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08/09/2010 | CJUE | N°C-316/07,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Markus Stoß (C-316/07), Avalon Service-Online-Dienste GmbH (C-409/07) et Olaf Amadeus Wilhelm Happel (C-410/07) contre Wetteraukreis et Kulpa Automatenservice Asperg GmbH (C-358/07), SOBO Sport & Entertainment GmbH (C-359/07) et Andreas Kunert (C-360/07) contre Land Baden-Württemberg., 08/09/2010, C-316/07,


Affaires jointes C-316/07, C-358/07 à C-360/07, C-409/07 et C-410/07

Markus Stoß e.a.

contre

Wetteraukreis
et
Kulpa Automatenservice Asperg GmbH e.a.
contre
Land Baden-Württemberg

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Verwaltungsgericht Gießen et par le Verwaltungsgericht Stuttgart)

«Articles 43 CE et 49 CE — Liberté d’établissement — Libre prestation des services — Organisation de paris sur les compétitions sportives soumise à un monopole public à l’échelle d’un Land — Object

if de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude au jeu — Prop...

Affaires jointes C-316/07, C-358/07 à C-360/07, C-409/07 et C-410/07

Markus Stoß e.a.

contre

Wetteraukreis
et
Kulpa Automatenservice Asperg GmbH e.a.
contre
Land Baden-Württemberg

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Verwaltungsgericht Gießen et par le Verwaltungsgericht Stuttgart)

«Articles 43 CE et 49 CE — Liberté d’établissement — Libre prestation des services — Organisation de paris sur les compétitions sportives soumise à un monopole public à l’échelle d’un Land — Objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude au jeu — Proportionnalité — Mesure restrictive devant véritablement viser à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités de jeux de hasard d’une manière cohérente et systématique — Publicité
émanant du titulaire du monopole et encourageant la participation aux jeux de loterie — Autres jeux de hasard pouvant être proposés par des opérateurs privés — Expansion de l’offre d’autres jeux de hasard — Licence délivrée dans un autre État membre — Absence d’obligation de reconnaissance mutuelle»

Sommaire de l'arrêt

1. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions — Jeux de hasard

(Art. 43 CE et 49 CE)

2. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions — Jeux de hasard

(Art. 43 CE et 49 CE)

1. Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que:

a) pour pouvoir justifier un monopole public afférent aux paris sur les compétitions sportives et aux loteries, tel que ceux en cause dans les affaires au principal, par un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, les autorités nationales concernées ne doivent pas nécessairement être en mesure de produire une étude établissant la proportionnalité de ladite mesure qui soit antérieure à l’adoption de celle-ci;

b) le fait, pour un État membre, de privilégier un tel monopole par rapport à un régime autorisant l’activité d’opérateurs privés qui seraient admis à exercer leurs activités dans le cadre d’une réglementation à caractère non exclusif est susceptible de satisfaire à l’exigence de proportionnalité, pour autant que, s’agissant de l’objectif relatif à un haut niveau de protection des consommateurs, l’institution dudit monopole s’accompagne de la mise en place d’un cadre normatif assurant que le
titulaire de celui-ci sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, un tel objectif au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction dudit objectif et soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques;

c) la circonstance que les autorités compétentes d’un État membre pourraient être confrontées à certaines difficultés aux fins d’assurer le respect d’un tel monopole à l’égard d’organisateurs de jeux et de paris établis à l’étranger, qui concluraient, via Internet et en infraction avec ledit monopole, des paris avec des personnes se trouvant dans le ressort territorial desdites autorités, n’est pas de nature, en tant que telle, à affecter la conformité éventuelle d’un tel monopole avec lesdites
dispositions du traité;

d) dans une situation dans laquelle une juridiction nationale constate, tout à la fois:

- que les mesures de publicité émanant du titulaire d’un tel monopole et afférentes à d’autres types de jeux de hasard également proposés par celui-ci ne demeurent pas limitées à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers l’offre émanant de ce titulaire en les détournant d’autres canaux de jeux non autorisés, mais visent à encourager la propension des consommateurs au jeu et à stimuler leur participation active à celui-ci à des fins de maximisation des recettes escomptées de telles
activités,

- que d’autres types de jeux de hasard peuvent être exploités par des opérateurs privés bénéficiant d’une autorisation, et

- que, à l’égard d’autres types de jeux de hasard ne relevant pas dudit monopole et présentant en outre un potentiel de risque d’assuétude supérieur aux jeux soumis à ce monopole, les autorités compétentes mènent ou tolèrent des politiques d’expansion de l’offre de nature à développer et à stimuler les activités de jeu, notamment en vue de maximiser les recettes provenant de celles-ci,

ladite juridiction nationale peut légitimement être amenée à considérer qu’un tel monopole n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci en vue duquel il a été institué en contribuant à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique.

(cf. point 107, disp. 1)

2. Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, la circonstance qu’un opérateur dispose, dans l’État membre dans lequel il est établi, d’une autorisation lui permettant d’offrir des jeux de hasard ne fait pas obstacle à ce qu’un autre État membre subordonne, dans le respect des exigences du droit de l’Union, la possibilité, pour un tel opérateur, d’offrir de tels services à des consommateurs se trouvant sur son territoire, à la
détention d’une autorisation délivrée par ses propres autorités.

En effet, eu égard au pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres pour fixer, selon leur propre échelle de valeurs, le niveau de protection qu’ils entendent assurer et les exigences que comporte ladite protection, l’appréciation de la proportionnalité du système de protection mis en place par un État membre ne saurait notamment être influencée par la circonstance qu’un autre État membre a choisi un système de protection différent. Eu égard à cette marge d’appréciation et à l’absence de
toute harmonisation communautaire en la matière, une obligation de reconnaissance mutuelle des autorisations délivrées par les divers États membres ne saurait exister au regard de l’état actuel du droit de l’Union. Il s’ensuit notamment que chaque État membre demeure en droit de subordonner la possibilité pour tout opérateur désireux d’offrir des jeux de hasard à des consommateurs se trouvant sur son territoire à la détention d’une autorisation délivrée par ses autorités compétentes, sans que la
circonstance qu’un opérateur particulier dispose déjà d’une autorisation délivrée dans un autre État membre puisse y faire obstacle.

(cf. points 111-113, 116, disp. 2)

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

8 septembre 2010 (*)

«Articles 43 CE et 49 CE – Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Organisation de paris sur les compétitions sportives soumise à un monopole public à l’échelle d’un Land – Objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude au jeu – Proportionnalité – Mesure restrictive devant véritablement viser à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités de jeux de hasard d’une manière cohérente et systématique – Publicité
émanant du titulaire du monopole et encourageant la participation aux jeux de loterie – Autres jeux de hasard pouvant être proposés par des opérateurs privés – Expansion de l’offre d’autres jeux de hasard – Licence délivrée dans un autre État membre – Absence d’obligation de reconnaissance mutuelle»

Dans les affaires jointes C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Verwaltungsgericht Gießen (Allemagne) (C‑316/07, C‑409/07 et C‑410/07) et par le Verwaltungsgericht Stuttgart (Allemagne) (C‑358/07 à C‑360/07), par décisions des 7 mai (C‑316/07), 24 juillet (C‑358/07 à C‑360/07) et 28 août 2007 (C‑409/07 et C‑410/07), parvenues à la Cour, respectivement, les 9 juillet, 2 août et 3 septembre 2007, dans les procédures

Markus Stoß (C‑316/07),

Avalon Service‑Online‑Dienste GmbH (C‑409/07),

Olaf Amadeus Wilhelm Happel (C‑410/07)

contre

Wetteraukreis,

et

Kulpa Automatenservice Asperg GmbH (C‑358/07),

SOBO Sport & Entertainment GmbH (C‑359/07),

Andreas Kunert (C‑360/07)

contre

Land Baden‑Württemberg,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et M^me P. Lindh, présidents de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 décembre 2009,

considérant les observations présentées:

– pour MM. Stoß et Kunert ainsi qu’Avalon Service‑Online‑Dienste GmbH, par M^es R. Reichert et M. Winkelmüller, Rechtsanwälte,

– pour M. Happel, par M^e R. Reichert, Rechtsanwalt,

– pour Kulpa Automatenservice Asperg GmbH, par M^e M. Maul, Rechtsanwalt, et M^e R. Jacchia, avvocato,

– pour SOBO Sport & Entertainment GmbH, par M^es J. Kartal et M. Winkelmüller, Rechtsanwälte,

– pour le Wetteraukreis, par MM. E. Meiß et J. Dietlein, en qualité d’agents,

– pour le Land Baden-Württemberg, par M^e M. Ruttig, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma, B. Klein et J. Möller, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement belge, par M^mes L. Van den Broeck et A. Hubert, en qualité d’agents, assistées de M^e P. Vlaemminck, advocaat,

– pour le gouvernement danois, par M. J. Bering Liisberg, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia ainsi que par M^mes I. Bruni et G. Palmieri, en qualité d’agents, assistés de M. P. Gentili et M^me F. Arena, avvocati dello Stato,

– pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par M^me C. Wissels et M. M. de Grave, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M^me C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent, assisté de M^me A. Barros, advogada,

– pour le gouvernement slovène, par M^me N. Pintar Gosenca, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement norvégien, par MM. P. Wennerås et K. B. Moen, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. E. Traversa, M^me P. Dejmek et M. H. Krämer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mars 2010,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, M. Stoß, Avalon Service-Online-Dienste GmbH (ci-après «Avalon») et M. Happel au Wetteraukreis et, d’autre part, Kulpa Automatenservice Asperg GmbH (ci-après «Kulpa»), SOBO Sport & Entertainment GmbH (ci-après «SOBO») et M. Kunert au Land Baden-Württemberg, au sujet de décisions prises par ces deux autorités interdisant, sous peine d’amende, la poursuite, par les intéressés, de toute activité visant à permettre ou
à faciliter la conclusion de paris sur les compétitions sportives organisés par des prestataires établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne.

Le cadre juridique national

Le droit fédéral

3 L’article 284 du code pénal (Strafgesetzbuch, ci-après le «StGB») énonce:

«(1) Quiconque organise ou tient publiquement un jeu de hasard sans autorisation administrative ou fournit les installations nécessaires à cet effet est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement au maximum ou d’une amende.

[...]

(3) Quiconque agit dans les cas visés au paragraphe 1

1. de façon professionnelle [...]

[...]

est passible d’une peine de trois mois à cinq ans d’emprisonnement.

[...]»

4 Exception faite des paris relatifs à des compétitions hippiques officielles, qui relèvent notamment de la loi relative aux paris sur les courses et aux loteries (Rennwett- und Lotteriegesetz, ci-après le «RWLG»), et de l’installation ainsi que de l’exploitation d’appareils de jeux avec possibilité de gain dans des établissements autres que les casinos (salons de jeux, cafés, restaurants, lieux d’hébergement), qui relèvent notamment du code relatif à l’exercice des professions artisanales,
commerciales et industrielles (Gewerbeordnung) et du règlement sur les machines à jeux et autres jeux avec possibilité de gain (Verordnung über Spielgeräte und andere Spiele mit Gewinnmöglichkeit), la détermination des conditions dans lesquelles des autorisations au sens de l’article 284, paragraphe 1, du StGB peuvent être délivrées en matière de jeux de hasard est intervenue au niveau des différents Länder.

5 L’article 1^er, paragraphe 1, du RWLG énonce:

«L’association qui veut exploiter une entreprise de paris mutuels à l’occasion de courses publiques de chevaux ou d’autres concours publics de performances hippiques doit en avoir obtenu l’autorisation des autorités compétentes selon le droit du Land.»

6 L’article 2, paragraphe 1, du RWLG dispose:

«Celui qui, à titre commercial, veut conclure des paris sur des concours publics de performances hippiques ou servir d’intermédiaire pour de tels paris (Bookmaker) doit en avoir obtenu l’autorisation des autorités compétentes selon le droit du Land.»

Le LottStV

7 Par le traité d’État relatif aux loteries en Allemagne (Staatsvertrag zum Lotteriewesen in Deutschland, ci-après le «LottStV»), entré en vigueur le 1^er juillet 2004, les Länder ont créé un cadre uniforme pour l’organisation, l’exploitation et le placement, à titre commercial, de jeux de hasard, à l’exception des casinos.

8 L’article 1^er du LottStV énonce:

«Le traité d’État a pour objectif

1. de canaliser de manière ordonnée et surveillée la propension naturelle au jeu de la population et, en particulier, d’éviter qu’elle ne se reporte sur les jeux de hasard non autorisés,

2. d’empêcher les incitations excessives au jeu,

3. d’exclure une exploitation de la propension au jeu à des fins lucratives privées ou commerciales,

4. de garantir que les jeux de hasard se déroulent d’une manière régulière et que leur logique soit compréhensible, et

5. de garantir qu’une part importante des recettes provenant des jeux de hasard soit utilisée pour promouvoir des objectifs publics ou bénéficiant d’un statut fiscal privilégié, au sens du code fiscal.»

9 L’article 5, paragraphes 1 et 2, du LottStV prévoit:

«1. Les Länder ont, dans le cadre des objectifs visés à l’article 1^er, l’obligation de droit de veiller à [l’existence d’]une offre suffisante de jeux de hasard.

2. Sur la base de la loi, les Länder peuvent assurer eux‑mêmes cette tâche ou la faire assurer par des personnes morales de droit public ou par des sociétés de droit privé dans lesquelles des personnes morales de droit public détiennent directement ou indirectement une participation déterminante.»

La réglementation du Land de Hesse

10 Aux termes de l’article 1^er de la loi sur les paris sur les compétitions sportives, loteries à tirages et loteries complémentaires étatiques en Hesse (Gesetz über staatliche Sportwetten, Zahlenlotterien und Zusatzlotterien in Hessen), du 3 novembre 1998 (GVBl. 1998 I, p. 406), telle que modifiée en dernier lieu le 13 décembre 2002 (GVBl. 2002 I, p. 797, ci-après le «GSZZ H»):

«(1) Le Land de Hesse est seul autorisé à organiser des paris sur les compétitions sportives sur son territoire. [...]

(2) Le Land de Hesse organise des loteries à tirage.

[...]

(4) Une personne morale de droit privé peut être chargée de la mise en œuvre de paris sur les compétitions sportives et de loteries organisés par le Land de Hesse.

[...]»

11 En application de l’article 1^er, paragraphes 1 et 4, du GSZZ H, les paris sur les compétitions sportives sont organisés et exploités par la Hessische Lotterieverwaltung (administration de la loterie du Land de Hesse) au nom du Land de Hesse, tandis que leur mise en œuvre technique a été confiée à Lotterie-Treuhandgesellschaft mbH Hessen.

12 L’article 5, paragraphe 1, du GSZZ H dispose:

«Toute personne qui, dans le Land de Hesse, sans agrément du Land

1. fait de la publicité,

2. invite à ou se propose pour la conclusion ou la négociation de contrats de jeu,

3. accepte des offres de conclusion ou de négociation de contrats de jeu

pour un pari sportif ou une loterie à tirage, est passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans au maximum ou d’une amende si l’acte ne tombe pas sous le coup de l’article 287 du code pénal.»

La réglementation du Land Baden-Württemberg

13 L’article 2 de la loi sur les loteries, paris et tirages d’État du Land Baden-Württemberg (Gesetz über staatliche Lotterien, Wetten und Ausspielungen), du 14 décembre 2004 (GBl. 2004, p. 894, ci-après le «StLG BW»), dispose:

«(1) Le Land organise les jeux de hasard suivants:

1. Loto

2. Loto sportif

3. Jeux de cartes à gratter.

[...]

(4) Le ministère des Finances décide de l’organisation des jeux de hasard d’État. La décision du ministère des Finances sur l’organisation de nouveaux jeux de hasard requiert l’approbation du Landtag. Le ministère des Finances peut confier la mise en œuvre des jeux de hasard organisés par le Land à une personne morale de droit privé dans laquelle le Land détient directement ou indirectement une participation déterminante.

[…]»

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Affaires C‑316/07, C‑409/07 et C‑410/07

14 M. Stoß, Avalon et M. Happel disposent chacun d’un local commercial situé dans le Wetteraukreis (Land de Hesse), en Allemagne, dans lequel ils exercent une activité comprenant le placement de paris sur les compétitions sportives (acceptation des paris, collecte des mises et paiement des gains). Les deux premiers requérants au principal exercent leur activité pour le compte de Happybet Sportwetten GmbH (ci‑après «Happybet Autriche»), société dont le siège est sis à Klagenfurt (Autriche), et
le troisième pour le compte de Happy Bet Ltd (ci‑après «Happy Bet UK»), société dont le siège est sis à Londres (Royaume‑Uni).

15 Happybet Autriche dispose d’un agrément pour la conclusion de paris sur des évènements sportifs dans la région de Klagenfurt délivré par le gouvernement régional du Land de Carinthie. Happy Bet UK dispose également d’une autorisation délivrée par les autorités compétentes du Royaume-Uni.

16 Par arrêtés datant, respectivement, des 11 février 2005, 18 et 21 août 2006, l’autorité de police administrative du Wetteraukreis a interdit à MM. Happel et Stoß ainsi qu’à Avalon de promouvoir et de conclure dans leurs locaux commerciaux des paris sur les compétitions sportives pour le compte d’autres organisateurs que la Hessische Lotterieverwaltung ou de mettre à disposition des installations à l’effet de promouvoir ou de conclure de tels paris. Ces arrêtés sont fondés sur le fait que ni
les intéressés ni les organisateurs de paris pour le compte desquels ils agissent ne disposent d’un agrément du Land de Hesse autorisant leur activité. Ils n’auraient en outre ni demandé un tel agrément ni tenté d’apporter une clarification du droit au moyen d’un recours en justice. Aux termes desdits arrêtés, les activités ainsi interdites devaient avoir cessé dans un délai de sept jours, sous peine d’une amende de 10 000 euros.

17 La réclamation introduite par M. Happel contre l’arrêté du 11 février 2005 a été rejetée le 20 février 2007. Les réclamations de M. Stoß et d’Avalon, respectivement dirigées contre les arrêtés des 18 et 21 août 2006, ont été rejetées le 8 décembre 2006.

18 MM. Stoß et Happel ainsi qu’Avalon ont saisi le Verwaltungsgericht Gießen (tribunal administratif de Gießen) de recours en annulation dirigés contre les arrêtés ainsi confirmés, au motif que ceux-ci enfreignent les règles communautaires consacrant le droit à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. Selon eux, le monopole en matière de paris sur les compétitions sportives, sur lequel s’appuient les décisions en cause au principal, est contraire aux articles 43 CE et
49 CE. Happybet Autriche et Happy Bet UK disposeraient en outre, dans l’État membre dont elles relèvent, des autorisations requises pour organiser des paris sur les compétitions sportives et de telles autorisations devraient être reconnues par les autorités allemandes.

19 Le Verwaltungsgericht Gießen relève que MM. Stoß et Happel ainsi qu’Avalon ne sont, pas davantage que Happybet Autriche et Happy Bet UK, titulaires de l’agrément requis en vertu des articles 284 du StGB et 5, paragraphe 1, du GSZZ H pour pouvoir exploiter les activités en cause. Il précise en outre que, eu égard au monopole dont bénéficie le Land de Hesse en matière d’organisation de paris sur les compétitions sportives en vertu de l’article 1^er, paragraphe 1, du GSZZ H et à l’absence
totale de règles prévoyant les conditions dans lesquelles un agrément pourrait, le cas échéant, être accordé à un opérateur privé, toute demande d’un tel agrément par les intéressés serait vouée à l’échec.

20 Ladite juridiction doute que les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services résultant de cette situation puissent être justifiées au regard d’objectifs d’intérêt général tels que la prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu ou la lutte contre l’assuétude à celui-ci, à défaut pour le monopole en cause au principal de satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité. Or, en l’absence d’une telle justification, les articles 43
CE et 49 CE s’opposeraient, ainsi qu’il ressortirait notamment des arrêts du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., (C‑243/01, Rec. p. I‑13031), ainsi que du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, Rec. p. I‑1891), tant à l’application des sanctions que prévoient les articles 284 du StGB et 5, paragraphe 1, du GSZZ H qu’aux mesures de police contestées.

21 Les doutes qu’éprouve ladite juridiction quant à l’absence de conformité du monopole en cause au principal avec le droit de l’Union sont de trois types.

22 Se référant à l’arrêt du 13 novembre 2003, Lindman (C‑42/02, Rec. p. I‑13519), le Verwaltungsgericht Gießen se demande, premièrement, s’il est loisible à un État membre de se prévaloir de l’objectif déclaré de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, afin de justifier une mesure restrictive lorsque ledit État membre n’est pas en mesure de justifier de l’existence d’une étude effectuée antérieurement à l’adoption de ladite
mesure et portant sur la proportionnalité de celle-ci. Une telle étude, qui impliquerait un examen du marché des jeux, de leurs dangers et des possibilités de prévenir ceux-ci ainsi que des effets des restrictions envisagées, n’aurait, en l’occurrence, pas été effectuée préalablement à la conclusion du LottStV et à l’adoption du GSZZ H.

23 Deuxièmement, il serait douteux que la réglementation en cause au principal se limite au strict nécessaire, dès lors que l’objectif ainsi poursuivi pourrait également être atteint par la mise en place d’un contrôle destiné à s’assurer du respect, par les organisateurs de paris privés, des règles relatives aux types et aux méthodes d’offres autorisés et à la publicité, en portant ainsi une moindre atteinte aux libertés consacrées par le traité CE.

24 Troisièmement, aux fins de s’assurer que la politique des autorités visant à prévenir une incitation à des dépenses excessives liées au jeu et à lutter contre l’assuétude à celui-ci est menée de manière cohérente et systématique, ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour et notamment l’arrêt Gambelli e.a., précité, il pourrait être nécessaire d’avoir égard, exhaustivement, aux conditions dans lesquelles se trouvent autorisées toutes les formes de jeux, sans limiter l’examen au seul
secteur de jeu couvert par le monopole en cause au principal.

25 Or, il n’y aurait pas, dans le Land de Hesse, de politique cohérente et systématique de restriction des jeux de hasard, en particulier parce que le titulaire du monopole public relatif aux paris sur les compétitions sportives encourage à participer à d’autres jeux de hasard, que, s’agissant des jeux de casino, ledit Land ouvre de nouvelles possibilités de jeux, notamment sur Internet, et que la législation fédérale autorise l’exploitation d’autres jeux de hasard par des opérateurs privés.

26 Par ailleurs, eu égard à la circonstance que Happybet Autriche et Happy Bet UK disposent d’un agrément leur permettant de proposer des paris sur les compétitions sportives en ayant recours à des moyens techniques modernes et qu’elles sont vraisemblablement soumises, dans l’État membre dans lequel elles sont établies, à un régime de contrôle et de sanction, la juridiction de renvoi se demande si les articles 43 CE et 49 CE n’ont pas pour conséquence d’imposer aux autorités allemandes de
reconnaître ces agréments.

27 C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Gießen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans le cadre de chacune des trois affaires dont il se trouve saisi, les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 43 CE et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’existence, dans un État membre, d’un monopole à l’égard de certains jeux de hasard comme les paris sportifs lorsqu’il n’existe pas, dans l’État membre en question, de politique cohérente et systématique de restriction des jeux de hasard, en particulier parce que les organisateurs disposant de concessions nationales encouragent à participer à d’autres jeux de hasard – comme les loteries nationales et
les jeux de casinos – et que, en outre, d’autres jeux, dont il est présumé qu’ils présentent un risque d’assuétude équivalent ou supérieur – comme les paris sur des évènements sportifs donnés (courses hippiques) et les jeux automatisés –, peuvent être proposés par des prestataires de services privés?

2) Les articles 43 CE et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens que les autorisations pour l’organisation de paris sur les compétitions sportives qui ne sont pas restreintes au territoire national correspondant et qui sont accordées par des organismes publics des États membres compétents autorisent le titulaire de l’autorisation ainsi que les tiers mandatés par celui-ci à proposer et à mettre en œuvre également sur le territoire d’autres États membres, et ce sans autorisation nationale
supplémentaire, les offres en cause pour la conclusion de contrats?»

Affaires C‑358/07 à C‑360/07

28 SOBO, M. Kunert et Allegro GmbH (ci-après «Allegro») disposent chacun d’un local commercial situé à Stuttgart (Allemagne). Le local qu’exploite Allegro lui a été loué par Kulpa.

29 SOBO, M. Kunert et Allegro exercent une activité comprenant le placement de paris sur les compétitions sportives (acceptation des paris et transmission électronique de ceux-ci à l’organisateur). La première exerce son activité pour le compte de Web.coin GmbH (ci-après «Web.coin»), société dont le siège est sis à Vienne (Autriche), le deuxième pour le compte de Tipico Co. Ltd (ci-après «Tipico»), société établie à Malte, et la troisième pour le compte de Digibet Ltd (ci-après «Digibet»),
société établie à Gibraltar.

30 Digibet, Tipico et Web.coin disposent chacune d’une licence délivrée par les autorités dont elles relèvent du fait de leur établissement les autorisant à organiser des paris sur les compétitions sportives.

31 Par arrêtés datant, respectivement, des 24 août 2006, 23 novembre 2006 et 11 mai 2007, le Regierungspräsidium de Karlsruhe a interdit à SOBO, à Kulpa et à M. Kunert d’organiser, de négocier, de promouvoir des paris sur les compétitions sportives ou de soutenir de telles activités dans le Land Baden-Württemberg. Aux termes desdits arrêtés, les activités ainsi interdites devaient avoir cessé dans un délai de deux semaines, sous peine d’une amende de 10 000 euros.

32 SOBO, Kulpa et M. Kunert ont saisi le Verwaltungsgericht Stuttgart de recours dirigés contre ces arrêtés au motif que le monopole relatif aux paris sur les compétitions sportives, sur lequel ils s’appuient, serait contraire aux articles 43 CE et 49 CE. Selon eux, les autorisations dont disposent Digibet, Web.coin et Tipico doivent en outre être reconnues par les autorités allemandes.

33 Tout en considérant que, selon la jurisprudence de la Cour, une monopolisation de l’activité de paris pourrait, le cas échéant, être compatible avec les articles 43 CE et 49 CE, et que les États membres disposent, à ce sujet, d’une certaine marge d’appréciation, le Verwaltungsgericht Stuttgart doute que tel soit le cas s’agissant du monopole en vigueur en matière de paris sur les compétitions sportives dans le Land Baden-Württemberg, tel qu’il résulte des articles 5, paragraphe 2, du LottStV
et 2, paragraphe 1, point 2, du StLG BW.

34 Les doutes de ladite juridiction rejoignent en grande partie ceux exprimés par le Verwaltungsgericht Gießen.

35 Premièrement, ni la conclusion du LottStV ni l’adoption du StLG BW n’auraient été précédées d’une étude consacrée aux dangers d’assuétude au jeu et aux diverses possibilités de prévention disponibles.

36 Deuxièmement, les restrictions ainsi apportées aux activités de paris sur les compétitions sportives ne satisferaient pas à l’exigence de cohérence et de systématisme dans la lutte contre le jeu découlant de la jurisprudence de la Cour. En effet, il n’aurait pas été tenu compte, dans une démarche d’ensemble, de tous les secteurs de jeux de hasard et, comparativement, du potentiel de risque et d’assuétude lié à chacun d’entre eux.

37 Même si les casinos font l’objet de régimes de concession détaillés et que les machines à sous autorisées dans les établissements de restauration sont soumises à des règles protectrices en vertu du code relatif à l’exercice des professions artisanales, commerciales et industrielles, il demeurerait que l’offre de ces jeux de hasard peut être le fait d’opérateurs privés, alors même que les machines à sous présenteraient un potentiel de risque d’assuétude plus élevé que les paris sur les
compétitions sportives.

38 En outre, le règlement sur les machines à jeux et autres jeux avec possibilité de gain aurait récemment été modifié aux fins d’augmenter le nombre de machines autorisées dans un restaurant ou une salle de jeu, de réduire la durée minimale par jeu et d’augmenter la limite des pertes admises.

39 Une politique de restriction cohérente et systématique ferait également défaut au vu de l’activité promotionnelle agressive qu’exerce le titulaire du monopole public. Les campagnes publicitaires massives menées pour les produits de loterie, notamment sur Internet et par voie d’affichage, afin d’encourager la participation au jeu mettraient en outre en exergue l’affectation des bénéfices à des activités sociales, culturelles et sportives ainsi que le besoin de financement desdites activités.
La maximisation des profits, destinés, à concurrence d’un plafond fixé par l’autorité publique, à de telles activités et, pour le solde, au budget public, deviendrait ainsi un enjeu principal de la politique développée en matière de jeux, et non un bénéfice purement accessoire de celle-ci.

40 Le Verwaltungsgericht Stuttgart se demande, troisièmement, si, s’agissant de l’appréciation du caractère approprié du monopole en cause au principal en ce qui concerne la poursuite des objectifs allégués, il ne conviendrait pas de tenir compte du fait que les organisateurs de paris établis dans d’autres États membres disposent en général d’une présence sur Internet grâce à laquelle des parieurs résidant en Allemagne peuvent conclure directement des transactions électroniques et de ce que,
face à un tel phénomène transfrontière, les autorités nationales seraient assez démunies et les mesures strictement nationales peu efficaces.

41 Par ailleurs, la question se poserait de savoir si les agréments dont disposent, dans l’État membre dans lequel ils sont établis, Digibet, Web.coin et Tipico afin d’offrir des paris sur les compétitions sportives sur Internet ne devraient pas bénéficier d’une reconnaissance mutuelle entre les États membres, dispensant ainsi leur titulaire d’obtenir une autorisation en Allemagne.

42 C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Stuttgart a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans le cadre de chacune des trois affaires dont il se trouve ainsi saisi, les questions préjudicielles suivantes, rédigées en termes très proches de ceux utilisés par le Verwaltungsgericht Gießen:

«1) Les articles 43 CE et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’existence, dans un État membre, d’un monopole à l’égard de certains jeux de hasard, comme les paris sur les compétitions sportives et les loteries, lorsqu’il n’existe pas dans l’État membre en question de politique cohérente et systématique de restriction des jeux de hasard parce que les organisateurs disposant de concessions nationales encouragent et promeuvent la participation à d’autres jeux de
hasard – comme les paris nationaux sur les compétitions sportives et les loteries nationales – et que, en outre, d’autres jeux présentant un risque d’assuétude équivalent ou supérieur – comme les paris sur des évènements sportifs donnés (courses hippiques), les jeux automatisés et les jeux de casino – peuvent être proposés par des prestataires de services privés?

2) Les articles 43 CE et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens que les autorisations pour l’organisation de paris sur les compétitions sportives, qui ne sont pas restreintes au territoire national correspondant et qui sont accordées par des organismes publics des États membres compétents, autorisent le titulaire de l’autorisation ainsi que les tiers mandatés par celui-ci à proposer et à mettre en œuvre également sur le territoire d’autres États membres et sans autorisation nationale
supplémentaire les offres en cause pour la conclusion de contrats?»

43 Par ordonnance du président de la Cour du 15 octobre 2007, les affaires C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur la demande tendant à la réouverture de la procédure orale

44 Par lettre du 21 juin 2010, MM. Stoß, Happel et Kunert ainsi qu’Avalon ont demandé la réouverture de la procédure orale en relevant, en substance, qu’il a récemment été révélé dans la presse allemande qu’une étude datant de l’année 2009, commandée par les Länder allemands et afférente aux risques d’assuétude liés aux paris sportifs et aux mesures idoines pour lutter contre de tels risques, aurait fait l’objet de certaines manipulations. Selon ces requérants, qui se réfèrent à cet égard aux
doutes exprimés par les juridictions de renvoi quant aux conséquences susceptibles de découler de l’arrêt Lindman, précité, lesdits Länder ne sauraient, dans ces conditions, se fonder sur ladite étude pour étayer le caractère proportionné des mesures restrictives en cause au principal.

45 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin
International, C-42/07, non encore publié au Recueil, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

46 Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits relève de la compétence du juge national. La Cour, en particulier, est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte communautaire à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale. C’est à cette dernière qu’il appartient, dans ce cadre,
d’établir les faits qui ont donné lieu au litige et d’en tirer les conséquences pour la décision qu’elle est appelée à rendre (voir, notamment, arrêt du 8 mai 2008, Danske Svineproducenter, C‑491/06, Rec. p. I‑3339, point 23 et jurisprudence citée).

47 En l’occurrence, il suffit de relever que l’étude à laquelle se réfèrent MM. Stoß, Happel et Kunert ainsi qu’Avalon dans leur demande n’a pas été mentionnée par les juridictions de renvoi et qu’elle n’aurait, du reste, pu l’être dès lors que, datant de l’année 2009, elle est largement postérieure à la saisine de la Cour par lesdites juridictions.

48 Eu égard à ce qui précède, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur les demandes préjudicielles et que celles-ci ne doivent pas être examinées au regard d’un argument qui n’a pas été débattu devant elle.

49 Par conséquent, il convient de rejeter la demande tendant à la réouverture de la procédure orale.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

50 Le gouvernement italien est d’avis que la première question préjudicielle posée dans chacune des affaires au principal devrait être déclarée irrecevable. Les juridictions de renvoi seraient seules compétentes pour vérifier si les monopoles en cause au principal satisfont à l’exigence de cohérence dans la lutte contre l’assuétude au jeu et les décisions de renvoi ne contiendraient pas les éléments de droit et de fait minimaux permettant de comprendre pourquoi lesdites juridictions éprouvent
des doutes quant à la compatibilité des régimes nationaux en cause avec le droit de l’Union.

51 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En
conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I-2099, point 38, et du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, Rec. p. I‑1721, point 24).

52 Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêts précités
PreussenElektra, point 39, et Hartlauer, point 25).

53 Or, tel n’est pas le cas en ce qui concerne les présentes procédures. Les éléments de fait et de droit énoncés dans les décisions de renvoi et les doutes qu’expriment à leur propos les juridictions de renvoi quant à l’interprétation du droit de l’Union dans la perspective de l’issue des litiges au principal présentent en effet un rapport manifeste avec l’objet desdits litiges et permettent à la Cour d’exercer sa compétence.

54 Dans ces conditions, les demandes de décision préjudicielle doivent être considérées comme recevables.

Sur l’identification des dispositions du droit de l’Union appelant une interprétation

55 Le gouvernement néerlandais et la Commission ont émis des doutes quant à la pertinence de la référence que comportent les questions préjudicielles à l’article 43 CE, soutenant que seul l’article 49 CE a vocation à s’appliquer à des situations telles que celles en cause dans les affaires au principal.

56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les activités consistant à permettre aux utilisateurs de participer, contre rémunération, à un jeu d’argent constituent des activités de services au sens de l’article 49 CE (voir, notamment, arrêts du 24 mars 1994, Schindler, C-275/92, Rec. p. I‑1039, point 25, et du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67/98, Rec. p. I‑7289, point 24). Il en va de même de l’activité de promotion et de placement de jeux
d’argent, une telle activité ne constituant qu’une modalité concrète d’organisation et de fonctionnement des jeux auxquels elle se rattache (voir, notamment, arrêt Schindler, précité, points 22 et 23).

57 Des prestations telles que celles en cause au principal peuvent ainsi relever du champ d’application de l’article 49 CE, dès lors que, comme dans les affaires au principal, l’un au moins des prestataires est établi dans un État membre autre que celui dans lequel le service est proposé (voir, notamment, arrêt Zenatti, précité, point 24), sauf si l’article 43 CE est applicable.

58 Quant à l’article 43 CE, il convient de rappeler que ladite disposition interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre, y compris les restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales (voir arrêt Gambelli e.a., précité, point 45).

59 Il ressort à cet égard de la jurisprudence de la Cour que la notion d’établissement s’entend de manière très large, comme impliquant la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État d’origine, et d’en tirer profit, favorisant ainsi l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de la Communauté européenne dans le domaine des activités non salariées (voir, notamment, arrêt du 30
novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, Rec. p. I‑4165, point 25). Ainsi, le maintien d’une présence permanente dans un État membre par une entreprise établie dans un autre État membre est susceptible de relever des dispositions du traité sur la liberté d’établissement, même si cette présence n’a pas pris la forme d’une succursale ou d’une agence, mais s’exerce par le moyen d’un simple bureau géré, le cas échéant, par une personne indépendante, mais mandatée pour agir en permanence pour cette entreprise
comme le ferait une agence (voir arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205/84, Rec. p. 3755, point 21).

60 S’agissant du domaine des jeux et des paris, la Cour a considéré, dans son arrêt Gambelli e.a., précité, que l’article 43 CE a vocation à s’appliquer à une situation dans laquelle une entreprise établie dans un État membre dispose, dans un autre État membre, d’une présence qui se concrétise par des accords commerciaux conclus avec des opérateurs ou des intermédiaires, relatifs à la création de centres de transmission de données qui mettent à la disposition des utilisateurs des moyens
télématiques, rassemblent et enregistrent les intentions de paris et les transmettent à ladite entreprise. Lorsqu’une entreprise poursuit l’activité de collecte de paris par l’intermédiaire d’une telle organisation d’agences établies dans un autre État membre, les restrictions imposées aux activités de ces agences constituent des entraves à la liberté d’établissement (voir arrêts précités Gambelli e.a., points 14 et 46, ainsi que Placanica e.a., point 43).

61 Dans les litiges au principal, les indications que comportent les décisions de renvoi quant aux relations existant entre les opérateurs organisateurs de paris sur les compétitions sportives établis dans d’autres États membres et les opérateurs parties auxdits litiges qui commercialisent lesdits paris dans les deux Länder concernés ne permettent ni d’affirmer ni d’exclure que ces derniers opérateurs devraient être considérés comme des filiales, des succursales ou des agences créées par les
premiers au sens de l’article 43 CE.

62 Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause au principal relève de la compétence du juge national (voir, notamment, arrêt du 25 février 2003, IKA, C‑326/00, Rec. p. I‑1703, point 27 et jurisprudence citée).

63 Par ailleurs, ainsi que rappelé au point 51 du présent arrêt, il appartient au seul juge national d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour à cet égard.

64 C’est ainsi aux juridictions de renvoi qu’il appartiendra de déterminer, au vu des circonstances propres à chaque espèce, si les situations en cause au principal relèvent de l’article 43 CE ou de l’article 49 CE.

65 Compte tenu de qui précède, il y a lieu d’examiner les questions préjudicielles en ayant égard à la fois à l’article 43 CE et à l’article 49 CE.

Sur la première question préjudicielle dans chacune des affaires

66 Eu égard aux indications que comportent les décisions de renvoi, telles que rapportées aux points 14 à 25 et 28 à 40 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que, par leur première question, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des monopoles publics régionaux en matière de paris sur les compétitions sportives, tels que ceux en cause dans les affaires au principal, monopoles poursuivant un
objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, dans la mesure où:

i) les autorités de l’État membre concerné ne seraient pas en mesure de justifier de l’existence d’une étude portant sur la proportionnalité desdits monopoles, effectuée antérieurement à la mise en place de ceux-ci;

ii) un tel objectif pourrait également être atteint par un contrôle visant à s’assurer du respect, par des opérateurs privés dûment autorisés, des règles relatives aux types de paris, aux méthodes de commercialisation et à la publicité, tout en portant une moindre atteinte aux libertés consacrées par le traité;

iii) lesdits monopoles pourraient ne pas être propres à atteindre ledit objectif du fait que les autorités nationales seraient susceptibles de rencontrer des difficultés pour imposer le respect effectif de ceux-ci dans l’environnement transnational généré par Internet;

iv) il serait douteux, en l’occurrence, que l’objectif ainsi allégué soit poursuivi de manière cohérente et systématique eu égard:

– premièrement, à la circonstance que l’exploitation d’autres types de jeux de hasard, tels que les paris sur les compétitions hippiques, les jeux automatisés ou les jeux de casino, est autorisée dans le chef d’opérateurs privés;

– deuxièmement, au fait que la participation à d’autres types de jeux de hasard relevant de ces mêmes monopoles publics, à savoir les loteries, est encouragée par les titulaires desdits monopoles au moyen de campagnes publicitaires intensives visant à maximiser les recettes provenant des jeux, et

– troisièmement, à la circonstance que les offres afférentes à d’autres types de jeux de hasard, tels que les jeux de casino ou les jeux automatisés installés dans des salons de jeux, cafés, restaurants et lieux d’hébergement, font l’objet d’une politique d’expansion.

67 Ces diverses questions seront ci-après successivement examinées.

68 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il est constant qu’une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE ou, alternativement, à la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 52).

69 En l’occurrence, il convient toutefois d’apprécier, au regard des doutes ainsi exprimés par les juridictions de renvoi, si une telle restriction peut être justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 55).

Sur l’absence d’existence d’une étude afférente à la proportionnalité de monopoles publics, tels que les monopoles en cause au principal, qui soit antérieure à la mise en place de ceux-ci

70 S’appuyant sur l’arrêt Lindman, précité, les juridictions de renvoi se demandent si, afin de pouvoir justifier des mesures restrictives telles que les monopoles en cause au principal par un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, les autorités nationales concernées doivent être en mesure de produire une étude étayant la proportionnalité desdites mesures qui soit antérieure à l’adoption de celles-ci.

71 Ainsi que M. l’avocat général l’a observé aux points 81 et 82 de ses conclusions, cette interrogation procède d’une lecture erronée dudit arrêt. En effet, ainsi qu’il ressort des points 25 et 26 de celui-ci et de la jurisprudence postérieure s’y référant (voir, notamment, arrêt du 13 mars 2008, Commission/Belgique, C-227/06, Rec. p. I-46, points 62 et 63 ainsi que jurisprudence citée), la Cour a souligné que si un État membre entend se prévaloir d’un objectif propre à légitimer l’entrave à
la liberté de prestation des services résultant d’une mesure nationale restrictive, il lui incombe de fournir à la juridiction appelée à se prononcer sur cette question tous les éléments de nature à permettre à celle-ci de s’assurer que ladite mesure satisfait bien aux exigences découlant du principe de proportionnalité.

72 Il ne saurait, en revanche, être déduit de cette jurisprudence qu’un État membre se trouverait privé de la possibilité d’établir qu’une mesure interne restrictive satisfait à de telles exigences, au seul motif que ledit État membre n’est pas en mesure de produire des études qui auraient servi de base à l’adoption de la réglementation en cause.

Sur l’éventuel défaut de proportionnalité de monopoles publics, tels que ceux en cause au principal, du fait qu’un régime prévoyant la délivrance d’autorisations à des opérateurs privés pourrait constituer une mesure moins restrictive des libertés communautaires

73 Ainsi qu’il ressort du point 23 du présent arrêt, le Verwaltungsgericht Gießen se demande si un monopole public, tel que celui en cause dans les affaires dont il est saisi, est susceptible de satisfaire à l’exigence de proportionnalité dans la mesure où l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci serait également susceptible d’être poursuivi au moyen de contrôles visant à s’assurer du respect, par des opérateurs
privés dûment autorisés, des règles relatives aux types de paris, aux méthodes de commercialisation et à la publicité, tout en portant une moindre atteinte aux libertés consacrées par le traité.

74 À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, s’agissant des justifications susceptibles d’être admises en présence de mesures internes restreignant la libre prestation des services ou la liberté d’établissement, la Cour a observé que les objectifs poursuivis par les législations nationales adoptées dans le domaine des jeux et des paris, considérés dans leur ensemble, se rattachent, le plus souvent, à la protection des destinataires des services concernés et, plus
généralement, des consommateurs ainsi qu’à la protection de l’ordre social. Elle a également souligné que de tels objectifs figurent au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général pouvant justifier des atteintes à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts Schindler, précité, point 58; du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C‑124/97, Rec. p. I‑6067, point 33; Zenatti, précité, point 31; du 11 septembre 2003, Anomar e.a., C-6/01, Rec. p. I‑8621, point 73, ainsi que Placanica e.a.,
précité, point 46).

75 La Cour a ainsi notamment admis que, dans le domaine des jeux et des paris, dont les excès ont des conséquences sociales dommageables, des réglementations nationales visant à éviter de stimuler la demande en limitant au contraire l’exploitation de la passion des êtres humains pour le jeu pouvaient être justifiées (arrêts précités Schindler, points 57 et 58; Läärä e.a., points 32 et 33, ainsi que Zenatti, points 30 et 31).

76 Dans ce contexte, la Cour a par ailleurs itérativement souligné que les particularités d’ordre moral, religieux ou culturel ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux et les paris peuvent être de nature à justifier l’existence, au profit des autorités nationales, d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer, selon leur propre échelle de valeurs, les exigences que comporte la protection du consommateur
et de l’ordre social (voir, notamment, arrêts précités Placanica e.a., point 47 et jurisprudence citée, ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, point 57).

77 Si les États membres sont ainsi libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché, il demeure, néanmoins, que les restrictions qu’ils imposent doivent satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité (voir arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

78 Ainsi incombe-t-il aux juridictions nationales de vérifier si une restriction décidée par un État membre est propre à garantir la réalisation d’un ou de plusieurs objectifs invoqués par l’État membre concerné, au niveau de protection recherché par celui-ci, et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 60).

79 S’agissant, plus précisément, de l’institution de monopoles publics, la Cour a précédemment admis qu’un système national prévoyant une autorisation limitée des jeux d’argent dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, qui présente notamment l’avantage de canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, était susceptible de s’inscrire dans la poursuite des objectifs d’intérêt général susmentionnés de protection du
consommateur et de protection de l’ordre social (voir, notamment, arrêts précités Zenatti, point 35, ainsi que Anomar e.a., point 74). Elle a de même précisé que la question de savoir si, pour atteindre ces objectifs, il serait préférable, plutôt que d’octroyer un tel droit exclusif d’exploitation à un organisme public autorisé, d’adopter une réglementation imposant aux opérateurs intéressés les prescriptions nécessaires relevait du pouvoir d’appréciation des États membres, sous réserve toutefois
que le choix retenu n’apparaisse pas disproportionné au regard du but recherché (arrêt Läärä e.a., précité, point 39).

80 À ce dernier égard, il convient cependant de souligner que, eu égard au pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres aux fins de décider du niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’ils entendent assurer dans le secteur des jeux de hasard, il n’est notamment pas requis, au regard du critère de proportionnalité, que la mesure restrictive édictée par les autorités d’un État membre corresponde à une conception partagée par l’ensemble des États membres en ce qui
concerne les modalités de protection de l’intérêt légitime en cause (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie, C-518/06, Rec. p. I-3491, points 83 et 84).

81 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’admettre que les autorités publiques d’un État membre peuvent être fondées à considérer, dans le cadre de la marge d’appréciation leur revenant à cet égard, que l’octroi de droits exclusifs à un organisme public dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l’État ou à un opérateur privé sur les activités duquel les pouvoirs publics sont en mesure d’exercer un contrôle étroit est de nature à leur permettre de maîtriser les risques liés au
secteur des jeux de hasard et de poursuivre l’objectif légitime de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude au jeu de manière plus efficace que ce ne serait le cas en présence d’un régime autorisant l’activité d’opérateurs qui seraient admis à exercer leurs activités dans le cadre d’une réglementation à caractère non exclusif (voir, en ce sens, arrêts Läärä e.a., précité, points 40 à 42; Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin
International, précité, points 66 et 67, ainsi que du 3 juin 2010, Sporting Exchange, C‑203/08, non encore publié au Recueil, point 59).

82 Il est en effet loisible auxdites autorités de considérer que le fait que, en leur qualité de contrôleur de l’organisme investi du monopole, elles disposeront de moyens additionnels leur permettant d’influer sur la conduite de celui-ci en dehors des mécanismes régulateurs et de surveillances légaux est susceptible de leur assurer une meilleure maîtrise de l’offre de jeux de hasard et de meilleures garanties d’efficacité dans la mise en œuvre de leur politique qu’en cas d’exercice de ces
activités par des opérateurs privés en situation de concurrence, ces derniers fussent-ils assujettis à un système d’autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions.

83 Il demeure toutefois que l’institution d’une mesure aussi restrictive qu’un monopole, qui ne saurait se justifier qu’en vue d’assurer un niveau de protection des consommateurs particulièrement élevé, doit s’accompagner de la mise en place d’un cadre normatif propre à garantir que le titulaire dudit monopole sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, l’objectif ainsi fixé au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction
dudit objectif et soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques.

Sur le prétendu défaut d’effectivité de monopoles tels que ceux en cause au principal eu égard à l’environnement transnational généré par Internet

84 Ainsi qu’il ressort du point 40 du présent arrêt, les doutes exprimés sur ce plan par le Verwaltungsgericht Stuttgart ont trait au fait que, dans un environnement transnational tel que celui généré par Internet, les autorités d’un État membre ayant institué des monopoles publics comparables aux monopoles en cause au principal pourraient être confrontées à certaines difficultés aux fins d’assurer le respect desdits monopoles par des organisateurs de jeux et de paris établis en dehors dudit
État membre, qui concluraient, via Internet, en infraction avec ces monopoles, des paris avec des personnes se trouvant dans le ressort territorial desdites autorités.

85 Ainsi que l’a observé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, une telle circonstance ne saurait toutefois suffire à remettre en cause la conformité de tels monopoles avec le droit de l’Union.

86 D’une part, s’il est certes exact que des transactions illicites s’effectuant sur Internet peuvent, singulièrement lorsqu’elles revêtent un caractère transnational, s’avérer plus difficiles à contrôler et à sanctionner que d’autres types de comportements infractionnels, une telle situation n’est pas propre au seul domaine des jeux et des paris. Or, il ne saurait être dénié à un État membre le droit d’étendre à Internet l’application des normes restrictives unilatérales qu’il adopte à des
fins légitimes d’intérêt général, au seul motif que ce vecteur technologique revêt un caractère par essence transnational.

87 D’autre part, il est constant que les États ne sont nullement dépourvus de moyens juridiques leur permettant d’assurer, aussi efficacement que possible, le respect des normes qu’ils édictent à l’endroit des acteurs opérant sur Internet et relevant, à un titre ou à un autre, de leur juridiction.

Sur l’exigence de limitation systématique et cohérente des jeux de hasard

88 À titre liminaire, il convient de rappeler que, au point 67 de l’arrêt Gambelli e.a., précité, après avoir souligné que des restrictions aux activités de jeu peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu, la Cour a jugé qu’il n’en va toutefois de la sorte que pour autant que lesdites restrictions, fondées sur de tels motifs et
sur la nécessité de prévenir les troubles à l’ordre social, soient propres à garantir la réalisation desdits objectifs, en ce sens que ces restrictions doivent contribuer à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique.

89 Ainsi qu’il ressort notamment du point 66 du présent arrêt, les juridictions de renvoi s’interrogent sur la portée de cette dernière exigence.

90 Selon lesdites juridictions, il serait en effet douteux que des monopoles publics tels que les monopoles en cause au principal, afférents aux paris sur les compétitions sportives et institués à des fins de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, soient de nature à contribuer à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique, compte tenu de la manière dont d’autres types de jeux de hasard sont
commercialisés.

91 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a précédemment jugé qu’il appartient à chaque État membre d’apprécier si, dans le contexte des buts légitimes qu’il poursuit, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les restreindre et de prévoir, à cet effet, des modalités de contrôle plus ou moins strictes, la nécessité et la proportionnalité des mesures ainsi adoptées devant seulement être appréciées au regard des objectifs
ainsi poursuivis et du niveau de protection qu’entendent assurer les autorités nationales concernées (voir, notamment, arrêts précités Läärä e.a., points 35 et 36; Zenatti, points 33 et 34, ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, point 58).

92 Elle a de même jugé que, dans le cadre d’une législation compatible avec le traité, le choix des modalités d’organisation et de contrôle des activités d’exploitation et de pratique des jeux de hasard ou d’argent, telles la conclusion avec l’État d’un contrat administratif de concession ou la limitation de l’exploitation et de la pratique de certains jeux aux lieux dûment autorisés à cet effet, incombe aux autorités nationales dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation (arrêt Anomar e.a.,
précité, point 88).

93 La Cour a par ailleurs précisé que, en matière de jeux de hasard, il convient, en principe, d’examiner séparément pour chacune des restrictions imposées par la législation nationale notamment si elle est propre à garantir la réalisation du ou des objectifs invoqués par l’État membre concerné et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt Placanica e.a., précité, point 49).

94 Aux points 50 à 52 de l’arrêt Schindler, précité, rendu à propos d’une réglementation d’un État membre interdisant les loteries, la Cour a notamment observé que, même s’ils peuvent donner lieu à des montants d’enjeux comparables à ceux des loteries et s’ils comportent une part importante de hasard, d’autres jeux d’argent, tels que les pronostics sur les matchs de football ou un jeu dénommé «bingo», qui demeuraient pour leur part autorisés dans ledit État membre, étaient différents dans leur
objet, dans leurs règles ainsi que dans leurs modalités d’organisation des loteries de grande ampleur établies dans d’autres États membres. Elle en a alors déduit que ces autres jeux ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle des loteries interdites par la législation dudit État membre et ne pouvaient pas leur être assimilés.

95 Ainsi que l’ont souligné l’ensemble des gouvernements ayant présenté des observations devant la Cour, il est constant, en effet, que les divers types de jeux de hasard sont susceptibles de présenter d’importantes différences, notamment quant à leurs modalités concrètes d’organisation, au volume des mises et des gains qui les caractérisent, au nombre de joueurs potentiels susceptibles de s’y adonner, à leur présentation, à leur fréquence, à leur brièveté ou à leur caractère répétitif et aux
réactions qu’ils suscitent chez les joueurs ou encore, ainsi que l’a notamment souligné M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, en fonction de la circonstance que, comme dans le cas des jeux proposés dans les casinos et des machines à sous disposées dans ceux-ci ou dans d’autres établissements, ils requièrent ou non une présence physique du joueur.

96 Dans ces conditions, la circonstance que divers types de jeux de hasard sont soumis, les uns à un monopole public, les autres à un régime d’autorisations délivrées à des opérateurs privés ne saurait, à elle seule, conduire à priver de leur justification, au regard des objectifs légitimes qu’elles poursuivent, les mesures qui, à l’instar du monopole public, apparaîtraient prima facie comme les plus restrictives et les plus performantes. En effet, une telle divergence de régimes juridiques
n’est pas, en soi, de nature à affecter l’aptitude d’un tel monopole public à atteindre l’objectif de prévention de l’incitation des citoyens à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci pour lequel il a été institué.

97 Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 88 du présent arrêt, il résulte également de la jurisprudence de la Cour que l’institution, par un État membre, d’une restriction à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement motivée par un tel objectif n’est susceptible d’être justifiée qu’à la condition que ladite mesure restrictive soit propre à garantir la réalisation dudit objectif en contribuant à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique.

98 La Cour a, de même, précisé qu’il incombe aux juridictions nationales, de s’assurer, notamment au vu des modalités concrètes d’application de la réglementation restrictive concernée, que celle-ci réponde véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Zenatti, points 36 et 37, ainsi que Placanica e.a., points 52 et 53).

99 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, à ces divers égards, dans l’arrêt Gambelli e.a., précité (points 7, 8 et 69), dans la mesure où les autorités d’un État membre incitent et encouragent les consommateurs à participer aux loteries, aux jeux de hasard ou aux jeux de paris afin que le trésor public en retire des bénéfices sur le plan financier, les autorités de cet État ne sauraient invoquer l’ordre public social tenant à la nécessité de réduire les occasions de jeu pour justifier des mesures
restrictives, ces dernières fussent-elles, comme c’était le cas dans ladite affaire, exclusivement afférentes aux activités de paris.

100 En l’occurrence, après avoir souligné que les paris sur les compétitions hippiques, les jeux automatisés et les jeux de casino peuvent être exploités par des opérateurs privés titulaires d’une autorisation, les juridictions de renvoi ont également constaté, d’une part, que le titulaire du monopole public en matière de paris sur les compétitions sportives se livre, en ce qui concerne les jeux de loterie auxquels s’étend également ledit monopole, à des campagnes publicitaires intensives mettant
en exergue le besoin de financement d’activités sociales, culturelles ou sportives auxquelles se trouvent affectés les bénéfices qui seront réalisés, et laissant ainsi apparaître que la maximisation des profits destinés à de telles activités devient une fin en soi des mesures restrictives concernées. Lesdites juridictions ont constaté, d’autre part, que, en ce qui concerne les jeux de casino et les jeux automatisés qui présenteraient pourtant un potentiel de risque d’assuétude plus élevé que les
paris sur les compétitions sportives, les autorités publiques compétentes développent ou tolèrent des politiques d’expansion de l’offre. En effet, l’offre de nouvelles possibilités de jeux de casino sur Internet est tolérée par lesdites autorités, tandis que les conditions dans lesquelles des jeux automatisés peuvent être exploités dans des établissements autres que les casinos, tels les salons de jeux, les restaurants, les cafés et les lieux d’hébergement, ont récemment fait l’objet d’importants
assouplissements.

101 À cet égard, il importe, certes, de rappeler que, s’exprimant à propos de l’objectif poursuivi par un législateur national consistant à prévenir l’exploitation des activités de jeu de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses, la Cour a jugé qu’une politique d’expansion contrôlée desdites activités peut être cohérente avec l’objectif visant à canaliser celles-ci dans des circuits contrôlables en attirant des joueurs exerçant des activités de jeux et de paris clandestins interdites vers
des activités autorisées et réglementées. En effet, afin d’atteindre cet objectif, les opérateurs autorisés doivent constituer une alternative fiable, mais en même temps attrayante, à une activité interdite, ce qui peut en soi impliquer l’offre d’une gamme de jeux étendue, une publicité d’une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution (voir arrêt Placanica e.a., précité, point 55).

102 Ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 61 de ses conclusions, de telles considérations peuvent, en principe, également trouver à s’appliquer lorsque les mesures internes restrictives poursuivent un objectif de protection des consommateurs, de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, en ce sens, notamment, qu’une certaine publicité peut, sans préjudice des exigences rappelées aux points 97 à 99 du présent arrêt,
contribuer, le cas échéant, à diriger les consommateurs vers l’offre émanant du titulaire du monopole public, offre censée avoir été précisément instituée et conçue pour mieux poursuivre ledit objectif.

103 Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a également souligné au point 61 de ses conclusions, il importe, à cet égard, que la publicité éventuellement mise en œuvre par le titulaire d’un monopole public demeure mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser ainsi les consommateurs vers les réseaux de jeu autorisés. Une telle publicité ne saurait, en revanche, notamment viser à encourager la propension naturelle au jeu des consommateurs en stimulant leur participation
active à celui-ci, notamment en banalisant le jeu ou en donnant une image positive liée au fait que les recettes récoltées sont affectées à des activités d’intérêt général ou encore en augmentant la force attractive du jeu au moyen de messages publicitaires accrocheurs faisant miroiter d’importants gains.

104 Quant à la circonstance que les campagnes de publicité menées par le titulaire du monopole à l’égard des produits de loteries mettent ainsi en exergue la circonstance que les recettes provenant de la commercialisation de ceux-ci sont affectées au financement d’activités désintéressées ou d’intérêt général, il convient en outre de rappeler, premièrement, qu’il est de jurisprudence constante que bien qu’il ne soit pas indifférent que les jeux d’argent puissent participer, de manière
significative, au financement de telles activités, un tel motif ne peut, en lui-même, être regardé comme une justification objective de restrictions à la libre prestation des services. Ces dernières ne sont en effet admissibles qu’à la condition, notamment, que le financement de telles activités sociales ne constitue qu’une conséquence bénéfique accessoire, et non la justification réelle, de la politique restrictive mise en place, ce dont il appartient à la juridiction nationale de s’assurer (voir,
en ce sens, arrêt Zenatti, précité, points 36 et 37).

105 Le Verwaltungsgericht Stuttgart ayant par ailleurs souligné que, après que le prélèvement, prévu par la réglementation en cause au principal au profit des activités désintéressées éligibles, a été opéré, le surplus de recettes est versé dans les caisses publiques, et dans la mesure où il ne peut par ailleurs être exclu que le soutien financier apporté à des organismes reconnus d’intérêt général permette à ceux-ci de développer des activités d’intérêt général dont l’État peut normalement être
appelé à se charger en conduisant à une réduction des dépenses de celui-ci, il convient, deuxièmement, également de rappeler que la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne saurait davantage figurer parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2009, Persche, C‑318/07, Rec. p. I‑359, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

106 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu d’admettre que, sur la base de constats tels que ceux opérés par les juridictions de renvoi et rappelés au point 100 du présent arrêt, lesdites juridictions peuvent légitimement être amenées à considérer que la circonstance que, s’agissant de jeux de hasard autres que ceux relevant du monopole public en cause au principal, les autorités compétentes mènent ou tolèrent ainsi des politiques visant à encourager la participation à ces autres jeux plutôt
qu’à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique a pour conséquence que l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci qui était à la base de l’institution dudit monopole ne peut plus être efficacement poursuivi au moyen de ce dernier si bien que celui-ci cesse de pouvoir être justifié au regard des articles 43 CE et 49 CE.

107 Il convient dès lors de répondre à la première question posée dans chacune des affaires que les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que:

i) pour pouvoir justifier un monopole public afférent aux paris sur les compétitions sportives et aux loteries, tel que ceux en cause dans les affaires au principal, par un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, les autorités nationales concernées ne doivent pas nécessairement être en mesure de produire une étude établissant la proportionnalité de ladite mesure qui soit antérieure à l’adoption de celle-ci;

ii) le fait, pour un État membre, de privilégier un tel monopole par rapport à un régime autorisant l’activité d’opérateurs privés qui seraient admis à exercer leurs activités dans le cadre d’une réglementation à caractère non exclusif est susceptible de satisfaire à l’exigence de proportionnalité, pour autant que, s’agissant de l’objectif relatif à un haut niveau de protection des consommateurs, l’institution dudit monopole s’accompagne de la mise en place d’un cadre normatif assurant que le
titulaire de celui‑ci sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, un tel objectif au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction dudit objectif et soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques;

iii) la circonstance que les autorités compétentes d’un État membre pourraient être confrontées à certaines difficultés aux fins d’assurer le respect d’un tel monopole à l’égard d’organisateurs de jeux et de paris établis à l’étranger, qui concluraient, via Internet et en infraction avec ledit monopole, des paris avec des personnes se trouvant dans le ressort territorial desdites autorités, n’est pas de nature, en tant que telle, à affecter la conformité éventuelle d’un tel monopole avec
lesdites dispositions du traité;

iv) dans une situation dans laquelle une juridiction nationale constate, tout à la fois:

– que les mesures de publicité émanant du titulaire d’un tel monopole et afférentes à d’autres types de jeux de hasard également proposés par celui-ci ne demeurent pas limitées à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers l’offre émanant de ce titulaire en les détournant d’autres canaux de jeux non autorisés, mais visent à encourager la propension des consommateurs au jeu et à stimuler leur participation active à celui-ci à des fins de maximisation des recettes escomptées de
telles activités,

– que d’autres types de jeux de hasard peuvent être exploités par des opérateurs privés bénéficiant d’une autorisation, et

– que, à l’égard d’autres types de jeux de hasard ne relevant pas dudit monopole et présentant en outre un potentiel de risque d’assuétude supérieur aux jeux soumis à ce monopole, les autorités compétentes mènent ou tolèrent des politiques d’expansion de l’offre de nature à développer et à stimuler les activités de jeu, notamment en vue de maximiser les recettes provenant de celles‑ci,

ladite juridiction nationale peut légitimement être amenée à considérer qu’un tel monopole n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci en vue duquel il a été institué en contribuant à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique.

Sur la seconde question préjudicielle dans chacune des affaires

108 Par la seconde question posée dans chacune des affaires, les juridictions de renvoi demandent si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un opérateur privé bénéficie dans l’État membre dans lequel il est établi d’une autorisation d’offrir des jeux de hasard, une telle autorisation permet audit opérateur de proposer de tels jeux dans d’autres États membres du fait de l’obligation qui pèserait éventuellement sur ces derniers de reconnaître ladite
autorisation.

109 À cet égard, il convient tout d’abord de constater, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 94 de ses conclusions, que, lorsqu’un monopole public a été mis en place dans un État membre en matière de jeux de hasard et qu’il apparaît que ladite mesure satisfait aux diverses conditions permettant de la justifier au regard d’objectifs légitimes d’intérêt général admis par la jurisprudence, toute obligation de reconnaître les autorisations délivrées à des opérateurs privés établis dans
d’autres États membres se trouve, par hypothèse même, à exclure, du seul fait de l’existence d’un tel monopole.

110 Aussi, n’est-ce que dans l’occurrence où les monopoles en cause au principal seraient tenus pour incompatibles avec les articles 43 CE ou 49 CE que la question afférente à l’existence éventuelle d’une telle obligation de reconnaissance mutuelle des autorisations délivrées dans d’autres États membres est susceptible de s’avérer pertinente aux fins de la solution des litiges au principal.

111 À cet égard, il importe toutefois de relever que, eu égard au pouvoir d’appréciation, rappelé au point 76 du présent arrêt, dont disposent les États membres pour fixer, selon leur propre échelle de valeurs, le niveau de protection qu’ils entendent assurer et les exigences que comporte ladite protection, la Cour a régulièrement souligné que l’appréciation de la proportionnalité du système de protection mis en place par un État membre ne saurait notamment être influencée par la circonstance
qu’un autre État membre a choisi un système de protection différent (voir en ce sens, notamment, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 58).

112 Eu égard à cette marge d’appréciation et à l’absence de toute harmonisation communautaire en la matière, une obligation de reconnaissance mutuelle des autorisations délivrées par les divers États membres ne saurait exister au regard de l’état actuel du droit de l’Union.

113 Il s’ensuit notamment que chaque État membre demeure en droit de subordonner la possibilité pour tout opérateur désireux d’offrir des jeux de hasard à des consommateurs se trouvant sur son territoire à la détention d’une autorisation délivrée par ses autorités compétentes, sans que la circonstance qu’un opérateur particulier dispose déjà d’une autorisation délivrée dans un autre État membre puisse y faire obstacle.

114 Encore faut-il qu’un tel régime d’autorisation, compte tenu des entraves qu’il engendre à l’égard du droit à la libre prestation des services ou du droit au libre établissement, satisfasse, aux fins de pouvoir être justifié au regard des articles 43 CE et 49 CE, aux exigences découlant à cet égard de la jurisprudence, notamment quant à son caractère non discriminatoire et à sa proportionnalité (voir arrêt Placanica e.a., précité, points 48 et 49).

115 Eu égard aux précisions fournies par le Verwaltungsgericht Gießen et reproduites au point 19 du présent arrêt, il convient également de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit de l’Union (arrêt Placanica e.a., précité, point 69).

116 Au vu de tout ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, la circonstance qu’un opérateur dispose, dans l’État membre dans lequel il est établi, d’une autorisation lui permettant d’offrir des jeux de hasard ne fait pas obstacle à ce qu’un autre État membre subordonne, dans le respect des exigences du droit de l’Union, la possibilité, pour un tel opérateur, d’offrir
de tels services à des consommateurs se trouvant sur son territoire, à la détention d’une autorisation délivrée par ses propres autorités.

Sur les dépens

117 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que:

a) pour pouvoir justifier un monopole public afférent aux paris sur les compétitions sportives et aux loteries, tel que ceux en cause dans les affaires au principal, par un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, les autorités nationales concernées ne doivent pas nécessairement être en mesure de produire une étude établissant la proportionnalité de ladite mesure qui soit antérieure à l’adoption de celle-ci;

b) le fait, pour un État membre, de privilégier un tel monopole par rapport à un régime autorisant l’activité d’opérateurs privés qui seraient admis à exercer leurs activités dans le cadre d’une réglementation à caractère non exclusif est susceptible de satisfaire à l’exigence de proportionnalité, pour autant que, s’agissant de l’objectif relatif à un haut niveau de protection des consommateurs, l’institution dudit monopole s’accompagne de la mise en place d’un cadre normatif assurant que le
titulaire de celui‑ci sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, un tel objectif au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction dudit objectif et soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques;

c) la circonstance que les autorités compétentes d’un État membre pourraient être confrontées à certaines difficultés aux fins d’assurer le respect d’un tel monopole à l’égard d’organisateurs de jeux et de paris établis à l’étranger, qui concluraient, via Internet et en infraction avec ledit monopole, des paris avec des personnes se trouvant dans le ressort territorial desdites autorités, n’est pas de nature, en tant que telle, à affecter la conformité éventuelle d’un tel monopole avec lesdites
dispositions du traité;

d) dans une situation dans laquelle une juridiction nationale constate, tout à la fois:

– que les mesures de publicité émanant du titulaire d’un tel monopole et afférentes à d’autres types de jeux de hasard également proposés par celui-ci ne demeurent pas limitées à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers l’offre émanant de ce titulaire en les détournant d’autres canaux de jeux non autorisés, mais visent à encourager la propension des consommateurs au jeu et à stimuler leur participation active à celui-ci à des fins de maximisation des recettes escomptées de
telles activités,

– que d’autres types de jeux de hasard peuvent être exploités par des opérateurs privés bénéficiant d’une autorisation, et

– que, à l’égard d’autres types de jeux de hasard ne relevant pas dudit monopole et présentant en outre un potentiel de risque d’assuétude supérieur aux jeux soumis à ce monopole, les autorités compétentes mènent ou tolèrent des politiques d’expansion de l’offre de nature à développer et à stimuler les activités de jeu, notamment en vue de maximiser les recettes provenant de celles‑ci,

ladite juridiction nationale peut légitimement être amenée à considérer qu’un tel monopole n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci en vue duquel il a été institué en contribuant à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique.

2) Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, la circonstance qu’un opérateur dispose, dans l’État membre dans lequel il est établi, d’une autorisation lui permettant d’offrir des jeux de hasard ne fait pas obstacle à ce qu’un autre État membre subordonne, dans le respect des exigences du droit de l’Union, la possibilité, pour un tel opérateur, d’offrir de tels services à des consommateurs se trouvant sur son territoire, à la
détention d’une autorisation délivrée par ses propres autorités.

Signatures

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* Langue de procédure: l’allemand.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-316/07,
Date de la décision : 08/09/2010
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Gießen et Verwaltungsgericht Stuttgart - Allemagne.

Articles 43 CE et 49 CE - Liberté d’établissement - Libre prestation des services - Organisation de paris sur les compétitions sportives soumise à un monopole public à l’échelle d’un Land - Objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude au jeu - Proportionnalité - Mesure restrictive devant véritablement viser à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités de jeux de hasard d’une manière cohérente et systématique - Publicité émanant du titulaire du monopole et encourageant la participation aux jeux de loterie - Autres jeux de hasard pouvant être proposés par des opérateurs privés - Expansion de l’offre d’autres jeux de hasard - Licence délivrée dans un autre État membre - Absence d’obligation de reconnaissance mutuelle.

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Markus Stoß (C-316/07), Avalon Service-Online-Dienste GmbH (C-409/07) et Olaf Amadeus Wilhelm Happel (C-410/07)
Défendeurs : Wetteraukreis et Kulpa Automatenservice Asperg GmbH (C-358/07), SOBO Sport & Entertainment GmbH (C-359/07) et Andreas Kunert (C-360/07)

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: Schiemann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2010:504

Source

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