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22/12/2010 | CJUE | N°C-517/09

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, RTL Belgium SA., 22/12/2010, C-517/09


Affaire C-517/09

RTL Belgium SA, anciennement TVi SA

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Collège d'autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel)

«Directive 89/552/CEE — Services de radiodiffusion télévisuelle — Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel — Notion de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE — Incompétence de la Cour»

Sommaire de l'arrêt

Questions préjudicielles — Saisine de la Cour — Juridiction nationale

au sens de l'article 267 TFUE — Notion

(Art. 267 TFUE)

Pour apprécier si un organisme de renvoi possède le c...

Affaire C-517/09

RTL Belgium SA, anciennement TVi SA

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Collège d'autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel)

«Directive 89/552/CEE — Services de radiodiffusion télévisuelle — Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel — Notion de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE — Incompétence de la Cour»

Sommaire de l'arrêt

Questions préjudicielles — Saisine de la Cour — Juridiction nationale au sens de l'article 267 TFUE — Notion

(Art. 267 TFUE)

Pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l'Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance.

En ce qui concerne, plus précisément, l’indépendance de l’organisme de renvoi, cette notion comporte deux aspects. Le premier aspect, externe, suppose que l’instance soit protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l’indépendance de jugement de ses membres quant aux litiges qui leur sont soumis. Le second aspect, interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de
l’objet de celui-ci.

Ce critère d’indépendance n’est pas rempli par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est chargé de contrôler le respect par les éditeurs de services de média concernés des règles sur l’audiovisuel et de sanctionner les infractions éventuelles, et, partant, ce collège ne constitue pas une juridiction au sens de l'article 267 TFUE. En effet, ni l’organisation structurelle du Conseil supérieur de l’audiovisuel et des organes qui le composent ni les missions
qui leur sont imparties ne permettent de considérer que ledit collège intervient comme un tiers impartial entre, d’une part, le contrevenant présumé et, d’autre part, l’autorité administrative chargée de la surveillance du secteur de l’audiovisuel. En particulier, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, organe décisionnel, présente, par l’intermédiaire du bureau du Conseil supérieur de l’audiovisuel, un lien fonctionnel avec ledit conseil dans son ensemble
ainsi qu’avec le secrétariat d’instruction, sur proposition duquel il décide. Il en résulte que, lorsqu’il adopte une décision, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel ne se distingue pas de l’organe administratif de contrôle, lequel peut s’apparenter à une partie dans le cadre d’une procédure en matière d’audiovisuel. Cette constatation est corroborée par le fait que le bureau représente le Conseil supérieur de l'audiovisuel en justice et à l'égard des tiers.

(cf. points 36, 39-42, 44-46)

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 décembre 2010 (*)

«Directive 89/552/CEE – Services de radiodiffusion télévisuelle – Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel – Notion de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE – Incompétence de la Cour»

Dans l’affaire C‑517/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (Belgique), par décision du 3 décembre 2009, parvenue à la Cour le 11 décembre 2009, dans la procédure concernant

RTL Belgium SA, anciennement TVi SA,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. A. Rosas et M^me P. Lindh (rapporteur), juges,

avocat général: M^me J. Kokott,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 novembre 2010,

considérant les observations présentées:

– pour RTL Belgium SA, anciennement TVi SA, par M^es F. Tulkens et S. Seys, avocats,

– pour CLT‑UFA, par M^e G. de Foestraets, avocat,

– pour le gouvernement belge, par M^me M. Jacobs, en qualité d’agent, assistée de M^e A. Feyt, avocat,

– pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent, assisté de M^e P. Kinsch, avocat,

– pour la Commission européenne, par M^mes C. Vrignon et E. Montaguti, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1^er, sous c), de la directive 89/552/CEE du Parlement européen et du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive «Services de médias audiovisuels») (JO L 298, p. 23), telle que modifiée par la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 11 décembre 2007 (JO L 332, p. 27, ci-après la «directive 89/552»).

2 Cette demande a été présentée par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel de la Communauté française de Belgique dans le cadre d’une procédure concernant RTL Belgium SA (ci-après la «société RTL Belgium»), soupçonnée d’avoir enfreint la réglementation nationale en matière de télé-achat.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 1^er, sous c) et d), de la directive 89/552 contient les définitions suivantes:

«c) ‘responsabilité éditoriale’: l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas d’émissions télévisées, soit sur un catalogue, dans le cas de services de médias audiovisuels à la demande. La responsabilité éditoriale n’a pas nécessairement pour corollaire une responsabilité juridique quelconque en vertu du droit national à l’égard du contenu ou des services fournis;

d) ‘fournisseur de services de médias’: la personne physique ou morale qui assume la responsabilité éditoriale du choix du contenu audiovisuel du service de médias audiovisuels et qui détermine la manière dont il est organisé».

4 L’article 2, paragraphes 1, 2, sous a), et 3, sous a) et b), de cette directive dispose:

«1. Chaque État membre veille à ce que tous les services de médias audiovisuels diffusés par des fournisseurs de services de médias relevant de sa compétence respectent les règles du droit applicable aux services de médias audiovisuels destinés au public dans cet État membre.

2. Aux fins de la présente directive relèvent de la compétence d’un État membre les fournisseurs de services de médias:

a) qui sont établis dans cet État membre conformément au paragraphe 3, […]

[…]

3. Aux fins de la présente directive, un fournisseur de services de médias est considéré comme étant établi dans un État membre dans les cas suivants:

a) le fournisseur de services de médias a son siège social dans cet État membre et les décisions éditoriales relatives aux services de médias audiovisuels sont prises dans cet État membre;

b) lorsqu’un fournisseur de services de médias a son siège social dans un État membre, mais que les décisions éditoriales relatives aux services de médias audiovisuels sont prises dans un autre État membre, il est réputé être établi dans l’État membre où opère une partie importante des effectifs employés aux activités de services de médias audiovisuels. Lorsqu’une partie importante des effectifs employés aux activités des services de médias audiovisuels opère dans chacun de ces États membres,
le fournisseur de services de médias est réputé être établi dans l’État membre où il a son siège social; lorsqu’une partie importante des effectifs employés aux activités de services de médias audiovisuels n’opère dans aucun de ces États membres, le fournisseur de services de médias est réputé être établi dans le premier État membre où il a commencé ses activités conformément au droit de cet État membre, à condition qu’il maintienne un lien économique stable et réel avec cet État membre».

Le droit national

5 Le décret coordonné sur les services de médias audiovisuels a été publié au Moniteur belge du 24 juillet 2009 (ci-après le «décret»).

6 L’article 1^er, points 16, 46 et 57, du décret contient les définitions suivantes:

«16) Éditeur de services: la personne physique ou morale qui assume la responsabilité éditoriale du choix du contenu du service de médias audiovisuels et qui détermine la manière dont il est organisé;

[…]

46) Responsabilité éditoriale: l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas de services linéaires, soit sur un catalogue dans le cas de services non linéaires;

[…]

57) Télé-achat: la diffusion d’offres directes au public, sous forme de programmes ou de spots, en vue de la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services, y compris des biens immeubles, ou de droits et d’obligations».

7 Selon l’article 2, paragraphe 3, du décret:

«Relève de la compétence de la Communauté française, tout éditeur de services:

1) Qui est établi en Région de langue française;

2) Qui est établi en région bilingue de Bruxelles-Capitale et dont les activités doivent être rattachées exclusivement à la Communauté française.»

8 L’article 31, paragraphe 6, du décret énonce:

«[…] la durée de diffusion de télé-achat est fixée par le Gouvernement, avec un maximum de trois heures par jour, rediffusions comprises.»

9 L’article 133 du décret dispose:

«Il est créé un Conseil supérieur de l’audiovisuel de la Communauté française de Belgique, autorité administrative indépendante jouissant de la personnalité juridique et chargée de la régulation du secteur de l’audiovisuel en Communauté française […]»

10 L’article 134 du décret prévoit que le Conseil supérieur de l’audiovisuel est composé de deux collèges, à savoir le Collège d’avis et le Collège d’autorisation et de contrôle, d’un bureau et d’un secrétariat d’instruction.

11 Aux termes de l’article 136, paragraphe 1, du décret, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel a notamment pour mission:

«1) d’acter les déclarations des éditeurs de services et d’autoriser certains éditeurs de services, à l’exception des télévisions locales et de la [Radio-Télévision belge de la Communauté française de Belgique];

2) d’autoriser l’usage de radiofréquences;

[…]

12) de constater toute violation aux lois, décrets et règlements en matière d’audiovisuel et tout manquement aux obligations découlant d’une convention conclue entre la Communauté française et un éditeur de services ou un distributeur de services, du contrat de gestion de la [Radio-Télévision belge de la Communauté française de Belgique] de la convention conclue entre le Gouvernement et chacune des télévisions locales ainsi que d’engagements pris dans le cadre d’une réponse aux appels d’offres
visés par le présent décret».

12 L’article 139, paragraphe 1, du décret précise la composition du Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cet article est libellé comme suit:

«Outre les [quatre] membres du bureau visé à l’article 142, paragraphe 1, le Collège d’autorisation et de contrôle est composé de six membres. Leur mandat est de quatre ans, renouvelable. […]

Sans préjudice des dispositions visées à l’article 142, paragraphe 1, les dix membres sont désignés dans le respect de l’article 9 de la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques. Sur les six membres visés à l’alinéa précédent, trois sont désignés par le Parlement de la Communauté française. Le Gouvernement complète le Collège après désignation des trois premiers membres par le Parlement de la Communauté française.

Les membres du Collège d’autorisation et de contrôle sont choisis parmi les personnes reconnues pour leurs compétences dans les domaines du droit, de l’audiovisuel ou de la communication.

[…]»

13 En vertu de l’article 140, paragraphe 1, du décret, le bureau du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est composé du président ainsi que des premier, deuxième et troisième vice-présidents dudit Conseil, représente ce dernier en justice et à l’égard des tiers. Selon le paragraphe 3 du même article, le bureau recrute le personnel du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Il recrute notamment les conseillers et les attachés du secrétariat d’instruction sur avis du secrétaire d’instruction.

14 Aux termes de l’article 142, paragraphe 1, du décret, les quatre membres du bureau sont nommés par le gouvernement.

15 Selon l’article 143 du décret, le secrétariat d’instruction reçoit les plaintes adressées au Conseil supérieur de l’audiovisuel et instruit les dossiers. Il peut également ouvrir d’initiative une instruction. Cet article énonce, par ailleurs, que le secrétariat d’instruction est dirigé par le secrétaire d’instruction sous l’autorité du bureau.

16 L’article 161 du décret énonce les règles de procédure que le secrétariat d’instruction et le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel doivent appliquer en cas de plainte ou de fait susceptibles de constituer notamment une violation des lois, des décrets et des règlements en matière d’audiovisuel. Son paragraphe 1 prévoit en particulier ce qui suit:

«[…] le secrétariat d’instruction ouvre une information et statue sur la recevabilité du dossier.

Si le dossier est recevable, le secrétariat d’instruction en assure l’instruction. Le secrétariat d’instruction peut classer sans suite.

[…]

Le Collège d’autorisation et de contrôle peut évoquer les décisions de non-recevabilité et de classement sans suite du secrétariat d’instruction.

Le rapport d’instruction est remis au Collège d’autorisation et de contrôle. [...]»

17 Aux termes de l’article 161, paragraphes 2 à 4, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel notifie ses griefs et le rapport d’instruction au contrevenant qui dispose d’un délai d’un mois pour consulter le dossier et présenter ses observations écrites. Le contrevenant est invité à comparaître. Ledit Collège peut entendre toute personne pouvant contribuer utilement à son information. Il rend une décision motivée dans les soixante jours qui suivent la clôture
des débats.

Les faits au principal et la question préjudicielle

18 Le 8 octobre 2009, le secrétariat d’instruction a été saisi d’une plainte d’une téléspectatrice lui signalant que le service RTL Belgium aurait, quelques jours auparavant, diffusé un programme de télé-achat pendant 7 heures au cours d’une même journée alors que la limite légale est de 3 heures.

19 Après avoir vérifié que la limite autorisée avait été dépassée, le secrétariat d’instruction a adressé un courrier à la société RTL Belgium, établie en Belgique, pour recueillir ses commentaires éventuels.

20 Cette société a répondu que, selon elle, le secrétariat d’instruction n’était pas compétent pour mener une instruction la concernant, car c’était non pas elle, mais sa société mère CLT-UFA, établie au Luxembourg, qui était le fournisseur du service RTL Belgium.

21 Le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel se pose la question de savoir qui des autorités belges ou des autorités luxembourgeoises sont compétentes pour contrôler le service RTL Belgium. Si, comme le soutient le secrétariat d’instruction, c’est la société RTL Belgium qui est le fournisseur du service RTL Belgium, ledit Collège estime qu’il est compétent dès lors que cette société a son siège social en Belgique et que, selon ledit secrétariat, c’est en
Belgique que sont prises les décisions éditoriales.

22 La décision de renvoi contient notamment les informations suivantes concernant la société RTL Belgium et sa société mère CLT-UFA.

23 La société RTL Belgium a obtenu des autorisations successives des autorités belges d’éditer des services de radiodiffusion télévisuelle, notamment le service RTL Belgium, depuis l’année 1987. La dernière autorisation accordée à ce service est venue à échéance le 31 décembre 2005. La société RTL Belgium n’a pas demandé son renouvellement au motif que le service en question était désormais opéré depuis le Luxembourg par CLT-UFA.

24 Cette dernière, qui contrôle aujourd’hui la société RTL Belgium à 66 %, a obtenu une concession des autorités luxembourgeoises pour ce même service, depuis l’année 1995.

25 Par une décision du 29 novembre 2006, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel a considéré que la société RTL Belgium diffusait sans autorisation des services dont elle était l’éditeur, notamment le service RTL Belgium, en violation de la réglementation belge sur la radiodiffusion et l’a condamnée à une amende de 500 000 euros. La société RTL Belgium a introduit un recours en annulation de cette décision devant le Conseil d’État (Belgique), qui l’a
déclaré fondé et a annulé ladite décision par un arrêt du 15 janvier 2009.

26 Le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel expose que, dans cet arrêt, le Conseil d’État a jugé que la situation de double autorisation qui a duré jusqu’à l’année 2005 contrevenait à la règle selon laquelle un seul État membre est compétent à l’égard d’un organisme de radiodiffusion et pouvait entraver la libre circulation des services au sein de l’Union européenne. Le Conseil d’État aurait jugé non pertinent, dans ces conditions, la question de savoir qui
de CLT-UFA ou de la société RTL Belgium avait la qualité d’éditeur de service selon la terminologie du décret, ou de fournisseur de service selon la terminologie de la directive 89/552.

27 Le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel estime toutefois que cette question est pertinente dans le cadre de l’affaire au principal, compte tenu du nouveau cadre juridique applicable en Belgique depuis l’année 2009, lequel comprend, d’une part, le décret et, d’autre part, un protocole de coopération entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg.

28 Le décret est entré en vigueur le 28 mars 2009. Il prévoit notamment une nouvelle définition du concept de «responsabilité éditoriale».

29 Le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel considère qu’il est une juridiction au sens de l’article 267 TFUE et donc apte à saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle. Outre sa qualification légale d’autorité administrative indépendante, il satisferait aux critères dégagés par la Cour pour caractériser une juridiction au sens de cet article.

30 C’est dans ces conditions que le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La notion de ‘contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation’ inscrite à l’article 1^er, sous c), de la [directive 89/552] peut-elle s’interpréter comme permettant de considérer qu’une société, établie dans un État membre et autorisée par concession du gouvernement de cet État membre à fournir un service de média audiovisuel, exerce effectivement un tel contrôle alors qu’elle délègue, avec faculté de subdélégation, à une société tierce établie dans un autre État
membre, contre paiement d’une somme indéterminée correspondant au total du chiffre d’affaires publicitaire réalisé à l’occasion de la diffusion de ce service, la réalisation et la production de tous les programmes propres de ce service, la communication vers l’extérieur en matière de programmation ainsi que les services financiers, juridiques, de ressources humaines, de gestion des infrastructures et autres services relatifs au personnel, et alors qu’il apparaît que c’est au siège de cette société
tierce que se décident et se réalisent l’assemblage des programmes, les déprogrammations éventuelles et les bouleversements de grille liés à l’actualité?»

Sur la compétence de la Cour

31 À titre liminaire, il convient de vérifier si le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel constitue une juridiction au sens de l’article 267 TFUE et si, par conséquent, la Cour est compétente pour se prononcer sur la question qui lui est posée.

Observations soumises à la Cour

32 Le Royaume de Belgique et la Commission européenne considèrent que le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel remplit l’ensemble des critères retenus par la jurisprudence de la Cour pour caractériser une juridiction.

33 La société RTL Belgium, CLT-UFA et le gouvernement luxembourgeois estiment pour leur part que le critère d’indépendance n’est pas rempli.

34 La société RTL Belgium et CLT-UFA soutiennent, tout d’abord, que le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel n’est pas suffisamment indépendant de l’exécutif en ce que, notamment, le gouvernement belge assume une part prépondérante dans la nomination de ses membres. Ces derniers seraient, par ailleurs, désignés de manière à tenir compte des tendances idéologiques et philosophiques, ce qui les empêcherait d’être pleinement indépendants. Ensuite, il n’y
aurait pas de séparation fonctionnelle entre l’instruction et la prise de décision. Enfin, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel n’aurait qualité de tiers ni par rapport au plaignant éventuel, qu’il n’est pas tenu d’entendre, ni par rapport au secrétariat d’instruction qui est soumis à l’autorité du bureau.

35 Le gouvernement luxembourgeois fait valoir que le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel est partie au litige et ne possède donc pas l’indépendance requise, comme en atteste le fait qu’il est représenté lors d’un recours contre ses décisions devant le Conseil d’État.

Appréciation de la Cour

36 Selon une jurisprudence constante, pour apprécier si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir, notamment, arrêts du 17
septembre 1997, Dorsch Consult, C‑54/96, Rec. p. I‑4961, point 23; du 31 mai 2005, Syfait e.a., C‑53/03, Rec. p. I‑4609, point 29, et du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, Rec. p. I‑4673, point 16, ainsi que ordonnance du 14 mai 2008, Pilato, C‑109/07, Rec. p. I‑3503, point 22).

37 Il convient d’examiner en premier lieu le critère relatif à l’indépendance du Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

38 Conformément à la jurisprudence de la Cour, la notion d’indépendance, qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours (arrêts du 30 mars 1993, Corbiau, C‑24/92, Rec. p. I‑1277, point 15, et du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, Rec. p. I‑8613, point 49).

39 Cette notion comporte deux aspects. Le premier aspect, externe, suppose que l’instance soit protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l’indépendance de jugement de ses membres quant aux litiges qui leur sont soumis (arrêt Wilson, précité, points 50 et 51).

40 Le second aspect, interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci (arrêt Wilson, précité, point 52).

41 Il y a lieu de constater que ce critère d’indépendance n’est pas rempli par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

42 En effet, ni l’organisation structurelle du Conseil supérieur de l’audiovisuel et des organes qui le composent ni les missions qui leur sont imparties ne permettent de considérer que ledit Collège intervient comme un tiers impartial entre, d’une part, le contrevenant présumé et, d’autre part, l’autorité administrative chargée de la surveillance du secteur de l’audiovisuel.

43 S’agissant de l’organisation structurelle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, il y a lieu de relever, d’abord, que le bureau dudit Conseil est composé de quatre membres, à savoir le président, les premier, deuxième et troisième vice-présidents de celui-ci. Ensuite, ces derniers sont aussi membres du Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel dont ils constituent une partie significative, à savoir quatre de ses dix membres.

44 En ce qui concerne les missions imparties aux différents organes du Conseil supérieur de l’audiovisuel, il ressort du décret que, au sein de cette autorité administrative, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel est chargé de contrôler le respect par les éditeurs de services de média concernés des règles sur l’audiovisuel et de sanctionner les infractions éventuelles. Il s’appuie dans cette tâche sur le travail du secrétariat d’instruction lequel est
dirigé par le secrétaire d’instruction sous l’autorité du bureau.

45 Il y a lieu de constater que le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, organe décisionnel, présente, par l’intermédiaire du bureau, un lien fonctionnel avec ledit Conseil dans son ensemble ainsi qu’avec le secrétariat d’instruction, sur proposition duquel il décide. Il en résulte que, lorsqu’il adopte une décision, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel ne se distingue pas de l’organe administratif de contrôle,
lequel peut s’apparenter à une partie dans le cadre d’une procédure en matière d’audiovisuel (voir, par analogie, arrêt Syfait e.a., précité, point 33).

46 Cette constatation est corroborée, par ailleurs, par le fait que le bureau représente le Conseil supérieur de l’audiovisuel en justice et à l’égard des tiers.

47 Il s’ensuit que, lorsqu’il prend la décision litigieuse, le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel n’a pas la qualité de tiers par rapport aux intérêts en présence et, partant, ne possède pas l’impartialité requise vis-à-vis du contrevenant éventuel, en l’occurrence la société RTL Belgium, pour constituer une juridiction au sens de l’article 267 TFUE.

48 Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner si les autres critères permettant d’apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE sont remplis par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

49 Dans ces conditions, la Cour n’est pas compétente pour répondre à la question posée.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:

La Cour n’est pas compétente pour répondre à la question posée par le Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans sa décision du 3 décembre 2009.

Signatures

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* Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-517/09
Date de la décision : 22/12/2010
Type de recours : Recours préjudiciel - irrecevable

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Collège d'autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel - Belgique.

Directive 89/552/CEE - Services de radiodiffusion télévisuelle - Collège d’autorisation et de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel - Notion de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE - Incompétence de la Cour.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : RTL Belgium SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Lindh

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2010:821

Source

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