Affaire C-520/09 P
Arkema SA
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Ententes — Articles 81 CE et 53 de l’accord EEE — Marché européen de l’acide monochloracétique — Règles relatives à l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles d’une filiale à sa société mère — Présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante — Obligation de motivation»
Sommaire de l'arrêt
1. Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d'appréciation — Présomption d'une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci
(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)
2. Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d'appréciation — Présomption d'une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci — Filiale détenue par une société holding non opérationnelle
(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)
3. Pourvoi — Moyens — Nécessité d'une critique précise d'un point du raisonnement du Tribunal
(Art. 256 TFUE; statut de la Cour de justice, art. 58, al. 1; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))
4. Pourvoi — Moyens — Moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi — Irrecevabilité
(Règlement de procédure de la Cour, art. 113, § 2)
5. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en cas d'infractions aux règles de concurrence
(Art. 81, § 1, CE; communication de la Commission 98/C 9/03)
1. La notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. À cet égard, d’une part, la notion d’entreprise, placée dans le contexte du droit de la concurrence de l'Union, doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales et, d’autre part, lorsqu’une telle entité
économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques,
organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques.
Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par
sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.
(cf. points 37-38, 40-41)
2. Il n’est pas exclu que, malgré le fait qu’elle n’intervient pas directement sur le marché, une holding «non opérationnelle» puisse exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de ses filiales, compte tenu notamment de la fonction de coordination et de direction financière qui lui est propre, et que, dès lors, le caractère effectif d’un tel exercice peut être présumé lorsque la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale est détenue par la société mère. C’est
pourquoi il ne suffit pas d’invoquer la nature non opérationnelle de la société mère pour renverser la présomption de l’exercice effectif d’influence déterminante sur la politique commerciale des filiales, qui reste une présomption simple, susceptible d’être renversée.
(cf. points 48-49)
3. Il résulte des articles 256 TFUE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.
À cet égard, même s'il permet d’identifier l’élément critiqué de l’arrêt attaqué, le pourvoi dans lequel l’argumentation développée n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de la légalité doit être rejeté. En effet, dès lors que les éléments essentiels ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même, qui est formulée de manière obscure et ambiguë, la Cour n’est pas en mesure d’exercer son contrôle de
la légalité, sous peine de statuer ultra petita.
(cf. points 59-61)
4. Le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc modifier l’objet du litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la
Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Un tel moyen doit donc être considéré comme irrecevable au stade du pourvoi.
(cf. point 64)
5. Conformément à la méthode déterminée par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, les constituants d’une amende afférents à des circonstances aggravantes, telles que la récidive, sont calculés sur le fondement d’un «montant de base» qui lui-même se calcule à partir d’un «montant de départ» augmenté par un facteur multiplicateur relatif à la durée de
l’infraction.
En substance, ce montant de départ est fixé en fonction de la gravité de l’infraction et de l’impact réel sur la concurrence du comportement infractionnel de l’entité concernée. Le cas échéant, compte tenu de la capacité économique effective de l’entité concernée, ce montant peut être ajusté en vue d’assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende. Aux termes des points 2 et 3 des lignes directrices, la Commission, après avoir déterminé le montant de base de l’amende en considération de la
gravité et de la durée de l’infraction, procède, le cas échéant, à une augmentation et à une diminution dudit montant au titre des circonstances aggravantes et atténuantes.
Ces lignes directrices n’énoncent, toutefois, que des règles de conduite indicatives de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement.
(cf. points 72-73, 81, 88)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
29 septembre 2011 (*)
«Pourvoi – Ententes – Articles 81 CE et 53 de l’accord EEE – Marché européen de l’acide monochloracétique – Règles relatives à l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles d’une filiale à sa société mère – Présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante – Obligation de motivation»
Dans l’affaire C‑520/09 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 décembre 2009,
Arkema SA, établie à Colombes (France), représentée par M^e M. Debroux, avocat,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, A. Rosas, A. Ó Caoimh (rapporteur) et M^me P. Lindh, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. B. Fülöp, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 novembre 2010,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 février 2011,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Arkema SA (anciennement Elf Atochem SA, puis Atofina SA, ci-après «Arkema») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2009, Arkema/Commission (T‑168/05, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours visant, à titre principal, l’annulation partielle de la décision C(2004) 4876 final de la Commission, du 19 janvier 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de
l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-1/37.773 – AMCA) (ci-après la «décision litigieuse»), et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
2 Les faits à l’origine du litige ainsi que la décision litigieuse, tels qu’ils ressortent des points 2 à 31 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit aux fins du présent pourvoi.
3 Par la décision litigieuse, la Commission européenne a constaté que la requérante et sa société mère, Elf Aquitaine SA (ci-après «Elf Aquitaine»), entre autres, avaient enfreint les articles 81 CE et 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), en raison de la participation de la requérante à une entente illicite concernant le marché de l’acide monochloracétique (ci-après l’«AMCA»).
4 La Commission a imputé à Elf Aquitaine et à la requérante la responsabilité de l’infraction pour la période s’étendant du 1^er janvier 1984 au 7 mai 1999. Rejetant les arguments contraires avancés par Elf Aquitaine, la Commission a considéré que le fait que cette dernière détenait 98 % des actions d’Atofina SA était suffisant pour lui imputer la responsabilité des actes de sa filiale. Elle a, en outre, estimé que le fait qu’Elf Aquitaine n’avait pas participé à la production et à la vente
de l’AMCA n’empêchait pas de la considérer comme formant une unité économique avec les unités opérationnelles du groupe.
5 La Commission a fixé le montant des amendes en application de ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices de l’année 1998»), ainsi que de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4,
ci-après la «communication sur la coopération»).
6 En relevant qu’Elf Atochem SA avait déjà été destinataire de la décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (JO L 239, p. 14), la Commission a considéré qu’il convenait d’appliquer une augmentation pour récidive uniquement à la requérante et non à Elf Aquitaine, puisque cette dernière ne contrôlait pas la requérante à l’époque de la première infraction.
7 Elle a par conséquent infligé, en sus de l’amende de 45 millions d’euros adressée conjointement et solidairement à Elf Aquitaine et à la requérante, une amende distincte de 13,5 millions d’euros à la seule requérante pour prendre en compte son comportement récidiviste.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
8 Ainsi qu’il ressort du point 38 de l’arrêt attaqué, par son recours devant le Tribunal, la requérante a, en substance, demandé à celui-ci, à titre principal, d’annuler le dispositif de la décision litigieuse en ce qu’il vise Elf Aquitaine et, à titre subsidiaire, de réduire le montant des amendes infligées à Elf Aquitaine ainsi qu’à elle-même.
9 Il ressort des points 40 à 42 de l’arrêt attaqué que la requérante a soulevé, à titre principal, huit moyens à l’appui de son recours devant le Tribunal. La requérante a notamment invoqué un premier moyen tiré d’une méconnaissance des règles gouvernant l’imputabilité à une société mère des pratiques de sa filiale et du traitement discriminatoire du groupe Elf Aquitaine, un deuxième moyen tiré d’une violation du principe d’autonomie juridique et commerciale de la filiale, ainsi qu’un
cinquième moyen tiré de défauts de motivation. La requérante a également soulevé, à titre subsidiaire, un neuvième moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité dans la détermination du coefficient multiplicateur à des fins de dissuasion, en ce que la Commission aurait pris deux fois en compte le chiffre d’affaires d’Arkema.
10 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal rejette l’ensemble des moyens présentés tant à titre principal qu’à titre subsidiaire et condamne la requérante aux dépens.
11 Dans le cadre du premier moyen devant le Tribunal, la requérante contestait notamment, en substance, l’imputation de la responsabilité pour son infraction à Elf Aquitaine, sa société mère à l’époque de l’infraction, en prétendant ne pas avoir suivi de politique tracée par Elf Aquitaine.
12 À cet égard, au point 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal indique ce qui suit:
«Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption simple selon laquelle ladite société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale [...] et qu’elles constituent donc une seule entreprise au sens de l’article 81 CE [...]. Il incombe, dès lors, à la société mère contestant devant le juge communautaire une décision de la Commission de lui infliger une amende pour un
comportement commis par sa filiale de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuves susceptibles de démontrer l’autonomie de cette dernière [...]. Si la présomption n’est pas renversée, la Commission sera en mesure, par la suite, de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale.»
13 Au point 71 de l’arrêt attaqué, le Tribunal juge que, dans la mesure où la quasi-totalité du capital de la requérante était détenue, à l’époque de l’infraction, par Elf Aquitaine, c’est à bon droit que la Commission pouvait présumer l’absence d’autonomie de la requérante par rapport à sa société mère et considérer qu’il appartenait à cette dernière d’apporter des éléments de preuve démontrant que sa filiale déterminait de façon autonome sa ligne d’action sur le marché.
14 En ce qui concerne le faisceau d’indices et d’éléments de preuve produit par la requérante en vue de démontrer son autonomie, le Tribunal constate tout d’abord, au point 73 de l’arrêt attaqué, que la Commission reprend, au deux cent cinquante-septième considérant de la décision litigieuse, les arguments avancés par Elf Aquitaine dans sa réponse à la communication des griefs. Il relève ensuite, au point 74 de l’arrêt attaqué, que «les arguments de la requérante visant à démontrer son
autonomie ont également été avancés par sa société mère, dans sa réponse à la communication des griefs, pour prouver l’absence d’exercice par celle-ci d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale».
15 Le Tribunal indique à cet égard, au point 75 de l’arrêt attaqué, que, en réfutant les arguments présentés par la société mère, la Commission a répondu globalement aux deux sociétés et a examiné, conformément à la jurisprudence, si la société mère avait apporté, aux fins du renversement de la présomption, des éléments de preuve démontrant que sa filiale déterminait de façon autonome sa ligne d’action sur le marché.
16 Aux points 76 à 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal poursuit son raisonnement dans les termes suivants:
«76 S’agissant du bien-fondé des éléments de preuve apportés par la requérante afin de démontrer son autonomie, il y a lieu de relever que le fait qu’Elf Aquitaine ne soit qu’une holding non opérationnelle, intervenant très peu dans la gestion de ses filiales, ne saurait suffire pour exclure qu’elle exerce une influence déterminante sur le comportement de la requérante en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe Elf Aquitaine. En effet, dans le contexte d’un groupe
de sociétés, une société holding qui coordonne notamment les investissements financiers au sein du groupe a vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et a pour fonction d’en assurer l’unité de direction, notamment par le biais de ce contrôle budgétaire.
77 À cet égard, il convient de rappeler que ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise […] qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés.
78 Quant au fait que la requérante n’a jamais mis en œuvre, au profit d’Elf Aquitaine, une politique d’information spécifique sur le marché de l’AMCA, l’absence d’une telle information, à supposer qu’elle soit établie, ne saurait suffire à démontrer que la requérante était autonome vis-à-vis de sa société mère.
79 Il en est de même s’agissant de l’argument selon lequel l’activité de l’AMCA est mineure au sein du groupe Elf Aquitaine, puisqu’il n’est pas de nature à prouver l’autonomie [d’Arkema] à l’égard de sa société mère.
80 Aucune conclusion ne saurait davantage être tirée du fait que les deux sociétés opéraient sur des marchés distincts, n’avaient pas de liens de fournisseurs à clients. En effet, comme la Commission l’a relevé à juste titre, au considérant 261 de la décision [litigieuse], il y a lieu de considérer que, dans un groupe tel qu’Elf Aquitaine, la division des tâches constitue un phénomène normal qui ne renverse pas la présomption selon laquelle Elf Aquitaine et Atofina [SA] constituent une seule
entreprise, au sens de l’article 81 CE.»
17 Au point 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal répond à l’argument de la requérante selon lequel il est impossible de rapporter une preuve directe et irréfutable de son autonomie de comportement sur le marché et qu’une telle preuve devrait dès lors être qualifiée de «probatio diabolica». Ce point 82 se lit comme suit:
«[...] il n’est pas exigé des parties concernées qu’elles rapportent une preuve directe et irréfutable de l’autonomie de comportement de la filiale sur le marché mais uniquement qu’elles produisent des éléments de preuve susceptibles de démontrer cette autonomie [...]. En outre, la circonstance que la requérante n’a pas en l’espèce produit des éléments de preuve de nature à renverser la présomption d’absence d’autonomie ne signifie pas que ladite présomption ne peut en aucun cas être renversée. Par
conséquent, l’argument de la requérante n’est pas fondé.»
18 En rejetant la première branche du premier moyen devant lui, le Tribunal conclut, au point 85 de l’arrêt attaqué, que «la Commission était en droit de considérer qu’Elf Aquitaine et Arkema constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE et qu’elles pouvaient dès lors être tenues pour solidairement responsables du comportement qui leur a été reproché, les actes commis par Arkema étant dès lors imputables à Elf Aquitaine, et, dès lors, censés avoir été commis par elle».
19 En rejetant le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe d’autonomie juridique et commerciale de la filiale résultant de la présomption de l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale, le Tribunal juge notamment, au point 100 de l’arrêt attaqué, que, «si la détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital permet de présumer qu’une société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et, par conséquent, qu’elles font
partie d’une même entreprise, cette présomption d’absence d’autonomie de la filiale est susceptible d’être renversée par la partie concernée, à qui il incombe de fournir des éléments de preuve suffisants [...]. Ladite présomption, telle qu’appliquée en l’espèce, ne remet donc aucunement en cause l’autonomie commerciale de la filiale».
20 Dans le cadre de son rejet du cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation entachant la décision litigieuse, le Tribunal constate, au point 126 de l’arrêt attaqué, que la Commission a répondu aux points essentiels des arguments avancés par Elf Aquitaine. Au point 127 de cet arrêt, le Tribunal indique ce qui suit:
«[...] il n’incombait pas à la Commission de répondre à toutes les objections de la requérante. En effet, d’une part, dans la mesure où la réponse de la Commission donnée aux points essentiels des arguments d’Elf Aquitaine [...] ne saurait différer selon qu’est en cause la société mère ou sa filiale, celle-ci n’avait pas à répondre séparément aux arguments avancés par la requérante (voir point 75 ci-dessus). [...]»
21 Au point 205 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de son rejet du neuvième moyen, le Tribunal indique ce qui suit:
«L’argument selon lequel la Commission aurait procédé à une double comptabilisation du chiffre d’affaires d’Arkema [afin] de majorer les amendes au titre de la dissuasion doit être rejeté. En effet, il y a lieu de rappeler que le montant de l’amende [de 13,5 millions d’euros] infligée à Arkema en vertu de l’article 2, sous d), de la décision [litigieuse] correspond uniquement à la majoration au titre de la récidive appliquée au montant de base hypothétique diminuée de la réduction de 40 % accordée
par la Commission au titre de la coopération. Pour ce faire, la Commission n’avait d’autre choix, si elle ne souhaitait pas s’écarter de la méthode de calcul des lignes directrices [de l’année 1998], que de calculer à nouveau un montant de base hypothétique si elle seule avait été considérée responsable de l’infraction.»
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
22 La requérante demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner la Commission aux dépens.
23 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une méconnaissance par le Tribunal des règles gouvernant l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles d’une filiale à sa société mère
Argumentation des parties
24 Selon la requérante, le Tribunal s’est contredit en rappelant, d’une part, au point 67 de l’arrêt attaqué, que la présomption d’influence déterminante de la société mère sur sa filiale est «simple» et peut être renversée si la société mère et/ou la filiale apportent des éléments de preuve démontrant l’autonomie de comportement de la filiale, tout en affirmant, d’autre part, au point 76 de l’arrêt attaqué, que toute société holding a pour fonction d’assurer l’unité de direction des filiales
au sein d’un groupe de sociétés.
25 Il en résulte, selon Arkema, que la présomption d’influence déterminante de la société mère est en réalité irréfragable. Le Tribunal, en exigeant de la requérante qu’elle apporte des éléments de preuve dont il affirme lui-même l’impossibilité juridique, lui aurait imposé une probatio diabolica.
26 En outre, Arkema considère que, en lui imposant d’apporter de tels éléments de preuve, le Tribunal a enfreint ses droits à un procès équitable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.
27 La Commission estime que ce moyen est irrecevable dès lors qu’il ne conteste pas les conclusions auxquelles parvient le Tribunal aux points 78 à 80 ainsi que 82 de l’arrêt attaqué.
28 En outre, en ce qui concerne l’argumentation d’Arkema, tirée d’une violation du droit à un procès équitable, la requérante n’indiquerait pas en quoi consisterait la prétendue violation.
29 En tout état de cause, il résulterait des termes de l’arrêt attaqué que la présomption d’influence déterminante d’une société mère sur sa filiale n’est pas irréfragable. Selon la Commission, la requérante souhaiterait en réalité pouvoir réfuter cette présomption en se bornant à affirmer que sa société mère, Elf Aquitaine, était une «holding non opérationnelle». De l’avis de la Commission, si le simple fait d’avoir une «holding non opérationnelle» à la tête d’un groupe suffisait à réfuter la
présomption, celle-ci perdrait de son efficacité. De surcroît, le fait qu’une présomption soit réfragable ne signifierait pas qu’elle doit être facile à renverser.
Appréciation de la Cour
30 En ce qui concerne l’exception d’irrecevabilité exposée au point 27 du présent arrêt, il y a lieu de relever que la Commission soutient en réalité que ce moyen est inopérant.
31 Or, le caractère inopérant d’un moyen soulevé renvoie à son aptitude à fonder le pourvoi et n’affecte pas la recevabilité de celui-ci (voir arrêts du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, Rec. p. I‑10091, point 52, ainsi que du 6 novembre 2008, Grèce/Commission, C‑203/07 P, Rec. p. I‑8161, points 42 et 43). Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité exposée au point 27 du présent arrêt.
32 La Commission fait valoir que le premier moyen doit être rejeté, dans la mesure où il ne conteste pas explicitement les points 78 à 80 et 82 de l’arrêt attaqué, portant sur l’imputabilité à une société mère des pratiques de sa filiale, lesquels en soi seraient suffisants pour étayer les conclusions de l’arrêt attaqué.
33 Une telle argumentation ne saurait être accueillie.
34 En effet, il ressort des écritures que l’argumentation d’Arkema soutient, pour l’essentiel, que le Tribunal, notamment au point 76 de l’arrêt attaqué, s’est contredit, en affirmant le principe d’une présomption réfragable selon laquelle une société mère détenant la quasi-totalité du capital d’une filiale exerce une influence déterminante sur le comportement de cette dernière, tout en empêchant irrémédiablement Arkema d’apporter la preuve contraire. Si une telle argumentation devait être
accueillie, le dispositif de l’arrêt attaqué ainsi que, par ailleurs, les constats figurant auxdits points 78 à 80 et 82 seraient entachés de l’erreur de droit alléguée par Arkema.
35 Au demeurant, il ressort d’une note infrapaginale dans la requête introduite par Arkema que celle-ci a explicitement mis en cause le point 82 de l’arrêt attaqué.
36 Dès lors, le premier moyen ne saurait être rejeté comme inopérant.
37 Ensuite, il convient de rappeler que la notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. À cet égard, la Cour a précisé, d’une part, que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales et, d’autre part, que,
lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, non encore publié au Recueil, points 34 et 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, non encore publié au Recueil, point 95).
38 Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêts du 10
septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 58, ainsi que General Química e.a./Commission, précité, point 37).
39 En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, la Commission peut adresser une décision imposant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 59, ainsi que General Química e.a./Commission, point 38).
40 À cet égard, la Cour a précisé que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 1983,
AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50; Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 60; General Química e.a./Commission, précité, point 39, ainsi que ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 97).
41 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des
éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêts du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 29; Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61; General Química e.a./Commission, précité, point 40, ainsi que ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 98).
42 En l’espèce, Arkema ne conteste pas la licéité de la présomption de l’exercice effectif d’influence déterminante exposée aux points 40 et 41 du présent arrêt. Elle ne conteste pas davantage l’applicabilité, dans les circonstances de l’espèce, de pareille présomption dans un cas où une société mère détient 98 % du capital de sa filiale.
43 Arkema fait cependant valoir que le raisonnement de l’arrêt attaqué méconnaît la jurisprudence exposée aux points 38 à 41 du présent arrêt, en conférant un caractère irréfragable à la présomption de l’exercice effectif d’influence déterminante par la société mère sur sa filiale.
44 Dans ce contexte, Arkema considère, en substance, que, en affirmant, dans la seconde phrase du point 76 de l’arrêt attaqué, qu’une société holding a «pour fonction» d’assurer «l’unité de direction» des filiales, le Tribunal a rendu juridiquement irréfragable la présomption d’influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale, car toute tentative de démontrer l’autonomie de comportement sur le marché de la filiale irait à l’encontre de la fonction même que le Tribunal
a reconnue aux sociétés holdings et serait, par conséquent, vouée à l’échec.
45 Il est vrai que ledit point 76 est formulé de manière qui n’est pas facile à concilier avec la jurisprudence exposée aux points 38 à 41 du présent arrêt.
46 Toutefois, force est de constater que l’argumentation de la requérante exposée aux points 43 et 44 du présent arrêt procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué dans son ensemble.
47 En effet, aux termes de sa première phrase, ledit point 76 porte sur le «bien-fondé des éléments de preuve apportés par la requérante afin de démontrer son autonomie» à l’égard de sa société mère, en particulier «le fait qu’Elf Aquitaine ne soit qu’une holding non opérationnelle, intervenant très peu dans la gestion de ses filiales». Il ressort en outre des éléments du dossier fournis au Tribunal qu’Arkema a fait notamment valoir à cet égard qu’elle bénéficiait d’«une autonomie sur le plan
financier, le contrôle exercé par Elf Aquitaine étant limité aux investissements ou désinvestissements réalisés par Arkema qui avaient un impact sur le haut de bilan de celle-ci», lesquels n’auraient jamais concerné l’activité d’AMCA.
48 Dans le passage critiqué de ce point 76, le Tribunal se limite en effet à affirmer qu’il n’est pas exclu que, malgré le fait qu’elle n’intervient pas directement sur le marché, une holding «non opérationnelle» puisse exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de ses filiales, compte tenu notamment de la fonction de coordination et de direction financière qui lui est propre, et que, dès lors, le caractère effectif d’un tel exercice peut être présumé lorsque la totalité ou
la quasi-totalité du capital de la filiale est détenue par la société mère. C’est pourquoi, dans la logique du raisonnement du Tribunal, il ne suffit pas d’invoquer la nature non opérationnelle de la société mère pour renverser la présomption de l’exercice effectif d’influence déterminante sur la politique commerciale des filiales, qui reste une présomption simple.
49 À cet égard, il ressort de nombreux points de l’arrêt attaqué, y compris les points 67 et 82, que le Tribunal considérait que la présomption en question était susceptible d’être renversée.
50 Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré d’une méconnaissance des règles gouvernant l’imputabilité à une société mère des pratiques de sa filiale du fait que le Tribunal aurait consacré le caractère irréfragable de la présomption fondée sur la détention par la société mère de la totalité du capital de sa filiale n’est pas fondé, puisqu’il procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
51 Dans ces conditions, l’argument tiré d’une violation du droit à un procès équitable découlant de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, étant fondé sur une prémisse erronée, ne saurait prospérer.
52 Il y a lieu dès lors de rejeter le premier moyen du pourvoi.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de non-discrimination
Argumentation des parties
53 Selon la requérante, l’affirmation par le Tribunal du caractère irréfragable de la présomption d’influence déterminante de la société mère sur sa filiale aboutit également à une violation du principe de non-discrimination entre les participants à une entente, selon qu’ils appartiennent ou non à un groupe de sociétés.
54 La Commission considère que le deuxième moyen est peu compréhensible et qu’il ne vise aucun motif de l’arrêt attaqué. Il devrait dès lors être rejeté comme irrecevable.
Appréciation de la Cour
55 Puisqu’il procède de la même lecture erronée de l’arrêt attaqué sur laquelle s’appuie le premier moyen du pourvoi, le deuxième moyen doit également être rejeté.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement et du droit de la requérante à un procès équitable
Argumentation des parties
56 La requérante fait valoir que, en réponse au cinquième moyen développé devant le Tribunal, ce dernier n’a examiné que les arguments qui lui avaient été soumis par Elf Aquitaine, et non par la requérante, «violant ainsi le principe d’égalité de traitement et le droit à un procès équitable».
57 La Commission s’interroge à titre liminaire sur la clarté de l’argumentation portée par la requérante au soutien du présent moyen. En outre, selon la Commission, la requérante n’a pas critiqué en première instance le fait que la décision litigieuse ait principalement répondu aux arguments d’Elf Aquitaine. Elle soutient que le troisième moyen constitue donc un moyen nouveau, irrecevable au stade du pourvoi.
58 Sur le fond, la Commission considère que le fait que le Tribunal ait examiné la motivation de la décision litigieuse à la lumière des seuls arguments d’Elf Aquitaine ne porte pas préjudice à la requérante. Dès lors que les arguments d’Arkema devaient être rejetés en tout état de cause, le présent moyen serait inopérant.
Appréciation de la Cour
59 Selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 256 TFUE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêt du 1^er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, non encore publié au Recueil,
point 43 et jurisprudence citée).
60 En l’espèce, le pourvoi permet certes d’identifier l’élément critiqué de l’arrêt attaqué, à savoir les points 121 à 129 de celui-ci.
61 Toutefois, force est de constater que l’argumentation à l’appui du présent moyen n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de la légalité. En effet, les éléments essentiels sur lesquels le présent moyen est fondé ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard. Dans ces conditions, la Cour n’est pas en mesure d’exercer son contrôle de la
légalité, sous peine de statuer ultra petita (voir notamment, par analogie, arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, Rec. p. I‑10821, point 106; du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C‑227/04 P, Rec. p. I‑6767, point 83; du 14 janvier 2010, Commission/République tchèque, C‑343/08, Rec. p. I‑275, point 26, ainsi que du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, non encore publié au Recueil, points 48 et 49).
62 Même à supposer que le présent moyen doive être interprété comme faisant valoir une omission de la part du Tribunal de sanctionner un prétendu défaut de prise en compte de la part de la Commission des éléments de preuve présentés par la requérante, il conviendrait de constater que pareille critique constituerait un moyen nouveau susceptible de modifier l’objet du litige devant le Tribunal.
63 En effet, ainsi qu’il ressort du dossier du litige devant le Tribunal, par son recours, la requérante n’a pas critiqué en première instance que la décision litigieuse ait principalement répondu aux arguments d’Elf Aquitaine.
64 Or, selon l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. Ainsi, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc modifier l’objet dudit litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais
qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (voir en ce sens, notamment, arrêts du 1^er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59; du 30 mars 2000, VBA/VGB e.a., C‑266/97 P, Rec. p. I‑2135, point 79, ainsi que du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C‑280/08 P, non encore publié au
Recueil, point 34). Un tel moyen doit donc être considéré comme irrecevable au stade du pourvoi.
65 Dans ces conditions, le troisième moyen du pourvoi doit être rejeté.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
Argumentation des parties
66 Selon la requérante, le Tribunal a violé le principe de proportionnalité en validant la méthode de calcul utilisée par la Commission pour déterminer la composante de la sanction pécuniaire relative à la récidive d’Arkema. Cette méthode impliquerait une double prise en compte du chiffre d’affaires d’Arkema dans le calcul des assiettes respectives auxquelles s’appliquent les coefficients multiplicateurs retenus pour Elf Aquitaine et Arkema au titre du facteur de dissuasion. Le Tribunal
n’aurait pas contesté l’existence de ce double comptage, mais l’aurait justifié par l’exigence de la Commission de ne pas s’écarter de la méthode de calcul des lignes directrices de l’année 1998, en conférant, par conséquent, à ces dernières «une force contraignante absolue» qu’elles n’auraient pas.
67 Selon la Commission, le quatrième moyen repose sur une mauvaise compréhension de la décision litigieuse.
Appréciation de la Cour
68 Le présent moyen du pourvoi se fonde, pour l’essentiel, sur la critique selon laquelle le Tribunal aurait omis de sanctionner un «double comptage» interdit du chiffre d’affaires d’Arkema dans la décision litigieuse.
69 Toutefois, cette critique se fonde sur une lecture erronée tant de la décision litigieuse que de l’arrêt attaqué.
70 Ainsi qu’il ressort du point 6 du présent arrêt, dans la décision litigieuse, la Commission a considéré, en substance, qu’il convenait de sanctionner pour récidive uniquement la requérante et non sa société mère, Elf Aquitaine, puisque cette dernière ne contrôlait pas la requérante à l’époque de la première infraction. Elle a par conséquent infligé, en sus de l’amende de 45 millions d’euros adressée conjointement et solidairement à Elf Aquitaine et à la requérante, une amende distincte de
13,5 millions d’euros à la seule requérante pour prendre en compte son comportement récidiviste.
71 Ainsi qu’il ressort notamment du point 204 de l’arrêt attaqué, en fixant le montant de cette dernière amende, la Commission a suivi une méthode basée sur celle découlant des lignes directrices de l’année 1998.
72 Conformément à cette méthode, les constituants d’une amende afférents à des circonstances aggravantes, telles que la récidive, sont calculés sur le fondement d’un «montant de base» qui lui-même se calcule à partir d’un «montant de départ» augmenté par un facteur multiplicateur relatif à la durée de l’infraction.
73 En substance, ce montant de départ est fixé en fonction de la gravité de l’infraction et de l’impact réel sur la concurrence du comportement infractionnel de l’entité concernée. Le cas échéant, compte tenu de la capacité économique effective de l’entité concernée, ce montant peut être ajusté en vue d’assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende.
74 Il ressort, en substance, du point 199 de l’arrêt attaqué, que, afin de calculer le montant de l’amende infligée à la seule requérante, la Commission a veillé à éviter qu’entre en ligne de compte, pour l’ajustement, au titre de dissuasion, du montant de départ servant de base à cette amende, un coefficient qui ne reflète pas la capacité économique effective de la requérante prise indépendamment de sa société mère, Elf Aquitaine.
75 Ainsi, la note infrapaginale n° 222 de la décision litigieuse, reproduite audit point 199 de l’arrêt attaqué, indique:
«[...] Le facteur multiplicateur appliqué à Elf [Aquitaine], 2,5, n’est pas inclus dans le calcul. Au lieu de cela, un facteur multiplicateur 1,5, qui aurait été appliqué si [Arkema] avait été le seul destinataire de la décision (étant donné son chiffre d’affaires mondial de 17,8 milliards d’euros) sera utilisé aux fins [du] calcul de la récidive. [...]»
76 En d’autres termes, en vue de fixer le montant de départ pour le calcul de l’amende à infliger à la seule société Arkema, la Commission a utilisé un facteur multiplicateur hypothétique de 1,5 – différant du coefficient de 2,5 utilisé dans le calcul de l’amende adressée conjointement et solidairement à Elf Aquitaine et à Arkema –, et ce afin de tenir compte de la moindre capacité économique de cette dernière entité prise isolément, dissociée de sa société mère.
77 Ensuite, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 9, 16 à 21 et 203 de l’arrêt attaqué, la Commission a appliqué ce facteur multiplicateur hypothétique de 1,5, dit, aux termes dudit point 203, «coefficient multiplicateur au titre de la dissuasion» à un montant de départ – également hypothétique dans le cadre du calcul de l’amende adressée à la seule société Arkema – de 12 millions d’euros, lequel a été établi en fonction de la gravité de l’infraction en cause et du poids relatif
d’Arkema par rapport aux autres participants à l’infraction litigieuse. Le produit de ces deux chiffres (18 millions d’euros) a ensuite été majoré de 150 %, au titre de la durée de l’infraction, laquelle, dans le cas de la requérante, était considérée comme s’étendant du 1^er janvier 1984 au 7 mai 1999.
78 Le «montant de base» résultant des opérations décrites au point précédent du présent arrêt, à savoir 45 millions d’euros, est, ainsi que le relève le Tribunal au point 203 de l’arrêt attaqué, hypothétique. Il sert uniquement au calcul du montant de l’amende à adresser à la seule société Arkema au titre d’un comportement récidiviste.
79 Par ailleurs, ainsi que la Commission le rappelle à juste titre, ce n’est que par coïncidence que ce montant de base hypothétique équivaut au montant final de l’amende séparée qui a été adressée conjointement et solidairement à la requérante et à Elf Aquitaine.
80 Ce n’est qu’à partir de ce montant de base hypothétique que la Commission a pu calculer le montant dû au titre d’un comportement récidiviste de la part de la seule requérante, prise indépendamment de sa société mère.
81 Ainsi que le Tribunal le rappelle au point 201 de l’arrêt attaqué, aux termes des points 2 et 3 des lignes directrices de l’année 1998, la Commission, après avoir déterminé le montant de base de l’amende en considération de la gravité et de la durée de l’infraction, procède, le cas échéant, à une augmentation et à une diminution dudit montant au titre des circonstances aggravantes et atténuantes.
82 En l’espèce, ainsi que le Tribunal le constate, en substance, au point 203 de l’arrêt attaqué, la Commission a effectivement appliqué un coefficient de 50 %, au titre de la récidive de la requérante, audit montant de base hypothétique de 45 millions d’euros.
83 Cette opération a donné un chiffre attribuable au comportement récidiviste de la seule requérante, prise indépendamment d’Elf Aquitaine, de 22,5 millions d’euros.
84 Or, ainsi qu’il ressort des points 26 à 28 de l’arrêt attaqué, la Commission, estimant que la requérante pouvait bénéficier d’une diminution significative du montant de son amende, en application du point D 2, premier et deuxième tirets, de la communication sur la coopération, lui a accordé une réduction de 40 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération avec les services de la Commission.
85 Partant d’un montant de 22,5 millions d’euros, le montant de l’amende qui a été finalement imposée à Arkema, au titre de l’article 2, sous d), de la décision litigieuse, s’élève à 13,5 millions d’euros.
86 Dans ces conditions, dans la mesure où le chiffre d’affaires d’Arkema a été pris en compte, d’une part, aux fins du calcul du montant de base sous-tendant l’amende adressée conjointement et solidairement à Elf Aquitaine et à la requérante et, d’autre part, en vue de calculer le montant de l’amende infligée à la seule requérante au titre de son comportement récidiviste, la Commission n’a pas effectué, contrairement au prétentions de la requérante, de «double comptage» disproportionné que le
Tribunal aurait dû sanctionner.
87 La requérante reproche par ailleurs au Tribunal d’avoir, au point 205 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en interprétant les lignes directrices de l’année 1998 comme ayant une force contraignante absolue.
88 Il ressort certes de la jurisprudence, ainsi qu’Arkema le relève, que les lignes directrices de l’année 1998 n’énoncent que des règles de conduite indicatives de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425,
points 209 et 210).
89 Toutefois, contrairement aux prétentions de la requérante, au point 205 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a nullement accordé de manière illicite une «force contraignante absolue» auxdites lignes directrices.
90 En réalité, un tel reproche repose sur une lecture sélective, voire erronée, dudit point 205.
91 En effet, il résulte du libellé de ce même point 205, exposé au point 21 du présent arrêt, que le Tribunal se borne à relever, en substance, que, «si elle ne souhaitait pas s’écarter de la méthode de calcul des lignes directrices [de l’année 1998]», la Commission était tenue de suivre la méthodologie exposée ci-avant, en calculant à nouveau «un montant de base hypothétique».
92 Le Tribunal n’a ainsi nullement exclu que la Commission, le cas échéant, dans le respect du droit de l’Union et une motivation adéquate à l’appui, puisse avoir recours à une autre méthodologie pour le calcul des amendes en matière du droit de l’Union de la concurrence.
93 Au demeurant, au point 207 de l’arrêt attaqué, le Tribunal juge que, la Commission n’étant pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise et disposant d’un pouvoir d’appréciation dans la détermination du montant de l’amende, elle a pu prendre en considération la différence de capacité économique en appliquant un coefficient multiplicateur de 1,5 pour Arkema et de 2,5 pour l’ensemble du groupe Elf Aquitaine, sans violer le principe de proportionnalité.
94 S’agissant du choix de ces coefficients multiplicateurs de 1,5 et de 2,5, la requérante ne conteste pas la manière dont ceux-ci ont été déterminés ni leur niveau, se bornant, en substance, à affirmer que leur application a conduit à un double comptage interdit de son chiffre d’affaires.
95 Il s’ensuit que le quatrième moyen du pourvoi doit être rejeté comme non fondé.
96 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
97 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’Arkema et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Arkema SA est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.