ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
21 novembre 2013 ( *1 )
«Aides d’État — Articles 107 TFUE et 108 TFUE — Avantages octroyés par une entreprise publique exploitant un aéroport à une compagnie aérienne à bas prix — Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen de cette mesure — Obligation des juridictions des États membres de se conformer à l’appréciation de la Commission opérée dans cette décision concernant l’existence d’une aide»
Dans l’affaire C‑284/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Koblenz (Allemagne), par décision du 30 mai 2012, parvenue à la Cour le 7 juin 2012, dans la procédure
Deutsche Lufthansa AG
contre
Flughafen Frankfurt-Hahn GmbH,
en présence de:
Ryanair Ltd,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 avril 2013,
considérant les observations présentées:
— pour Deutsche Lufthansa AG, par Me A. Martin-Ehlers, Rechtsanwalt,
— pour Flughafen Frankfurt-Hahn GmbH, par Me T. Müller-Heidelberg, Rechtsanwalt,
— pour Ryanair Ltd, par Me G. Berrisch, Rechtsanwalt,
— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement belge, par MM. T. Materne et J.‑C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Me A. Lepièce, avocate,
— pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Noort et C. Wissels, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par MM. V. Di Bucci et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 juin 2013,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 107 TFUE et 108 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Deutsche Lufthansa AG (ci-après «Lufthansa») à Flughafen Frankfurt-Hahn GmbH (ci-après «FFH»), exploitant de l’aéroport de Francfort-Hahn (Allemagne), au sujet de la cessation et de la récupération des aides d’État que FFH aurait octroyées à Ryanair Ltd (ci-après «Ryanair»).
Le cadre juridique
3 L’article 3 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), intitulé «Clause de suspension», est libellé comme suit:
«Toute aide devant être notifiée en vertu de l’article 2, paragraphe 1, n’est mise à exécution que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l’autorisant.»
4 L’article 4 de ce règlement, intitulé «Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission», prévoit à ses paragraphes 2 à 4:
«2. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.
3. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article [107, paragraphe 1, TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché commun [...]
4. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article [108, paragraphe 2, TFUE] (ci-après dénommée ‘décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen’).»
5 L’article 6 dudit règlement, intitulé «Procédure formelle d’examen», énonce à son paragraphe 1:
«La décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. La décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un
mois. [...]»
6 L’article 7 du même règlement, intitulé «Décisions de la Commission de clore la procédure formelle d’examen», dispose:
«1. Sans préjudice de l’article 8, la procédure formelle d’examen est clôturée par voie de décision conformément aux paragraphes 2 à 5 du présent article.
2. Lorsque la Commission constate que la mesure notifiée, le cas échéant après modification par l’État membre concerné, ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.
3. Lorsque la Commission constate, le cas échéant après modification par l’État membre concerné, que les doutes concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun sont levés, elle décide que l’aide est compatible avec le marché commun [...]
4. La Commission peut assortir sa décision positive de conditions [...] et d’obligations [...]
5. Lorsque la Commission constate que l’aide notifiée est incompatible avec le marché commun, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution [...]
6. Les décisions prises en application des paragraphes 2, 3, 4 et 5 doivent l’être dès que les doutes visés à l’article 4, paragraphe 4, sont levés. La Commission s’efforce autant que possible d’adopter une décision dans un délai de dix-huit mois à compter de l’ouverture de la procédure. [...]
[...]»
7 L’article 11 du règlement no 659/1999, intitulé «Injonction de suspendre ou de récupérer provisoirement l’aide», prévoit:
«1. La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de suspendre le versement de toute aide illégale, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun [...]
2. La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de récupérer provisoirement toute aide versée illégalement, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun [...]
[...]»
8 L’article 12 de ce règlement, intitulé «Non-respect d’une injonction», dispose:
«Dans le cas où l’État membre omet de se conformer à une injonction de suspension ou de récupération, la Commission est habilitée, tout en examinant le fond de l’affaire sur la base des informations disponibles, à saisir directement la [Cour] afin qu’elle déclare que ce non-respect constitue une violation du traité.»
9 Aux termes de l’article 13 dudit règlement, intitulé «Décisions de la Commission»:
«1. L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4. Dans le cas d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la procédure est clôturée par voie de décision au titre de l’article 7 [...]
2. Dans le cas d’une éventuelle aide illégale et sans préjudice de l’article 11, paragraphe 2, la Commission n’est pas liée par le délai fixé à l’article 4, paragraphe 5, à l’article 7, paragraphe 6, et à l’article 7, paragraphe 7.
[...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 FFH, exploitant de l’aéroport civil de Francfort-Hahn, était détenue, jusqu’au mois de janvier 2009, à 65 % par Fraport AG, à 17,5 % par le Land de Rhénanie-Palatinat et à 17,5 % par le Land de Hesse. Fraport AG est une société anonyme cotée en bourse et détenue majoritairement par la République fédérale d’Allemagne, le Land de Hesse et la ville de Francfort-sur-le-Main.
11 FFH a généré des pertes annuelles de plusieurs millions d’euros depuis le début de son activité. Au 31 décembre 2011, ces pertes étaient d’un montant d’environ 197 millions d’euros. Celles-ci étaient prises en charge, jusqu’en 2009, par Fraport AG sur la base d’un accord de transfert des résultats. Le 1er janvier 2009, Fraport AG a cependant vendu ses parts au Land de Rhénanie-Palatinat au prix symbolique d’un euro. Ce transfert aurait été motivé par l’impossibilité d’introduire une taxe sur les
passagers aux fins de diminuer les pertes générées par l’aéroport de Francfort-Hahn, en raison de l’intention de Ryanair de quitter l’aéroport si une telle taxe avait été introduite.
12 Ryanair est une compagnie aérienne à bas coûts qui représente plus de 95 % du trafic de passagers de l’aéroport de Francfort-Hahn. Selon le barème des redevances de cet aéroport de 2001, les compagnies aériennes l’utilisant devaient payer une redevance de 4,35 euros par passager partant. Cependant, aucune redevance de décollage, d’approche, d’atterrissage ou d’utilisation de l’infrastructure de l’aéroport n’a été facturée à Ryanair, puisque cette dernière a utilisé exclusivement des avions qui,
conformément audit barème, lui donnaient droit à exemption, à savoir des avions dont le poids au décollage est compris entre 5,7 et 90 tonnes.
13 Le barème des redevances de l’aéroport de Francfort-Hahn de 2006 repose sur une grille établie en fonction du nombre de passagers transportés par an par une compagnie aérienne à partir de cet aéroport, la fourchette étant comprise entre 5,35 euros pour un nombre inférieur à 100 000 passagers par an et 2,24 euros à partir de 3 millions de passagers. Ce barème subordonne, en outre, l’exonération des redevances d’atterrissage et de décollage, ainsi que de celles relatives à la prestation de services
de navigation aérienne et de services d’assistance en escale, à la condition que la durée de l’assistance en escale n’excède pas 30 minutes. Ledit barème prévoit également l’octroi d’une «aide à la commercialisation» pour l’ouverture de nouvelles lignes aériennes. Le montant de cette aide est déterminé en fonction du volume total de passagers transportés par la compagnie aérienne concernée. Ryanair a bénéficié de ladite aide.
14 Considérant que les pratiques commerciales mises en œuvre par FFH constituaient une aide d’État non notifiée à la Commission et donc octroyée en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, Lufthansa a saisi, le 26 novembre 2006, le Landgericht Bad Kreuznach d’une demande tendant à ce qu’il soit ordonné la récupération des sommes versées à Ryanair, au titre de l’«aide à la commercialisation» au cours des années 2002 à 2005, et de celles correspondant aux réductions des redevances
aéroportuaires dont Ryanair aurait bénéficié en 2003 en raison de l’application du barème de 2001, ainsi que la cessation de toute aide au profit de Ryanair.
15 Sa demande ayant été rejetée, Lufthansa s’est pourvue en appel devant l’Oberlandesgericht Koblenz. Son recours n’ayant pas abouti, celle-ci a saisi le Bundesgerichtshof d’un pourvoi en «Revision». Le Bundesgerichtshof, par un arrêt du 10 février 2011, a annulé l’arrêt de l’Oberlandesgericht Koblenz et lui a renvoyé l’affaire afin qu’il détermine si l’article 108, paragraphe 3, TFUE avait été violé.
16 Par décision du 17 juin 2008, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en ce qui concerne les éventuelles aides d’État accordées par la République fédérale d’Allemagne à FFH et à Ryanair (JO 2009, C 12, p. 6). Parmi les mesures visées par cette décision figurent la réduction des redevances aéroportuaires ainsi que les dispositions en matière d’aide à la commercialisation au profit de Ryanair. Dans ladite décision, la Commission est
parvenue à la conclusion préliminaire selon laquelle chacune des mesures concernées était sélective et constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, à moins qu’elle ne satisfasse au principe de l’investisseur privé. S’agissant de ce principe, la Commission a relevé que, sur la base des informations dont elle disposait au moment de l’adoption de la décision du 17 juin 2008, les redevances aéroportuaires payées par Ryanair ne suffisaient pas pour couvrir les coûts
encourus par FFH.
17 L’Oberlandesgericht Koblenz a alors adressé à la Commission une demande d’avis au titre du point 3.2 de la communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JO 2009, C 85, p. 1). Dans son avis, la Commission a indiqué qu’il n’était pas nécessaire pour l’Oberlandesgericht Koblenz d’apprécier lui-même si les mesures en cause pouvaient ou non être qualifiées d’aide d’État, dès lors qu’il pouvait se fonder sur sa décision du
17 juin 2008 afin d’en tirer toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Quant au fond, la Commission a précisé que les mesures en cause étaient à la fois imputables à l’État et sélectives.
18 Estimant, cependant, qu’il lui incombe de déterminer si les mesures en cause constituent une aide d’État et éprouvant, en particulier, des doutes quant au caractère sélectif de ces mesures, l’Oberlandesgericht Koblenz a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une décision non contestée de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, deuxième phrase, TFUE a-t-elle pour conséquence qu’une juridiction nationale saisie d’une demande tendant à la récupération des versements effectués et à la cessation de tout versement est liée par l’opinion exprimée par la Commission dans la décision d’ouverture en ce qui concerne la question de savoir si la mesure litigieuse peut être qualifiée d’aide?
2) En cas de réponse négative à la première question:
Lorsqu’une entreprise publique, telle qu’entendue à l’article 2, sous b), i), de la directive 2006/111/CE de la Commission, du 16 novembre 2006, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises (JO L 318, p. 17 [...]), exploite un aéroport, les mesures adoptées par cette entreprise peuvent-elles être qualifiées, au regard de la réglementation relative aux aides d’État, de
mesures sélectives au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE du simple fait qu’elles ne bénéficient qu’aux entreprises de transport aérien qui utilisent l’aéroport?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question:
a) Le critère de la sélectivité doit-il être considéré comme non rempli lorsque l’entreprise publique exploitant l’aéroport accorde, de manière transparente, les mêmes conditions à l’ensemble des compagnies aériennes qui décident d’utiliser l’aéroport?
b) En va-t-il également ainsi lorsque l’exploitant de l’aéroport a opté pour un modèle commercial déterminé (en l’espèce: une coopération avec des compagnies aériennes à bas coûts) et que les conditions d’utilisation, adaptées à cette clientèle, n’attirent pas de la même façon l’ensemble des compagnies aériennes?
c) Une mesure doit-elle en tout état de cause être considérée comme sélective lorsqu’une compagnie aérienne représente l’essentiel du trafic de passagers de l’aéroport pendant de nombreuses années?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
19 Lufthansa conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que la décision de renvoi serait insuffisamment motivée et n’exposerait pas de façon détaillée le cadre factuel du litige au principal.
20 À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir arrêts du 31 janvier 2008, Centro Europa 7, C-380/05, Rec. p. I-349, point 57 et
jurisprudence citée, ainsi que du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384/08, Rec. p. I-2055, point 32). Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320/90 à C-322/90, Rec. p. I-393, point 7, ainsi que Attanasio Group, précité, point 32 et jurisprudence citée).
21 Selon la jurisprudence de la Cour, il est également important que le juge national indique les raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour (voir en ce sens, notamment, arrêt du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I-10423, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 20 janvier 2011, Chihabi e.a., C‑432/10, point 22).
22 En l’occurrence, force est de constater que la décision de renvoi contient les éléments de fait et de droit permettant tant à la Cour de fournir des réponses utiles à la juridiction de renvoi qu’aux gouvernements des États membres et aux autres intéressés de présenter leurs observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En outre, les raisons ayant amené la juridiction de renvoi à poser des questions préjudicielles à la Cour ont été clairement
indiquées dans la décision de renvoi.
23 Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur la première question
24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, lorsque, en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 dudit article à l’égard d’une mesure étatique non notifiée en cours d’exécution, une juridiction nationale, saisie d’une demande tendant à la cessation de l’exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, est tenue de tirer les conséquences d’une éventuelle
violation de l’obligation de suspension de l’exécution de celle-ci.
25 L’article 108, paragraphe 3, TFUE institue un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles (arrêts du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, Rec. p. 1471, point 2, ainsi que du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, ci-après l’«arrêt CELF I», C-199/06, Rec. p. I-469, point 37).
26 La prévention ainsi organisée vise à ce que seules des aides compatibles soient mises à exécution. Afin de réaliser cet objectif, la mise en œuvre d’un projet d’aide est différée jusqu’à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission (arrêt CELF I, précité, point 48).
27 La mise en œuvre de ce système de contrôle incombe, d’une part, à la Commission et, d’autre part, aux juridictions nationales, leurs rôles respectifs étant complémentaires mais distincts (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 41; du 21 octobre 2003, van Calster e.a., C-261/01 et C-262/01, Rec. p. I-12249, point 74, ainsi que du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich, C-368/04, Rec. p. I-9957, points 36 et 37).
28 Tandis que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde, jusqu’à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l’interdiction visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêts précités van Calster
e.a., point 75, ainsi que Transalpine Ölleitung in Österreich, point 38).
29 L’intervention des juridictions nationales résulte de l’effet direct reconnu à l’interdiction de mise à exécution des projets d’aide édictée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE. À cet égard, la Cour a précisé que le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée à cette disposition s’étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée (arrêts Lorenz, précité, point 8; du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur
des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, ci-après l’«arrêt FNCE», C-354/90, Rec. p. I-5505, point 11, ainsi que SFEI e.a., précité, point 39).
30 Les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE en seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires (arrêts précités FNCE, point 12, ainsi que SFEI e.a., point 40).
31 L’objet de la mission des juridictions nationales est, par conséquent, d’adopter les mesures propres à remédier à l’illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu’à la décision de la Commission (arrêt du 11 mars 2010, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C-1/09, Rec. p. I-2099, point 30).
32 L’ouverture par la Commission de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ne saurait donc décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (arrêt SFEI e.a., précité, point 44).
33 Cela étant, la portée de cette obligation peut varier en fonction de la question de savoir si la Commission a ou non ouvert la procédure formelle d’examen à l’égard de la mesure faisant l’objet du litige devant la juridiction nationale.
34 Dans l’hypothèse où la Commission n’a pas encore ouvert la procédure formelle d’examen et ne s’est donc pas encore prononcée sur la question de savoir si les mesures examinées sont susceptibles de constituer des aides d’État, les juridictions nationales, lorsqu’elles sont saisies d’une demande visant à tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, peuvent être amenées à interpréter et à appliquer la notion d’aide en vue de déterminer si
ces dernières auraient dû être notifiées à la Commission (voir, en ce sens, arrêt SFEI e.a., précité, points 49 et 53 ainsi que point 1 du dispositif). Il leur appartient ainsi de vérifier, notamment, si la mesure en cause constitue un avantage et si elle est sélective, c’est-à-dire si elle favorise certaines entreprises ou certains producteurs au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt Transalpine Ölleitung in Österreich, précité, point 39).
35 En effet, l’obligation de notification et l’interdiction de mise à exécution prévues à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, portent sur les projets susceptibles d’être qualifiés d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Partant, avant de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, les juridictions nationales doivent au préalable statuer sur la question de savoir si les mesures en cause constituent ou non des aides
d’État.
36 Dans l’hypothèse où la Commission a déjà ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, il convient d’examiner quelles sont les mesures devant être prises par les juridictions nationales.
37 S’il est certes vrai que les évaluations opérées dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen revêtent un caractère préliminaire, cette circonstance n’implique pas que celle-ci est dépourvue d’effets juridiques.
38 Il importe de souligner à cet égard que, au cas où les juridictions nationales pourraient estimer qu’une mesure ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, partant, ne pas suspendre son exécution, alors que la Commission vient de constater, dans sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, que cette mesure est susceptible de présenter des éléments d’aide, l’effet utile de l’article 108, paragraphe 3, TFUE serait mis en échec.
39 En effet, d’une part, si l’évaluation préliminaire du caractère d’aide de la mesure en question, opérée dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, est par la suite confirmée dans la décision finale de la Commission, les juridictions nationales auraient méconnu leur obligation, imposée par les articles 108, paragraphe 3, TFUE et 3 du règlement no 659/1999, de suspendre l’exécution de tout projet d’aide jusqu’à l’adoption de la décision de la Commission sur la compatibilité de ce
projet avec le marché intérieur.
40 D’autre part, même si, dans sa décision finale, la Commission devrait conclure à l’absence d’éléments d’aide, l’objectif de prévention qui sous-tend le système de contrôle des aides étatiques institué par le traité FUE et rappelé aux points 25 et 26 du présent arrêt veut que, à la suite du doute soulevé dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen quant au caractère d’aide de cette mesure et à sa compatibilité avec le marché intérieur, sa mise à exécution soit différée jusqu’à ce que
ce doute soit levé par la décision finale de la Commission.
41 Il importe également de souligner que l’application des règles de l’Union en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et les juridictions de l’Union, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité. Dans le cadre de cette coopération, les juridictions nationales doivent prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer
l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union et de s’abstenir de celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, ainsi qu’il découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Ainsi, les juridictions nationales doivent, en particulier, s’abstenir de prendre des décisions allant à l’encontre d’une décision de la Commission, même si elle revêt un caractère provisoire.
42 Par conséquent, lorsque la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution, les juridictions nationales sont tenues d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation de suspension de l’exécution de ladite mesure.
43 À cette fin, les juridictions nationales peuvent décider de suspendre l’exécution de la mesure en cause et d’enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elles peuvent aussi décider d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d’une part, les intérêts des parties concernées et, d’autre part, l’effet utile de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
44 Lorsqu’elles éprouvent des doutes sur le point de savoir si la mesure en cause constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou quant à la validité ou à l’interprétation de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, les juridictions nationales peuvent, d’une part, demander à la Commission des éclaircissements et, d’autre part, elles peuvent ou doivent, conformément à l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, déférer une
question préjudicielle à la Cour (voir à cet effet, en ce qui concerne les renvois préjudiciels en appréciation de validité en matière d’aides d’État, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C-222/04, Rec. p. I-289, points 72 à 74).
45 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question:
— Lorsque, en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 dudit article à l’égard d’une mesure non notifiée en cours d’exécution, une juridiction nationale, saisie d’une demande tendant à la cessation de l’exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, est tenue d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation de suspension
de l’exécution de ladite mesure.
— À cette fin, la juridiction nationale peut décider de suspendre l’exécution de la mesure en cause et d’enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elle peut aussi décider d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d’une part, les intérêts des parties concernées et, d’autre part, l’effet utile de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
— Lorsque la juridiction nationale éprouve des doutes sur le point de savoir si la mesure en cause constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou quant à la validité ou à l’interprétation de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, elle peut, d’une part, demander à la Commission des éclaircissements et, d’autre part, elle peut ou doit, conformément à l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, poser une question préjudicielle à la Cour.
Sur les deuxième et troisième questions
46 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
Lorsque, en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 dudit article à l’égard d’une mesure non notifiée en cours d’exécution, une juridiction nationale, saisie d’une demande tendant à la cessation de l’exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, est tenue d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation de
suspension de l’exécution de ladite mesure.
À cette fin, la juridiction nationale peut décider de suspendre l’exécution de la mesure en cause et d’enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elle peut aussi décider d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d’une part, les intérêts des parties concernées et, d’autre part, l’effet utile de la décision de la Commission européenne d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
Lorsque la juridiction nationale éprouve des doutes sur le point de savoir si la mesure en cause constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou quant à la validité ou à l’interprétation de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, elle peut, d’une part, demander à la Commission européenne des éclaircissements et, d’autre part, elle peut ou doit, conformément à l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, poser une question préjudicielle à la Cour de
justice de l’Union européenne.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.