– de condamner le Conseil aux dépens des deux instances.
14 Le Conseil demande à la Cour:
– à titre principal, de rejeter le pourvoi;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal;
– à titre plus subsidiaire, de rejeter le recours, et
– de condamner CHEMK et KF aux dépens.
15 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de CHEMK et KF aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit concernant le calcul du prix à l’exportation sur la base de la marge bénéficiaire notionnelle
Argumentation des parties
16 CHEMK et KF font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du premier moyen qu’elles présentaient à l’appui de leur recours, tirée d’une violation de l’obligation de motivation.
17 CHEMK et KF soutiennent que le Tribunal a, aux points 47, 48, 54 et 55 de l’arrêt attaqué, dénaturé les éléments de preuve qui étaient soumis à son appréciation.
18 Le Tribunal n’aurait, en tout état de cause, pas motivé son arrêt à suffisance de droit en ce qui concerne le calcul du prix à l’exportation sur la base de la marge bénéficiaire notionnelle.
19 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
20 Il importe de relever que des moyens nouveaux, non contenus dans le recours, ne peuvent pas être présentés lors du pourvoi, ainsi qu’il découle de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.
21 En l’espèce, pour la première fois devant la Cour, CHEMK et KF contestent le caractère raisonnable du calcul de la marge bénéficiaire de l’importateur lié sur la base des données relatives à Interalloys plutôt que sur celles relatives à Globelloys. Tous les moyens qu’elles invoquent et qui concernent le calcul du prix à l’exportation sur la base de la marge bénéficiaire notionnelle reposent sur la prémisse que les institutions ont, à tort, pris en considération la situation d’Interalloys au
lieu de celle de Globelloys. Il convient, dès lors, de constater que ces moyens sont nouveaux et, partant, irrecevables dans le cadre du présent pourvoi.
22 Partant, le premier moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi doit être rejeté comme irrecevable dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA
Argumentation des parties
23 CHEMK et KF soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 67 à 69 et 72 de l’arrêt attaqué, que la différence de traitement qu’elles auraient subie par rapport à Silmak était légalement justifiée sur le fondement de l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA. En première instance, CHEMK et KF ont exposé que le Conseil avait agi en violation du principe de l’égalité de traitement en transmettant le document d’information provisoire à Silmak, lui permettant de la
sorte de formuler une offre d’engagement de prix. Devant le Tribunal, CHEMK et KF ont fait valoir que le Conseil ne leur avait pas communiqué ce document en même temps qu’à Silmak, alors qu’elles se trouvaient dans la même situation que celle-ci. Selon CHEMK et KF, le libellé de l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA ne prévoit pas une obligation de procéder à des échanges entre la Commission et l’ancienne République yougoslave de Macédoine avant l’imposition des mesures provisoires.
24 En outre, il ne ressortirait pas du libellé de cet article que la Commission a l’obligation de transmettre des informations aux producteurs-exportateurs de l’ancienne République yougoslave de Macédoine, à la différence de celle mise à la charge du conseil de stabilisation et d’association mis en place par l’ASA. Selon CHEMK et KF, le Tribunal a déjà jugé, dans son arrêt du 15 décembre 1999, Petrotub et Republica/Conseil (T‑33/98 et T‑34/98, Rec. p. II‑3837), que l’article 36, paragraphe 2,
de l’ASA n’impose pas à la Commission l’obligation de saisir ledit conseil de stabilisation et d’association avant d’adopter le règlement provisoire. Les requérantes soutiennent que, en tout état de cause, aucune des dispositions invoquées par le Tribunal à l’appui de sa décision ne pouvait être contraire au règlement de base, qui prévoit à son article 20, paragraphe 1, qu’il ne peut y avoir de communication d’informations aux parties qu’après l’imposition des mesures provisoires.
25 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
26 Le Tribunal a jugé, au point 68 de l’arrêt attaqué, que, conformément à l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA, le conseil de stabilisation et d’association mis en place par l’ASA doit être informé du cas de dumping dès qu’une enquête antidumping a été entamée. Il convient de relever, en premier lieu, que cette obligation est conforme à l’objectif de cet accord de promouvoir des relations économiques harmonieuses entre l’Union européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine et
d’élaborer progressivement une zone de libre-échange entre elles.
27 En second lieu, il ressort du libellé même de l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA que les parties contractantes sont tenues de rechercher activement entre elles une «solution satisfaisante» à la situation de dumping. Dès lors, même si cet article ne prévoit pas expressément la notification de l’enquête et des informations pertinentes aux parties autres que ledit conseil de stabilisation et d’association, le Tribunal a conclu, à bon droit, au point 68 de l’arrêt attaqué, que les
considérations et les faits essentiels, sur la base desquels les institutions envisagent de recommander l’institution de mesures antidumping provisoires, doivent être connus des producteurs-exportateurs. C’est, partant, également à bon droit que le Tribunal a considéré que, sans une telle notification, aucune solution satisfaisante ne pouvait être envisagée.
28 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé dans son intégralité.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des obligations découlant des articles 6, paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base
Argumentation des parties
29 CHEMK et KF contestent la conclusion du Tribunal selon laquelle, si les parties ayant offert un engagement de prix sont tenues de fournir une version non confidentielle de cet engagement, les articles 6, paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base n’imposent aux institutions aucune obligation relative au moment où il y a lieu d’inclure ce document dans le dossier non confidentiel.
30 Selon CHEMK et KF, ces articles du règlement de base constituent une expression du principe des droits de la défense, de sorte que, même s’ils ne prévoient pas expressément le moment où les institutions doivent inclure les documents dans le dossier non confidentiel, à la lumière dudit principe, ces articles imposent que les données non confidentielles soient immédiatement incluses dans le dossier non confidentiel de la Commission, au moment où elles sont utiles à l’exercice des droits de la
défense des parties concernées.
31 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
32 Par ce moyen, CHEMK et KF soutiennent que, à la lumière du principe des droits de la défense, les articles 6, paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base imposent que les différents documents non confidentiels, en l’espèce la version non confidentielle de l’engagement offert, soient inclus dès leur réception dans le dossier non confidentiel. À défaut, les parties concernées ne seraient pas en mesure de défendre efficacement leurs intérêts.
33 À cet égard, il y a lieu de relever que, au point 85 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu, à bon droit, que rien dans le libellé des articles 6, paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base ne venait étayer ces allégations des requérantes. En effet, ces dispositions ne contiennent aucune indication et, a fortiori, aucune obligation quant au moment auquel il convient de verser la copie de l’engagement de prix au dossier non confidentiel de la procédure.
34 Ces articles du règlement de base permettent aux parties concernées par l’enquête antidumping d’accéder aux renseignements fournis par d’autres parties pour autant que ces renseignements sont pertinents pour la défense de leurs intérêts. Toutefois, lesdites dispositions ne comportent aucune obligation quant au moment auquel les institutions sont tenues de verser, en l’espèce, la copie de l’engagement de prix au dossier non confidentiel afin que les parties concernées puissent la consulter.
Par conséquent, l’interprétation du Tribunal en question n’est pas entachée d’une erreur de droit.
35 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le troisième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des principes de bonne administration et des droits de la défense
Argumentation des parties
36 Selon CHEMK et KF, c’est à tort que le Tribunal a écarté leur grief selon lequel les institutions ont manqué d’impartialité à leur égard, en violation du principe de bonne administration. Le Tribunal, en effet, bien qu’ayant constaté le versement tardif de l’offre d’engagement de Silmak au dossier non confidentiel, n’aurait pas tiré de conclusions défavorables du manquement du Conseil à ses obligations. Cette omission constituerait une grave irrégularité de procédure en ce sens qu’elle
dénaturerait les éléments de preuve et violerait les principes de bonne administration et des droits de la défense.
37 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
38 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, au point 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué qu’une irrégularité, telle que celle invoquée par CHEMK et KF, ne saurait conduire à l’annulation du règlement litigieux que dans la mesure où une telle irrégularité serait de nature à affecter concrètement leurs droits de la défense et, de la sorte, le contenu du règlement litigieux.
39 Le Tribunal a ensuite considéré, au point 88 de l’arrêt attaqué, que CHEMK et KF n’avaient pas démontré que l’engagement de prix qu’elles auraient pu offrir après consultation de l’engagement de Silmak et du document d’information provisoire, d’une part, aurait été différent de celui qu’elles ont offert après la communication du document d’information finale et, d’autre part, aurait eu de meilleures chances d’être accepté par la Commission. Le Tribunal a conclu de ces considérations que les
requérantes n’avaient dès lors pas établi que le règlement litigieux aurait eu un contenu différent, en ce qui les concerne, en l’absence des irrégularités qu’elles avaient invoquées.
40 De même, pour répondre au grief des requérantes selon lequel leurs droits de la défense auraient été violés dans la mesure où l’engagement de Silmak n’avait pas été versé au dossier non confidentiel en temps utile, à savoir avant la date du 3 septembre 2007, le Tribunal a constaté, au point 99 de l’arrêt attaqué, que CHEMK et KF n’avaient pas démontré que leur propre engagement à la suite d’une consultation de celui de Silmak aurait effectivement été différent et donc eu de meilleures
chances d’être accepté par la Commission. Le Tribunal en a déduit que CHEMK et KF n’auraient pas été mieux à même d’assurer la défense de leurs intérêts si elles avaient eu accès à la version non confidentielle de l’engagement de Silmak avant l’adoption du règlement provisoire.
41 Il ne ressort d’aucune de ces considérations, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, que le Tribunal aurait constaté une irrégularité imputable aux institutions relative, en l’espèce, au moment précis auquel l’engagement de Silmak a été versé au dossier non confidentiel.
42 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une dénaturation des preuves
Argumentation des parties
43 CHEMK et KF soutiennent que, si les institutions avaient respecté le principe de l’égalité de traitement et/ou avaient au moins fourni dans les délais la version de l’offre d’engagement de Silmak versée au dossier non confidentiel, elles auraient également été en mesure de proposer un engagement de prix et ainsi d’échapper aux droits antidumping provisoires.
44 En particulier, CHEMK et KF contestent la conclusion du Tribunal, au point 75 de l’arrêt attaqué. Celles-ci soutiennent que c’est à tort que le Tribunal a décidé que l’offre d’engagement de prix qu’elles ont proposé a été rejetée au considérant 132 du règlement litigieux. Ce serait en effet le considérant 131 de ce règlement qui traiterait de l’offre des requérantes. Selon CHEMK et KF, il ressortirait en particulier du considérant 131 que, en raison d’une volatilité considérable des prix, le
produit concerné ne se prêtait en effet plus à l’acceptation d’un engagement de prix au stade définitif, ce qui induirait qu’il aurait pu s’y prêter auparavant.
45 À cet égard, CHEMK et KF soutiennent que, au stade provisoire, une telle volatilité des prix n’existait pas et que le produit concerné se prêtait bien à un engagement de prix. Il en résulterait que CHEMK et KF n’étaient pas tenues d’avancer des arguments tendant à prouver que l’engagement de prix qu’elles auraient pu offrir plus tôt aurait eu un contenu différent de celui qu’elles ont offert après la communication du document d’information finale. Dès lors, CHEMK et KF soutiennent que,
contrairement aux conclusions du Tribunal aux points 73, 75, 87, 88, 99 et 100 de l’arrêt attaqué, elles ont démontré que la constatation d’un traitement discriminatoire en faveur de Silmak et/ou la violation des articles 6, paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base ainsi que des droits de la défense étaient susceptibles de justifier l’annulation du règlement litigieux.
46 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
47 En premier lieu, il convient de relever que, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, à titre surabondant, que CHEMK et KF n’avaient pas prouvé à suffisance de droit que la constatation d’un «traitement discriminatoire» en ce qui concerne la divulgation du document d’information provisoire avait pu affecter la légalité du règlement litigieux, justifiant ainsi son annulation. La constatation essentielle du Tribunal, au point 72 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la
différence de traitement entre Silmak et les requérantes trouvait son fondement dans un texte normatif, à savoir l’article 36, paragraphe 2, de l’ASA, a été vainement contestée dans le cadre du deuxième moyen présenté à l’appui du présent pourvoi, ce moyen ayant été rejeté, au point 28 du présent arrêt, comme non fondé.
48 En deuxième lieu, aux points 87 et 88 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, au surplus, qu’une irrégularité de procédure telle que celle invoquée par CHEMK et KF, à savoir le dépôt tardif au dossier de la version non confidentielle de l’engagement de Silmak, ne saurait conduire à l’annulation du règlement litigieux, dans la mesure où CHEMK et KF n’avaient avancé aucun argument tendant à prouver que ce règlement aurait eu un contenu différent. Plus précisément, le Tribunal a jugé que
CHEMK et KF n’avaient pas démontré que l’engagement de prix qu’elles auraient pu offrir plus tôt, après consultation de l’engagement de Silmak et du document d’information provisoire aurait, d’une part, eu un contenu différent de celui qu’elles ont offert après la communication du document d’information finale et, d’autre part, eu de meilleures chances d’être accepté par la Commission.
49 À cet égard, il y a lieu de relever que le raisonnement principal du Tribunal, au point 85 de l’arrêt attaqué, est contesté sans succès par le quatrième moyen du présent pourvoi. Il ressort du point 35 du présent arrêt que cette motivation demeure dès lors intacte, de même que la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 86 de l’arrêt attaqué.
50 En troisième lieu, concernant la motivation du Tribunal, au point 99 de l’arrêt attaqué, selon laquelle CHEMK et KF n’auraient pas été mieux à même d’assurer la défense de leurs intérêts si elles avaient eu accès à l’engagement de Silmak avant l’adoption du règlement provisoire, il ressort du point 41 du présent arrêt que les arguments des requérantes qui visent à remettre en cause cette décision du Tribunal ont déjà été écartés dans le cadre de l’examen du quatrième moyen.
51 Partant, s’agissant des arguments des requérantes selon lesquels, au stade provisoire, la volatilité du prix du produit concerné n’existait pas et que, à ce stade, le produit concerné se prêtait à un engagement de prix, ils sont inopérants dans la mesure où, d’une part, le fait que CHEMK et KF aient été soumises à un traitement différent de celui réservé à Silmak est fondé sur une base législative justifiant cette différence de traitement et, d’autre part, aucune violation des articles 6,
paragraphe 7, et 8, paragraphe 4, du règlement de base et des droits de la défense des requérantes n’a été constatée.
52 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé.
Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base
Argumentation des parties
53 CHEMK et KF soutiennent que le Tribunal n’a, à tort, pas reconnu que le Conseil avait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base, telle qu’elle ressort du considérant 64 du règlement litigieux. À cet égard, l’intention du Conseil aurait été que la détermination du préjudice soit effectuée non pas en fonction de la situation individuelle de chaque producteur communautaire pris isolément, mais au niveau de l’industrie communautaire
dans son ensemble. Toutefois, le Tribunal, aux points 114 et 121 de l’arrêt attaqué, aurait fondé l’existence d’un préjudice important eu égard, notamment, à la situation individuelle de chaque producteur pris séparément. Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en s’écartant de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base donnée par le Conseil dans le règlement litigieux.
54 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
55 En vertu de l’article 1^er, paragraphe 1, du règlement de base, un droit antidumping ne peut viser un produit faisant l’objet d’un dumping que si sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice, le terme «préjudice» étant entendu, en application de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement, comme un préjudice important causé à une industrie communautaire, une menace de préjudice important pour une industrie communautaire ou un retard sensible dans la création d’une
industrie communautaire.
56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base prévoit que l’examen de l’incidence des importations faisant l’objet d’un dumping sur l’industrie communautaire concernée comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie. Cet article contient une liste des différents facteurs pouvant être pris en considération et précise que cette liste n’est pas exhaustive et qu’un seul ou
plusieurs de ces facteurs ne constituent pas nécessairement une base de jugement déterminante.
57 Ainsi, la notion d’«industrie communautaire», au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base, vise l’ensemble des producteurs communautaires de produits similaires, au sens de ce règlement, ou le groupe desdits producteurs dont les productions additionnées constituent une part majeure, au sens de l’article 5, paragraphe 4, dudit règlement, de la production communautaire totale de ces produits.
58 L’article 3, paragraphe 6, du règlement de base précise également que les institutions sont tenues d’établir, à l’aide de tous les éléments de preuve pertinents relatifs à la situation de l’industrie communautaire, l’existence d’un préjudice subi par cette industrie. En particulier, cet article prévoit qu’une telle preuve implique la démonstration que le volume et/ou les niveaux des prix visés à son paragraphe 3 ont un impact sur l’industrie communautaire, au sens du paragraphe 5 de ce même
article, et que cet impact est tel qu’il puisse être considéré comme important.
59 Il ressort de ces dispositions que la détermination du préjudice doit être effectuée au niveau de l’industrie communautaire dans son ensemble.
60 Dès lors, le Tribunal a pu, à bon droit, constater, au point 114 de l’arrêt attaqué, que les institutions doivent évaluer l’impact des importations faisant l’objet d’un dumping sur la situation de l’industrie communautaire dans son ensemble – à savoir de l’ensemble des producteurs communautaires ou, à tout le moins, sur la situation de producteurs communautaires ayant soutenu l’ouverture de la procédure antidumping dont les productions additionnées représentent plus de 50 % de la production
communautaire totale du produit concerné.
61 C’est également à bon droit que le Tribunal a considéré, aux points 116 et 117 de l’arrêt attaqué, que, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner (arrêts du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, Rec. p. I‑7723, point 40 et
jurisprudence citée, ainsi que du 3 septembre 2009, Moser Baer India/Conseil, C‑535/06 P, Rec. p. I‑7051, point 85).
62 À cet égard, la détermination de l’existence d’un préjudice à l’industrie communautaire suppose l’appréciation de situations économiques complexes et le contrôle juridictionnel d’une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (arrêt Moser Baer India/Conseil, précité, point 86 et jurisprudence
citée).
63 En particulier, s’agissant du point de savoir si les autorités de l’Union ont commis une erreur manifeste d’appréciation en n’évaluant pas l’ensemble des facteurs pertinents ayant une incidence sur la situation de l’industrie communautaire, exposés à l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base, il y a lieu de préciser que cette disposition donne à ces autorités un pouvoir discrétionnaire dans l’examen et l’évaluation des différents indices (voir arrêt Ikea Wholesale, précité, point 61).
64 Enfin, sont inopérants les arguments spécifiques des requérantes portant sur une méthodologie qui prendrait en compte la situation individuelle de chaque producteur communautaire. Une telle option ne serait en tout état de cause pertinente que si les données de chacun de ces producteurs composant l’industrie communautaire, au sens des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 4, du règlement de base, étaient agrégées afin de déterminer si la mise en libre pratique dans la Communauté du
produit faisant l’objet d’un dumping cause un préjudice à l’industrie communautaire dans son ensemble, une menace de préjudice important pour ladite industrie communautaire ou un retard sensible dans la création d’une telle industrie communautaire.
65 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le sixième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé.
Sur le septième moyen, tiré d’une erreur de droit quant à la détermination du lien de causalité, au sens de l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base
Argumentation des parties
66 Alors que, au point 172 de l’arrêt attaqué, il a été rappelé que l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base permet de prendre en considération, dans certaines circonstances, un préjudice causé individuellement à un producteur communautaire par un facteur autre que les importations faisant l’objet d’un dumping, dès lors qu’il a contribué au préjudice qui a été observé pour l’industrie communautaire dans son ensemble, le Tribunal aurait omis d’en tirer la conséquence que le Conseil avait
eu tort, au considérant 84 du règlement litigieux, de refuser d’analyser les causes du préjudice important spécifiquement subi par Huta Laziska SA, un producteur communautaire (ci-après «Huta Laziska»), dans le cadre de l’analyse du lien de causalité.
67 CHEMK et KF ajoutent que, au cours de la procédure administrative et de la procédure devant le Tribunal, elles avaient soulevé le fait que les conclusions du Conseil concernant le préjudice subi par l’industrie communautaire, tirées sans tenir compte des données relatives à Huta Laziska, étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation. Cette juridiction aurait dès lors dénaturé les éléments de preuve, au point 173 de l’arrêt attaqué, en concluant que CHEMK et KF n’avaient pas cherché
à établir que les conclusions du Conseil étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.
68 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
69 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base, les facteurs connus, autres que les importations faisant l’objet d’un dumping, qui causent simultanément un préjudice à l’industrie communautaire sont examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l’objet d’un dumping au sens du paragraphe 6 du même article (voir arrêt du 28 février 2008, AGST Draht- und Biegetechnik, C‑398/05, Rec.
p. I‑1057, point 31).
70 Lors de sa détermination, les institutions ont l’obligation d’examiner si le préjudice qu’elles entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l’objet d’un dumping et d’écarter tout préjudice découlant d’autres facteurs et, notamment, celui qui aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs communautaires (voir arrêts du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑3813, point 16, et AGST Draht- und Biegetechnik, précité, point 35).
71 Il est, cependant, de jurisprudence constante que la détermination de l’existence d’un préjudice causé à l’industrie communautaire suppose l’appréciation de situations économiques complexes et le contrôle juridictionnel d’une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt Ikea
Wholesale, précité, point 41). Tel est notamment le cas en ce qui concerne la détermination des facteurs qui causent un préjudice à l’industrie communautaire dans le cadre d’une enquête antidumping (voir arrêt AGST Draht- und Biegetechnik, précité, point 34).
72 Il ressort du point 172 de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas exclu la possibilité que, dans certaines circonstances, un préjudice causé individuellement à un producteur communautaire par un facteur autre que les importations faisant l’objet d’un dumping doive être pris en considération, dès lors qu’il a contribué au préjudice qui a été observé pour l’industrie communautaire dans son ensemble.
73 Au point 173 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le préjudice que Huta Laziska a pu subir du fait de difficultés d’approvisionnement en électricité a été dûment pris en considération, ainsi que cela ressort du considérant 101 du règlement litigieux. À cet égard, le Tribunal a constaté que CHEMK et KF n’avaient pas cherché à établir que cette appréciation, selon laquelle, même si les données relatives à ce producteur étaient exclues de l’analyse du préjudice, les tendances
observées pour l’industrie communautaire continueraient à refléter l’existence d’un préjudice, était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
74 Ainsi, le Conseil et la Commission n’ont pas omis de tenir compte, dans le cadre de leur appréciation du préjudice causé à l’industrie communautaire, du facteur connu, à savoir le problème d’approvisionnement en électricité concernant Huta Laziska. En effet, ces institutions ont examiné ce facteur et, selon le considérant 101 du règlement litigieux, en ont conclu qu’il était sans importance pour les tendances observées pour le reste de l’industrie communautaire.
75 Dans ces conditions, il appartient aux parties invoquant l’invalidité du règlement litigieux de présenter les éléments de preuve de nature à démontrer que ledit facteur a pu avoir une incidence à ce point importante que l’existence d’un préjudice causé à l’industrie communautaire ainsi que celle du lien causal entre ce préjudice et les importations faisant l’objet d’un dumping n’étaient plus fiables par rapport à l’obligation des institutions d’écarter tout préjudice découlant d’autres
facteurs (voir arrêt AGST Draht- und Biegetechnik, précité, point 51).
76 Dans ces conditions, le Tribunal a, à bon droit, décidé, au point 173 de l’arrêt attaqué, que, dès lors que CHEMK et KF n’avaient pas cherché à établir une erreur manifeste d’appréciation du Conseil à l’encontre de la position de ce dernier énoncée au considérant 101 du règlement litigieux, selon laquelle, même s’il n’était pas tenu compte des données relatives à Huta Laziska, les tendances observées pour l’industrie communautaire continueraient à refléter l’existence d’un préjudice dans le
chef de celle-ci, leur argument tendant à démontrer que le préjudice subi par Huta Laziska avait été causé non pas par les importations faisant l’objet d’un dumping, mais par des difficultés d’approvisionnement en électricité ne saurait prospérer.
77 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le septième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant non fondé.
Sur le huitième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation lors de la détermination du préjudice
Argumentation des parties
78 CHEMK et KF soutiennent que, aux points 207 et 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’obligation imposée aux institutions de motiver leurs décisions et n’a pas respecté cette obligation dans son appréciation. À titre subsidiaire, elles soutiennent que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve.
79 CHEMK et KF, invoquant à l’appui de leur grief l’arrêt Petrotub et Republica/Conseil, précité, considèrent que la motivation figurant au considérant 101 du règlement litigieux relève de l’affirmation péremptoire, dénuée de tout élément explicatif, de sorte que cette motivation n’est pas suffisante en droit. En effet, contrairement à ce que le Tribunal a décidé à cet égard, à l’aune de l’arrêt Petrotub et Republica/Conseil, précité, de telles affirmations péremptoires concerneraient tous les
domaines et toutes les affirmations qui ne contiennent pas suffisamment d’éléments explicatifs détaillés susceptibles de permettre aux parties intéressées et au juge de l’Union d’exercer leur contrôle. Par conséquent, le Tribunal, en jugeant suffisante, en droit, la motivation énoncée au considérant 101 du règlement litigieux eu égard à son caractère bref, mais précis et dépourvu d’ambiguïté, n’aurait pas respecté l’enseignement de l’arrêt Petrotub et Republica/Conseil, précité, et aurait
manifestement dénaturé les éléments de preuve. Selon les requérantes, en effet, ce considérant ne contient aucun élément explicatif. À cet égard, CHEMK et KF rappellent qu’elles ont, en temps utile, expressément demandé une nouvelle divulgation des faits soutenant la conclusion dudit considérant.
80 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments des requérantes et conclut à leur rejet.
Appréciation de la Cour
81 Il convient de constater que c’est aux termes des considérations contenues dans le point 206 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a répondu aux moyens des parties concernant le non-respect de l’obligation de motivation. En revanche, la motivation du Tribunal figurant aux points 207 et 208 de l’arrêt attaqué, contestée par les requérantes dans le cadre du présent pourvoi, revêt un caractère surabondant par rapport à celle exposée audit point 206.
82 Or, des griefs dirigés contre des motifs surabondants d’un arrêt du Tribunal doivent être rejetés d’emblée, puisque ceux-ci ne sauraient entraîner son annulation (voir arrêts du 28 octobre 2004, van den Berg/Conseil et Commission, C-164/01 P, Rec. p. I-10225, point 60; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C‑202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I-5425, point 148, ainsi que ordonnance du 3 octobre 2012, Cooperativa Vitivinícola Arousana/OHMI,
C-649/11 P, point 55).
83 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le huitième moyen de CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi comme étant inopérant.
84 Aucun des moyens invoqués par CHEMK et KF au soutien de leur pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté.
Sur les dépens
85 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. CHEMK et KF ayant succombé en leurs moyens et le Conseil ayant conclu à leur condamnation, il y a lieu de les condamner aux dépens du pourvoi. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, également applicable à la procédure de pourvoi
en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il convient de décider que la Commission supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Chelyabinsk electrometallurgical integrated plant OAO (CHEMK) et Kuzneckie ferrosplavy OAO (KF) sont condamnées aux dépens afférents à la présente procédure.
3) La Commission européenne supporte ses propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’anglais.