Affaires jointes C-463/10 P et C-475/10 P
Deutsche Post AG
et
République fédérale d’Allemagne
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Aides d’État — Règlement (CE) nº 659/1999 — Article 10, paragraphe 3 — Décision portant injonction de fournir des informations — Acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE»
Sommaire de l'arrêt
1. Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Actes destinés à produire des effets juridiques — Notion — Conditions
(Art. 263 TFUE)
2. Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Actes produisant des effets juridiques obligatoires — Décision de la Commission portant injonction adressée à un État membre de fournir des informations dans le cadre d'une procédure d'aide d'État, prise en vertu de l'article 10, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999 — Inclusion
(Art. 263, al. 1, TFUE et 288, al. 4, TFUE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 10, § 2 et 3)
3. Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Actes préparatoires — Exclusion — Décision de la Commission portant injonction adressée à un État membre de fournir des informations, prise en vertu de l'article 10, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999 — Acte produisant des effets juridiques autonomes — Inclusion
(Art. 258 TFUE et 263 TFUE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 10, § 3)
4. Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement — Décision de la Commission portant injonction adressée à un État membre de fournir des informations relatives à une entreprise publique, prise en vertu de l'article 10, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999 — Recours exercé par cette entreprise — Admissibilité
(Art. 263 TFUE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 10, § 3)
1. Dans le cadre de recours en annulation introduits par des États membres ou des institutions, sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires. Un État membre est, en outre, recevable à introduire un recours en annulation d’un acte produisant de tels effets obligatoires sans qu’il doive démontrer un intérêt à agir.
Lorsque le recours en annulation contre un acte adopté par une institution est introduit par une personne physique ou morale, celui-ci n’est ouvert que si les effets juridiques obligatoires de cet acte sont de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci. Lorsqu'un recours en annulation est introduit par une partie requérante non privilégiée contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, cette dernière exigence relative à
l'affectation des intérêts de la requérante, se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
(cf. points 36-38)
2. Une décision de la Commission prise en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999, portant modalités d'application de l'article 108 TFUE, et enjoignant à un État membre de lui fournir des renseignements concernant une aide prétendument illégale vise à produire des effets de droit obligatoires et constitue, dès lors, un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. En effet, une telle injonction s'inscrit dans la seconde phase de la procédure instituée par
l'article 10 de ce règlement afin de permettre à la Commission d’obtenir de l’État membre concerné les informations nécessaires relatives à une telle aide, phase qui se traduit par l’adoption d’une décision, au sens de l’article 288 TFUE, par la Commission. En prévoyant qu’une injonction de fournir des informations prend la forme d’une décision, le législateur de l’Union a eu l’intention d’attribuer un caractère contraignant à un tel acte.
(cf. points 41, 43-45)
3. Des mesures intermédiaires, dont l’objectif est de préparer la décision finale, ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. En effet, un recours en annulation dirigé contre des actes exprimant une opinion provisoire de la Commission pourrait obliger le juge de l’Union à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles l’institution concernée n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer et aurait ainsi pour conséquence une
anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire. Admettre un tel recours serait donc incompatible avec les systèmes de répartition des compétences entre la Commission et le juge de l’Union et des voies de recours, prévus par le traité, ainsi qu’avec les exigences d’une bonne administration de la justice et d’un déroulement régulier de la procédure administrative de la Commission.
Un acte intermédiaire n’est pas non plus susceptible de recours s’il est établi que l’illégalité qui lui est attachée pourra être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d’élaboration. Dans de telles conditions, le recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure assurera une protection juridictionnelle suffisante. Si cette dernière condition n’est pas satisfaite, il sera considéré que l’acte intermédiaire produit des effets
juridiques autonomes et, partant, doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation.
Tel est le cas d'une injonction, adressée par la Commission à un État membre, de fournir des informations sur les recettes et les coûts d'une entreprise publique dans le cadre d'une procédure de constatation d'une aide d'État, en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement nº 659/1999, portant modalités d'application de l'article 108 TFUE. En effet, un recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure relative à une telle aide d’État n’est pas de nature à assurer une
protection juridictionnelle suffisante à l’égard des parties requérantes étant donné, d'une part, que l'illégalité qui entacherait l’acte intermédiaire, à savoir le caractère disproportionné de l'injonction en ce qu'elle viserait des informations non pertinentes, ne pourrait pas affecter la légalité de la décision finale de la Commission, puisque cette décision ne sera pas fondée sur les informations obtenues en réponse à ladite injonction, et, d'autre part, que le refus de l’État membre concerné de
déférer à une telle injonction constitue un manquement à une obligation qui lui incombe en vertu des traités au sens de l’article 258 TFUE, dans le cadre de laquelle la non-exécution d'une telle injonction ne saurait être justifiée sur la base de sa prétendue illégalité. Par conséquent, c'est dans le cadre d’une procédure distincte, à savoir celle d’un recours en annulation visé à l’article 263 TFUE, que toute contestation de la légalité d’une telle injonction doit s’effectuer.
(cf. points 50-60)
4. Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. À cet égard, une injonction, adressée par la Commission à un État membre, de fournir des informations sur les recettes et les coûts d'une entreprise publique dans le cadre d'une procédure de constatation d'une aide d'État, en application de l’article 10,
paragraphe 3, du règlement nº 659/1999, portant modalités d'application de l'article 108 TFUE, affecte directement cette entreprise dans la mesure où, en premier lieu, en tant que bénéficiaire de la mesure sur laquelle portent les informations visées par cette injonction et en tant que détentrice de ces informations, celle-ci sera contrainte de donner suite à l’injonction de fournir des informations et, en deuxième lieu, le contenu définitif et exhaustif des informations demandées ressort de l’acte
litigieux lui-même, sans laisser de pouvoir d’appréciation à l'État membre concerné. Une telle entreprise est, en outre, individuellement concernée par une telle injonction dès lors que les informations qui y sont visées concernent uniquement cette entreprise, dans le cadre d'une procédure d’examen d’une prétendue aide d’État dont elle aurait bénéficié.
(cf. points 65, 68-70, 74)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
13 octobre 2011 (*)
«Pourvoi – Aides d’État – Règlement (CE) n° 659/1999 – Article 10, paragraphe 3 – Décision portant injonction de fournir des informations – Acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE»
Dans les affaires jointes C‑463/10 P et C‑475/10 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits, respectivement, les 24 et 27 septembre 2010,
Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par M^es J. Sedemund et T. Lübbig, Rechtsanwälte,
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze, J. Möller et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,
parties requérantes,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. B. Martenczuk et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. K. Lenaerts (rapporteur), président de chambre, M. J. Malenovský, M^me R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász et D. Šváby, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. B. Fülöp, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mai 2011,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 juin 2011,
rend le présent
Arrêt
1 Par leurs pourvois, Deutsche Post AG (ci-après «Deutsche Post») et la République fédérale d’Allemagne demandent l’annulation, respectivement, des ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2010, Deutsche Post/Commission (T-570/08), et Allemagne/Commission (T-571/08, ci‑après, ensemble, les «ordonnances attaquées»), par lesquelles le Tribunal a déclaré irrecevables leurs recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 30 octobre 2008 portant injonction à la
République fédérale d’Allemagne de fournir des informations dans la procédure d’aide d’État en faveur de Deutsche Post (ci-après l’«acte litigieux»).
Le cadre juridique
2 L’article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), oblige un État membre qui notifie un projet d’octroi d’une aide nouvelle à la Commission européenne de fournir, dans sa notification, «tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision conformément aux articles 4 et 7».
3 L’article 5 du règlement n° 659/1999 dispose:
«1. Si la Commission considère que les informations fournies par l’État membre concerné au sujet d’une mesure notifiée conformément à l’article 2 sont incomplètes, elle demande tous les renseignements complémentaires dont elle a besoin. […]
2. Si l’État membre ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti par la Commission, ou les lui fournit de façon incomplète, celle-ci lui adresse un rappel, en fixant un délai supplémentaire adéquat dans lequel les renseignements doivent être communiqués.
3. Si les renseignements demandés ne sont pas fournis dans le délai fixé, la notification est réputée avoir été retirée […]»
4 L’article 10 du règlement n° 659/1999 prévoit:
«1. Lorsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, elle examine ces informations sans délai.
2. Le cas échéant, elle demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements. L’article 2, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphes 1 et 2, s’appliquent mutatis mutandis.
3. Si, en dépit du rappel qui lui a été adressé en vertu de l’article 5, paragraphe 2, l’État membre concerné ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission arrête une décision lui enjoignant de fournir lesdits renseignements (ci-après dénommée ‘injonction de fournir des informations’). Cette décision précise la nature des informations requises et fixe un délai approprié pour leur communication.»
5 Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999:
«L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4. Dans le cas d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la procédure est clôturée par voie de décision au titre de l’article 7. Au cas où un État membre omet de se conformer à une injonction de fournir des informations, cette décision est prise sur la base des renseignements disponibles.»
6 L’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), dispose que «[l]orsque la Commission demande par décision aux entreprises et associations d'entreprises de fournir des renseignements, elle indique […] le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision».
Les antécédents du litige
7 Le 12 septembre 2007, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen, au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, s’agissant de l’aide d’État en faveur de Deutsche Post AG [C 36/07 (ex NN 25/07)]. Un résumé de cette décision a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (C 245, p. 21).
8 Le 17 juillet 2008, la Commission a transmis à la République fédérale d’Allemagne une demande de renseignements comprenant un questionnaire sur les recettes et les coûts de Deutsche Post pour la période allant de l’année 1989 à l’année 2007. Les 12 et 21 août 2008, la Commission lui a envoyé une lettre de rappel, lui demandant une nouvelle fois de lui transmettre les informations demandées.
9 Dans ses réponses des 5 août, 14 août et 29 septembre 2008, la République fédérale d’Allemagne a confirmé qu’elle refusait de transmettre les données relatives aux produits et aux charges de Deutsche Post postérieures à l’année 1995. Elle alléguait notamment que l’examen de la Commission devrait se limiter à la période allant de l’année 1989 à l’année 1994 et que la réponse audit questionnaire exigerait un investissement en temps et en travail disproportionné.
10 Par l’acte litigieux, la Commission a enjoint à la République fédérale d’Allemagne, en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, de fournir dans les 20 jours toutes les informations nécessaires pour répondre au questionnaire en cause. La Commission a ajouté que si, malgré cette injonction, les autorités allemandes ne fournissaient pas dans le délai imparti les informations demandées, elle prendrait sa décision sur la base des renseignements disponibles,
conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999.
La procédure devant le Tribunal et les ordonnances attaquées
11 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 22 décembre 2008, Deutsche Post (affaire T‑570/08) et la République fédérale d’Allemagne (affaire T‑571/08) ont chacune introduit un recours tendant à l’annulation de l’acte litigieux.
12 Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 19 mars 2009, la Commission a soulevé, dans chaque affaire, une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Le Tribunal a fait droit à cette exception en jugeant que l’acte litigieux ne constitue pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
13 Ainsi, aux points 24 à 26 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, et 22 à 25 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, le Tribunal relève, d’une part, qu’il y a lieu de s’attacher à la substance d’un acte, et non à sa forme, aux fins de déterminer s’il constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE et, d’autre part, qu’une mesure intermédiaire dont l’objectif est de préparer la décision finale et qui ne produit pas d’effets juridiques ne peut pas faire l’objet
d’un recours en annulation. Le Tribunal se réfère à cet effet notamment aux arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, Rec. p. 2639, points 9 et 10), ainsi que du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission (C‑521/06 P, Rec. p. I‑5829, point 46).
14 Quant aux effets de l’acte litigieux, le Tribunal souligne, aux points 29 et 30 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, ainsi que 28 et 29 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, qu’aucune sanction n’est prévue si l’État membre ne défère pas à une injonction de fournir des informations. Une telle injonction viserait au respect du principe du contradictoire.
15 Aux points 31 et 32 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, ainsi que 30 et 31 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, le Tribunal indique que l’acte litigieux s’inscrit dans le cadre de la procédure administrative d’examen de la mesure d’aide en cause, entre la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et la décision finale. Selon le Tribunal, l’acte litigieux ne préjuge pas de la décision finale, la Commission pouvant encore à ce stade conclure à
l’inexistence d’une aide d’État, à la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur ou à son incompatibilité. Il s’ensuit, selon le Tribunal, que l’acte litigieux constitue une mesure intermédiaire dont l’objectif était de préparer la décision finale de la Commission.
16 En réponse à l’argument de Deutsche Post et de la République fédérale d’Allemagne, qui, en se référant à la jurisprudence relative à la recevabilité d’un recours introduit contre une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen de l’article 88, paragraphe 2, CE (voir arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, Rec. p. I‑7303), soutenaient que le caractère provisoire d’un acte n’implique pas nécessairement qu’il ne soit pas attaquable, le Tribunal considère, aux points 36
de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, et 35 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, que les effets d’une telle décision d’ouverture et ceux de l’acte litigieux ne sont pas comparables.
17 S’agissant de la prétendue détérioration de la situation procédurale de Deutsche Post et de la République fédérale d’Allemagne en cas de non‑respect de l’acte litigieux, le Tribunal a fait valoir, au point 42 des ordonnances attaquées, que c’est le refus des autorités allemandes de fournir à la Commission les informations requises, qui étaient contenues dans l’acte litigieux, et non pas l’acte litigieux en tant que tel qui est susceptible de priver les intéressés concernés de la possibilité
de dénoncer le caractère lacunaire du fondement factuel de la décision finale. Selon le Tribunal, si les autorités allemandes considèrent que les informations demandées par la Commission ne sont pas nécessaires pour établir les faits ou que les recherches demandées sont trop onéreuses par rapport au résultat escompté, elles peuvent choisir d’ignorer l’injonction qui leur est faite.
18 Le Tribunal conclut, aux points 46 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, et 45 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, que l’acte litigieux ne constitue pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
L’affaire Deutsche Post/Commission (C-463/10 P)
19 Deutsche Post demande à la Cour:
– d’annuler l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée;
– d’annuler l’acte litigieux, et
– de condamner la Commission aux dépens.
20 La Commission demande à la Cour de:
– rejeter le pourvoi, et
– condamner Deutsche Post aux dépens.
L’affaire Allemagne/Commission (C-475/10 P)
21 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour:
– d’annuler l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, et
– de condamner la Commission aux dépens.
22 La Commission demande à la Cour de:
– rejeter le pourvoi, et
– condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.
23 Par ordonnance du 15 décembre 2010, le président de la Cour a décidé de joindre les affaires C‑463/10 P et C‑475/10 P aux fins de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les pourvois
24 À l’appui de leurs pourvois, Deutsche Post et la République fédérale d’Allemagne font valoir que le Tribunal a commis, dans les ordonnances attaquées, différentes erreurs de droit dans l’interprétation de la notion d’«acte attaquable», au sens de l’article 263 TFUE. Elles invoquent à cet effet cinq moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’article 288 TFUE, le deuxième d’une méconnaissance de la jurisprudence selon laquelle, dans le domaine des aides d’État, des actes préparatoires
peuvent constituer des actes attaquables, le troisième de la méconnaissance des effets juridiques d’une injonction de fournir des informations, le quatrième d’une violation du principe de la protection juridictionnelle effective et, enfin, le cinquième de la méconnaissance de la répartition des compétences entre la Commission et les États membres en vertu des articles 107 TFUE et 108 TFUE.
25 Les quatre premiers moyens étant étroitement liés, il convient de les examiner conjointement.
Argumentation des parties
26 La République fédérale d’Allemagne et Deutsche Post font valoir que l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 habilite expressément la Commission à adopter une décision formelle. En vertu de l’article 288 TFUE, une telle décision serait obligatoire et constituerait ainsi, par nature, un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit aux points 26 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, et 25 de l’ordonnance
Allemagne/Commission, précitée, en ne tenant aucunement compte de la forme de l’acte litigieux.
27 Selon la République fédérale d’Allemagne, la circonstance que l’acte litigieux constituerait une mesure intermédiaire dans le cadre de la procédure d’examen d’une aide d’État ne préjugerait pas de sa qualité d’acte attaquable. En effet, les intérêts des parties intéressées ne seraient pas suffisamment protégés par le caractère attaquable de la décision finale.
28 Les requérantes soutiennent ensuite que, indépendamment de la forme de l’acte litigieux, et contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 46 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, et 45 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, une injonction de fournir des informations en vertu de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 produit des effets juridiques obligatoires, qui s’exercent directement sur l’État membre et l’entreprise concernés. Selon la
République fédérale d’Allemagne, une telle décision clôturerait la procédure administrative en matière d’aides d’État dans la mesure où elle permettrait à la Commission, dans le cas où l’État membre concerné omettrait de se conformer à ladite injonction, de rendre sa décision sur le fondement des informations figurant au dossier. Par ailleurs, l’État membre qui ne s’acquitterait pas de l’obligation résultant de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, lu en combinaison avec les
articles 288 TFUE et 4, paragraphe 3, TUE, pourrait faire l’objet d’une procédure en manquement conformément à l’article 258 TFUE.
29 La Commission rétorque que, selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions contre lesquels peut être formé un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE les mesures produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, notamment, arrêts IBM/Commission, précité, point 9; du 5 octobre 1999, Pays‑Bas/Commission, C‑308/95, Rec. p. I‑6513, point 26; du 6 avril
2000, Espagne/Commission, C‑443/97, Rec. p. I‑2415, point 27; du 22 juin 2000, Pays‑Bas/Commission, C‑147/96, Rec. p. I‑4723, point 25, ainsi que du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, Rec. p. I‑7795, point 54). Une «décision», au sens de l’article 288 TFUE, ne produirait pas nécessairement de tels effets. Selon la Commission, c’est non pas la forme de l’acte ou de la décision en cause, mais sa substance, qui détermine sa nature d’acte attaquable. Par conséquent, un
recours en annulation contre une décision au sens de l’article 288 TFUE ou un acte prenant une autre forme ne serait possible que lorsque cette décision ou cet acte emportent des effets de droit vis‑à‑vis de tiers.
30 Ce serait à bon droit que le Tribunal a jugé que l’acte litigieux ne produit pas des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts des parties requérantes.
31 La Commission explique à cet effet que, dans le cadre d’une procédure en matière d’aides d’État, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de transmettre à la Commission toutes les informations dont celle‑ci a besoin pour juger de l’existence ou non d’une aide d’État et de sa compatibilité avec le marché intérieur. L’obligation pour l’État membre de mettre les informations demandées à la disposition de la Commission découlerait ainsi de l’article 4, paragraphe
3, TUE plutôt que de l’injonction de fournir des informations.
32 L’injonction de fournir des informations viserait le respect du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure administrative. L’État membre bénéficierait, après la demande de renseignements et le rappel prévus à l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 en liaison avec l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, d’une dernière occasion de fournir les renseignements demandés avant que la Commission n’arrête sa décision sur la base des informations dont elle dispose.
33 La Commission indique qu’elle ne dispose, en droit des aides d’État, à la différence de celui des ententes, d’aucune compétence d’enquête avant l’adoption d’une décision finale. La Commission ne pourrait donc éclaircir les faits sans la coopération loyale des États membres. Ce ne serait non pas l’injonction de fournir des informations, mais le refus par l’État membre de déférer à cette injonction qui permettrait à la Commission de prendre une décision sur la base des informations
disponibles. Par ailleurs, la circonstance que la Commission s’estime suffisament informée et cesse de rechercher des informations ne produirait, en soi, aucun effet juridique. En revanche, produit de tels effets l’appréciation juridique qu’elle est amenée à porter sur ces faits dans la décision finale. Partant, l’injonction de fournir des informations ne constituerait qu’un acte préparatoire qui n’affecterait pas la position juridique de l’État membre concerné.
34 La Commission ajoute que la possibilité pour les requérantes d’introduire un recours en annulation contre la décision finale sur la comptabilité de l’aide avec le marché intérieur leur garantit une protection juridictionnelle suffisante. En effet, les illégalités éventuelles qui entacheraient les actes préparatoires pourraient être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont ils constitueraient un stade d’élaboration (arrêt IBM/Commission, précité, point 12).
35 Enfin, la Commission insiste sur le fait qu’aucune sanction ne résulte du non‑respect de l’injonction de fournir des informations. En ne déférant pas à l’injonction, l’État membre indiquerait implicitement que les informations dont la Commission dispose sont complètes et que la Commission peut arrêter sa décision en se fondant sur celles-ci. La simple possibilité qu’une procédure en manquement pourrait être ouverte contre cet État membre ne serait ni une sanction ni une circonstance de
nature à affecter les intérêts dudit État. Dès lors que les États membres seraient tenus, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de transmettre à la Commission toutes les informations dont celle‑ci a besoin pour juger de l’existence ou non d’une aide d’État et de sa compatibilité avec le marché intérieur, une procédure en manquement pourrait même être ouverte en l’absence d’une injonction de fournir des informations. Par ailleurs, les intérêts de l’État membre ne seraient affectés que lorsque
la Commission déciderait effectivement de poursuivre l’État membre pour infraction au traité.
Appréciation de la Cour
36 Il ressort d’une jurisprudence constante développée dans le cadre de recours en annulation introduits par des États membres ou des institutions que sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir, notamment, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR», 22/70, Rec. p. 263, point 42; du 2 mars 1994, Parlement/Conseil,
C‑316/91, Rec. p. I-625, point 8; Espagne/Commission, précité, point 27; du 24 novembre 2005, Italie/Commission, C‑138/03, C‑324/03 et C‑431/03, Rec. p. I‑10043, point 32; du 1^er décembre 2005, Italie/Commission, C‑301/03, Rec. p. I‑10217, point 19, ainsi que du 1^er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, Rec. p. I‑8917, point 42). Il ressort en outre de la jurisprudence qu’un État membre, tel que la partie requérante dans l’affaire C‑475/10 P, est recevable à introduire un recours en
annulation d’un acte produisant des effets de droit obligatoires sans qu’il doive démontrer un intérêt à agir (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 3, et du 1^er octobre 2009, Commission/Conseil, précité, point 16).
37 Lorsque le recours en annulation contre un acte adopté par une institution est introduit par une personne physique ou morale, la Cour a itérativement jugé que celui-ci n’est ouvert que si les effets juridiques obligatoires de cet acte sont de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle‑ci (voir, notamment, arrêts IBM/Commission, précité, point 9; Athinaïki Techniki/Commission, précité, point 29, et du 18 novembre 2010,
NDSHT/Commission, C‑322/09 P, non encore publié au Recueil, point 45).
38 Il y a toutefois lieu de souligner que la jurisprudence citée au point précédent a été développée dans le cadre de recours portés devant le juge de l’Union par des personnes physiques ou morales contre des actes dont ils étaient les destinataires. Lorsque, comme dans l’affaire ayant conduit à l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, un recours en annulation est introduit par une partie requérante non privilégiée contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, l’exigence selon
laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle‑ci, se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
39 Il doit être également constaté que, dans les ordonnances attaquées, le Tribunal a fait droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission en constatant que l’acte litigieux ne constituait pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
40 Aux fins d’apprécier si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, dans ces ordonnances, qu’une injonction de fournir des informations prise en vertu de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 ne peut pas faire l’objet d’un recours en annulation, il y a donc lieu, eu égard à la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, d’examiner si une telle injonction constitue un acte qui vise à produire des effets de droit obligatoires.
41 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 10 du règlement n° 659/1999 prévoit une procédure en deux phases visant à permettre à la Commission d’obtenir de l’État membre concerné les informations nécessaires relatives à une aide prétendument illégale pour que celle‑ci puisse apprécier la nature de la mesure et sa compatibilité avec le marché intérieur.
42 S’agissant de la première phase, l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 prévoit que la Commission peut demander à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements à propos de l’aide prétendument illégale.
43 Dans une seconde phase, si l’État membre, en dépit du rappel qui lui a été adressé, ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti, la Commission, conformément à l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, «arrête une décision lui enjoignant de fournir lesdits renseignements». Par conséquent, la seconde phase de la procédure se traduit par l’adoption d’une «décision», au sens de l’article 288 TFUE, par la Commission, ce que cette institution ne conteste d’ailleurs
pas.
44 Or, en vertu de l’article 288 TFUE, une «décision est obligatoire dans tous ses éléments». En prévoyant qu’une injonction de fournir des informations prend la forme d’une décision, le législateur de l’Union a eu l’intention d’attribuer un caractère contraignant à un tel acte.
45 Il ressort de ce qui précède qu’une décision prise en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 vise à produire des effets de droit obligatoires au sens de la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt et constitue, dès lors, un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
46 L’analyse qui précède est confortée par la jurisprudence relative aux décisions de demandes de renseignements prises sur la base de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), qui, à l’instar de l’article 10 du règlement n° 659/1999, prévoyait une procédure en deux phases, dont la seconde phase comportait l’adoption par la Commission d’une décision susceptible de faire l’objet d’un
recours en annulation (voir arrêts du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, et du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283). De même, il ressort sans équivoque de l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 qu’une demande de renseignements prise sous la forme d’une décision constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
47 La jurisprudence citée par le Tribunal dans les ordonnances attaquées, selon laquelle il appartient de s’attacher à la substance d’un acte et non à sa forme aux fins d’apprécier son caractère contraignant, ne modifie pas cette analyse.
48 Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la Commission, l’absence de sanction prévue par le règlement n° 659/1999 dans l’hypothèse où l’État membre ne défère pas à l’injonction de fournir des informations ne constitue pas un élément déterminant pour apprécier si un acte peut faire l’objet d’un recours en annulation.
49 En jugeant aux points 31, 32 et 46 de l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, ainsi que 30, 31 et 45 de l’ordonnance Allemagne/Commission, précitée, que l’acte litigieux, en raison de son caractère préparatoire, ne constituait pas un acte attaquable au sens de la jurisprudence, le Tribunal a également commis une erreur de droit.
50 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, certes, des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêts IBM/Commission, précité, point 10; Athinaïki Techniki/Commission, précité, point 42, et du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, Rec. p. I‑669, point 52). Toutefois, les actes intermédiaires ainsi visés sont d’abord des actes qui
expriment une opinion provisoire de l’institution (voir, en ce sens, arrêts IBM/Commission, précité, point 20; du 14 mars 1990, Nashua Corporation e.a./Commission et Conseil, C‑133/87 et C‑150/87, Rec. p. I‑719, points 8 à 10; du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C‑282/95 P, Rec. p. I‑1503, point 34, ainsi que du 22 juin 2000, Pays‑Bas/Commission, C‑147/96, Rec. p. I‑4723, point 35).
51 En effet, un recours en annulation dirigé contre des actes exprimant une opinion provisoire de la Commission pourrait obliger le juge de l’Union à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles l’institution concernée n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer et aurait ainsi pour conséquence une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire. Admettre un tel recours serait donc incompatible avec les systèmes de
répartition des compétences entre la Commission et le juge de l’Union et des voies de recours, prévus par le traité, ainsi qu’avec les exigences d’une bonne administration de la justice et d’un déroulement régulier de la procédure administrative de la Commission (voir arrêt IBM/Commission, précité, point 20).
52 Toutefois, en l’espèce, un recours en annulation dirigé contre l’acte litigieux, par lequel la Commission demande aux autorités allemandes des renseignements sur les recettes et les coûts de Deutsche Post, pour la période allant de l’année 1989 à l’année 2007, n’emporte pas de risque de confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire (arrêt IBM/Commission, précité, point 20). En effet, un tel recours en annulation ne devrait pas amener le juge de l’Union à se
prononcer sur l’existence d’une aide État ou sur la compatibilité éventuelle de celle‑ci avec le marché intérieur.
53 Ensuite, il ressort de la jurisprudence qu’un acte intermédiaire n’est également pas susceptible de recours s’il est établi que l’illégalité attachée à cet acte pourra être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d’élaboration. Dans de telles conditions, le recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure assurera une protection juridictionnelle suffisante (voir arrêts IBM/Commission, précité, point 12; du 24 juin 1986, AKZO
Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 19, ainsi que du 9 octobre 2001, Italie/Commission, précité, point 63).
54 Toutefois, si cette dernière condition n’est pas satisfaite, il sera considéré que l’acte intermédiaire – indépendamment du point de savoir si celui‑ci exprime une opinion provisoire de l’institution concernée – produit des effets juridiques autonomes et, partant, doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêts AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, précité, point 20; du 28 novembre 1991, BEUC/Commission, C‑170/89, Rec. p. I‑5709, points 9 à 11; du 16 juin 1994, SFEI
e.a./Commission, C‑39/93 P, Rec. p. I‑2681, point 28; du 9 octobre 2001, Italie/Commission, précité, points 57 à 68, ainsi que Athinaïki Techniki/Commission, précité, point 54).
55 En l’espèce, il doit être constaté qu’une injonction de fournir des informations prise en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 produit des effets juridiques autonomes.
56 En effet, un recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure relative à la prétendue aide d’État en faveur de Deutsche Post n’est pas de nature à assurer une protection juridictionnelle suffisante à l’égard des requérantes.
57 À cet égard, il doit être constaté, d’une part, que si, comme le prétendent les requérantes dans les présentes espèces, l’injonction est disproportionnée en ce que les informations demandées ne seraient pas pertinentes pour l’appréciation de la mesure étatique au regard des articles 107 TFUE et 108 TFUE, les illégalités qui entacheraient l’acte intermédiaire ne pourraient pas affecter la légalité de la décision finale de la Commission, dès lors que cette dernière décision ne sera pas fondée
sur les informations obtenues en réponse à ladite injonction.
58 D’autre part, lorsque la Commission enjoint, en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, à un État membre de fournir les informations demandées, elle adopte une «décision», au sens de l’article 288 TFUE. Il s’ensuit que le refus de l’État membre concerné de déférer à une telle injonction constitue un manquement à une obligation qui lui incombe en vertu des traités au sens de l’article 258 TFUE.
59 Or, dans le cadre d’un recours en manquement, un État membre destinataire d’une décision, telle qu’une injonction de fournir des informations, ne saurait valablement justifier la non-exécution de celle‑ci sur la base de sa prétendue illégalité. C’est, en effet, dans le cadre d’une procédure distincte, à savoir celle d’un recours en annulation visé à l’article 263 TFUE que toute contestation de la légalité d’une telle injonction doit s’effectuer (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2001,
Commission/France, C‑261/99, Rec. p. I‑2537, point 18, et du 14 février 2008, Commission/Grèce, C‑419/06, point 52).
60 Les effets de l’éventuelle illégalité attachée à l’acte intermédiaire ne sont donc pas susceptibles d’être annihilés par un recours introduit contre la décision finale. En effet, le manquement aux obligations découlant de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 dans le chef d’un État membre, qui ne donne pas suite à une injonction de fournir des informations, pourra être constaté indépendamment de l’issue d’un éventuel recours en annulation introduit contre la décision finale.
61 Enfin, doit être rejeté l’argument de la Commission selon lequel la possibilité d’introduire un recours en annulation contre une décision prise en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 conduirait à une situation dans laquelle un État membre, qui refuse de répondre à une demande de renseignements relative à une aide notifiée ou non, jouirait d’une protection juridictionnelle plus étendue lorsque est en cause une aide non notifiée.
62 Il convient de rappeler à cet effet que l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 dispose que si l’État membre concerné, après avoir reçu un rappel, ne fournit pas les informations demandées par une demande de renseignements de la Commission relative à une aide notifiée, ou fournit les informations de façon incomplète, la notification est réputée avoir été retirée. Dans ces conditions, le retrait de la notification a pour effet que cette aide doit être considérée comme une aide non
notifiée, de sorte que le refus de l’État membre concerné de fournir les informations demandées conduira tant dans le cas d’une aide initialement notifiée que dans le cas d’une aide qui n’a jamais fait l’objet d’une notification à l’adoption d’un acte attaquable, à savoir une «décision», au sens de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.
63 Il s’ensuit que, en jugeant que l’acte litigieux ne pouvait pas faire l’objet d’un recours en annulation, le Tribunal a commis des erreurs de droit. Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le cinquième moyen, il y a lieu d’accueillir les premier à quatrième moyens.
64 Dans l’affaire C‑463/10 P, la Commission demande toutefois à la Cour, dans l’hypothèse où celle-ci devait juger que l’acte litigieux constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, de procéder à une substitution de motifs en ce qui concerne l’ordonnance Deutsche Post/Commission, précitée, afin d’indiquer que le recours formé par Deutsche Post était irrecevable dès lors que cette entreprise n’aurait pas de qualité pour agir au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Dans
l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission dans cette affaire, cette institution avait en effet soutenu que l’acte litigieux ne concernait Deutsche Post ni directement ni individuellement.
65 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.
66 S’agissant, premièrement, du point de savoir si Deutsche Post est directement concernée par l’acte litigieux, qui est adressé à la République fédérale d’Allemagne, il résulte d’une jurisprudence constante que cette condition requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, en premier lieu, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, en second lieu, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés
de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, Rec. p. I‑7993, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
67 Selon la Commission, cette condition ne serait pas réunie en l’espèce dès lors que l’acte litigieux demanderait uniquement à la République fédérale d’Allemagne de transmettre certaines informations. Cette injonction ne donnerait donc pas lieu à l’adoption d’une mesure nationale qui aurait un caractère purement automatique et qui découlerait de la seule réglementation de l’Union. Ce serait le comportement de la République fédérale d’Allemagne qui déterminerait si celle-ci s’adresserait à
Deutsche Post ou comment elle amènerait cette entreprise à communiquer les informations.
68 En l’espèce, il doit être constaté que l’acte litigieux affecte directement Deutsche Post au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
69 En effet, d’une part, Deutsche Post, en tant que bénéficiaire de la mesure sur laquelle portent les informations visées par l’acte litigieux et en tant que détentrice de ces informations, sera contrainte de donner suite à l’injonction de fournir des informations.
70 D’autre part, le contenu définitif et exhaustif des informations demandées ressort de l’acte litigieux lui-même, sans laisser de pouvoir d’appréciation à cet égard à la République fédérale d’Allemagne.
71 S’agissant du point de savoir si Deutsche Post est individuellement concernée par l’acte attaqué, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise
d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (voir, notamment, arrêt du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, Rec. p. I‑10005, point 53 et jurisprudence citée).
72 Selon la Commission, Deutsche Post ne serait pas individuellement concernée par l’acte litigieux dès lors que celui-ci ne serait pas adressé à cette entreprise ni ne créerait à sa charge d’obligation quelconque.
73 À cet égard, il y a lieu de relever que la circonstance que l’acte litigieux n’est pas adressé à Deutsche Post est dépourvue de pertinence pour l’appréciation du point de savoir si cette entreprise est individuellement concernée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par ledit acte.
74 Ensuite, il doit être constaté que l’injonction de fournir des informations se rapporte à une procédure d’examen d’une prétendue aide d’État dont aurait bénéficié Deutsche Post. Les informations visées par l’acte litigieux concernent uniquement Deutsche Post. Cette dernière est donc individuellement concernée par ledit acte au sens de la jurisprudence citée au point 71 du présent arrêt.
75 Deutsche Post étant directement et individuellement concernée par l’acte litigieux, il n’y a donc pas lieu de procéder, dans l’affaire C‑463/10 P, à la substitution de motifs suggérée par la Commission.
76 Il découle de ce tout ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler les ordonnances attaquées.
Sur le renvoi des affaires au Tribunal
77 Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
78 La Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement, dans les deux affaires, sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission au cours de la procédure de première instance.
79 Pour les motifs énoncés aux points 36 à 62 du présent arrêt, ladite exception d’irrecevabilité, tirée de ce que l’acte litigieux n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, doit être rejetée. Par ailleurs, dans la mesure où, dans l’affaire Deutsche Post/Commission (T-570/08), l’exception d’irrecevabilité est également tirée de ce que l’acte litigieux ne concernerait pas directement et individuellement la requérante, ladite exception ne peut pas non plus être accueillie
pour les motifs énoncés aux points 65 à 75 du présent arrêt.
80 En revanche, dans les circonstances de l’espèce, la Cour n’est pas en mesure de statuer sur le fond des recours introduits par Deutsche Post et la République fédérale d’Allemagne.
81 Il y a lieu de relever, à cet effet, que les débats devant le Tribunal et les appréciations faites par celui-ci ont exclusivement porté sur la recevabilité des recours, étant donné que le Tribunal a accueilli, dans les deux affaires, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, sans engager le débat au fond et sans ouvrir la procédure orale.
82 Les affaires doivent dès lors être renvoyées devant le Tribunal pour qu’il statue sur les conclusions des requérantes tendant à l’annulation de l’acte litigieux.
Sur les dépens
83 Les affaires étant renvoyées devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) Les ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2010, Deutsche Post/Commission (T‑570/08), et Allemagne/Commission (T‑571/08), sont annulées.
2) Les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission européenne devant le Tribunal de l’Union européenne sont rejetées.
3) Les affaires sont renvoyées devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les conclusions de Deutsche Post AG (T‑570/08) et de la République fédérale d’Allemagne (T‑571/08) tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 30 octobre 2008 portant injonction à la République fédérale d’Allemagne de fournir des informations dans la procédure d’aide d’État en faveur de Deutsche Post AG.
4) Les dépens sont réservés.
Signatures
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* Langue de procédure: l’allemand.