ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
29 novembre 2012 (*)
«Pourvoi – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels – Liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne – Inclusion sur la liste d’un site proposé par le Royaume d’Espagne– Site couvrant prétendument une zone d’eaux territoriales britanniques de Gibraltar et une zone de haute mer – Recours en annulation – Acte purement confirmatif»
Dans l’affaire C‑416/11 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 août 2011,
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de M. D. Wyatt, QC, et de M^me V. Wakefield, barrister,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par M^me D. Recchia et M. K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
soutenue par:
Royaume d’Espagne, représenté par M^me N. Díaz Abad et M. A. Rubio González, en qualité d’agents,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M^me R. Silva de Lapuerta, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. K. Lenaerts, G. Arestis, J. Malenovský et T. von Danwitz (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 24 mai 2011, Royaume-Uni/Commission (T-115/10, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable son recours tendant à l’annulation partielle de la décision 2010/45/UE de la Commission, du 22 décembre 2009, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une troisième liste actualisée des
sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO 2010, L 30, p. 322, ci-après la «décision litigieuse»), dans la mesure où cette décision désigne le site dénommé «Estrecho oriental» (ci-après le «site ES6120032») comme site d’importance communautaire (ci-après le «SIC») pour la région biogéographique méditerranéenne.
Le cadre juridique
2 L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), telle que modifiée par le règlement (CE) n°1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003 (JO L 284, p. 1, ci-après la «directive ‘habitats’»), prévoit:
«1. Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. [...]
La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. Ces informations comprennent une carte du site, son appellation, sa localisation, son étendue ainsi que les données résultant de l’application des critères spécifiés à l’annexe III (étape 1) et sont fournies sur la base d’un formulaire établi par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.
2. Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 2) [...], la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des [SIC], à partir des listes des États membres, faisant apparaître les sites qui abritent un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.
[...]
La liste des sites sélectionnés comme [SIC], faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.»
3 Selon l’article 20 de la directive «habitats», la Commission est assistée d’un comité (ci-après le «comité ‘habitats’»).
4 L’article 21 de ladite directive renvoie à l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO L 200, p. 11), qui dispose:
«1. La Commission est assistée par un comité de réglementation composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.
2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 205, paragraphes 2 et 4, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la
pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.
3. La Commission arrête [...] les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.
[...]»
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
5 Le 19 juillet 2006, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive «habitats», la décision 2006/613/CE, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO L 259, p. 1). Cette liste, figurant à l’annexe 1 de cette décision, incluait notamment le site UKGIB0002, dénommé «Southern Waters of Gibraltar» (ci-après le «site
UKGIB0002»), tel que proposé par le Royaume-Uni.
6 L’adoption de cette décision a été précédée d’un échange de déclarations entre le Royaume-Uni et le Royaume d’Espagne, initié par la Commission, dans le cadre duquel le Royaume d’Espagne a notamment déclaré que toute action entreprise par le Royaume-Uni à l’égard de Gibraltar concernant le réseau Natura 2000 avait lieu sans préjudice de la position du Royaume d’Espagne quant à sa souveraineté sur Gibraltar, y compris ses eaux, et doit être comprise dans ce sens.
7 Le 12 décembre 2008, la Commission a adopté la décision 2009/95/CE, adoptant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une deuxième liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO 2009, L 43, p. 393), incluant toujours le site UKGIB0002, ainsi que, pour la première fois, le site ES6120032, proposé par le Royaume d’Espagne. Dans cette décision sont indiquées la dénomination, la superficie et les coordonnées géographiques
(longitude et latitude du centre du site) des sites en question. Ladite décision a été notifiée au Royaume-Uni le 16 décembre 2008.
8 Lors de la réunion du comité «habitats» du 15 octobre 2009, ayant notamment pour objet le projet de la décision litigieuse, concernant une troisième liste actualisée des SIC pour la région biogéographique méditerranéenne incluant, dans son annexe, comme précédemment, les sites UKGIB0002 et ES6120032, le Royaume-Uni s’est opposé à l’inclusion de ce dernier site dans la liste en question, en raison de la superposition de celui-ci avec le site UKGIB0002 et avec les eaux territoriales
prétendument britanniques, et a demandé à la Commission de reconsidérer la désignation du site ES6120032.
9 Le Royaume d’Espagne a alors invoqué sa propre souveraineté sur les eaux marines de Gibraltar et s’est prononcé pour le maintien du site ES6120032 sur la liste. La Commission a notamment indiqué que son rôle ne consistait pas à vérifier si les sites proposés étaient affectés par des différends territoriaux. En outre, il ne lui appartiendrait pas de vérifier, pour chaque site proposé par un État membre, si ce site recoupe d’autres propositions d’autres États membres. Par ailleurs, des
chevauchements de sites seraient déjà survenus, même s’ils concernaient une surface moins importante qu’en l’espèce.
10 Le projet de la décision litigieuse a ensuite recueilli les suffrages de tous les États membres présents lors de cette réunion du comité «habitats», à l’exception du Royaume-Uni. Par la suite, la Commission a adopté la décision litigieuse.
La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mars 2010, le Royaume-Uni a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où elle désigne le site ES6120032 comme SIC pour la région biogéographique méditerranéenne.
12 Par acte séparé, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, en faisant valoir que, concernant l’inscription du site ES6120032, la décision litigieuse était un acte purement confirmatif de la décision 2009/95 qui n’avait pas été contesté par le Royaume-Uni dans les délais prescrits.
13 Par l’ordonnance attaquée, prise en application de cet article 114, le Tribunal a, sans engager la procédure orale, rejeté le recours comme étant irrecevable.
14 Il a tout d’abord constaté que la disposition contestée de la décision litigieuse figurait déjà dans la décision antérieure 2009/95 de sorte que, s’agissant de la désignation du site ES6120032 comme SIC, la décision litigieuse ne contenait aucun élément nouveau.
15 Ensuite, le Tribunal a relevé que, toutefois, le caractère confirmatif ou non d’un acte ne saurait être apprécié en fonction uniquement de son contenu par rapport à celui de la décision antérieure qu’il confirmerait. En effet, si l’acte attaqué constitue la réponse à une demande dans laquelle des faits nouveaux et substantiels sont invoqués, et par laquelle l’administration est priée de procéder à un réexamen de la décision antérieure, cet acte ne saurait être considéré comme revêtant un
caractère purement confirmatif, dans la mesure où il statue sur ces faits et contient, ainsi, un élément nouveau par rapport à la décision antérieure. Dès lors, il y aurait lieu d’examiner si le chevauchement des sites UKGIB0002 et ES6120032 constitue un fait nouveau et substantiel ayant conduit au réexamen de la désignation de ce dernier site dans la décision 2009/95.
16 À cet égard, le Tribunal a constaté que, les deux sites étant déjà inscrits dans cette décision, leur chevauchement existait déjà dans la décision 2009/95 et ne saurait être considéré en soi comme un fait nouveau postérieur à l’adoption de cette décision.
17 En outre, il ne saurait être admis que ni le Royaume-Uni ni la Commission n’étaient en mesure d’avoir connaissance du chevauchement des sites au moment de l’adoption de la décision 2009/95. En effet, le Royaume-Uni aurait été impliqué dans la procédure d’adoption de cette décision et se serait vu transmettre au mois d’octobre 2008 la liste des SIC pour la région biogéographique méditerranéenne incluant les sites présentés par tous les États membres concernés, ainsi que les informations ayant
vocation à figurer dans ladite décision. La Commission, quant à elle, aurait été en possession des informations relatives aux sites proposés par les États membres lors de l’établissement du projet de cette liste, comprenant notamment la carte la plus récente et définitive du site transmise.
18 Le Tribunal en a conclu que le chevauchement des sites UKGIB0002 et ES6120032 dans la décision litigieuse ne pouvait être considéré comme un fait nouveau et que, par conséquent, la désignation du site ES6120032 dans la décision litigieuse ne pouvait être considérée comme le résultat d’un réexamen de la décision 2009/95 sur la base de faits nouveaux.
19 Par ailleurs, le Tribunal a considéré que, à compter de la notification de la décision 2009/95 au Royaume-Uni le 16 décembre 2008, celui-ci ne pouvait prétendre ignorer le contenu de cette décision ni l’existence du chevauchement des deux sites en question.
20 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal a conclu que, en ce qui concerne la désignation du site ES6120032 dans la liste des SIC, la décision litigieuse devait être considérée comme purement confirmative de la décision 2009/95, et que le recours était de ce fait irrecevable.
Les conclusions des parties
21 Par son pourvoi, le Royaume-Uni demande à la Cour:
– d’annuler l’ordonnance attaquée;
– de déclarer son recours recevable et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond;
– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure et à ceux de la procédure en première instance concernant la fin de non-recevoir, et
– de réserver les dépens pour le surplus.
22 La Commission et le Royaume d’Espagne demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner le Royaume-Uni aux dépens.
Sur le pourvoi
23 Le Royaume-Uni invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi, par lesquels il conteste uniquement les constatations du Tribunal relatives à la question de savoir si le Royaume-Uni et la Commission se trouvaient en mesure d’avoir connaissance du chevauchement des sites litigieux, sans remettre en cause d’autres éléments du raisonnement du Tribunal.
24 Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit concernant l’identité des parties dont il était pertinent qu’elles disposaient d’une connaissance «présumée» de la superposition des sites ES6120032 et UKGIB0002. Le second moyen est tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation des faits concernant la question de savoir si une partie «était en mesure d’avoir une connaissance antérieure» du chevauchement desdits sites.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
25 Par son second moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu, le Royaume-Uni reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs en ce qui concerne le critère permettant de juger si une partie «était en mesure d’avoir une connaissance antérieure» du chevauchement de sites.
26 D’une part, son raisonnement attesterait que le Tribunal n’avait pas identifié le critère juridique correct. En effet, il ne pourrait être présumé d’une connaissance dans des cas où l’on ne pouvait attendre d’une personne prudente qu’elle découvre le fait en question.
27 D’autre part, s’agissant de la question de savoir ce que l’on peut attendre d’une personne prudente, le Tribunal aurait omis à tort de prendre en considération le fait que, en méconnaissance du devoir de coopération loyale prescrit à l’article 10 CE et de la directive «habitats», le Royaume d’Espagne avait failli à son obligation de notifier au Royaume-Uni et à la Commission le chevauchement des sites en cause. Le Royaume-Uni pouvait raisonnablement s’attendre à être informé et n’avait pas
de raison d’être particulièrement attentif.
28 En outre, afin d’apprécier s’il était raisonnable d’attendre de la Commission qu’elle ait eu connaissance de la superposition des sites en cause, le Tribunal aurait dû examiner dans quelle mesure il incombait à la Commission de vérifier la présence de chevauchements de sites proposés avec d’autres sites.
29 Enfin, il n’aurait pas été raisonnable de la part du Tribunal d’attendre des États membres qu’ils vérifient l’existence éventuelle de superpositions de sites figurant sur la liste des SIC pour la région biogéographique méditerranéenne, dans la mesure où cette liste, d’une part, ne contient pas de carte des sites, et d’autre part, réunit des milliers de sites, à la fois existants et nouveaux.
30 La Commission fait valoir que le Tribunal a valablement établi la connaissance présumée du Royaume-Uni, en se fondant sur la notification de la décision 2009/95 à celui-ci. L’application du critère de la connaissance effective, telle que souhaitée par le Royaume-Uni, aurait pour conséquence de rendre le délai de recours de deux mois totalement subjectif en réduisant à néant l’objectif de sécurité juridique de ce délai, et ne serait pas vérifiable. En outre, le comportement du Royaume
d’Espagne, en particulier la question de savoir s’il a enfreint le droit de l’Union, ne serait pas pertinent dans le cadre d’un recours en annulation.
31 Le Royaume d’Espagne se rallie, en substance, aux arguments de la Commission.
Appréciation de la Cour
32 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’un recours en annulation formé contre une décision purement confirmative d’une décision antérieure, non attaquée dans les délais de recours, est irrecevable et qu’il est constant, en l’espèce, que le Royaume-Uni n’a pas introduit de recours en annulation contre la décision 2009/95 avant l’expiration du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.
33 En ce qui concerne l’examen du caractère purement confirmatif de la décision litigieuse, il est également constant que, comme l’observe le Tribunal aux points 26 et 27 de l’ordonnance attaquée, le site ES6120032 a été inscrit pour la première fois comme SIC dans la décision 2009/95 et que ce site a ensuite été repris à l’identique dans la liste adoptée dans la décision litigieuse. Ainsi, la disposition contestée de cette décision figurait déjà dans la décision antérieure, de sorte que,
s’agissant de la désignation du site ES6120032 comme SIC, la décision litigieuse ne contient aucun élément nouveau en tant que tel.
34 Le seul élément du raisonnement du Tribunal visé par le pourvoi consiste en l’examen de la question de savoir si le caractère confirmatif de la décision litigieuse était éventuellement exclu en raison du fait que, au moment de l’adoption de la décision 2009/95, le Royaume-Uni et la Commission n’étaient pas en mesure d’avoir connaissance du chevauchement des sites ES6120032 et UKGIB0002.
35 Pour parvenir à la conclusion selon laquelle le Royaume-Uni était en mesure d’avoir cette connaissance, le Tribunal s’est fondé, aux points 34 à 36 de l’ordonnance attaquée, sur la participation du Royaume-Uni, en tant que membre du comité «habitats», à la procédure d’adoption de la décision 2009/95, en prenant en considération les différentes informations que le Royaume-Uni s’est vu transmettre au cours de cette procédure et préalablement à ladite adoption, ainsi que le vote en faveur de
cette dernière par le représentant du Royaume-Uni.
36 Le Royaume-Uni se limite à soutenir que le Tribunal a identifié un critère juridique erroné, en ce qu’il ne peut être présumé d’une connaissance dans des cas où l’on ne peut attendre d’une personne prudente qu’elle découvre le fait en question. Toutefois, le pourvoi ne précise pas quel critère différent et erroné le Tribunal aurait appliqué. En effet, par la suite, le Royaume-Uni fait uniquement valoir que les circonstances prises en considération par le Tribunal n’avaient pas été
suffisantes pour permettre au Royaume-Uni d’avoir connaissance du chevauchement des sites en cause lors de l’adoption de la décision 2009/95, et que d’autres éléments de fait auraient dû être pris en considération.
37 Par cet argument, le Royaume-Uni cherche en réalité à remettre en cause l’appréciation effectuée par le Tribunal de l’ensemble des éléments factuels qui lui étaient soumis. Ainsi, le Royaume-Uni se borne, en substance, à contester l’appréciation des faits à laquelle le Tribunal s’est livré sans, du reste, invoquer un quelconque vice de dénaturation des éléments du dossier.
38 Or, une telle appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été présentés, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. En effet, conformément aux articles 256, paragraphe 1, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf
dans les cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (voir, notamment, arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C‑53/92 P, Rec. p. I‑667, point 42; du 25 octobre 2007, Develey/OHMI, C‑238/06 P, Rec. p. I‑9375, point 97, ainsi que du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, Rec. p. I‑2665, point 137).
39 Dès lors, le second moyen doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
40 Par son premier moyen, le Royaume-Uni reproche, à titre principal, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit concernant l’identité des parties dont il était juridiquement pertinent qu’elles disposaient d’une connaissance «présumée» de la superposition des sites ES6120032 et UKGIB0002. Le critère d’appréciation correct aurait été ce que le Royaume-Uni était en mesure de savoir. Selon lui, la question de savoir si la Commission était en mesure d’avoir connaissance de cette superposition
est dénuée de pertinence.
41 En effet, dans l’arrêt Yasse/BEI (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, T‑141/97, RecFP p. I‑A‑177 et II‑929, points 126 à 128), qui serait le précédent de référence pour l’examen d’une connaissance «présumée», le Tribunal aurait uniquement examiné ce que la partie requérante était en mesure de savoir, sans mentionner la connaissance ni de l’«administration» ni de quelque autre partie que ce soit.
42 Subsidiairement, s’il était pertinent de savoir de quelles circonstances l’auteur de la décision était en mesure d’avoir connaissance, en l’espèce, l’auteur de la décision litigieuse était à la fois la Commission et le comité «habitats», et non la Commission seule dans la mesure où, conformément aux articles 4 et 21 de la directive «habitats», la Commission ne pouvait prendre la décision litigieuse qu’avec l’accord de ce comité.
43 Selon la Commission, il y a lieu de rejeter ce moyen comme étant inopérant. D’une part, le Tribunal n’aurait pas ignoré la connaissance présumée du Royaume-Uni, qu’il aurait explicitement évaluée aux points 35 et 36 de l’ordonnance attaquée. D’autre part, l’analyse sur la connaissance présumée tant du Royaume-Uni que de la Commission n’aurait pas été décisive pour parvenir à l’ordonnance attaquée, mais n’aurait été développée par le Tribunal que pour répondre aux arguments avancés. Par
ailleurs, la Commission seule aurait adopté la décision litigieuse, sous réserve, toutefois, de certaines exigences de procédure, notamment un avis du comité compétent.
44 Le Royaume d’Espagne se rallie, en substance, aux arguments de la Commission.
Appréciation de la Cour
45 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dès lors que l’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de son arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l’arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de sorte que le moyen qui les invoque est inopérant et doit être rejeté (voir, notamment, arrêts du 2 juin 1994, de Compte/Parlement,
C‑326/91 P, Rec. p. I‑2091, point 94, et du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, Rec. p. I‑3801, point 68).
46 Ainsi qu’il résulte des points 32 à 36 du présent arrêt, le Tribunal a établi que le Royaume-Uni était en mesure d’avoir connaissance du chevauchement des sites au moment de l’adoption de la décision 2009/95, sans que cette constatation ait valablement été remise en cause par le Royaume-Uni.
47 Dans ces circonstances, même à supposer que le Tribunal ait commis une erreur de droit en examinant au surplus la question de savoir si la Commission était également en mesure de disposer d’une telle connaissance, une telle erreur aurait été sans conséquence sur le résultat du recours en première instance et donc sans influence sur le dispositif de l’ordonnance attaquée.
48 Dès lors, quand bien même le présent moyen, selon lequel le critère d’appréciation correct aurait été ce que le Royaume-Uni était en mesure de savoir, devait s’avérer fondé, il ne serait pas de nature à entraîner l’annulation de l’ordonnance attaquée.
49 En conséquence, il y a lieu d’écarter le présent moyen comme étant inopérant.
50 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté.
Sur les dépens
51 Aux termes de l’article 138, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume-Uni et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
52 Conformément à l’article 138, paragraphe 3, dudit règlement de procédure, également applicable en vertu de l’article 184 du même règlement, le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est condamné aux dépens.
3) Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’anglais.