La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/01/2010 | CJUE | N°C-462/08

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Ümit Bekleyen contre Land Berlin., 21/01/2010, C-462/08


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 janvier 2010 ( *1 )

«Accord d’association CEE-Turquie — Article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 du conseil d’association — Droit de l’enfant d’un travailleur turc de répondre à toute offre d’emploi dans l’État membre d’accueil où il a accompli une formation professionnelle — Début de la formation professionnelle après le départ définitif des parents de cet État membre»

Dans l’affaire C-462/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’a

rticle 234 CE, introduite par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (Allemagne), par décision du 6 octobre 200...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 janvier 2010 ( *1 )

«Accord d’association CEE-Turquie — Article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 du conseil d’association — Droit de l’enfant d’un travailleur turc de répondre à toute offre d’emploi dans l’État membre d’accueil où il a accompli une formation professionnelle — Début de la formation professionnelle après le départ définitif des parents de cet État membre»

Dans l’affaire C-462/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (Allemagne), par décision du 6 octobre 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Ümit Bekleyen

contre

Land Berlin,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), président de chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

— pour Mme Bekleyen, par Me C. Rosenkranz, Rechtsanwalt,

— pour le gouvernement danois, par MM. J. Bering Liisberg et R. Holdgaard, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. M. Wissels, en qualité d’agent,

— pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et G. Rozet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision no 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le , à Ankara, par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la
Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du (JO 1964, 217, p. 3685).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Bekleyen, ressortissante turque, au Land Berlin au sujet d’une décision de ce dernier portant refus d’octroi d’un permis de séjour en Allemagne.

Le cadre juridique

L’association CEE-Turquie

3 L’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du (JO L 293, p. 1), est libellé comme suit:

«Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.»

4 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

— a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

— a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

— bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

5 L’article 7 de la décision no 1/80 est libellé comme suit:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

— ont le droit de répondre — sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté — à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

— y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

La directive 2004/38/CE

6 La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34, ainsi que JO 2007,
L 204, p. 28), dispose à son article 7:

«1.   Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

[…]

c) — s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

— s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour; […]»

Le litige au principal et la question préjudicielle

7 Mme Bekleyen, née en 1975 à Berlin, a vécu jusqu’à sa quatorzième année sur le territoire allemand avec sa famille. Ses parents, ressortissants turcs, occupaient tous deux, depuis 1971, un emploi salarié en Allemagne. En 1989, Mme Bekleyen est retournée avec toute sa famille en Turquie, où elle a achevé sa scolarité et fait des études de paysagiste.

8 Au cours du mois de janvier de l’année 1999, Mme Bekleyen est revenue, sans sa famille, en Allemagne avec l’accord du Land Berlin pour y poursuivre ses études. En mars de la même année, elle a obtenu un titre de séjour qui a été prolongé à plusieurs reprises, en dernier lieu sous la forme d’un permis de séjour valable jusqu’au 31 décembre 2005. Au cours de l’été de l’année 2005, elle a terminé ses études à l’université technique de Berlin et obtenu un diplôme d’ingénieur en aménagement des
paysages.

9 Le 19 décembre 2005, Mme Bekleyen a demandé la délivrance d’un permis de séjour au titre des études supérieures qu’elle avait accomplies en Allemagne, en invoquant l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80. Le Land Berlin a rejeté cette demande par décision du , au motif que les conditions d’obtention du droit de séjour sur le fondement de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie n’étaient pas réunies. Le Land Berlin a soutenu que ledit
article 7, second alinéa, exige qu’il y ait un lien temporel entre le séjour des parents et celui de l’enfant, condition qui n’était pas remplie en l’espèce. Selon lui, le libellé et l’objectif de cette disposition impliquent que, en vue de l’acquisition du droit à l’emploi et au séjour, à tout le moins l’un des deux parents réside encore dans l’État membre d’accueil lorsque l’enfant entame sa formation professionnelle.

10 En mai 2007, Mme Bekleyen a obtenu, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, premier tiret, de la décision no l/80, un permis de séjour valable jusqu’au 13 mai 2009 en raison du fait qu’elle était employée par une société allemande.

11 Par un recours ayant d’abord pris la forme d’un recours en carence, introduit en juillet 2006 et dirigé par la suite contre ladite décision du 21 septembre 2006, Mme Bekleyen a demandé la confirmation de son droit de séjour au titre de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80.

12 Le Verwaltungsgericht Berlin a rejeté ce recours par un jugement du 9 août 2007. Cette juridiction a considéré que le recours était certes recevable puisque, nonobstant le droit de séjour accordé au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 à Mme Bekleyen, celle-ci disposait d’un intérêt à agir. En effet, si le droit à invoquer l’article 7, second alinéa, de cette décision lui était reconnu, l’intéressée disposerait en Allemagne du libre accès au marché du travail. Le recours a
toutefois été rejeté comme dénué de fondement au motif que le séjour prolongé de Mme Bekleyen en Turquie avait eu pour effet de faire perdre à cette dernière le droit à bénéficier du régime privilégié prévu audit article 7, second alinéa.

13 Mme Bekleyen a interjeté appel dudit jugement devant la juridiction de renvoi.

14 Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessite l’interprétation de la décision no 1/80, l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 […] doit-il être interprété en ce sens que le droit d’accès au marché de l’emploi et le droit de séjour correspondant dans cet État membre d’accueil après la fin de la formation professionnelle peut être invoqué lorsque l’enfant né dans le pays d’accueil, après qu’il est retourné avec ses parents dans le pays d’origine, revient seul, une fois majeur, dans l’État membre d’accueil, pour débuter une formation professionnelle à une date à laquelle
ses parents de nationalité turque qui avaient occupé un emploi salarié dans l’État en cause l’avaient déjà quitté durablement depuis dix ans?»

Sur la question préjudicielle

15 Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, lorsqu’un travailleur turc a légalement exercé un emploi dans l’État membre d’accueil pendant plus de trois ans, l’enfant d’un tel travailleur peut se prévaloir dans cet État membre, après avoir achevé sa formation professionnelle dans celui-ci, du droit d’accès au marché de l’emploi et du droit de séjour correspondant, alors même que, après être retourné avec ses parents dans l’État d’origine, il est revenu seul dans ledit
État membre afin d’y débuter cette formation.

16 Selon une jurisprudence constante, l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 a un effet direct dans les États membres, de sorte que les ressortissants turcs qui en remplissent les conditions peuvent se prévaloir directement des droits qu’il leur confère (arrêts du 5 octobre 1994, Eroglu, C-355/93, Rec. p. I-5113, point 17, et du , Torun, C-502/04, Rec. p. I-1563, point 19).

17 Les droits que l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 octroie à l’enfant d’un travailleur turc sur le plan de l’emploi dans l’État membre d’accueil impliquent nécessairement, sous peine de priver de tout effet le droit d’accéder au marché du travail et d’exercer effectivement une activité salariée, l’existence d’un droit corrélatif de séjour dans le chef de l’intéressé (arrêts précités Eroglu, points 20 et 23, ainsi que Torun, point 20).

18 La Cour a également jugé que, ainsi qu’il ressort de son libellé même, ledit article 7, second alinéa, fait dépendre le droit de répondre à toute offre d’emploi dans l’État membre d’accueil qu’il reconnaît à l’enfant d’un travailleur turc de deux conditions, à savoir que l’enfant du travailleur concerné ait accompli une formation professionnelle dans l’État membre en cause et que l’un de ses parents ait légalement exercé un emploi dans cet État depuis trois ans au moins (arrêt du 19 novembre
1998, Akman, C-210/97, Rec. p. I-7519, point 25).

19 En outre, selon la jurisprudence de la Cour, il n’est pas nécessaire que, au moment où l’enfant a terminé ses études et acquiert le droit d’accéder au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil et, partant, d’y obtenir un titre de séjour à cette fin, le parent de cet enfant possède toujours la qualité de travailleur ni qu’il réside encore sur le territoire dudit État, dès lors que, dans le passé, il y a été régulièrement employé pendant au moins trois années (voir, en ce sens, arrêts Akman,
précité, point 51, et du 16 mars 2000, Ergat, C-329/97, Rec. p. I-1487, point 44).

20 En l’espèce, il est constant que Mme Bekleyen a accompli une formation professionnelle en Allemagne et que ses parents y ont exercé une activité salariée pendant plus de trois années.

21 Les gouvernements danois et néerlandais font toutefois valoir que l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 subordonne le droit d’accès au marché de l’emploi de l’enfant d’un travailleur turc à la condition qu’il existe une simultanéité entre l’emploi ou à tout le moins le séjour de l’un des parents dans l’État membre d’accueil et le début de la formation professionnelle de l’enfant. Faute d’un tel lien temporel dans l’affaire au principal, Mme Bekleyen ne pourrait pas se prévaloir des
droits conférés par l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80.

22 Cette thèse ne saurait être accueillie.

23 Il importe d’emblée de préciser qu’une telle condition ne figure pas expressément dans l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 et que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, cette disposition ne doit pas être interprétée de manière restrictive (arrêt Akman, précité, point 39).

24 La décision no 1/80 vise à favoriser l’intégration graduelle dans l’État membre d’accueil des ressortissants turcs remplissant les conditions prévues à l’une des dispositions de cette décision et qui bénéficient des droits que celle-ci leur confère (arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C-337/07, Rec. p. I-10323, point 29).

25 Selon une jurisprudence bien établie, l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 constitue par rapport au premier alinéa du même article une disposition plus favorable qui a entendu réserver, parmi les membres de la famille des travailleurs turcs, un traitement particulier aux enfants, tendant à faciliter leur entrée sur le marché du travail après l’accomplissement d’une formation professionnelle, en vue de réaliser de manière progressive la libre circulation des travailleurs,
conformément à l’objectif de ladite décision (arrêts précités Akman, point 38, et Torun, point 23).

26 Contrairement à l’article 7, premier alinéa, de la décision no 1/80, qui impose au membre de la famille d’un travailleur turc l’obligation de résider auprès de celui-ci, de manière ininterrompue, pendant une certaine période (arrêt Altun, précité, point 30), le second alinéa du même article ne prévoit aucune condition relative à une cohabitation effective en communauté domestique avec le travailleur.

27 Il en est ainsi en raison du fait que l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 vise non pas à créer des conditions favorables au regroupement familial dans l’État membre d’accueil (arrêt Akman, précité, point 43), mais à favoriser l’accès des enfants des travailleurs turcs au marché du travail.

28 Cette constatation milite en faveur d’une interprétation de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 selon laquelle cette disposition ne subordonne pas les droits qu’elle confère aux enfants des travailleurs turcs à la condition que l’un de leurs parents possède toujours la qualité de travailleur ou réside encore dans l’État membre d’accueil au moment où l’enfant y débute sa formation professionnelle.

29 Dès que les conditions prévues à l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 sont remplies, cette disposition confère à l’enfant d’un travailleur turc un droit propre d’accès au marché du travail dans l’État membre d’accueil et, corrélativement, un droit d’y séjourner.

30 Certes, le droit de libre accès au marché du travail de l’enfant d’un travailleur turc a pour fondement le travail exercé, dans le passé, par ce dernier dans l’État membre d’accueil.

31 Néanmoins, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 63 de ses conclusions, la fonction spécifique exercée par le second alinéa dudit article 7 dans l’intégration des enfants des travailleurs turcs dans le marché du travail de l’État membre d’accueil a pour conséquence que l’exigence selon laquelle l’un des parents doit avoir travaillé dans cet État depuis trois ans au moins ne saurait être comprise comme imposant que, au moment où l’enfant entame sa formation professionnelle, ledit
parent ait toujours le statut de travailleur. Cette exigence a uniquement pour objet d’établir, parallèlement à la formation professionnelle de l’enfant, le niveau d’intégration suffisant de celui-ci dans l’État membre d’accueil susceptible de le faire bénéficier du traitement particulier prévu à ladite disposition.

32 L’exigence selon laquelle le parent doit avoir conservé le statut de travailleur ainsi que celle imposant un lien temporel entre le séjour des parents dans l’État membre d’accueil et celui de l’enfant lorsque débute la formation professionnelle seraient difficilement conciliables avec l’objectif de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80, lequel, ainsi qu’il a été relevé au point 27 du présent arrêt, ne vise pas à créer des conditions favorables au regroupement familial dans ledit État
membre.

33 La juridiction de renvoi se demande en outre si une telle interprétation de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 ne conduirait pas à ce que, en violation de l’article 59 du protocole additionnel signé le 23 novembre 1970, les enfants des travailleurs turcs soient soumis à un traitement plus favorable que celui que le droit de l’Union accorde aux enfants des ressortissants des État membres.

34 Il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte uniquement sur la question de savoir si le droit de séjour dont Mme Bekleyen sollicite le bénéfice en Allemagne après y avoir terminé sa formation professionnelle et y avoir accédé au marché du travail doit être fondé sur l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80, ainsi qu’elle le soutient, ou sur l’article 6, paragraphe 1, premier tiret, de cette décision, ainsi qu’il résulte du permis de séjour qui lui a été délivré
jusqu’au 13 mai 2009. Néanmoins, le doute de la juridiction nationale semble provenir du fait qu’elle considère que l’enfant d’un ressortissant d’un État membre ne jouit pas, au titre du droit communautaire, d’un droit de séjour autonome lorsque ses parents ont quitté l’État membre d’accueil et que cet enfant retourne seul dans cet État pour y entamer une formation professionnelle.

35 À cet égard, il convient de rappeler que la décision no 1/80 n’empiète pas sur la compétence des États membres de réglementer tant l’entrée sur leur territoire des ressortissants turcs que les conditions de leur premier emploi (arrêts du 16 décembre 1992, Kus, C-237/91, Rec. p. I-6781, point 25, et Altun, précité, point 48).

36 Les États membres ont conservé également la compétence de réglementer l’entrée sur leur territoire d’un membre de la famille d’un travailleur turc et les conditions de son séjour durant la période initiale de trois ans qui précède celle où il a le droit de répondre à toute offre d’emploi (arrêt Ergat, précité, point 42).

37 Par ailleurs, à la différence des travailleurs des États membres, les ressortissants turcs ne bénéficient pas de la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne, mais ne peuvent se prévaloir que de certains droits sur le territoire du seul État membre d’accueil (arrêt du 18 juillet 2007, Derin, C-325/05, Rec. p. I-6495, point 66).

38 Plus précisément, en ce qui concerne les conditions d’accès au marché du travail dans l’État membre d’accueil, il importe de relever que, tandis que Mme Bekleyen doit respecter les conditions prévues à l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80, l’enfant d’un travailleur ressortissant d’un État membre tire un tel droit directement de l’article 39, paragraphe 1, CE, visant à assurer la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union.

39 S’agissant en outre des conditions d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil, il est constant que le retour de Mme Bekleyen en Allemagne pour y poursuivre ses études et le titre de séjour qui lui a été délivré à cette fin ont été fondés sur des décisions des autorités nationales prises en application non pas de la décision no 1/80, mais du seul droit national.

40 En revanche, dans une situation analogue à celle de Mme Bekleyen, le retour et le séjour dans l’État membre d’accueil de l’enfant d’un ressortissant d’un autre État membre qui, dans le passé, a exercé une activité salariée dans le premier État relèveraient du domaine d’application du droit de l’Union.

41 Dans cette hypothèse, l’enfant d’un travailleur ressortissant d’un État membre aurait le droit de s’installer dans l’État membre d’accueil afin d’y poursuivre ses études sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1, CE, qui confère à tout citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

42 L’exercice de ce droit de séjour serait uniquement soumis aux conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/38, selon lesquelles un citoyen de l’Union doit, notamment, disposer d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et de ressources suffisantes afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État.

43 Au surplus, la jurisprudence de la Cour relative aux conditions dans lesquelles les droits tirés de l’article 7 de la décision no 1/80 peuvent être restreints énonce, en sus de l’exception tirée de l’ordre public, de la sécurité et de la santé publiques, laquelle est applicable de la même manière aux ressortissants turcs et aux ressortissants des États membres, une seconde cause de déchéance desdits droits affectant uniquement les migrants turcs, à savoir le fait pour ceux-ci de quitter l’État
membre d’accueil pendant une période significative et sans motifs légitimes (arrêt Derin, précité, point 67).

44 Il ne saurait donc être soutenu que l’interprétation de l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80, telle qu’elle ressort des points 23 à 32 du présent arrêt, aurait pour conséquence qu’un enfant d’un travailleur turc se trouverait dans une situation plus favorable que celle réservée à un enfant d’un ressortissant d’un État membre.

45 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un travailleur turc a légalement exercé un emploi dans l’État membre d’accueil pendant plus de trois ans, l’enfant d’un tel travailleur peut se prévaloir dans cet État membre, après avoir achevé sa formation professionnelle dans celui-ci, du droit d’accès au marché de l’emploi et du droit de séjour correspondant,
alors même que, après être retourné avec ses parents dans l’État d’origine, il est revenu seul dans ledit État membre afin d’y débuter cette formation.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

  L’article 7, second alinéa, de la décision no 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un travailleur turc a légalement exercé un emploi dans l’État membre d’accueil pendant plus de trois ans, l’enfant d’un tel travailleur peut se prévaloir dans cet État membre, après avoir achevé sa
formation professionnelle dans celui-ci, du droit d’accès au marché de l’emploi et du droit de séjour correspondant, alors même que, après être retourné avec ses parents dans l’État d’origine, il est revenu seul dans ledit État membre afin d’y débuter cette formation.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-462/08
Date de la décision : 21/01/2010
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg - Allemagne.

Accord d’association CEE-Turquie - Article 7, second alinéa, de la décision nº 1/80 du conseil d’association - Droit de l’enfant d’un travailleur turc de répondre à toute offre d’emploi dans l’État membre d’accueil où il a accompli une formation professionnelle - Début de la formation professionnelle après le départ définitif des parents de cet État membre.

Accord d'association

Relations extérieures

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Ümit Bekleyen
Défendeurs : Land Berlin.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: Cunha Rodrigues

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2010:30

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award