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19/07/2012 | CJUE | N°C-628/10

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Alliance One International Inc., anciennement Standard Commercial Corp. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. contre Commission européenne et Commission européenne contre Alliance One International Inc. e.a., 19/07/2012, C-628/10


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 juillet 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut — Fixation des prix et répartition du marché — Infraction à l’article 81 CE — Imputabilité du comportement infractionnel de filiales à leurs sociétés mères — Présomption d’innocence — Droits de la défense — Obligation de motivation — Égalité de traitement»

Dans les affaires jointes C‑628/10 P et C‑14/11 P,

ayant pour objet deux pourvois

au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 28 décembre 201...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 juillet 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut — Fixation des prix et répartition du marché — Infraction à l’article 81 CE — Imputabilité du comportement infractionnel de filiales à leurs sociétés mères — Présomption d’innocence — Droits de la défense — Obligation de motivation — Égalité de traitement»

Dans les affaires jointes C‑628/10 P et C‑14/11 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 28 décembre 2010 et 7 janvier 2011,

Alliance One International Inc., anciennement Standard Commercial Corp., établie à Danville (États-Unis),

Standard Commercial Tobacco Co. Inc., établie à Wilson (États-Unis),

représentées par Mes M. Odriozola Alén et A. João Vide, abogados,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd, établie à Vaduz (Liechtenstein),

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, E. Gippini Fournier et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

et

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, E. Gippini Fournier et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Alliance One International Inc.,

Standard Commercial Tobacco Co. Inc.,

Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd,

représentées par Mes M. Odriozola Alén et A. João Vide, abogados,

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, M. Safjan et Mme A. Prechal, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, E. Juhász, G. Arestis, A. Arabadjiev (rapporteur), D. Šváby, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 novembre 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 janvier 2012,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi (C‑628/10 P), Alliance One International Inc. (ci-après «AOI»), anciennement Standard Commercial Corp. (ci-après «SCC»), et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. (ci-après «SCTC») demandent l’annulation, d’une part, de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission (T-24/05, Rec. p. II-5329, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2004) 4030 final de la
Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 — Tabac brut — Espagne) (ci-après la «décision litigieuse»), et, d’autre part, de cette décision, en tant qu’elle les concerne, ainsi que la réduction de l’amende qui leur a été infligée par ladite décision.

2 Par son pourvoi (C‑14/11 P), la Commission européenne demande, d’une part, l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où il a annulé la décision litigieuse en tant qu’elle concerne Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd (ci-après «TCLT») et, d’autre part, le rejet du recours introduit par cette dernière devant le Tribunal.

I – Les antécédents du litige

3 Les faits ayant donné lieu au présent litige tels qu’ils sont exposés aux points 1 à 40 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

4 World Wide Tobacco España SA (ci-après «WWTE»), Agroexpansión SA (ci-après «Agroexpansión») et Tabacos Españoles SL (ci-après «Taes») sont trois des quatre entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne (ci-après, ces quatre entreprises ensemble, les «transformateurs»).

5 Entre 1995 et le 5 mai 1998, deux tiers du capital de WWTE étaient détenus par TCLT, une filiale à 100 % de SCTC, elle-même filiale à 100 % de SCC (devenue AOI). Le tiers restant était détenu par le président de WWTE et deux membres de sa famille.

6 Le 5 mai 1998, TCLT a porté sa participation dans le capital de WWTE à 86,94 %, le reste des actions étant détenu en propre par WWTE (9,73 %) et par une personne physique (3,33 %). En octobre 1998, WWTE a acquis les actions de cette dernière personne et SCC a acquis une participation directe de 0,04 % dans le capital de WWTE. En mai 1999, TCLT et SCC ont porté leur participation dans le capital de WWTE à 89,64 % et à 0,05 %, respectivement, le reste étant détenu en propre par WWTE.

7 Agroexpansión appartient à un groupe de sociétés dont Dimon Inc. est la société faîtière. Cette dernière détient, par l’intermédiaire de sa filiale à 100 % Intabex Netherlands BV (ci-après «Intabex»), l’ensemble des actions d’Agroexpansión.

8 La totalité des actions de Taes et de Deltafina SpA (ci-après «Deltafina»), qui est une société italienne ayant pour activités principales la première transformation de tabac brut en Italie et la commercialisation de tabac transformé, sont détenues par Universal Leaf Tobacco Co. Inc. (ci-après «Universal Leaf»). Cette dernière est elle-même une filiale à 100 % de la société américaine Universal Corp. (ci-après «Universal»).

9 Les 3 et 4 octobre 2001, la Commission a effectué des vérifications au titre de l’article 14 du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux, notamment, de WWTE, afin de vérifier des informations selon lesquelles les transformateurs et les producteurs espagnols de tabac brut auraient commis des infractions à l’article 81 CE.

10 Le 11 décembre 2003, la Commission a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée à 20 entreprises ou associations, dont SCTC et SCC.

11 Le 20 octobre 2004, la Commission a adopté la décision litigieuse qui concerne, notamment, une entente horizontale conclue et mise en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut par les transformateurs et Deltafina.

12 Selon les constatations de la Commission, cette entente avait pour objet de fixer, chaque année, pendant la période 1996/2001, le prix moyen de livraison de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, et de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs. De 1999 à 2001, les transformateurs et Deltafina étaient également convenus des fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut
ainsi que des prix minimaux moyens par producteur et par groupement de producteurs.

13 Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que ladite entente constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, a imputé la responsabilité de l’entente, notamment, à Deltafina et aux transformateurs, a ordonné à ces entreprises de mettre immédiatement fin à cette infraction ainsi que de s’abstenir désormais de toute pratique restrictive ayant un objet ou un effet équivalent et a en outre infligé les amendes suivantes, à savoir 108000 euros à Taes,
1822500 euros à WWTE, 2592000 euros à Agroexpansión et 11880000 euros à Deltafina.

14 Il ressort également de la décision litigieuse que les trois sociétés mères de WWTE sont tenues pour solidairement responsables du paiement de l’amende infligée à cette dernière, tout comme Dimon Inc. du paiement de l’amende infligée à Agroexpansión. En revanche, Intabex n’a pas été tenue pour responsable de l’amende infligée à Agroexpansión et la responsabilité solidaire d’Universal et d’Universal Leaf n’a pas non plus été retenue à l’égard des amendes infligées à Taes et à Deltafina.

15 S’agissant des destinataires de la décision litigieuse, la Commission a précisé, aux considérants 375 et 376 de la décision litigieuse:

«(375) En l’espèce, trois des quatre transformateurs espagnols de tabac brut sont contrôlés (à 100 % ou à 90 %) par des multinationales américaines. Il existe par ailleurs d’autres éléments factuels qui confirment la présomption selon laquelle le comportement d’Agroexpansión et de WWTE doit être imputé à leur société mère respective. Dans ces cas, les deux sociétés — la société mère et sa filiale — doivent être considérées comme solidairement responsables des infractions constatées dans la
présente décision.

(376) [En revanche], après l’envoi de la communication des griefs et l’audition des parties, il est apparu que les preuves du dossier ne pouvaient pas justifier une conclusion similaire au sujet des participations d’Universal […] et d’Universal Leaf […] dans Taes et Deltafina. En fait, [à part] le lien soci[al] entre les sociétés mères et leurs filiales, le dossier ne contient aucune indication de participation matérielle d’Universal […] et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la
présente décision. Il ne conviendrait donc pas d’en faire les destinataires d’une décision dans cette affaire. La même conclusion s’appliquerait a fortiori à Intabex […] puisque sa participation de 100 % dans Agroexpansión était purement financière.»

16 En ce qui concerne plus particulièrement WWTE, la Commission a distingué deux périodes, eu égard aux circonstances relevées aux points 5 et 6 du présent arrêt. La première s’étend de 1995 jusqu’au 4 mai 1998 inclus (ci-après la «première période») et, la seconde, du 5 mai 1998 jusqu’à la date de l’adoption de la décision litigieuse (ci-après la «seconde période»).

17 Quant à la première période, la Commission a conclu, aux considérants 391 et 392 de la décision litigieuse et sur la base d’une série d’éléments énoncés, notamment, aux considérants 388 à 390 de cette décision, que WWTE était conjointement contrôlée par SCC, par l’intermédiaire de SCTC et de TCLT, ainsi que par le président de WWTE et sa famille, que SCC et/ou ses filiales ont exercé une influence effective sur le comportement de WWTE et que SCC avait mis en place certains mécanismes qui,
ensemble, lui permettaient d’être informée des activités de WWTE et donc de contrôler effectivement la politique commerciale de celle-ci.

18 Quant à la seconde période, la Commission a conclu, aux considérants 397 et 400 de la décision litigieuse et sur la base d’une série d’éléments énoncés, notamment, aux considérants 393 à 398 de cette décision, que SCC, soit directement, soit à travers SCTC et TCLT, a eu le contrôle exclusif de WWTE, que les arguments invoqués par SCC dans sa réponse à la communication des griefs ne justifient pas une conclusion différente à ce propos, que SCC et/ou ses filiales SCTC et TCLT ont donc exercé une
influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE et qu’elles doivent, partant, être tenues pour solidairement responsables des pratiques anticoncurrentielles reprochées.

II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2005, AOI, SCTC et TCLT ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse pour autant qu’elle les concerne.

20 À l’appui de leur recours, AOI, SCTC et TCLT ont soulevé deux moyens. Le premier moyen était tiré d’une violation des articles 81, paragraphe 1, CE et 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et, à titre subsidiaire, d’une motivation insuffisante de la décision litigieuse. Par leur second moyen, les requérantes invoquaient une violation du
principe d’égalité de traitement.

21 Ayant décidé d’examiner conjointement ces deux moyens, le Tribunal a, tout d’abord, rejeté comme non fondée la seconde branche du premier moyen, tirée d’une motivation insuffisante de la décision litigieuse.

22 Ensuite, le Tribunal a rejeté le second moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, en considérant que la Commission avait appliqué les mêmes principes à toutes les sociétés mères concernées pour déterminer s’il y avait lieu de leur imputer la responsabilité de l’infraction commise par leurs filiales. En particulier, il a jugé que la décision litigieuse ne révélait pas que cette institution avait, à cet égard, traité différemment la situation de SCC et de SCTC, d’une part, et
celle d’Universal, d’Universal Leaf ou d’Intabex, d’autre part.

23 Cette appréciation était fondée, notamment, sur les considérations suivantes, figurant aux points 155 à 157 de l’arrêt attaqué:

«155 […] s’agissant du cas particulier où une société mère détient la totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la Commission, dans un souci de prudence, ne s’est pas fondée exclusivement sur la présomption consacrée par la jurisprudence […] pour démontrer que la première exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de la seconde, mais a également tenu compte d’autres éléments de fait visant à
confirmer cet exercice. Toutefois, en procédant de la sorte, la Commission n’a fait qu’augmenter le niveau de preuve requis pour qu’elle considère comme établi que la condition relative à l’exercice effectif d’une influence déterminante était remplie […]

156 […] lorsque, dans une affaire mettant en cause une infraction impliquant plusieurs entreprises différentes, la Commission adopte, à l’intérieur du cadre fixé par la jurisprudence, une certaine méthode pour déterminer s’il y a lieu de retenir tant la responsabilité des filiales ayant matériellement commis cette infraction que celle de leurs sociétés mères, elle doit, sauf circonstances particulières, se fonder à cet effet sur les mêmes critères dans le cas de toutes ces entreprises.

157 La Commission est, en effet, tenue de respecter le principe d’égalité de traitement, qui, selon une jurisprudence constante, requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié […]»

24 S’agissant de la première branche du premier moyen, le Tribunal a constaté, pour la première période, au point 194 de l’arrêt attaqué, et pour la seconde période, au point 217 de celui-ci, que la Commission avait établi à suffisance de droit que SCC et SCTC exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE.

25 Aux points 195 à 197 ainsi que 218 et 219 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, pour les première et seconde périodes, que, en revanche, aucun des éléments invoqués par la Commission dans la décision litigieuse ne permettait de considérer que TCLT exerçait une influence déterminante sur le comportement de WWTE et que, partant, la Commission n’était pas fondée à imputer le comportement infractionnel de WWTE à TCLT ni à tenir cette dernière pour solidairement responsable du paiement de
l’amende.

26 En particulier, le Tribunal a jugé, au point 218 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne saurait se fonder sur le seul fait que la quasi-totalité du capital de WWTE était détenue par TCLT, puisque cette dernière serait alors traitée de manière discriminatoire par rapport à Intabex, à Universal et à Universal Leaf.

27 Enfin, aux points 220 à 229 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les arguments invoqués par les requérantes afin de démontrer que WWTE agissait de manière autonome sur le marché pendant la période infractionnelle. En conséquence, le Tribunal a annulé la décision litigieuse dans la mesure où elle concerne TCLT et rejeté le recours pour le surplus.

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

28 Par ordonnance du président de la Cour du 14 septembre 2011, les affaires C‑628/10 P et C‑14/11 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

29 Par leur pourvoi, AOI et SCTC demandent à la Cour:

— d’annuler l’arrêt attaqué et, pour autant qu’elle les concerne, la décision litigieuse;

— de réduire en conséquence l’amende infligée par cette décision, et

— de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

30 Dans son mémoire en réponse audit pourvoi, la Commission conclut au rejet de celui-ci et à la condamnation des requérantes aux dépens tant de première instance que du pourvoi.

31 Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour:

— d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a annulé la décision litigieuse en ce qui concerne TCLT;

— de rejeter le recours introduit par cette dernière devant le Tribunal, et

— de condamner TCLT aux dépens des deux instances.

32 Dans leur mémoire en réponse audit pourvoi, AOI, SCTC et TCLT concluent au rejet du pourvoi ainsi qu’à la condamnation de la Commission aux dépens tant de première instance que du pourvoi.

IV – Sur les pourvois

33 Il convient d’examiner, en premier lieu, le pourvoi introduit par la Commission.

A – Sur le pourvoi de la Commission

34 À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève quatre moyens. Les premier et quatrième moyens sont tirés de l’application erronée du principe d’égalité de traitement. Par son deuxième moyen, elle invoque une erreur de droit dans la détermination du critère juridique définissant la responsabilité des sociétés mères. Le troisième moyen consiste à soutenir que le Tribunal a commis une violation du droit à une procédure contradictoire et qu’il a retenu une interprétation erronée de l’obligation de
motivation.

35 Il convient d’examiner les premier et deuxième moyens ensemble.

1. Sur les premier et deuxième moyens

a) Argumentation des parties

36 Par son premier moyen, la Commission fait valoir, en premier lieu, que le Tribunal a méconnu le fait que le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le principe de légalité, de sorte que nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui. Partant, dès lors qu’une entreprise a enfreint l’article 81 CE, elle ne saurait échapper à une sanction au motif qu’aucune amende n’a été infligée à d’autres entreprises se trouvant dans des situations similaires.

37 En deuxième lieu, la Commission relève qu’elle avait invoqué ces arguments devant le Tribunal et elle estime que l’arrêt attaqué, dès lors qu’il n’en fait pas état, est entaché d’un défaut de motivation.

38 En troisième lieu, la Commission fait valoir que, en tant que société mère détenant la quasi-totalité du capital de WWTE, TCLT pouvait être présumée avoir exercé sur cette société une influence déterminante et le Tribunal n’aurait pas constaté que TCLT a réfuté cette présomption ni même qu’elle aurait tenté de le faire.

39 En quatrième lieu, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que TCLT devait échapper à toute responsabilité en raison du fait que d’autres sociétés se trouvant dans des situations prétendument similaires n’ont pas été tenues pour responsables. En particulier, elle estime que le considérant 384 de la décision litigieuse, auquel le Tribunal a fait référence, signifie que l’application du principe d’égalité de traitement suppose que les sociétés se trouvent
dans une situation similaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

40 Par son deuxième moyen, la Commission fait valoir que, en considérant que le fait d’avoir jugé, pour certaines entreprises, que l’exercice effectif d’une influence déterminante était fondé sur une «double base», et non pas exclusivement sur la présomption consacrée par la jurisprudence, comme la liant pour l’ensemble des destinataires de la décision litigieuse, le Tribunal a commis une erreur de droit. Le seul critère applicable serait celui établi par la jurisprudence, la Commission ne pouvant
ni augmenter le niveau de preuve requis en la matière ni lier, par une telle approche, le Tribunal dans son analyse juridique.

41 Partant, lorsque le critère juridique établi par la jurisprudence est rempli, il est indifférent de savoir, selon la Commission, si elle a ou non fourni des indices complémentaires afin de renforcer, par mesure de précaution, la conclusion à laquelle elle a abouti, ces indices ne se transformant pas, en tout état de cause, en un critère juridique contraignant pour l’appréciation de l’exercice effectif d’une influence déterminante d’une société mère sur le comportement de sa filiale.

b) Appréciation de la Cour

42 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Cette notion doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le
principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90/09 P, Rec. p. I-1, points 34 à 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P, Rec. p. I-8947, point 53).

43 En particulier, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission,
C-97/08 P, Rec. p. I-8237, point 58; Elf Aquitaine/Commission, précité, point 54, ainsi que du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520/09 P, Rec. p. I-8901, point 38).

44 En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, la Commission peut adresser une décision imposant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 59; General Química e.a./Commission, point 38, ainsi que Elf Aquitaine/Commission, point 55).

45 Afin d’établir si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, la Commission est, en principe, tenue de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive (voir, en ce sens, arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, points 73 et 74, ainsi que Elf
Aquitaine/Commission, point 58).

46 La Cour a précisé que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (arrêts du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et
Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201/09 P et C-216/09 P, Rec. p. I-2239, point 97, ainsi que Elf Aquitaine/Commission, précité, point 56).

47 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour qu’il puisse être présumé que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette
présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 61; Elf Aquitaine/Commission, point 57, ainsi que Arkema/Commission, point 41).

48 À titre liminaire, il convient de souligner que la présomption consacrée par la jurisprudence mentionnée aux points 46 et 47 du présent arrêt est réfragable.

49 En outre, cette jurisprudence n’implique pas que la Commission est tenue de se fonder exclusivement sur ladite présomption. En effet, rien n’empêche cette institution d’établir l’exercice effectif, par une société mère, d’une influence déterminante sur sa filiale par d’autres éléments de preuve ou par une combinaison de tels éléments avec ladite présomption.

50 En l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 134 à 147 de l’arrêt attaqué, il ressort de la décision litigieuse et il a été confirmé par la Commission, au cours de la procédure en première instance, que cette institution avait décidé, pour l’appréciation de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur les filiales par les sociétés mères, de ne tenir ces dernières pour responsables que lorsque des éléments de preuve venaient confirmer la présomption de l’exercice effectif
d’une influence déterminante sur les filiales qui découle du contrôle de l’ensemble du capital de celles-ci par les sociétés mères (méthode dite de la «double base») et que, partant, elle avait renoncé à s’en tenir à l’application de la seule présomption d’influence déterminante.

51 En outre, il est constant que cette approche était motivée par le fait que, lors de l’adoption de la décision litigieuse, la Commission avait des doutes, eu égard à l’état de la jurisprudence à l’époque, sur le point de savoir si le contrôle par une société mère de l’ensemble du capital de sa filiale permettait, à lui seul, de faire jouer la présomption, alors même qu’elle n’avait pas été renversée, et si ledit contrôle était ainsi suffisant aux fins de démontrer l’exercice effectif d’une
influence déterminante par une société mère sur sa filiale.

52 Par conséquent, force est de constater, d’une part, que c’est à bon droit que la Commission a choisi d’adopter, pour déterminer la responsabilité des sociétés mères en cause, l’une des méthodes sur lesquelles, eu égard à la constatation effectuée au point 49 du présent arrêt, il lui est loisible de se fonder légalement pour apprécier l’existence d’une telle influence déterminante.

53 D’autre part, le Tribunal a constaté à bon droit, au point 155 de l’arrêt attaqué, que, par le choix de cette méthode, la Commission s’est imposé à elle-même, pour apprécier l’imputabilité de l’entente en cause aux sociétés mères, une charge de la preuve de l’exercice effectif d’une influence déterminante plus contraignante que celle qui aurait été, en principe, considérée comme suffisante, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 du présent arrêt.

54 Or, aux points 195 à 197 ainsi que 218 et 219 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu’aucun des éléments de preuve figurant dans la décision litigieuse n’était susceptible de confirmer la présomption de l’exercice effectif par TCLT d’une influence déterminante sur WWTE et que l’absence de tels éléments avait amené la Commission, conformément à la méthode choisie, à ne pas retenir la responsabilité des sociétés mères Intabex, Universal et Universal Leaf.

55 Sur la base de ces constatations, le Tribunal a jugé que la Commission ne pouvait tenir TCLT pour solidairement responsable du paiement de l’amende en cause sans la traiter de manière discriminatoire par rapport à Intabex ainsi que par rapport à Universal et à Universal Leaf.

56 Il importe de souligner que, dans son pourvoi, la Commission ne met pas en cause ces constatations. Partant, elle ne conteste pas le fait qu’elle a appliqué la méthode choisie, à savoir celle de la double base, à l’ensemble des sociétés mères dont les filiales avaient participé à l’entente en cause, à l’exception de TCLT, pour laquelle les critères sur lesquels repose cette méthode n’étaient pas réunis dans la décision litigieuse. Il s’ensuit que la Commission a retenu la responsabilité de cette
société sur le seul fondement de la présomption en cause.

57 Or, aux points 156 et 157 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le principe d’égalité de traitement requiert que, lorsque la Commission adopte une méthode telle que celle de l’espèce pour déterminer s’il y a lieu de retenir la responsabilité des sociétés mères dont les filiales ont participé à une même entente, elle doit, sauf circonstances particulières, se fonder sur les mêmes critères dans le cas de toutes ces sociétés mères.

58 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2000, Weig/Commission, C-280/98 P, Rec. p. I-9757, points 63 à 68, et Sarrió/Commission, C-291/98 P, Rec.
p. I-9991, points 97 à 100).

59 Or, dès lors que l’imputation de la responsabilité d’une infraction commise par une filiale à une société mère est susceptible d’avoir, conformément à la méthode de calcul adoptée par la Commission, une incidence importante sur le montant de l’amende pouvant être infligée solidairement à ces sociétés, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 156 de l’arrêt attaqué, que cette même logique est applicable lorsque la Commission adopte, pour une entente et à l’intérieur du cadre fixé par la
jurisprudence, une méthode spécifique pour la détermination de la responsabilité des sociétés mères visées pour les infractions de leurs filiales.

60 Pour ce qui est de la présente espèce, il convient de préciser que, contrairement à ce que prétend la Commission, l’appréciation du Tribunal est fondée non pas sur la similitude des situations factuelles de TCLT, d’une part, ainsi que d’Intabex, d’Universal et d’Universal Leaf, d’autre part, mais sur la comparabilité des situations desdites sociétés au regard, à la fois, du niveau de preuve que la Commission estimait devoir exiger pour l’entente en cause, afin d’établir l’existence de l’exercice
effectif d’une influence déterminante des sociétés mères sur leurs filiales, et des éléments de preuve figurant dans la décision litigieuse.

61 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté l’existence d’une différence de traitement l’ayant amené à annuler partiellement la décision litigieuse.

62 Cette constatation n’est pas remise en cause par les exigences du principe de légalité, contrairement à ce que prétend la Commission.

63 En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 64 de ses conclusions, la Commission ayant adopté une méthode compatible avec la jurisprudence de la Cour relative à l’influence déterminante, aucune illégalité ne saurait avoir été commise par la Commission, de sorte que le principe de légalité ne pouvait écarter, en l’espèce, l’obligation pour la Commission de respecter le principe d’égalité de traitement.

64 Enfin, s’agissant du prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu des articles 36 et 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à
condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt attaqué et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C-480/09 P, Rec. p. I-13355, point 77 et jurisprudence citée).

65 En l’espèce, d’une part, il ressort du point 113 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a exposé l’argumentation présentée par la Commission en première instance. D’autre part, il résulte respectivement des points 156 et 157 ainsi que 218 et 219 dudit arrêt que le Tribunal a rejeté de manière implicite cette argumentation. En effet, il a considéré que, la Commission ayant adopté une méthode compatible avec la jurisprudence relative à l’influence déterminante, aucune illégalité n’avait été commise par
la Commission, de sorte que le principe de légalité ne pouvait écarter, en l’espèce, l’obligation pour la Commission de respecter le principe d’égalité de traitement.

66 En outre, lesdits points de l’arrêt attaqué permettant aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles celui-ci est fondé et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre du présent pourvoi, ledit arrêt n’est entaché d’aucun défaut de motivation contrairement à ce que soutient la Commission.

67 Dans ces conditions, les premier et deuxième moyens invoqués par la Commission au soutien de son pourvoi doivent être écartés.

2. Sur le troisième moyen du pourvoi de la Commission, tiré d’une violation du droit à une procédure contradictoire et d’une interprétation erronée de l’obligation de motivation

a) Argumentation des parties

68 La Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 196 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas en droit de se fonder sur les différences factuelles existant entre la situation, d’une part, de TCLT et, d’autre part, d’Intabex et d’Universal, parce qu’elles ne figuraient pas dans la décision litigieuse. En effet, la Commission estime qu’elle a explicité ces différences dans son mémoire en défense produit devant le Tribunal.

69 Considérant que l’obligation de motivation ne requiert pas de motiver le fait que l’acte en cause n’a pas été adressé à certaines parties tierces, la Commission estime qu’elle n’était pas tenue d’expliquer, dans la décision litigieuse, les raisons l’ayant amenée à ne pas adresser celle-ci à Intabex et à Universal ni de justifier, dans cette décision, la raison pour laquelle ces sociétés ont été traitées de façon prétendument différente.

70 La Commission souligne que TCLT n’avait ni invoqué la violation du principe d’égalité de traitement au cours de la procédure administrative ni soutenu, au cours de celle-ci, que son intérêt dans WWTE était de nature purement financière. En conséquence, elle n’aurait pu réfuter l’argument tiré d’une prétendue discrimination, pour la première fois, que dans son mémoire en défense devant le Tribunal.

71 Dans ces conditions, l’approche retenue par le Tribunal aurait empêché la Commission de se défendre contre une allégation de discrimination. Or, cette dernière estime être en droit de se fonder sur tout élément qu’elle juge nécessaire à sa défense lorsqu’un argument est soulevé pour la première fois devant le Tribunal. En particulier, selon la jurisprudence, elle ne serait pas tenue d’exposer dans ses décisions tous les arguments qu’elle pourrait invoquer par la suite pour s’opposer aux moyens
d’illégalité soulevés à l’encontre de ses actes.

b) Appréciation de la Cour

72 Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 147).

73 Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 148).

74 La motivation doit donc, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les instances de l’Union (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 149 et jurisprudence citée).

75 En particulier, lorsqu’une décision d’application des règles de l’Union en matière du droit de la concurrence concerne une pluralité de destinataires et porte sur l’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, à l’égard d’une société mère tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa
filiale, une telle décision doit, en principe, contenir un exposé des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à cette société.

76 En l’espèce, il convient de rappeler que le Tribunal a constaté, tout d’abord, que la Commission avait décidé, ainsi que cela ressort de la décision litigieuse, qu’elle ne retiendrait la responsabilité de chacune des sociétés mères visées que si des éléments de preuve suffisants venaient corroborer, dans chaque cas individuel, la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante découlant de la détention de l’ensemble du capital de leurs filiales respectives, ensuite, que,
s’agissant de TCLT, ladite décision ne fait référence à aucun élément de preuve confirmant cette présomption et, enfin, que l’absence de tels éléments a amené la Commission à ne pas retenir la responsabilité des sociétés mères Intabex, Universal et Universal Leaf.

77 Ainsi, en jugeant au point 196 de l’arrêt attaqué qu’une circonstance invoquée pour la première fois par la Commission dans son mémoire en défense devant le Tribunal ne saurait être prise en compte, ce dernier n’a commis aucune erreur de droit.

78 En outre, par cette application de la jurisprudence pertinente, le Tribunal n’a imposé à la Commission aucune obligation de motiver le fait que la décision litigieuse n’a pas été adressée à certaines parties tierces ni d’exposer tout argument pertinent qu’il était possible d’invoquer. En effet, le Tribunal s’est limité en substance à constater, au point 195 de l’arrêt attaqué, un défaut de motivation de la décision litigieuse au regard des critères que la Commission s’était imposés à elle-même
ainsi que, au point 196 dudit arrêt, l’impossibilité pour cette dernière de remédier en cours d’instance à un tel défaut.

79 Ainsi, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que les droits de la défense de la Commission ne s’étendent pas à la possibilité, pour cette dernière, de défendre la légalité de la décision litigieuse contre des allégations de discrimination par l’apport, en cours d’instance, d’éléments de preuve qui tendent à établir la responsabilité d’une société mère, mais qui ne figurent pas dans cette décision.

80 Il s’ensuit que le troisième moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi doit être écarté.

3. Sur le quatrième moyen du pourvoi de la Commission, tiré d’une application erronée du principe d’égalité de traitement

a) Argumentation des parties

81 La Commission considère que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, les situations factuelles d’Universal et d’Intabex, d’une part, et de TCLT, d’autre part, ne sont pas identiques, de sorte qu’aucune violation du principe d’égalité de traitement ne pouvait être constatée.

82 D’une part, la Commission rappelle que, contrairement à Intabex, TCLT était non pas une société intermédiaire de nature purement financière, mais la principale cliente de WWTE. Or, cette circonstance justifierait à la fois le recours à la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante et la constatation selon laquelle celle-ci n’a pas été renversée par TCLT.

83 D’autre part, la Commission fait valoir que les raisons ayant amené le Tribunal à considérer qu’Universal se trouvait dans la même situation que celle de TCLT ne sont pas exposées dans l’arrêt attaqué. Or, le Tribunal n’ayant pas répondu aux justifications invoquées par la Commission pour différencier la situation de TCLT de celle d’Universal, l’arrêt attaqué serait entaché d’un défaut de motivation.

b) Appréciation de la Cour

84 Il résulte des articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits
et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551/03 P, Rec. p. I-3173, point 51, et du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C-352/09 P, Rec. p. I-2359, point 179).

85 La Cour a également précisé que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêts du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C-397/03 P, Rec. p. I-4429, point 85, ainsi que ThyssenKrupp Nirosta/Commission, précité, point 180).

86 Or, en l’espèce, force est de constater que, par son argumentation visant l’absence d’identité des situations factuelles d’Universal et d’Intabex, d’une part, et de TCLT, d’autre part, la Commission demande à la Cour de vérifier des appréciations de nature factuelle effectuées par le Tribunal.

87 En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 60 du présent arrêt, l’appréciation du Tribunal est fondée non pas sur une comparaison des situations factuelles desdites sociétés, mais sur la comparabilité de leur situation au regard du niveau de preuve que la Commission estimait devoir exiger et des éléments de preuve figurant dans la décision litigieuse.

88 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 134 de ses conclusions, le grief tiré d’un prétendu défaut de motivation en ce qui concerne la comparabilité des situations respectives de TCLT et d’Universal est inopérant, l’arrêt attaqué exposant à suffisance de droit les raisons ayant amené le Tribunal à considérer que TCLT et Intabex étaient dans une situation similaire. En effet, dès lors que le Tribunal a jugé que, sans justification, la Commission avait traité TCLT et
Intabex de manière différente, il a déjà établi, à suffisance de droit, l’existence de l’inégalité de traitement qu’il a retenue.

89 Dans ces conditions, le quatrième moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli et, partant, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

B – Sur le pourvoi d’AOI et de SCTC

90 À l’appui de leur pourvoi, AOI et SCTC soulèvent trois moyens tirés, respectivement, de la violation des articles 81, paragraphe 1, CE et 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, de la violation de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ainsi que des droits de la défense et, enfin, de la violation de l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), qui consacre le principe d’égalité de traitement. En cas d’annulation, AOI
et SCTC demandent une réduction de l’amende qui leur a été infligée.

1. Sur le premier moyen, tiré de la violation des articles 81, paragraphe 1, CE et 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003

91 Le premier moyen comporte deux branches tirées, la première, de la circonstance que les sociétés mères de WWTE n’étaient pas en mesure, au cours de la première période, à savoir avant le 5 mai 1998, d’exercer une influence déterminante sur leur filiale et, la seconde, du fait que l’arrêt attaqué prive AOI et SCTC de certains droits fondamentaux dont elles disposent.

a) Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’absence d’influence déterminante de SCC et de SCTC sur WWTE

i) Argumentation des parties

92 En premier lieu, AOI et SCTC reprochent au Tribunal d’avoir confirmé que, au cours de la première période, elles étaient en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de WWTE. Au cours de cette période, SCC n’aurait détenu, par l’intermédiaire de TCLT, que 66 % du capital de WWTE. Or, les décisions de l’assemblée générale de cette dernière société ne pouvaient être adoptées qu’avec une majorité représentant 75 % du capital social.

93 AOI et SCTC considèrent que, si la notion d’influence déterminante au sens du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1) est une notion négative qui serait donc avérée lorsqu’un actionnaire dispose d’un pouvoir de blocage, une telle notion ne permet pas d’établir des responsabilités au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE, disposition qui impliquerait que l’imputation de responsabilités ne puisse
intervenir qu’en raison d’actions positives accomplies par la société mère à l’égard de ses filiales.

94 Par ailleurs, AOI et SCTC reprochent au Tribunal d’avoir déclaré que, si elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE, cela impliquerait nécessairement qu’elles étaient en mesure d’exercer une telle influence. En effet, ces deux critères, à savoir, d’une part, celui de la capacité d’exercer une influence déterminante et, d’autre part, celui de l’exercice effectif d’une telle influence, seraient indépendants l’un de l’autre.

95 AOI et SCTC soulignent que les preuves fournies par la Commission ont démontré non pas que SCC a donné des instructions à WWTE, mais uniquement que SCC était informée des pratiques en cause. Or, cette seule information ne prouverait pas que SCC a exercé ou pouvait exercer une influence déterminante sur le comportement de WWTE.

96 Enfin, AOI et SCTC estiment que, en l’absence d’une constatation d’une responsabilité solidaire de TCLT, le contrôle indirect et négatif exercé sur WWTE par SCC n’était pas suffisant pour imputer à celle-ci la responsabilité du comportement de WWTE.

97 En second lieu, AOI et SCTC font valoir que le Tribunal a fait une application erronée de la notion d’entreprise unique. Selon elles, si des liens économiques, organisationnels et juridiques unissaient WWTE, SCC et l’actionnaire minoritaire, l’entreprise unique devait inclure l’ensemble de ceux-ci. SCC n’ayant pu, au cours de la première période, exercer à elle seule une influence déterminante sur WWTE, cette dernière et SCC seules n’auraient pas pu être considérées comme une unité économique
unique.

98 AOI et SCTC précisent que la Commission n’a pas évoqué l’influence que l’actionnaire minoritaire pouvait ou non exercer et que, s’agissant de ce dernier, le Tribunal n’a pas vérifié s’il était en mesure d’influencer WWTE. Dès lors, aucune circonstance ne justifierait l’imputation de la responsabilité exclusive du comportement de WWTE à SCC.

99 La Commission conclut au rejet de la première branche du premier moyen. En particulier, elle fait valoir que l’argument d’AOI et de SCTC selon lequel, en cas de contrôle conjoint, la responsabilité d’une infraction de la filiale doit être imputée aux deux actionnaires exerçant le contrôle en commun n’a pas été soulevé en première instance et, dès lors, elle considère que cet argument est irrecevable.

ii) Appréciation de la Cour

100 À titre liminaire, s’agissant de l’irrecevabilité invoquée par la Commission en ce qui concerne l’argument soulevé par AOI et SCTC, tiré de l’application erronée de la notion d’entreprise unique, il convient de l’écarter, dès lors que cet argument peut être considéré comme un développement de celui précédemment exposé devant le Tribunal et dont les points 56 et 57 de l’arrêt attaqué rendent compte.

101 Quant au fond, la Cour a déjà jugé que l’exercice d’un contrôle conjoint, par deux sociétés mères indépendantes l’une de l’autre sur leur filiale, ne s’oppose pas, en principe, à la constatation, par la Commission, de l’existence d’une unité économique entre l’une de ces sociétés mères et la filiale en cause et que ceci vaut même si cette société mère dispose d’une part du capital de la filiale moins importante que l’autre société mère (voir, en ce sens, arrêt AceaElectrabel
Produzione/Commission, précité, point 64). Cela étant, c’est à plus forte raison qu’une société mère et sa filiale, qui est elle-même la société mère de celle qui a commis une infraction, peuvent toutes deux être considérées comme constituant une unité économique avec cette dernière société.

102 En outre, ainsi qu’il a été rappelé aux points 42 à 44 du présent arrêt, la Commission peut adresser une décision infligeant des amendes à la société mère d’une filiale ayant participé à une infraction à l’article 81 CE sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle dans l’infraction de cette société mère, à condition que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale.

103 Il s’ensuit que le seul fait que SCC et SCTC n’exerçaient, au cours de la période en cause, qu’un contrôle conjoint sur WWTE ne s’oppose pas à la constatation de l’existence d’une unité économique entre ces sociétés, à condition que soit établi l’exercice effectif, par SCC et SCTC, d’une influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE.

104 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a examiné de manière circonstanciée, aux points 172 à 193 de l’arrêt attaqué, les éléments de preuve sur lesquels s’appuyait la Commission avant de conclure, au point 194 du même arrêt, que ces éléments établissent à suffisance de droit l’exercice effectif d’une telle influence déterminante.

105 Eu égard, notamment, aux éléments examinés aux points 182 à 186 de l’arrêt attaqué, qui concernent l’influence exercée par SCTC sur WWTE, les considérations figurant aux points 172 à 194 de l’arrêt attaqué, d’une part, ne sont entachées d’aucune erreur de droit et, d’autre part, ont pu à bon droit amener le Tribunal, contrairement à ce que prétendent AOI et SCTC, à constater l’exercice effectif d’une telle influence déterminante.

106 Eu égard à ce qui précède, la première branche du premier moyen du pourvoi introduit par AOI et SCTC doit être écartée.

b) Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation des droits fondamentaux

i) Argumentation des parties

107 AOI et SCTC considèrent que l’arrêt attaqué viole certains de leurs droits fondamentaux, à savoir le droit à la présomption d’innocence et les principes de légalité et de personnalité des délits et des peines prévus aux articles 48 et 49 de la Charte. Selon elles, l’entrée en vigueur de la Charte a une incidence directe en l’espèce, lesdits principes ayant désormais la même valeur que le droit primaire.

108 AOI et SCTC soutiennent que, conformément auxdits droits fondamentaux, une présomption de culpabilité est en principe interdite et ne doit être admise que dans des circonstances exceptionnelles. Or, le Tribunal aurait appliqué la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante découlant de la détention à 100 % des actions d’une filiale sans qu’il y ait eu, en l’espèce, des circonstances exceptionnelles. En outre, les amendes qui leur ont été infligées seraient substantielles et
non pas minimales.

109 La Commission considère que la seconde branche du premier moyen invoqué au soutien du pourvoi est irrecevable, en faisant valoir, notamment, qu’elle repose sur des arguments nouveaux.

ii) Appréciation de la Cour

110 Ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, AOI et SCTC n’ont pas soulevé dans leur requête en première instance les arguments invoqués dans le cadre de la seconde branche du premier moyen de leur pourvoi.

111 Or, il ressort d’une jurisprudence constante que permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui (arrêt AceaElectrabel Produzione/Commission,
précité, point 113 et jurisprudence citée).

112 En conséquence, il convient d’écarter la seconde branche du premier moyen comme étant irrecevable.

113 En tout état de cause, l’argumentation résumée au point 108 du présent arrêt est dénuée de tout fondement, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 du présent arrêt.

114 Partant, le premier moyen doit être rejeté dans sa totalité.

2. Sur le deuxième moyen du pourvoi introduit par AOI et SCTC, tiré de la violation des droits de la défense ainsi que de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal

a) Argumentation des parties

115 En premier lieu, AOI et SCTC prétendent que le Tribunal a violé les droits de la défense en reprenant à son compte, en violation de l’article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, un nouvel argument présenté par la Commission dans sa réponse à une question écrite du Tribunal.

116 En effet, dans ladite réponse, la Commission serait revenue sur ses déclarations antérieures selon lesquelles Universal et Universal Leaf auraient réussi, lors de la procédure administrative, à renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante découlant de la détention de 100 % des actions de Deltafina et aurait affirmé, pour la première fois, qu’elle avait choisi de ne pas se fonder exclusivement sur cette présomption, mais d’établir la responsabilité sur une double
base, en tenant également compte d’éléments de preuve supplémentaires dont elle alléguait qu’ils faisaient défaut en ce qui concerne les sociétés mères Universal et Universal Leaf. Or, AOI et SCTC n’auraient pas eu la possibilité, dans leurs écritures, de répondre à l’argument tiré de ladite double base.

117 En second lieu, AOI et SCTC soulignent que la Commission est tenue, selon une jurisprudence constante, de suivre le raisonnement figurant dans la décision litigieuse et ne peut pas justifier celle-ci a posteriori devant le juge de l’Union. Or, une telle exigence s’appliquerait a fortiori au Tribunal.

118 AOI et SCTC relèvent que les considérants 371 à 373 de la décision litigieuse ne contiennent aucune référence au critère de la double base retenu par le Tribunal. Ce dernier aurait donc déterminé la méthode prétendument appliquée par la Commission en la déduisant, a posteriori, du contexte de cette décision. Or, les raisons qui ont pu amener la Commission à s’exprimer de façon ambiguë dans ladite décision n’autoriseraient pas, en tout état de cause, le Tribunal à pallier les failles du
raisonnement de la Commission ni à raisonner a posteriori.

119 La Commission considère que le deuxième moyen du pourvoi est irrecevable, parce qu’un argument fondé sur une irrégularité de procédure devant le Tribunal ne serait recevable au stade du pourvoi que si cette irrégularité a porté atteinte aux intérêts de la partie requérante. Or, AOI et SCTC n’auraient pas établi que leurs intérêts ont été lésés. En outre, la Commission soutient que ce moyen est inopérant.

b) Appréciation de la Cour

120 À titre liminaire, il convient de rejeter l’argumentation par laquelle la Commission soutient que le présent moyen est irrecevable. En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 187 et 188 de ses conclusions, les arguments invoqués par AOI et SCTC sont tirés d’une violation des droits de la défense. Or, une telle violation, si elle devait être avérée, est susceptible d’entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.

121 Toutefois, en ce qui concerne le fond, il doit être constaté d’emblée que, contrairement à ce que prétendent AOI et SCTC, le Tribunal a fondé son appréciation non pas sur un nouvel argument présenté par la Commission en cours d’instance, mais sur sa propre interprétation de la décision litigieuse, considérée dans son ensemble, ainsi que cela ressort des points 141 et suivants de l’arrêt attaqué. En particulier, il résulte du point 147 de celui-ci que les déclarations faites par la Commission en
cours d’instance n’ont été prises en compte par le Tribunal qu’en vue de corroborer sa propre interprétation de cette décision.

122 Par conséquent, d’une part, l’argument invoqué par AOI et SCTC selon lequel le Tribunal n’aurait pas examiné le raisonnement figurant dans la décision litigieuse, mais aurait repris à son compte un nouvel argument présenté par la Commission en cours d’instance doit être rejeté.

123 D’autre part, l’argument d’AOI et de SCTC tiré d’une violation de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal est, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, inopérant. En tout état de cause, contrairement à ce qu’elles prétendent, cette disposition ne saurait être interprétée comme ayant pour objet de restreindre le pouvoir d’appréciation du Tribunal, de sorte que ce dernier serait empêché de retenir une interprétation donnée d’une décision au motif que la même
interprétation a été proposée de manière tardive par l’une des parties à la procédure. En outre, AOI et SCTC ont eu l’occasion, lors de l’audience en première instance, de prendre position sur les déclarations de la Commission.

124 Il s’ensuit que le deuxième moyen invoqué au soutien du pourvoi doit être écarté.

3. Sur le troisième moyen du pourvoi d’AOI et de SCTC, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

a) Argumentation des parties

125 En premier lieu, AOI et SCTC font valoir que le critère tiré de la double base, adopté par le Tribunal pour établir l’exercice effectif d’une influence déterminante et imputer ainsi aux sociétés mères la responsabilité du comportement de leurs filiales contrôlées à 100 %, comporte trois erreurs de droit.

126 Premièrement, cette méthode donnerait lieu à des discriminations entre les sociétés selon la solidité de leur argumentation dans le cadre du recours. En effet, en adoptant une méthode qui, par prudence, filtre les cas de renversement de la présomption en cause selon la disponibilité d’éléments de preuve supplémentaires, la Commission aurait agi de manière spéculative et discriminatoire à l’encontre des sociétés visées dans la décision litigieuse par rapport à celles qui ne sont pas concernées
par celle-ci.

127 Deuxièmement, AOI et SCTC estiment que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait augmenté le niveau de preuve requis, le Tribunal n’ayant pas déclaré que la Commission avait subordonné l’application de la présomption en cause à des indices supplémentaires. La Commission aurait donc pu appliquer cette présomption sans recourir à une autre base pour justifier l’exercice effectif d’une influence déterminante.

128 Troisièmement, AOI et SCTC relèvent que, au considérant 376 de la décision litigieuse, la Commission a exclu la responsabilité d’Universal et d’Universal Leaf, car le dossier ne contenait aucune indication de la participation matérielle de ces dernières à l’infraction. Or, la Commission n’ayant jamais affirmé que SCC ou SCTC avaient matériellement participé à l’infraction commise par WWTE et ayant néanmoins retenu leur responsabilité, elle leur aurait appliqué des critères différents et,
partant, violé le principe d’égalité de traitement.

129 En second lieu, AOI et SCTC invoquent une violation du principe d’égalité de traitement lors de l’application de la méthode d’imputation de la responsabilité de l’infraction.

130 D’une part, le Tribunal aurait omis d’examiner s’il existait une unité économique unique entre Deltafina, Universal et Universal Leaf. Partant, selon AOI et SCTC, le Tribunal ne pouvait pas déterminer si elles ont été traitées de manière discriminatoire par rapport à ces dernières. En outre, il ressortirait du dossier qu’Universal avait informé la Commission qu’elle soutenait la décision de Taes, qui est sa filiale, de coopérer et que deux filiales avaient participé aux pratiques, ce qui pouvait
indiquer l’exercice d’une influence déterminante sur ces filiales.

131 D’autre part, AOI et SCTC soutiennent que la situation de SCC et de SCTC était tout à fait analogue à celle d’Universal et d’Universal Leaf, toutes ces sociétés ayant détenu 100 % des actions de leurs filiales respectives. Le Tribunal ayant partiellement annulé la décision litigieuse pour autant qu’elle concernait TCLT, il aurait également dû annuler l’imputation de la responsabilité à SCC et à SCTC pour éviter un traitement discriminatoire par rapport à Universal et à Universal Leaf.

b) Appréciation de la Cour

132 En premier lieu, s’agissant du critère de la double base adopté, selon les constatations du Tribunal, par la Commission pour déterminer la responsabilité des sociétés mères dont les filiales ont participé à l’entente visée par la décision litigieuse, il convient de rappeler que le Tribunal a déduit cette approche de la Commission d’une analyse circonstanciée de cette décision et que cette analyse n’est entachée d’aucune erreur de droit, ainsi que cela a été constaté au point 121 du présent
arrêt.

133 En particulier, c’est à bon droit que, par son interprétation, le Tribunal a réfuté la lecture du considérant 376 de la décision litigieuse proposée par AOI et SCTC, selon laquelle c’était en raison de l’absence d’éléments indiquant la participation matérielle d’Universal Leaf et d’Universal à l’infraction que la Commission n’a pas retenu la responsabilité de ces dernières sociétés, une telle lecture étant en contradiction avec une lecture d’ensemble de cette décision, et en particulier avec les
considérants 18, 376, 384, 391, 392, 397, 399 et 400 de celle-ci, examinés d’ailleurs par le Tribunal aux points 133 et suivants de l’arrêt attaqué.

134 Par ailleurs, il a été constaté aux points 51 à 53 du présent arrêt que, eu égard aux doutes que nourrissait la Commission quant à la légalité d’une décision s’appuyant sur la seule présomption non réfutée d’une influence déterminante, le Tribunal pouvait juger que, en l’espèce, il était loisible à la Commission de se fixer une charge de la preuve plus contraignante que celle qui aurait été, en principe, considérée comme suffisante, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 du
présent arrêt.

135 Il convient de préciser que le critère de la double base utilisé par le Tribunal est un critère objectif, dès lors qu’il se limite à requérir des éléments de preuve venant confirmer la présomption de l’exercice d’une influence déterminante par la société mère en cause sur sa filiale découlant de la détention de l’ensemble du capital de cette dernière. Ainsi, contrairement à ce que prétendent AOI et SCTC, ce critère n’est pas fondé sur la solidité des argumentations respectives développées par
les sociétés visées par la décision litigieuse.

136 En second lieu, s’agissant de l’application en l’espèce du critère de la double base, il convient de relever que, par leur argumentation, AOI et SCTC font valoir, en substance, que le Tribunal aurait dû vérifier s’il existait une unité économique entre Deltafina, Universal et Universal Leaf et que, en cas de constatation positive à cet égard, le Tribunal aurait dû annuler la décision litigieuse pour autant qu’elle concerne SCC et SCTC, ces dernières ayant été traitées de manière discriminatoire
par rapport à Universal et à Universal Leaf.

137 Il suffit de rappeler, à cet égard, que le Tribunal a relevé à bon droit, aux points 141 à 147 de l’arrêt attaqué, que la Commission a appliqué le même critère juridique à toutes les sociétés mères et que, à l’exception du cas de TCLT, elle a retenu ou non la responsabilité desdites sociétés en fonction de l’existence d’éléments de preuve venant confirmer la présomption de l’exercice d’une influence déterminante de ces dernières découlant de la détention, par les sociétés mères, de l’ensemble du
capital de leurs filiales respectives.

138 Dans ces conditions, aucune violation du principe d’égalité de traitement n’ayant été établie par AOI et SCTC, le troisième moyen invoqué au soutien du pourvoi de ces dernières doit être écarté.

4. Sur la demande de réduction de l’amende

139 AOI et SCTC considèrent que, en cas d’annulation de la décision litigieuse, l’amende infligée à AOI et à SCTC devrait être réduite.

140 Étant donné que, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’annuler la décision litigieuse, la demande de réduction de l’amende infligée à AOI et à SCTC, laquelle n’a, au demeurant, pas été présentée devant le Tribunal, doit en tout état de cause être rejetée.

141 Aucun des moyens invoqués par AOI et SCTC au soutien de leur pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté.

V – Sur les dépens

142 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

143 AOI et SCTC ayant succombé en leurs moyens dans le cadre du pourvoi dans l’affaire C‑628/10 P et la Commission ayant conclu à leur condamnation, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents à ce pourvoi.

144 La Commission ayant succombé en ses moyens dans le cadre du pourvoi dans l’affaire C‑14/11 P et AOI ainsi que SCTC ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à ce pourvoi.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

  1) Les pourvois sont rejetés.

  2) Alliance One International Inc. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. supportent leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, afférents au pourvoi dans l’affaire C‑628/10 P.

  3) La Commission européenne supporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Alliance One International Inc., par Standard Commercial Tobacco Co. Inc. et par Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd, afférents au pourvoi dans l’affaire C‑14/11 P.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-628/10
Date de la décision : 19/07/2012
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut — Fixation des prix et répartition du marché — Infraction à l’article 81 CE — Imputabilité du comportement infractionnel de filiales à leurs sociétés mères — Présomption d’innocence — Droits de la défense — Obligation de motivation — Égalité de traitement.

Concurrence

Ententes


Parties
Demandeurs : Alliance One International Inc., anciennement Standard Commercial Corp. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc.
Défendeurs : Commission européenne et Commission européenne

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:479

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