ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
1er octobre 2009 ( *1 )
«Manquement d’État — Libre prestation de services — Entrave injustifiée — Détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers»
Dans l’affaire C-219/08,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 22 mai 2008,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. E. Traversa, J.-P. Keppenne et G. Rozet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume de Belgique, représenté par Mme C. Pochet, en qualité d’agent, assistée de Me M. Detry, avocat,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre (rapporteur), MM. J.-C. Bonichot, P. Kūris, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mai 2009,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en exigeant, en cas de détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers par des entreprises communautaires, dans le cadre d’une prestation de services:
— une autorisation préalable à l’exercice de l’activité économique;
— que le titre de séjour délivré dans l’État d’établissement de l’employeur soit valable jusqu’au terme de la prestation de services augmenté de trois mois, et
— qu’un travailleur soit au service du même employeur prestataire de services depuis au moins six mois,
le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.
Le cadre juridique national
2 En vertu de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers (Moniteur belge du , p. 17800), telle que modifiée par l’arrêté royal du (Moniteur belge du , p. 29642), le travailleur étranger et son employeur doivent, au préalable, obtenir respectivement un permis de travail et une autorisation d’occupation. L’article 7, premier alinéa, de ladite loi dispose néanmoins:
«Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, dispenser les catégories de travailleurs étrangers qu’Il détermine de l’obligation d’obtenir un permis de travail.»
3 Aux termes de l’article 2 de l’arrêté royal du 9 juin 1999 portant exécution de la loi du relative à l’occupation des travailleurs étrangers (Moniteur belge du , p. 24162), tel que modifié par l’arrêté royal du (Moniteur belge du 26 juin 1999, p. 9583):
«Sont dispensés de l’obligation d’obtenir un permis de travail:
[…]
14° les travailleurs, non ressortissants d’un État membre de l’Espace économique européen, qui sont occupés par une entreprise établie dans un État membre de l’Espace économique européen qui se rend en Belgique pour fournir des services, à condition:
a) que ces travailleurs disposent dans l’État membre de l’Espace économique européen de leur résidence, d’un droit ou d’une autorisation de séjour supérieur à trois mois;
b) que ces travailleurs soient légalement autorisés à travailler dans l’État membre de leur résidence et que cette autorisation soit au moins valable pour la durée de la prestation à accomplir en Belgique;
c) que ces travailleurs soient titulaires d’un contrat de travail régulier;
d) que ces travailleurs soient au service de l’entreprise depuis au moins six mois sans interruption;
e) que ces travailleurs disposent, afin de garantir leur retour dans leur pays d’origine ou de résidence, d’un passeport et d’un titre de séjour valable jusqu’au terme de la prestation augmenté d’une période de trois mois.»
La procédure précontentieuse
4 Estimant que, en matière de détachement de travailleurs qui sont des ressortissants d’États tiers, employés par une entreprise établie dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, cet État membre violait l’article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), la Commission a transmis audit État membre, par lettre du 25 mars 1997, une mise en demeure, à laquelle celui-ci a répondu par lettre du
5 Par lettre du 9 septembre 1998, la Commission a émis un avis motivé, auquel le Royaume de Belgique a répondu par lettre du .
6 Après un nouvel échange de correspondance, la Commission a, par lettre du 13 juillet 2005, émis un avis motivé complémentaire, auquel le Royaume de Belgique a répondu par lettre du .
7 N’étant pas satisfaite de la réponse du Royaume de Belgique, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
La procédure devant la Cour
8 Par ordonnance du président de la Cour du 9 octobre 2008, la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Toutefois, après avoir informé la Cour qu’il se désistait de son intervention dans la présente affaire, cet État membre a été radié comme partie intervenante au litige, par ordonnance du président de la Cour du .
9 Par acte déposé au greffe le 24 mars 2009, la Commission a informé la Cour que, eu égard à l’adoption et à la communication, par courrier du , par le Royaume de Belgique de l’arrêté royal du modifiant l’article 2, premier alinéa, 14°, de l’arrêté royal du portant exécution de la loi du relative à l’occupation des travailleurs étrangers (Moniteur belge du , p. 26202), elle se désistait de son recours pour autant que celui-ci concerne les deuxième et troisième griefs qu’elle avait soulevés.
Sur le recours
10 Dans le cadre de son premier grief relatif à la nécessité d’obtenir une autorisation préalable à l’exercice de l’activité économique, devenu, à la suite du désistement partiel de la Commission, l’unique grief du recours, la Commission reproche au Royaume de Belgique de restreindre indûment le détachement, par des entreprises communautaires agissant dans le cadre de la libre prestation de services, de travailleurs ressortissants d’États tiers, lorsqu’ils sont détachés à partir d’un État membre qui
n’applique pas la totalité de l’acquis de Schengen ou lorsqu’ils sont détachés, pour une période supérieure à trois mois, à partir d’un État membre appliquant la totalité de l’acquis de Schengen. Dans de tels cas de figure, le Royaume de Belgique imposerait au travailleur souhaitant être détaché dans cet État membre d’obtenir au préalable la délivrance d’un visa ou d’une autorisation de séjour provisoire, moyennant une procédure lourde et qui viserait à vérifier si le détachement du travailleur
respecte bien tous les critères de la jurisprudence résultant de l’arrêt du 9 août 1994, Vander Elst (C-43/93, Rec. p. I-3803).
11 La Commission estime que la restriction à la libre prestation de services provient, en particulier, du fait que les autorités belges demandent aux travailleurs intéressés de produire des documents prouvant, d’une part, qu’ils se déplacent en Belgique dans le cadre d’un détachement, et qu’ils sont par conséquent dispensés de permis de travail, ainsi que, d’autre part, qu’ils disposent de moyens de subsistance suffisants, d’un logement en Belgique et d’une assurance voyage, ce afin de pouvoir
obtenir un visa.
12 Le Royaume de Belgique ne conteste pas qu’il exige la production des preuves mentionnées par la Commission, preuves qui peuvent d’ailleurs être rapportées par toute voie de droit, notamment par la production d’un certificat de détachement délivré par la caisse de sécurité sociale de l’État d’origine (formulaire E 101). Le Royaume de Belgique fait valoir que ces preuves ont uniquement pour objectif de démontrer que le travailleur détaché répond aux critères définis par la convention d’application
de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen (Luxembourg) le , et précisés ensuite par les instructions consulaires communes adressées aux représentations diplomatiques et consulaires de carrière (JO 2005, C 326, p. 1).
13 À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’article 49 CE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du
prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services similaires (voir, notamment, arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, C-244/04, Rec. p. I-885, point 30).
14 Toutefois, une réglementation nationale qui relève d’un domaine n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire et qui s’applique indistinctement à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre concerné peut, en dépit de son effet restrictif pour la libre prestation des services, être justifiée pour autant qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et que cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le
prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 31 et jurisprudence citée).
15 Plus particulièrement, il a déjà été jugé qu’un État membre peut vérifier qu’une entreprise établie dans un autre État membre, qui détache sur son territoire des travailleurs ressortissants d’un État tiers, ne se sert pas de la liberté de prestation des services dans un but autre que l’accomplissement de la prestation concernée (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 40 et jurisprudence citée).
16 Dans ce contexte, la Cour a considéré l’exigence de la part du prestataire de services d’une simple déclaration préalable attestant que les travailleurs concernés sont en situation régulière, notamment au regard des conditions de résidence, d’autorisation de travail et de couverture sociale, dans l’État membre où cette entreprise les emploie, comme étant une mesure qui, en principe, n’excède pas ce qui est nécessaire pour prévenir les abus auxquels peut donner lieu la mise en œuvre de la liberté
de prestation des services (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg, C-445/03, Rec. p. I-10191, point 46, ainsi que Commission/Allemagne, précité, points 41 et 42).
17 Lors de l’audience, la Commission a précisé qu’elle n’entendait pas contester cette jurisprudence. Elle a cependant fait valoir que le fait, pour les autorités belges, de demander aux travailleurs concernés un formulaire E 101 constitue une démarche plus circonstanciée que la production d’une déclaration préalable du prestataire de services.
18 Selon le Royaume de Belgique, la production d’un formulaire E 101 constitue précisément une démarche moins lourde pour le travailleur concerné que la production d’une déclaration préalable du prestataire de services. Toutefois, ledit État membre a expressément admis, lors de l’audience, que, dès lors que les preuves exigées par les autorités belges et décrites au point 11 du présent arrêt peuvent être rapportées par toute voie de droit, elles peuvent également être rapportées par la production
d’une déclaration préalable du prestataire de services au sens de la jurisprudence citée au point 16 du présent arrêt.
19 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas démontré que le Royaume de Belgique exige une autorisation préalable à l’exercice de l’activité économique, en cas de détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers par des entreprises communautaires, dans le cadre d’une prestation de services.
20 Dans le cadre de son grief, la Commission reproche également au Royaume de Belgique son manque de diligence dans l’octroi du visa demandé, dès lors que le visa n’est délivré que dans un délai de 48 heures à partir du moment où l’intéressé a produit les pièces requises. Elle lui reproche également son manque de transparence. En particulier, en l’absence de l’adoption d’une circulaire, pourtant précédemment annoncée par les autorités belges, les opérateurs économiques ne pourraient connaître à
l’avance les conditions à remplir pour pouvoir fournir des prestations de services en Belgique.
21 Or, à cet égard, il suffit de relever que de tels reproches, à supposer même qu’ils soient fondés, ne permettent pas de démontrer que le Royaume de Belgique exige une autorisation préalable à l’exercice de l’activité économique.
22 Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
23 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En outre, en vertu du paragraphe 5, premier alinéa, du même article, à la demande de la partie qui se désiste, les dépens sont supportés par l’autre partie, si cela apparaît justifié en vertu de l’attitude de cette dernière.
24 En l’espèce, la Commission a succombé en ses moyens concernant l’unique grief maintenu par celle-ci. Quant au désistement partiel de cette dernière, il est le résultat de la communication par le Royaume de Belgique de l’arrêté royal du 23 avril 2008 après l’introduction du présent recours.
25 Dans ces conditions, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission des Communautés européennes et le Royaume de Belgique supportent chacun leurs propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.