ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
24 janvier 2013 ( *1 )
«Manquement d’État — Aides d’État incompatibles avec le marché commun — Obligation de récupération — Inexécution — Exception d’irrecevabilité — Autorité de la chose jugée par un précédent arrêt de la Cour»
Dans l’affaire C‑529/09,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, introduit le 18 décembre 2009,
Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, J.-J. Kasel (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,
avocat général: Mme V. Trstenjak,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juillet 2012,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’adoptant pas dans le délai imparti les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l’Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs (JO 1999, L 198, p. 15), en ce qui concerne l’entreprise Industrias Domésticas SA (ci-après «Indosa»), le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu
des articles 288, quatrième alinéa, TFUE ainsi que 2 et 3 de cette décision.
Le cadre juridique
2 Le considérant 13 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:
«considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission; que,
afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission».
3 L’article 14 dudit règlement, intitulé «Récupération de l’aide», prévoit:
«1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire […] La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.
2. L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.
3. Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice [de l’Union européenne] prise en application de l’article [278 TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par
leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»
4 Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, du même règlement:
«Si l’État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l’article 14, la Commission peut saisir directement la Cour […] conformément à l’article [108, paragraphe 2, TFUE].»
Les antécédents du litige
Le cadre factuel
5 Magefesa est un groupe d’entreprises industrielles espagnoles fabriquant des articles ménagers.
6 Le groupe Magefesa est constitué, notamment, de quatre entreprises, à savoir Indosa, établie au Pays basque, Cubertera del Norte SA (ci-après «Cunosa») et Manufacturas Gur SA (ci-après «GURSA»), établies en Cantabrie, ainsi que Manufacturas Inoxidables Gibraltar SA (ci-après «MIGSA»), établie en Andalousie.
7 Ayant connu de graves difficultés financières à partir de l’année 1983, le groupe Magefesa a fait l’objet d’un programme d’action prévoyant, notamment, une réduction de ses effectifs ainsi que l’octroi d’aides par le gouvernement central espagnol et par les gouvernements régionaux des Communautés autonomes du Pays basque, de Cantabrie et d’Andalousie, où étaient situées les différentes usines du groupe.
8 Aux fins de l’attribution de ces aides, des sociétés de gestion ont été créées dans les Communautés autonomes concernées, à savoir Fiducias de la cocina y derivados SA (ci-après «Ficodesa») au Pays basque, Gestión de Magefesa en Cantabria SA en Cantabrie et Manufacturas Damma SA en Andalousie.
9 La situation ayant néanmoins continué à se détériorer, Cunosa a cessé ses activités au début de l’année 1994 et a été déclarée en faillite le 13 avril 1994, MIGSA a cessé ses activités en 1993 et a été déclarée en faillite le 17 mai 1999. En ce qui concerne GURSA, elle est restée inactive à partir de l’année 1994 et a, par la suite, été déclarée insolvable.
10 Quant à Indosa, elle a, à la suite d’une demande en ce sens de la part de ses employés, été déclarée en état de cessation de paiement par une décision juridictionnelle du 19 juillet 1994, avec effet rétroactif de cette déclaration au 24 février 1986. Indosa a cependant été autorisée, par une nouvelle décision juridictionnelle, à poursuivre ses activités pour éviter que soient mis en danger les emplois des 478 salariés de l’entreprise.
11 S’agissant des sociétés de gestion, Ficodesa a été déclarée en faillite le 19 janvier 1995 et Manufacturas Damma SA ainsi que Gestión de Magefesa en Cantabria SA ont cessé leurs activités.
Les décisions de la Commission
12 Le groupe Magefesa a fait l’objet de deux procédures en matière d’aides d’État.
13 Le 20 décembre 1989, la Commission a adopté la décision 91/1/CEE concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à MAGEFESA, producteur d’ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques (JO 1991, L 5, p. 18), par laquelle cette institution a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun les aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa, sous la forme de garanties de prêts, d’un prêt à des
conditions autres que celles du marché, d’aides non remboursables ainsi que d’une bonification d’intérêts.
14 Les aides, octroyées par la Communauté autonome du Pays basque qui ont été considérées comme illégales et incompatibles avec le marché commun au titre de la décision 91/1, se répartissent comme suit:
— une garantie de prêt de 300 millions de ESP, accordée directement à Indosa;
— une garantie de prêt de 672 millions de ESP, accordée à Ficodesa, et
— une bonification d’intérêts de 9 millions de ESP.
15 Par la même décision, les autorités espagnoles ont été invitées, notamment, à retirer les garanties de prêts, à transformer le prêt à taux réduit en crédit normal et à récupérer les aides non remboursables.
16 En 1997, la Commission a reçu de nouvelles plaintes au sujet des avantages résultant pour les entreprises du groupe Magefesa de la non-restitution des aides déclarées incompatibles avec le marché commun par la décision 91/1 ainsi que du non-respect des obligations financières et fiscales de ces entreprises. Par la suite, cette institution a décidé d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE, lui-même devenu article 108 TFUE) pour
les aides accordées à ces entreprises ou à celles qui leur ont succédé après l’année 1989 et elle a adopté, le 14 octobre 1998, la décision 1999/509. Celle-ci a été notifiée au gouvernement espagnol le 29 octobre 1998.
17 Par ladite décision, la Commission a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun les aides accordées par les autorités espagnoles notamment à Indosa, sous la forme de non-paiement constant d’impôts et de cotisations sociales, tant jusqu’au jour de la déclaration de faillite de cette entreprise que postérieurement à cette date et jusqu’au mois de mai de l’année 1997.
18 Par l’article 2 de la même décision, le Royaume d’Espagne a été invité à adopter les mesures qui s’imposaient pour récupérer ces aides auprès des bénéficiaires, étant entendu que les montants récupérés devaient comprendre les intérêts dus à compter de l’octroi desdites aides jusqu’à la date effective du remboursement de celles-ci.
19 En application de l’article 3 de la décision 1999/509, le Royaume d’Espagne était tenu d’informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision, des mesures adoptées au titre de celle-ci.
20 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 décembre 1998, le Royaume d’Espagne a, en vertu de l’article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE, lui-même devenu article 263 TFUE), demandé l’annulation de la décision 1999/509.
21 Par arrêt du 12 octobre 2000, Espagne/Commission (C-480/98, Rec. p. I-8717), la Cour a dit pour droit:
«1) La décision [1999/509] est annulée en tant qu’elle impose, dans les montants des aides qui doivent être récupérés, la perception d’intérêts échus postérieurement à la déclaration de faillite des entreprises Indosa et Cunosa sur les aides illégalement perçues avant cette déclaration.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume d’Espagne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, les trois quarts de ceux de la Commission des Communautés européennes.»
22 Le 22 décembre 1999, la Commission a introduit, en application de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, un recours en manquement contre le Royaume d’Espagne ayant pour objet de faire constater que ce dernier n’avait pas adopté, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires pour se conformer aux décisions 91/1 et 1999/509.
23 Par arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne (C-499/99, Rec. p. I-6031), la Cour a dit pour droit:
«1) D’une part, en n’adoptant pas les mesures nécessaires pour se conformer à la décision [91/1] en tant qu’elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises [Indosa], [GURSA], [MIGSA] et [Cunosa], et à la décision [1999/509], en tant qu’elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises GURSA, MIGSA et Cunosa, et, d’autre part, en n’informant pas la Commission dans les délais impartis des mesures
prises pour l’exécution de la décision 1999/509, en tant qu’elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées à l’entreprise Indosa, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 desdites décisions.
2) Le recours de la Commission des Communautés européennes est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.»
24 Ainsi qu’il ressort des motifs dudit arrêt, la Cour a rejeté le recours de la Commission, pour autant que celui-ci visait à faire constater que le Royaume d’Espagne n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 1999/509, en se fondant sur la circonstance que la liquidation d’Indosa avait été décidée par l’assemblée des créanciers qui s’était tenue le 4 juillet 2000.
Les discussions menées jusqu’à l’introduction du présent recours
25 À la suite de l’arrêt Commission/Espagne, précité, la Commission et le Royaume d’Espagne ont échangé une correspondance volumineuse au sujet de la récupération des aides visées par les décisions 91/1 et 1999/509 ainsi que de l’exécution dudit arrêt.
26 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, bien qu’Indosa ait été déclarée en faillite en 1994, cette dernière a poursuivi ses activités.
27 En réponse aux demandes d’information de la Commission des 25 mars et 27 juillet 2004 ainsi que du 31 janvier 2005, les autorités espagnoles ont notamment indiqué, par lettre du 31 mars 2005, que l’accord de liquidation d’Indosa avait été approuvé le 29 septembre 2004, que cette approbation avait été contestée sans que cela entraîne d’effet suspensif et que, dès lors, la procédure de liquidation des actifs d’Indosa pouvait débuter.
28 Par lettres des 5 juillet et 16 décembre 2005, la Commission a relevé que, près de trois ans après le prononcé de l’arrêt Commission/Espagne, précité, Indosa poursuivait ses activités, la procédure de liquidation de ses actifs n’avait pas encore été entamée et l’aide illégale n’avait pas été récupérée. En outre, cette institution a demandé qu’il soit mis fin aux activités d’Indosa et que la liquidation de ses actifs soit menée à bien au plus tard le 25 janvier 2006.
29 Au cours de cette même année 2006, la Commission a considéré que les décisions 91/1 et 1999/509 avaient été exécutées en ce qui concerne GURSA, MIGSA et Cunosa, celles-ci ayant cessé leurs activités et leurs actifs ayant été vendus au prix du marché. S’agissant, en revanche, d’Indosa, l’échange de correspondance s’est poursuivi entre la Commission et les autorités espagnoles.
30 Par lettre du 30 mai 2006, le Royaume d’Espagne a informé la Commission que l’accord de liquidation d’Indosa avait acquis un caractère définitif le 2 mai 2006.
31 La Commission a cependant fait valoir, dans une série de lettres datant, notamment, des 18 octobre 2006, 27 janvier 2007 et 26 septembre 2008, que les activités d’Indosa n’avaient pas réellement cessé et que ses actifs n’avaient pas été liquidés. En effet, les informations fournies par le Royaume d’Espagne auraient montré que les activités d’Indosa se poursuivaient par l’intermédiaire de sa filiale à 100 %, à savoir la Compañía de Menaje Doméstico SL (ci-après «CMD»), qui avait été créée par
l’administrateur de la faillite d’Indosa afin de commercialiser la production de cette entreprise et à laquelle avaient été transférés tous les actifs de cette dernière ainsi que son personnel. Estimant que les actifs d’Indosa n’avaient pas été transférés selon une procédure ouverte et transparente, la Commission a conclu que CMD poursuivait l’activité subventionnée et que, par conséquent, les aides en question devaient être récupérées auprès de CMD.
32 Le Royaume d’Espagne a répondu par une série de lettres, parmi lesquelles celles des 8 octobre et 13 novembre 2008 ainsi que des 24 juillet et 25 août 2009, dont il ressort que CMD s’était déclarée en faillite le 30 juin 2008 et que ses administrateurs judiciaires avaient présenté une demande de résiliation collective des contrats de travail de l’ensemble du personnel, laquelle avait été acceptée par la juridiction nationale compétente.
33 Par lettres des 18 août, 7 et 21 septembre 2009, la Commission a demandé que lui soit communiqué un calendrier détaillé indiquant la date exacte de la cessation des activités de CMD, ainsi que de plus amples informations sur la procédure de cession des actifs de celle-ci, y compris la preuve que cette cession avait été effectuée aux conditions du marché. Cette institution a également demandé au Royaume d’Espagne de fournir des preuves de nature à établir que les aides déclarées incompatibles avec
le marché commun étaient inscrites au passif de CMD en tant que dettes dans la masse.
34 Par lettres des 21 septembre, 13 et 21 octobre 2009, le Royaume d’Espagne a répondu, en substance, que CMD avait cessé ses activités le 30 juillet 2009, sans pour autant fournir à la Commission le calendrier détaillé qu’elle avait demandé.
35 Le 3 septembre 2009, d’anciens salariés de CMD ont créé une société à responsabilité limitée à participation ouvrière, dénommée Euskomenaje 1870 SLL (ci-après «Euskomenaje»), dont l’activité consiste en la fabrication et la commercialisation d’ustensiles de cuisine et de petits appareils électriques. Selon le Royaume d’Espagne, Euskomenaje a été autorisée à exercer une «activité provisoire» afin de garantir le maintien des installations industrielles et d’assumer les frais fixes réduisant la
masse dans le cadre de la procédure de faillite de CMD.
36 À la suite de la création de ladite société, les syndics de la faillite de CMD ont autorisé la cession provisoire des actifs de cette dernière à Euskomenaje jusqu’à la clôture de la procédure de liquidation de CMD.
37 La Commission a alors réagi de la manière suivante.
38 D’une part, elle a introduit le présent recours, qui porte sur l’inexécution par le Royaume d’Espagne de la décision 1999/509 en ce qui concerne Indosa.
39 D’autre part, cette institution a engagé à l’encontre du Royaume d’Espagne la procédure prévue à l’article 228 CE (devenu article 260 TFUE), en lui envoyant, le 23 novembre 2009, une lettre de mise en demeure par laquelle elle reprochait à cet État membre de ne pas avoir donné suite à l’arrêt Commission/Espagne, précité, pour autant qu’il porte sur la décision 91/1 et concerne Indosa.
Les développements après la saisine de la Cour dans la présente affaire
40 La procédure pour non-exécution d’un arrêt de la Cour constatant un manquement d’un État membre au droit de l’Union, visée au point précédent, a donné lieu à l’arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10).
41 Il ressort de ce dernier arrêt que, le 26 janvier 2010, le Royaume d’Espagne a informé la Commission qu’Indosa et CMD étaient en cours de liquidation et qu’elles avaient cessé leurs activités.
42 Par lettres des 2 et 9 juin 2010, le Royaume d’Espagne a indiqué, notamment, que la Communauté autonome du Pays basque ne figurait pas sur la liste des créanciers de CMD afférente aux aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision 91/1, mais qu’elle allait se porter partie à la procédure de faillite de cette société en demandant que soit inscrite sur cette liste la créance relative auxdites aides.
43 Par lettre du 7 juillet 2010, le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission le plan de liquidation de CMD et l’ordonnance de la juridiction nationale compétente du 22 juin 2010 approuvant ce plan. Celui-ci prévoit que l’ensemble des actifs de CMD doit être vendu aux créanciers de cette dernière, à savoir essentiellement ses salariés, moyennant une compensation partielle de leurs créances, à moins qu’une meilleure offre ne soit présentée dans les quinze jours suivant la publication de ce plan.
Toutefois, il ressort dudit plan que les aides illégales en cause ne figurent pas parmi les créances reconnues.
44 Le 3 décembre 2010, la Communauté autonome du Pays basque a présenté une demande tendant à l’inscription au tableau des créances, dans le cadre de la procédure de faillite de CMD, de la créance relative à la restitution des aides accordées à Indosa et déclarées illégales par la décision 91/1. La créance déclarée à ce titre s’élevant à environ 16,5 millions d’euros, soit un montant nettement inférieur à la totalité des aides concernées, cette Communauté autonome l’a corrigée à plusieurs reprises
pour la porter, selon sa dernière déclaration du 7 décembre 2011, à 22 683 745 euros, somme qui correspond à l’évaluation de la créance en cause effectuée par la Commission.
45 Par ordonnance du 12 janvier 2011, le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Bilbao (Espagne) a ordonné la cessation de l’activité de CMD et la fermeture de ses établissements.
46 Le 3 mars 2011, la Communauté autonome du Pays basque a introduit une demande auprès de ladite juridiction tendant à ce que soit arrêtée l’activité d’Euskomenaje, laquelle se déroulait dans les locaux de CMD.
47 Le 10 mars 2011, ladite Communauté autonome a interjeté appel de l’ordonnance du 22 juin 2010, mentionnée au point 43 du présent arrêt, laquelle avait approuvé le plan de liquidation de CMD.
48 Par ordonnance du 16 janvier 2012, l’Audiencia Provincial de Bizkaia (Espagne) a annulé ladite ordonnance et ordonné la liquidation des actifs de CMD dans des conditions de concurrence libre, transparente et ouverte aux tiers.
49 Par ordonnance du 4 avril 2012 du Juzgado de lo Mercantil no 2 de Bilbao, une créance de 22683745 euros en faveur de la Communauté autonome du Pays basque a été inscrite au passif de CMD.
Sur le recours
50 Par acte séparé déposé le 4 mars 2010 au greffe de la Cour, le Royaume d’Espagne a soulevé à l’encontre du recours de la Commission une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour dans sa version applicable à ladite date. La Cour a décidé, le 31 août 2010, de joindre cette exception au fond de l’affaire et de l’examiner en même temps que celui-ci.
Sur l’exception d’irrecevabilité
Argumentation des parties
51 Le Royaume d’Espagne excipe de l’irrecevabilité du présent recours, au motif que celui-ci se heurterait au principe de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité.
52 À cet égard, les trois conditions exigées par la jurisprudence de la Cour pour admettre l’exception d’autorité de la chose jugée, à savoir l’identité des parties, de l’objet et de la cause, seraient réunies en l’espèce. En effet, le recours opposerait les mêmes parties, à savoir la Commission et le Royaume d’Espagne, l’objet serait identique dans les deux affaires, puisqu’il s’agirait de la décision 1999/509, et la cause serait la même, le recours ayant donné lieu audit arrêt Commission/Espagne
étant fondé sur l’article 88, paragraphe 2, CE, disposition qui correspond aujourd’hui à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
53 Étant donné que, dans l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, la Cour aurait, en substance, jugé que le Royaume d’Espagne s’était conformé aux obligations qui lui incombaient en vertu de ladite décision, le présent recours devrait être rejeté comme irrecevable, puisqu’il porterait sur une question sur laquelle il a déjà été statué. En effet, au point 43 dudit arrêt, la Cour se serait limitée à constater, en ce qui concerne Indosa, une violation par cet État membre de la seule
obligation d’information de la Commission au sujet des mesures qui avaient déjà été prises et de celles qui le seraient pour recouvrer les aides accordées à cette entreprise. Il ressortirait des points 40, 44 et 46 du même arrêt que le recours introduit par cette institution aurait, en revanche, été rejeté en tant qu’il était reproché au Royaume d’Espagne de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour récupérer les aides octroyées à Indosa, et ce au motif, selon les points 33 et 35 de l’arrêt
susmentionné, que l’assemblée des créanciers avait décidé la mise en liquidation de cette dernière.
54 Le Royaume d’Espagne ajoute que, pour ce qui est de l’obligation d’informer la Commission des mesures adoptées pour l’exécution de la décision 1999/509 dans le délai prévu par celle-ci, il ressortirait du point 42 de l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, que, conformément à l’article 3 de cette décision, ce délai avait expiré le 29 décembre 1998, de sorte que cette obligation serait aujourd’hui impossible à satisfaire.
55 La Commission conclut au rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume d’Espagne.
56 Cette institution expose à cet égard qu’il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours en manquement, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par un arrêt de la Cour (voir, notamment, arrêts du 12 juin 2008, Commission/Portugal, C-462/05, Rec. p. I-4183, point 23, et du 29 juin 2010, Commission/Luxembourg, C-526/08, Rec. p. I-6180, point 27).
57 Plus précisément, conformément à cette même jurisprudence, en cas de modification des circonstances de l’espèce, il appartiendrait à la Commission de déterminer si cette modification constitue un changement fondamental de la prémisse sur laquelle la Cour s’est fondée dans son arrêt antérieur et, dans l’affirmative, la Commission serait habilitée à former un nouveau recours.
58 Or, tel serait précisément le cas en l’occurrence.
59 En effet, au point 33 de son arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, la Cour se serait fondée sur la prémisse selon laquelle «[u]ne assemblée des créanciers s’est tenue le 4 juillet 2000 pour décider de la poursuite ou de la cessation des activités d’Indosa et a convenu de la liquidation de l’entreprise dans un délai de quatre mois».
60 Par la suite, il se serait cependant avéré que, contrairement à ce qui avait été convenu lors de ladite assemblée des créanciers, Indosa n’a pas été liquidée, mais ses activités se sont au contraire poursuivies, dans un premier temps directement par Indosa elle-même, puis, dans un second temps, par l’intermédiaire de CMD, qui est la filiale de cette dernière.
61 Partant, les prémisses factuelles essentielles sur lesquelles était fondé l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, ne se seraient pas vérifiées. Les faits mentionnés au point précédent constitueraient en effet des éléments nouveaux, non tranchés par ce même arrêt, de telle sorte que l’objet du présent litige différerait de celui de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.
62 Par ailleurs, la Commission n’aurait pas pu saisir la Cour d’une action à l’encontre du Royaume d’Espagne en application de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, dans la mesure où, à l’époque, la Cour n’avait pas encore constaté le manquement de cet État membre à l’obligation de récupération des aides illégales versées à Indosa telle que prescrite par la décision 1999/509.
63 La Commission ajoute que, si la Cour accueillait l’exception d’irrecevabilité, cette institution serait privée des instruments que le traité FUE met à sa disposition pour obliger un État membre à exécuter une décision prise aux fins de remédier à la distorsion de concurrence engendrée par des aides déclarées incompatibles avec le marché commun. La thèse préconisée par le Royaume d’Espagne priverait ainsi de tout effet utile la réglementation relative au contrôle des aides d’État, de même que la
décision ayant constaté l’illégalité des aides en cause en l’espèce.
Appréciation de la Cour
64 En premier lieu, il importe de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques des États membres, le principe de l’autorité de la chose jugée (voir arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 26 et jurisprudence citée).
65 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, ce principe est également applicable aux procédures en manquement (arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 27).
66 Il découle d’une jurisprudence bien établie de la Cour que l’autorité de la chose jugée ne s’attache toutefois qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause (arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 27 et jurisprudence citée).
67 Aux fins de déterminer si la Commission a méconnu le principe de l’autorité de la chose jugée en introduisant le présent recours, il convient d’examiner si, eu égard au cadre factuel et juridique des deux procédures concernées, il existe en substance une identité de fait et de droit entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité (voir arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 28).
68 Il s’agit plus particulièrement d’apprécier si l’objet du présent litige est le même que celui ayant donné lieu audit arrêt Commission/Espagne (voir, en ce sens, arrêt Commission/Portugal, précité, point 27).
69 En second lieu, il convient de relever que la voie de recours ouverte par l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE ne constitue qu’une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides d’État pour la concurrence dans le marché intérieur (voir arrêt du 3 juillet 2001, Commission/Belgique, C-378/98, Rec. p. I-5107, point 24 et jurisprudence citée).
70 Dans le cadre des procédures engagées en application de l’article 258 TFUE, la Cour a itérativement jugé que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en considération (voir, notamment, arrêt Commission/Belgique, précité, point 25).
71 Aussi ressort-il d’une jurisprudence constante de la Cour que la date pertinente pour l’appréciation d’un manquement introduit au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE est, en raison du fait que cette disposition ne prévoit pas, à la différence de l’article 258 TFUE, de phase précontentieuse et que, par conséquent, la Commission n’émet pas d’avis motivé imposant à l’État membre concerné un délai pour se mettre en conformité avec le droit de l’Union, en principe celle qui a
été fixée dans la décision de la Commission dont l’inexécution est contestée (voir, notamment, arrêts du 14 avril 2011, Commission/Pologne, C-331/09, Rec. p. I-2933, point 50 et jurisprudence citée; du 1er mars 2012, Commission/Grèce, C‑354/10, point 61, et du 28 juin 2012, Commission/Grèce, C‑485/10, point 31).
72 S’agissant du délai imparti en l’occurrence, l’article 3 de la décision 1999/509 fixait au Royaume d’Espagne un délai de deux mois, à compter de la date de la notification de celle-ci, pour informer la Commission des mesures adoptées afin de se conformer à cette décision.
73 Ladite décision ayant été notifiée au Royaume d’Espagne le 29 octobre 1998, le délai de deux mois énoncé à son article 3 est donc venu à expiration le 29 décembre suivant.
74 Toutefois, en l’espèce, force est de constater que, ainsi qu’il a déjà été dit au point 28 du présent arrêt, dans le cadre des longues discussions ayant eu lieu entre les parties au sujet de la récupération des aides en cause, la Commission avait fixé, dans sa lettre du 16 décembre 2005, un nouveau délai expirant le 25 janvier 2006 pour que ledit État membre se conforme à ses obligations découlant de la décision 1999/509.
75 Il convient ainsi de considérer que le délai fixé à l’article 3 de ladite décision a été remplacé par celui résultant de la lettre du 16 décembre 2005, de sorte que c’est ce dernier délai qui est pertinent aux fins de l’appréciation du manquement allégué par la Commission dans la présente affaire (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Belgique, point 28; Commission/Pologne, point 50, et du 28 juin 2012, Commission/Grèce, point 31).
76 Il s’ensuit que, aux fins de l’appréciation du manquement allégué dans le cadre de la présente procédure, la Cour est amenée à examiner la situation de fait et de droit telle qu’elle se présentait au 25 janvier 2006 et que, partant, la date pertinente en l’espèce est bien postérieure à celle à laquelle l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, a été rendu.
77 Dans ces conditions, il ne saurait être valablement soutenu que le présent litige et celui ayant donné lieu audit arrêt Commission/Espagne ont le même objet.
78 Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 67 et 68 du présent arrêt, une identité d’objet des deux affaires en cause, en ce sens qu’elles reposent sur la même situation de fait et de droit, constitue l’une des conditions nécessaires pour que la première décision juridictionnelle puisse se voir reconnaître l’autorité de la chose jugée au regard de la présente affaire.
79 En conséquence, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume d’Espagne et tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, précité, doit être rejetée.
Sur le fond
Argumentation des parties
80 La Commission reproche au Royaume d’Espagne de ne pas avoir pris les mesures qu’implique l’exécution de la décision 1999/509 en ce qui concerne la récupération des aides illégales accordées à Indosa.
81 En effet, bien que ladite entreprise ait été déclarée en faillite dès l’année 1994, ces aides n’auraient été ni récupérées auprès de celle-ci ni même inscrites en tant que dettes dans la masse de la faillite de cette entreprise.
82 Au surplus, les activités d’Indosa auraient été poursuivies, malgré la déclaration de faillite de cette dernière, dans un premier temps par Indosa elle-même, puis, dans un second temps, par sa filiale à 100 %, à savoir CMD. En outre, le transfert des actifs d’Indosa à CMD aurait été effectué de façon non transparente et sans mise en concurrence.
83 S’agissant de CMD, société qui a, par la suite, également été déclarée en faillite, la Commission estime que les autorités espagnoles n’ont pas davantage procédé à la récupération des aides illégales en cause auprès de cette entreprise et qu’elles n’ont pas non plus inscrit la créance relative à la restitution de ces aides au tableau des créances dans le cadre de la procédure de faillite de cette dernière.
84 En outre, à la suite de la cessation des activités de CMD, l’avantage concurrentiel résultant du bénéfice des aides illégales aurait persisté au profit d’Euskomenaje, une entreprise créée par d’anciens salariés de CMD aux fins de continuer l’activité exercée jusqu’alors par cette dernière. Tout cela porterait à considérer que cette opération a une nouvelle fois servi à contourner les obligations découlant de la liquidation de la société bénéficiaire des aides illégales, le transfert des actifs de
CMD à Euskomenaje ayant été effectué sans publicité et sans aucune contrepartie.
85 Le Royaume d’Espagne considère, en revanche, qu’il a pris toutes les mesures en son pouvoir aux fins d’assurer l’exécution de la décision 1999/509.
86 À cet égard, cet État membre fait valoir en substance que, s’agissant, en premier lieu, de l’inscription de la créance relative à la restitution des aides illégales en cause dans le cadre de la procédure de faillite de CMD, la Communauté autonome du Pays basque a entrepris une série de démarches à cette fin.
87 Pour ce qui est, en second lieu, de la cessation de l’activité subventionnée, le Royaume d’Espagne admet que celle-ci s’est poursuivie dans les locaux de CMD par l’intermédiaire d’Euskomenaje. Cet État membre considère toutefois qu’il a effectué les démarches nécessaires afin de mettre un terme à cette activité.
88 En ce qui concerne, en troisième lieu, la vente des actifs de CMD, le Royaume d’Espagne estime, en se référant à l’arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie (C-496/09, Rec. p. I-11483), qu’il suffit, aux fins de l’exécution d’une obligation de récupération d’une aide illégale et incompatible avec le marché commun, que soit inscrite au tableau des créances celle relative à la restitution des aides en question, la vente au prix du marché des actifs du bénéficiaire de cette aide n’étant alors
plus exigée.
89 Enfin, le Royaume d’Espagne soutient que les créanciers publics n’ont pas pu accélérer la liquidation de CMD, celle-ci se déroulant sous la surveillance d’un juge et selon la procédure prévue par la législation nationale applicable. Diverses difficultés indépendantes de la volonté du Royaume d’Espagne expliqueraient les retards dans cette opération de liquidation. La non-récupération des aides octroyées serait due à la circonstance que les entreprises en cause sont en faillite.
Appréciation de la Cour
90 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (voir, notamment, arrêt Commission/Pologne, précité, point 54 et jurisprudence citée).
91 Partant, l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288 TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision. Il doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues aux fins d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale (voir arrêt Commission/Pologne, précité, points 55 et 56).
92 En vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 659/1999, la récupération d’une aide déclarée illégale et incompatible par une décision de la Commission doit, ainsi qu’il ressort également du considérant 13 de ce règlement, s’effectuer sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de ladite décision, une telle condition reflétant les exigences du principe
d’effectivité consacré par la jurisprudence de la Cour (voir arrêts Commission/Pologne, précité, point 59, et du 29 mars 2012, Commission/Italie, C‑243/10, point 36).
93 Afin d’apprécier le bien-fondé du présent recours, il importe dès lors de vérifier si les montants des aides illégales en cause ont été restitués dans le délai imparti par l’entreprise bénéficiaire de celles-ci.
94 Il y a lieu de constater d’emblée que le litige dont la Cour est saisie porte uniquement sur les aides accordées à Indosa et déclarées incompatibles avec le marché commun par la décision 1999/509.
95 Il convient de rappeler à cet égard que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la date de référence pour l’application de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE est celle prévue dans la décision dont l’inexécution est contestée ou, le cas échéant, celle que la Commission a fixée par la suite (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2012, Commission/Grèce, précité, point 31).
96 Ainsi qu’il a déjà été dit aux points 74 à 76 du présent arrêt, la date pertinente en l’espèce est celle de l’expiration du délai fixé par la Commission dans sa lettre du 16 décembre 2005, à savoir le 25 janvier 2006.
97 Or, en l’occurrence, il est constant que, à cette dernière date, les aides illégales dont a bénéficié Indosa n’avaient pas été récupérées auprès de cette entreprise. Force est au demeurant de constater que, s’agissant de celle-ci, aucune somme visée par la décision 1999/509 n’avait fait l’objet d’une récupération jusqu’à la date de l’audience dans la présente affaire.
98 Une telle situation est manifestement incompatible avec l’obligation de l’État membre concerné de parvenir à une récupération effective des sommes dues et constitue à l’évidence une violation du devoir d’exécution immédiate et effective de ladite décision.
99 Il est également de jurisprudence constante que le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision de cette institution ordonnant la récupération de l’aide en question (voir, notamment, arrêt Commission/Pologne, précité, point 69 et jurisprudence citée).
100 Or, dans la présente affaire, le Royaume d’Espagne n’a pas même allégué une telle impossibilité absolue d’exécution.
101 En tout état de cause, il importe de rappeler que, d’une part, la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue n’est pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne à invoquer des difficultés juridiques, politiques ou pratiques auxquelles il s’est trouvé confronté pour mettre en œuvre la décision concernée, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise
en œuvre de cette décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés, et que, d’autre part, de prétendus problèmes internes rencontrés lors de l’exécution de la décision de la Commission ne sauraient justifier le non-respect par cet État membre des obligations qui lui incombent au titre du droit de l’Union (voir arrêt Commission/Pologne, précité, points 70 et 72).
102 Dans ces conditions, les explications fournies par ledit État membre pour sa défense, qui se fondent sur de prétendues difficultés d’ordre interne, ne sauraient en aucun cas être admises pour justifier l’inexécution de la décision 1999/509.
103 S’agissant de la circonstance, invoquée par le Royaume d’Espagne, selon laquelle Indosa, de même d’ailleurs que CMD qui lui a succédé, ont été déclarées en faillite et qu’une récupération des aides en cause est rendue impossible par l’absence d’actifs, il y a lieu de relever que, lorsque des aides illégalement versées doivent être récupérées auprès d’une entreprise en état de faillite ou soumise à une procédure dont l’objet est de procéder à la réalisation de l’actif et à l’apurement du passif,
la Cour a itérativement jugé que le fait que cette entreprise est en difficulté ou en faillite n’affecte pas l’obligation de récupération (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, précité, point 71 et jurisprudence citée).
104 Il est également de jurisprudence constante que le rétablissement de la situation antérieure et l’élimination de la distorsion de concurrence résultant des aides illégalement versées peuvent, en principe, être accomplis par l’inscription au tableau des créances de celle relative à la restitution des aides concernées (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, précité, point 72 et jurisprudence citée).
105 En l’espèce, il est constant que, à la date pertinente du 25 janvier 2006, les aides illégales en cause n’avaient pas fait l’objet d’une telle inscription.
106 Compte tenu des particularités de la présente affaire ainsi que des arguments présentés par les parties, il convient, en outre, de préciser que, contrairement à ce que fait valoir le Royaume d’Espagne, même si l’inscription de la créance relative aux aides en cause au tableau des créances avait eu lieu dans le délai imparti, l’accomplissement de cette formalité n’aurait pas suffi, à lui seul, pour satisfaire à l’obligation d’exécuter la décision 1999/509 et faire disparaître la distorsion de
concurrence créée par le bénéfice de ces aides.
107 En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé à maintes reprises, l’inscription au tableau des créances de celle relative à la restitution des aides concernées ne permet de satisfaire à l’obligation de récupération que si, dans le cas où les autorités étatiques ne pourraient récupérer l’intégralité du montant des aides, la procédure de faillite aboutit à la liquidation de l’entreprise bénéficiaire des aides illégales, c’est-à-dire à la cessation définitive de son activité (arrêt du 11 décembre 2012,
Commission/Espagne, précité, point 104 et jurisprudence citée).
108 En l’occurrence, il s’avère toutefois que non seulement Indosa n’avait pas encore fait l’objet d’une liquidation à la date du 25 janvier 2006, mais que, de surcroît, ses activités se sont poursuivies par l’intermédiaire de CMD, puis d’Euskomenaje.
109 Or, dès lors que l’entreprise bénéficiaire des aides illégales est en faillite et qu’une nouvelle société a été créée afin de poursuivre des activités de cette entreprise en faillite, la poursuite de cette activité, sans que les aides concernées aient été intégralement récupérées, est susceptible de faire perdurer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel dont cette entreprise a profité sur le marché par rapport à ses concurrents. Ainsi, une telle société nouvellement
créée peut, si cet avantage persiste à son profit, être tenue au remboursement des aides en cause. Tel est notamment le cas lorsqu’il est établi que cette société conserve la jouissance effective de l’avantage concurrentiel lié au bénéfice desdites aides, en particulier, lorsque celle-ci procède à l’acquisition des actifs de l’entreprise en liquidation sans verser en contrepartie un prix conforme aux conditions du marché ou lorsque la création d’une telle société a eu pour effet de contourner
l’obligation de restitution desdites aides. Cela vaut, en particulier, lorsque le versement d’un prix conforme aux conditions du marché ne suffirait pas pour neutraliser l’avantage concurrentiel correspondant à la perception des aides illégales. Les considérations qui précèdent ne sont d’ailleurs nullement infirmées par l’arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie, précité, invoqué par le Royaume d’Espagne (arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, précité, points 106 et 108).
110 À cet égard, il importe de souligner que, dans le cas d’espèce, le Royaume d’Espagne n’a adopté, dans le délai imparti, aucune mesure de nature à assurer la récupération des aides illégales en cause.
111 Ainsi, d’une part, la Communauté autonome du Pays basque n’a présenté que le 3 décembre 2010 une demande tendant à l’inscription d’une partie de la créance relative à la restitution des aides illégales au tableau des créances dans le cadre de la procédure de faillite de CMD. En outre, ainsi qu’il ressort des points 23 et 73 de l’arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, précité, la créance déclarée à ce titre était relative aux aides déclarées illégales par la décision 91/1, alors que le
présent litige porte sur les aides visées par la décision 1999/509.
112 D’autre part, ce n’est que le 3 mars 2011 que ladite Communauté autonome a introduit une demande auprès du Juzgado de lo Mercantil no 2 de Bilbao tendant à ce que soit arrêtée l’activité d’Euskomenaje qui se déroulait dans les locaux de CMD.
113 Eu égard à tout ce qui précède, il y a donc lieu de conclure que le Royaume d’Espagne ne saurait valablement prétendre avoir exécuté la décision 1999/509, de sorte que le recours introduit par la Commission doit être considéré comme fondé dans son intégralité.
114 En conséquence, il convient de constater que, en n’ayant pas adopté, dans le délai imparti, les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 1999/509 en ce qui concerne Indosa, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 288, quatrième alinéa, TFUE ainsi que 2 et 3 de cette décision.
Sur les dépens
115 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1) En n’ayant pas adopté, dans le délai imparti, les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l’Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs, en ce qui concerne l’entreprise Industrias Domésticas SA, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 288, quatrième alinéa, TFUE ainsi que 2 et 3 de cette décision.
2) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.