ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
16 juillet 2009 ( *1 )
«Pourvoi — Propriété intellectuelle — Règlement (CE) no 40/94 — Marque communautaire — Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle — Motifs absolus de refus d’enregistrement d’une marque — Marques de fabrique ou de commerce identiques ou similaires à un emblème d’État — Représentation d’une feuille d’érable — Applicabilité aux marques de services»
Dans les affaires jointes C-202/08 P et C-208/08 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits respectivement les 8 et 16 mai 2008,
American Clothing Associates NV, établie à Evergem (Belgique), représentée par Me P. Maeyaert, advocaat, ainsi que Mes N. Clarembeaux et C. De Keersmaeker, avocats,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance (C-202/08 P),
et
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
American Clothing Associates NV, établie à Evergem (Belgique), représentée par Me P. Maeyaert, advocaat, ainsi que Mes N. Clarembeaux et C. De Keersmaeker, avocats,
partie requérante en première instance (C-208/08 P),
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet (rapporteur), E. Levits et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mars 2009,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2009,
rend le présent
Arrêt
1 Par leurs pourvois, American Clothing Associates NV (ci-après «American Clothing») et l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 28 février 2008, American Clothing Associates/OHMI (Représentation d’une feuille d’érable) (T-215/06, Rec. p. II-303, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision de la première chambre de
recours de l’OHMI du 4 mai 2006 (affaire R 1463/2005-1) rejetant la demande d’enregistrement d’un signe représentant une feuille d’érable en tant que marque communautaire (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
2 L’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 3288/94 du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 349, p. 83, ci-après le «règlement no 40/94»), intitulé «Motifs absolus de refus», dispose:
«Sont refusés à l’enregistrement:
[…]
h) les marques qui, à défaut d’autorisation des autorités compétentes, sont à refuser en vertu de l’article 6 ter de la convention de Paris;
i) les marques qui comportent des badges, emblèmes ou écussons autres que ceux visés par l’article 6 ter de la convention de Paris et présentant un intérêt public particulier, à moins que leur enregistrement ait été autorisé par l’autorité compétente.
[…]»
3 L’article 29, paragraphe 1, du règlement no 40/94 prévoit qu’«une personne qui a régulièrement déposé une marque dans ou pour un des États parties à la convention de Paris ou à l’accord établissant l’Organisation mondiale du commerce, ou son ayant cause, jouit, pour effectuer le dépôt d’une demande de marque communautaire pour la même marque et pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels cette marque est déposée ou contenus dans ces derniers, d’un droit de priorité pendant un
délai de six mois à compter de la date de dépôt de la première demande.»
4 Aux termes de l’article 38, paragraphe 2, dudit règlement, «lorsque la marque comporte un élément qui est dépourvu de caractère distinctif et que l’inclusion de cet élément dans la marque peut créer des doutes sur l’étendue de la protection de la marque, l’Office peut demander comme condition à l’enregistrement de la marque que le demandeur déclare qu’il n’invoquera pas de droit exclusif sur cet élément. […]»
5 Les articles 1er, 6, 6 ter, 6 sexies et 7 de la convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, no 11851, p. 305, ci-après la «convention de Paris»), disposent:
«Article premier
[…]
2) La protection de la propriété industrielle a pour objet les brevets d’invention, les modèles d’utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine, ainsi que la répression de la concurrence déloyale.
[…]
Article 6
1) Les conditions de dépôt et d’enregistrement des marques de fabrique ou de commerce seront déterminées dans chaque pays de l’Union [constituée par les pays auxquels s’applique la convention de Paris] par sa législation nationale.
[…]
Article 6 ter
a) Les pays de l’Union conviennent de refuser ou d’invalider l’enregistrement et d’interdire, par des mesures appropriées, l’utilisation, à défaut d’autorisation des pouvoirs compétents, soit comme marque de fabrique ou de commerce, soit comme élément de ces marques, des armoiries, drapeaux et autres emblèmes d’État des pays de l’Union, signes et poinçons officiels de contrôle et de garantie adoptés par eux, ainsi que toute imitation au point de vue héraldique.
b) Les dispositions figurant sous […] a) ci-dessus s’appliquent également aux armoiries, drapeaux et autres emblèmes, sigles ou dénominations des organisations internationales intergouvernementales dont un ou plusieurs pays de l’Union sont membres, à l’exception des armoiries, drapeaux et autres emblèmes, sigles ou dénominations qui ont déjà fait l’objet d’accords internationaux en vigueur destinés à assurer leur protection.
c) Aucun pays de l’Union ne pourra être tenu d’appliquer des dispositions figurant sous […] b) ci-dessus au détriment des titulaires de droits acquis de bonne foi avant l’entrée en vigueur, dans ce pays, de la présente Convention. Les pays de l’Union ne sont pas tenus d’appliquer lesdites dispositions lorsque l’utilisation ou l’enregistrement visé sous […] a) ci-dessus n’est pas de nature à suggérer, dans l’esprit du public, un lien entre l’organisation en cause et les armoiries, drapeaux,
emblèmes, sigles ou dénominations, ou si cette utilisation ou enregistrement n’est vraisemblablement pas de nature à abuser le public sur l’existence d’un lien entre l’utilisateur et l’organisation.
[…]
a) Pour l’application de ces dispositions, les pays de l’Union conviennent de se communiquer réciproquement, par l’intermédiaire du Bureau international, la liste des emblèmes d’État, signes et poinçons officiels de contrôle et de garantie, qu’ils désirent ou désireront placer, d’une façon absolue ou dans certaines limites, sous la protection du présent article, ainsi que toutes modifications ultérieures apportées à cette liste. Chaque pays de l’Union mettra à la disposition du public, en temps
utile, les listes notifiées.
Toutefois, cette notification n’est pas obligatoire en ce qui concerne les drapeaux des États.
[…]
[…]
Article 6 sexies
Les pays de l’Union s’engagent à protéger les marques de service. Ils ne sont pas tenus de prévoir l’enregistrement de ces marques.
Article 7
La nature du produit sur lequel la marque de fabrique ou de commerce doit être apposée ne peut, dans aucun cas, faire obstacle à l’enregistrement de la marque.»
6 L’article 16 du traité sur le droit des marques, adopté à Genève le 27 octobre 1994, prévoit que «toute Partie contractante enregistre les marques de services et applique à ces marques les dispositions de la Convention de Paris qui concernent les marques de produits.»
Les faits à l’origine du litige
7 Le 23 juillet 2002, American Clothing a présenté une demande de marque communautaire à l’OHMI en vertu du règlement no 40/94.
8 La marque dont l’enregistrement a été demandé, composée de l’image d’une feuille d’érable et du groupe de lettres «RW», placé en dessous de cette image, est reproduite ci-après:
Image
9 Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 18, 25 et 40 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié (ci-après l’«arrangement de Nice»), et correspondent aux descriptions suivantes:
— «Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes; peaux d’animaux; malles et valises; parapluies, parasols et cannes; fouets et sellerie» (classe 18);
— «Vêtements, chaussures, chapellerie» (classe 25), et
— «Services de tailleurs, taxidermie; reliure; travaux, traitement et finissage de peausserie, de cuir, de fourrures et de matières textiles; développement de pellicules photographiques et tirage de photographies; travaux sur bois; pressurage de fruits; meunerie; traitement, trempe et finissage de surfaces de métaux» (classe 40).
10 Par décision du 7 octobre 2005, l’examinateur a refusé l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits et les services concernés, sur la base de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94, au motif que ladite marque était susceptible de susciter dans l’esprit du public l’impression qu’il existait un lien entre elle et le Canada, dès lors que la feuille d’érable figurant dans la marque demandée est une imitation de l’emblème du Canada.
11 Cet emblème, tel qu’il ressort de la communication du Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) aux États parties à la convention de Paris, du 1er février 1967, ainsi que de la base de données de l’OMPI, est reproduit ci après:
Image
12 Le 6 décembre 2005, American Clothing a formé un recours, au titre des articles 57 à 62 du règlement no 40/94, contre la décision de l’examinateur.
13 Par la décision litigieuse, la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours formé par American Clothing et confirmé la décision de l’examinateur.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 août 2006, American Clothing a introduit un recours contre la décision litigieuse en invoquant un moyen unique tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94.
15 Le Tribunal a, par l’arrêt attaqué, partiellement annulé la décision litigieuse, en ce qu’elle vise l’enregistrement de la marque demandée pour les services relevant de la classe 40 au sens de l’arrangement de Nice, au motif que l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris, auquel renvoie simplement l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94, ne s’applique pas aux marques de services.
16 Le Tribunal a en effet refusé de donner une interprétation extensive de l’article 6 ter de la convention de Paris et, partant, de fonder juridiquement le refus d’enregistrement en tant que marque communautaire d’une marque de services sur ledit article 7, paragraphe 1, sous h). À cet égard, il a notamment relevé, au point 31 de l’arrêt attaqué, que c’est précisément en vue d’étendre aux marques de services la protection accordée aux marques de produits par la convention de Paris qu’une
disposition spécifique a été insérée à l’article 16 du traité sur le droit des marques, adopté à Genève le 27 octobre 1994. Ledit traité n’a cependant pas été ratifié par la Communauté européenne.
17 Le Tribunal a, par ailleurs, estimé au point 32 de l’arrêt attaqué que, lors de l’adoption, relativement récente, du règlement no 40/94 dans sa version initiale, le législateur communautaire était conscient de l’importance, dans le commerce moderne, des marques de services et aurait pu, dès lors, étendre également à cette catégorie de marques la protection accordée aux emblèmes d’État par l’article 6 ter de la convention de Paris. Or, ledit législateur n’ayant pas jugé utile de procéder à une
telle extension du champ d’application des dispositions pertinentes, le Tribunal a considéré qu’il n’appartient pas au juge communautaire de se substituer à lui et de retenir une interprétation contra legem desdites dispositions, dont le sens n’est nullement ambigu.
18 Pour le surplus, le Tribunal a rejeté le recours en décidant que c’était à bon droit que la chambre de recours avait refusé l’enregistrement de la marque demandée pour les produits relevant des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice.
19 Pour parvenir à cette solution, le Tribunal a notamment retenu, au point 65 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de l’appréciation d’une marque complexe sous l’angle de l’article 6 ter de la convention de Paris, il convient d’avoir égard à chacun des éléments de ladite marque et qu’il suffit que l’un d’entre eux constitue un emblème d’État ou son imitation «au point de vue héraldique» pour empêcher l’enregistrement de la marque concernée, et ce indépendamment de la perception globale que l’on peut
avoir de cette marque.
20 Concernant la feuille d’érable figurant dans la marque demandée, le Tribunal a ensuite considéré, au point 72 de l’arrêt attaqué, que, lors de la comparaison «au point de vue héraldique» au sens de l’article 6 ter de la convention de Paris entre le signe figurant dans ladite marque et un emblème d’État, il y a lieu de se référer à la description héraldique de l’emblème concerné et non à une éventuelle description géométrique du même emblème, qui serait, par nature, beaucoup plus détaillée. Il a
conclu, au point 75 dudit arrêt, que, en dépit de légères différences, le public concerné dans la Communauté, à savoir le consommateur moyen auquel s’adressent les articles de consommation courante visés par la marque demandée, percevra cette marque essentiellement comme une imitation de l’emblème canadien.
21 Par ailleurs, le Tribunal a, au point 77 de l’arrêt attaqué, relevé que l’application de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris n’est pas soumise à la condition de l’existence d’une possibilité d’erreur du public concerné, quant à l’origine des produits désignés par la marque demandée ou quant à l’existence d’un lien entre le titulaire de cette marque et l’État dont l’emblème figure dans ladite marque. Le Tribunal a par ailleurs estimé, au point 81 du même arrêt, que la
prétendue renommée de la marque demandée est également sans incidence.
22 S’agissant de la prise en compte d’enregistrements nationaux antérieurs de marques identiques ou comparables à la marque dont l’enregistrement est demandé, le Tribunal a rappelé, au point 84 de l’arrêt attaqué, que l’OHMI et, le cas échéant, le juge communautaire ne sont pas liés par une décision intervenue au niveau d’un État membre, voire d’un État tiers, admettant le caractère enregistrable de ce même signe, ou de signes similaires, en tant que marque nationale. Concernant la pratique
prétendument moins restrictive de l’office de la propriété intellectuelle du Canada, le Tribunal a, au point 85 de l’arrêt attaqué, constaté que la requérante n’a ni prouvé ni même affirmé de manière non équivoque qu’elle avait bénéficié d’une autorisation des autorités canadiennes compétentes lui permettant d’enregistrer une marque identique à la marque demandée.
Les conclusions des parties au pourvoi
23 Dans l’affaire C-202/08 P, American Clothing demande à la Cour:
— d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où le Tribunal a jugé que la première chambre de recours de l’OHMI n’avait pas violé l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 en adoptant la décision litigieuse en tant que cette dernière vise l’enregistrement de la marque demandée pour les produits des classes 18 au sens de l’arrangement de Nice, à savoir le «[c]uir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes; peaux d’animaux; malles et valises;
parapluies, parasols et cannes; fouets et sellerie», et 25 au sens dudit arrangement, à savoir les «[v]êtements, chaussures, chapellerie», et
— de condamner l’OHMI aux dépens.
24 L’OHMI demande à la Cour, dans ladite affaire:
— de rejeter le pourvoi, et
— de condamner American Clothing aux dépens.
25 Dans l’affaire C-208/08 P, l’OHMI demande à la Cour:
— d’annuler l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a estimé que l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 ne s’applique pas aux marques désignant des services, et
— de condamner American Clothing aux dépens.
26 American Clothing demande à la Cour, dans ladite affaire:
— de confirmer l’arrêt attaqué, en ce qu’il a considéré que l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 et l’article 6 ter de la convention de Paris ne s’appliquent pas aux marques de services, et
— de condamner l’OHMI aux dépens.
Sur les pourvois
27 Les parties et M. l’avocat général ayant été entendus sur ce point, les affaires C-202/08 P et C-208/08 P ont été jointes pour cause de connexité, par ordonnance du président de la Cour du 11 février 2009, aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure.
Dans l’affaire C-202/08 P
Argumentation des parties
28 American Clothing reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit s’agissant de l’application des motifs de refus d’enregistrement d’une marque en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 et de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris.
29 Cette société affirme que le Tribunal a méconnu la pertinence de la fonction essentielle d’un emblème d’État pour apprécier le champ de protection de celui-ci. La protection accordée à un tel emblème devrait en effet être réservée aux cas où ses fonctions essentielles sont susceptibles d’être affectées. Le refus de l’enregistrement d’un tel emblème en tant que marque ou élément d’une marque ne saurait être justifié que si l’utilisation de la marque ou de son élément est susceptible de porter
atteinte à des symboles de l’identité et de la souveraineté d’un État, auxquels cet emblème renvoie. Ainsi les emblèmes d’État constitueraient des signes protégés, comme les marques et les appellations d’origine, auxquelles sont applicables par analogie les mêmes critères de protection.
30 American Clothing avance que la protection des emblèmes d’État selon l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris vise à protéger ces emblèmes de similitudes à l’égard d’autres signes dans un domaine bien déterminé, à savoir les imitations «au point de vue héraldique». Or, contrairement à ce qu’aurait retenu le Tribunal au point 71 de l’arrêt attaqué, cette notion d’«imitation au point de vue héraldique» vise à protéger non pas le symbole en tant que tel, mais une
interprétation artistique bien précise, une œuvre graphique spécifique, qui est le résultat de la mise en œuvre des règles régissant l’art héraldique. Si un emblème ne présente pas ou peu de caractéristiques héraldiques, il ne pourrait ainsi pas y avoir d’imitation au sens de ladite disposition.
31 L’interprétation retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué aurait pour conséquence d’ériger un monopole quasi absolu des États sur des signes ne présentant que peu de caractéristiques héraldiques, rendant ainsi ces signes indisponibles à titre d’éléments de marques. Or, de fait, un grand nombre de marques enregistrées comprendraient des signes notifiés à titre d’emblème d’État, tels que, par exemple, la feuille de trèfle irlandaise.
32 American Clothing fait finalement valoir que le Tribunal aurait méconnu la pertinence de certaines circonstances de l’espèce. Ainsi, il aurait écarté, aux points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, l’impression d’ensemble produite par la marque, en estimant cette impression dénuée de toute pertinence lorsqu’est en cause l’enregistrement d’une marque qui constitue un emblème d’État ou une imitation de celui-ci au point de vue héraldique. American Clothing relève également que l’article 6 ter de la
convention de Paris ne semble pas s’opposer à ce qu’une marque complexe contenant un emblème fasse l’objet d’un enregistrement accompagné d’un «disclaimer» tel que celui prévu à l’article 38 du règlement no 40/94, par lequel le demandeur déclare qu’il n’invoquera pas le droit exclusif sur un certain élément de la marque. Ceci correspondrait, d’ailleurs, à la pratique de l’office de la propriété intellectuelle du Canada, qui aurait consenti à enregistrer des marques avec une feuille d’érable à
onze points sous la condition de l’acceptation d’un «disclaimer» pour celles-ci. En l’espèce, le Tribunal aurait dénaturé les faits en niant cette pratique dudit office, notamment concernant l’imposition d’un tel «disclaimer» pour la marque faisant l’objet de la présente procédure et dont l’enregistrement aurait été abandonné ultérieurement pour d’autres motifs.
33 American Clothing ajoute que l’OHMI ne saurait protéger ainsi les emblèmes d’État de manière plus stricte que ne le font les États concernés eux-mêmes. Le Tribunal aurait davantage dû tenir compte de la pratique en la matière de l’OHMI ainsi que de celle d’autres offices nationaux. American Clothing soutient que, dans des conditions habituelles d’usage, des caractéristiques héraldiques peu marquées, comme dans le cas de la marque demandée, ne seraient pas perçues par le public qui ne verrait
qu’un élément ornemental plutôt qu’un renvoi vers un emblème d’État. De telles caractéristiques héraldiques se retrouveraient d’ailleurs dans d’autres signes fréquemment utilisés à titre de marque.
34 L’OHMI rappelle tout d’abord que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour est limitée aux questions de droit et que, par conséquent, le point de savoir si la représentation de la feuille d’érable contenue dans la demande d’enregistrement de la marque en cause est une imitation au point de vue héraldique de l’emblème du Canada est une constatation factuelle qui échappe au contrôle de la Cour.
35 L’OHMI rejette l’ensemble de l’argumentation d’American Clothing concernant l’exigence d’une atteinte à la fonction essentielle des emblèmes d’État. Contrairement aux conflits entre signes distinctifs, le refus d’enregistrement d’une marque n’exige pas, selon lui, la démonstration d’un «lien» entre le titulaire de la marque et l’État dont l’emblème est imité, la fonction essentielle d’un emblème d’État n’étant pas de garantir l’origine commerciale des produits et des services. La protection
accordée à un emblème d’État serait absolue en ce sens qu’elle ne dépendrait pas du point de savoir si l’emblème imité dans une marque est perçu par le public en tant qu’élément distinctif ou en tant qu’élément ornemental.
36 Pour cette même raison, la nécessité d’une appréciation de la marque demandée dans son ensemble, appréciation requise par American Clothing, serait inutile. Quant à la possibilité d’un «disclaimer», telle que prévue à l’article 38, paragraphe 2, du règlement no 40/94, elle ne s’appliquerait pas lorsque l’élément litigieux d’une marque est contesté pour un motif autre que le défaut de caractère distinctif.
37 En outre, le Tribunal aurait correctement estimé que l’imitation, au point de vue héraldique, doit être examinée au regard de la description héraldique d’un emblème, plutôt que par rapport à sa description géométrique ou graphique. En effet, la description héraldique d’un emblème représenterait davantage que la seule description géométrique ou graphique, la représentation graphique exacte d’un emblème pouvant varier sans pour autant altérer les caractéristiques héraldiques de cet emblème.
L’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris confirmerait que la protection des emblèmes n’est pas limitée à leur représentation graphique puisque, selon ladite disposition, celle-ci s’étendrait à toute imitation «au point de vue héraldique». La portée de la protection d’un emblème ne dépendrait pas non plus de ses caractéristiques héraldiques plus ou moins marquées, l’emblème du Japon devant, par exemple, bénéficier de la même protection que l’emblème le plus sophistiqué.
L’OHMI souligne que la description héraldique de l’emblème du Canada, effectuée par le Tribunal, constituerait une évaluation purement factuelle qui échapperait au contrôle de la Cour.
38 Concernant les circonstances de fait, l’OHMI affirme que le Tribunal n’a pas dénaturé les faits de l’espèce en ignorant la pratique de l’office de la propriété intellectuelle du Canada, mais s’est borné à relever que les faits invoqués n’avaient pas été prouvés. Ni l’OHMI ni le juge communautaire n’auraient à tenir compte d’une pratique nationale fondée sur des dispositions légales qui n’ont pas d’équivalent dans le règlement no 40/94 et l’article 6 ter de la convention de Paris ne ferait,
d’ailleurs, pas référence à la loi ou à la pratique de l’État d’origine de l’emblème protégé. Même si des marques similaires avaient été enregistrées par erreur par l’OHMI, le principe de légalité devrait prévaloir sur celui d’égalité de traitement. Quant aux conditions d’usage, indépendamment du fait que celles-ci peuvent varier, elles ne devraient pas être prises en compte puisqu’il convient de vérifier si la marque demandée contient une imitation d’un emblème d’État indépendamment de toute
circonstance d’usage.
Appréciation de la Cour
39 Concernant l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait méconnu la pertinence de la fonction essentielle d’un emblème d’État afin de définir la portée de la protection de celui-ci, il convient de revenir sur cette fonction essentielle ainsi que sur les réglementations communautaire et internationale applicables aux emblèmes d’État en les comparant avec celles concernant les marques.
40 Aux points 59 à 63 de ses conclusions, M. l’avocat général a mis en exergue certaines des fonctions essentielles qui peuvent être attribuées à un emblème d’État. Il convient de relever, entre autres, celle de l’identification à un État ainsi que celle de la représentation de sa souveraineté et de son unité. La marque, quant à elle, a pour fonction essentielle de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer
sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, Rec. p. I-5507, point 28, et du 6 octobre 2005, Medion, C-120/04, Rec. p. I-8551, point 23).
41 En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussée que le traité CE entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir, notamment, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102/77, Rec. p. 1139, point 7, et du 18 juin 2002, Philips,
C-299/99, Rec. p. I-5475, point 30).
42 Or, cette divergence entre les fonctions essentielles des marques et celles des emblèmes d’État se reflète également dans la différence de traitement qui leur est réservée tant par le droit communautaire que par le droit international.
43 Ainsi, l’article 6 du règlement no 40/94 énonce le principe de l’acquisition de la marque par l’enregistrement alors que, en vertu de l’article 6 ter, paragraphe 3, sous a), de la convention de Paris, les États communiquent simplement la liste des emblèmes à protéger au Bureau international de l’OMPI, une telle notification n’étant pas obligatoire pour les drapeaux d’État. Pour les marques, le principe est celui d’une protection par rapport à certaines classes de produits et de services
déterminées, alors que les emblèmes, au contraire, bénéficient d’une protection générale quelle que soit l’utilisation que l’on souhaite en faire. De plus, contrairement aux marques, les emblèmes ne peuvent pas être déclarés nuls et leur titulaire ne peut pas être déchu de ses droits. Par ailleurs, leur protection n’est pas limitée dans le temps. De nombreux aspects régissant la protection des marques ne sont donc pas transposables à la protection des emblèmes d’État.
44 Il en va de même concernant l’existence d’un risque de confusion qui, bien que constituant la condition spécifique de la protection de la marque en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou les services (voir, notamment, arrêt Medion, précité, point 24; du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux, C-102/07, Rec. p. I-2439, point 28, ainsi que du 12 juin 2008, O2 Holdings & O2 (UK), C-533/06, Rec. p. I-4231, point 47) n’est pas requise pour la protection d’un emblème,
dans la mesure où l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris n’en fait aucunement état.
45 Il convient également d’observer qu’il ressort de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous c), deuxième phrase, de la convention de Paris que la protection des emblèmes d’État n’est pas subordonnée à l’existence, dans l’esprit du public, d’un lien entre la marque dont l’enregistrement est demandé et l’emblème. En effet, dans le cas d’emblèmes d’organisations internationales, ladite disposition autorise l’enregistrement et l’utilisation d’une marque si celle-ci n’est pas de nature à induire le public
en erreur quant à l’existence d’un lien entre l’utilisateur de la marque et l’organisation. Il en résulte que, dans les autres cas, à savoir ceux concernant les emblèmes d’État, cette possibilité n’existe pas et il n’y a donc pas lieu de vérifier l’existence d’un tel lien.
46 Dès lors, les allégations d’American Clothing concernant l’incidence de la fonction essentielle d’un emblème d’État sur le champ de protection de celui-ci et l’application, par analogie, des mêmes critères de protection que ceux applicables aux marques doivent être rejetées.
47 Concernant les arguments présentés par American Clothing au sujet de l’interprétation de l’expression «toute imitation au point de vue héraldique», visée à l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris, il convient tout d’abord de relever que ladite disposition interdit l’enregistrement et l’utilisation d’un emblème d’État non seulement comme marque, mais également comme élément d’une marque. La protection accordée aux emblèmes est donc, à cet égard, également très étendue. En
outre, la dernière partie de cette disposition contribue, elle aussi, à garantir une protection étendue aux emblèmes d’État dans la mesure où, à l’interdiction de la réplique exacte de l’emblème, s’ajoute également l’interdiction de l’imitation de celui-ci.
48 L’interdiction d’imitation d’un emblème concerne cependant uniquement les imitations de celui-ci au point de vue héraldique, c’est-à-dire celles qui réunissent les connotations héraldiques qui distinguent l’emblème des autres signes. Ainsi, la protection contre toute imitation du point de vue héraldique se réfère non à l’image en tant que telle, mais à son expression héraldique. Aussi y a-t-il lieu, afin de déterminer si la marque comprend une imitation du point de vue héraldique, de considérer
la description héraldique de l’emblème en cause.
49 Il s’ensuit que la thèse d’American Clothing, selon laquelle il faudrait tenir compte de la description géométrique de l’emblème, ne saurait être retenue. D’une part, une telle interprétation irait à l’encontre de l’approche évoquée au point 47 du présent arrêt garantissant une protection étendue à l’emblème, puisque le caractère, par nature très précis, de la description graphique conduirait à refuser la protection de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris à l’emblème
à la moindre nuance entre les deux descriptions. D’autre part, le cas de la conformité graphique avec l’emblème utilisé par la marque est déjà couvert par la première partie de cette disposition, de sorte que l’expression «toute imitation au point de vue héraldique» doit être comprise comme ayant une portée additionnelle.
50 Ainsi, une marque ne reproduisant pas exactement un emblème d’État peut néanmoins être visée par l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris, lorsqu’elle est perçue par le public concerné, en l’occurrence le consommateur moyen, comme imitant un tel emblème.
51 Au sujet de l’expression «imitation au point de vue» énoncée à ladite disposition, il y a toutefois lieu de préciser que toute différence entre la marque dont l’enregistrement est demandé et l’emblème d’État, détectée par un spécialiste de l’art héraldique, ne sera pas nécessairement perçue par le consommateur moyen qui, en dépit de différences au niveau de certains détails héraldiques, peut voir dans la marque une imitation de l’emblème en question.
52 En outre, la description héraldique de l’emblème à laquelle il convient de se référer afin de déterminer s’il y a lieu d’y voir une imitation au point de vue héraldique au sens de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris ne comporte habituellement que certains éléments descriptifs, sans nécessairement entrer dans les détails de l’interprétation artistique. Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit en retenant qu’il pouvait exister plusieurs interprétations
artistiques d’un seul et même emblème à partir de la même description héraldique.
53 Toutefois, la description héraldique de l’emblème effectuée par le Tribunal dans le cas d’espèce ainsi que l’appréciation de la question de savoir si la marque demandée contenait une imitation au point de vue héraldique échappent en tant que telles au contrôle de la Cour. En effet, conformément aux articles 225, paragraphe 1, CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est donc seul compétent pour constater et apprécier les
faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2002, DKV/OHMI, C-104/00 P, Rec. p. I-7561, point 22, et du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C-25/05 P, Rec. p. I-5719, point 40).
54 Or, certains des arguments présentés par American Clothing au sujet de la pertinence de certaines circonstances de l’espèce, en particulier ceux concernant la perception par le public dans les conditions habituelles d’usage de la marque de la feuille d’érable comme ornement ainsi que ceux concernant la prétendue acceptation par l’office de la propriété intellectuelle du Canada de l’enregistrement d’une marque identique à la marque en question accompagnée d’un «disclaimer», n’ont pas trait à des
questions de droit et ne relèvent, par conséquent, pas de la compétence de la Cour.
55 Certes, il est vrai qu’American Clothing fait valoir une dénaturation des faits à l’égard de ce dernier argument. Toutefois, il y a lieu de constater qu’elle n’a pas démontré en quoi le Tribunal aurait dénaturé les faits, mais s’est bornée à affirmer que le Tribunal avait nié la pratique de l’office de la propriété intellectuelle du Canada. Or, au point 85 de l’arrêt attaqué, le Tribunal avait non pas nié cette pratique, mais simplement constaté qu’American Clothing n’avait pas démontré que ledit
office n’avait pas retenu d’objection à la présence de la feuille d’érable alors qu’il examinait une demande d’enregistrement d’une marque identique à la marque demandée.
56 Par conséquent, l’ensemble des griefs exposés ci-dessus qui visent à remettre en cause la constatation et l’appréciation des faits opérées par le Tribunal doit être déclaré irrecevable.
57 Quant aux griefs tirés de la non-prise en compte par le Tribunal de la pratique de l’OHMI ainsi que d’autres offices nationaux en matière d’emblèmes, il y a lieu de relever, en ce qui concerne l’OHMI, d’une part, que les décisions que les chambres de recours sont amenées à prendre, en vertu du règlement no 40/94, concernant l’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, relèvent de l’exercice d’une compétence liée et non pas d’un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, la légalité des
décisions des chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base de ce règlement, tel qu’interprété par le juge communautaire, et non sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure à celles-ci (arrêts du 15 septembre 2005, BioID/OHMI, C-37/03 P, Rec. p. I-7975, point 47, et du 12 janvier 2006, Deutsche SiSi-Werke/OHMI, C-173/04 P, Rec. p. I-551, point 48).
58 D’autre part, en ce qui concerne les enregistrements nationaux antérieurs, invoqués par American Clothing, il convient de rappeler que le régime communautaire des marques est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national. Par conséquent, le caractère enregistrable d’un signe en tant que marque communautaire ne doit être apprécié que sur le fondement de la réglementation
communautaire pertinente, tel qu’il est interprété par le juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, L & D/OHMI, C-488/06 P, Rec. p. I-5725, point 58). Dès lors, l’OHMI et, le cas échéant, le juge communautaire ne sont pas liés par une décision intervenue au niveau d’un État membre, voire d’un État tiers, admettant le caractère enregistrable de ce même signe en tant que marque nationale. Les mêmes considérations valent, a fortiori, pour les enregistrements des autres marques
que celle demandée en l’espèce.
59 Enfin, ainsi qu’il a été rappelé au point 47 du présent arrêt, l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris s’applique non seulement à des marques, mais également à des éléments de marques reprenant ou imitant des emblèmes d’État. Il suffit, par conséquent, qu’un seul élément de la marque demandée représente un tel emblème ou une imitation de celui-ci pour que l’enregistrement en tant que marque communautaire soit refusé. Le Tribunal ayant considéré que la feuille d’érable
représentée sur la marque demandée constituait une imitation au point de vue héraldique de l’emblème canadien, il n’avait donc plus à examiner l’impression d’ensemble produite par la marque, l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris n’exigeant pas une prise en compte de l’ensemble de la marque.
60 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le Tribunal n’a pas méconnu les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 et de l’article 6 ter, paragraphe 1, sous a), de la convention de Paris, en rejetant le recours formé à l’encontre de la décision litigieuse en tant que celle-ci a refusé l’enregistrement de la marque demandée pour les produits relevant des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice.
61 Par conséquent, le pourvoi introduit par American Clothing dans l’affaire C-202/08 P doit être rejeté.
Dans l’affaire C-208/08 P
Argumentation des parties
62 L’OHMI demande à la Cour d’annuler partiellement l’arrêt attaqué en ce qu’il a refusé l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 et de l’article 6 ter de la convention de Paris aux marques désignant des services.
63 Selon l’OHMI, une interprétation correcte de l’article 6 ter de la convention de Paris impose de prendre en compte l’esprit de ladite convention dans sa globalité. En adoptant une interprétation littérale et hors de son contexte de l’article 6 ter de la convention de Paris, le Tribunal aurait considéré, à tort, que ni cette disposition ni l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 ne s’appliquent aux demandes d’enregistrement de marques désignant des services.
64 L’OHMI fait valoir que, contrairement à ce qu’a estimé le Tribunal, il n’était pas dans l’intention du législateur communautaire que la convention de Paris établisse une discrimination entre les marques de produits et les marques de services, ainsi que cela ressort de l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 40/94.
65 En outre, l’article 16 du traité sur le droit des marques, adopté à Genève le 27 octobre 1994, doit, selon l’OHMI, être interprété en ce sens qu’il clarifie l’article 6 ter de la convention de Paris sans toutefois en étendre le domaine d’application.
66 L’OHMI affirme que la Cour aurait, par son arrêt du 22 novembre 2007, Nieto Nuño (C-328/06, Rec. p. I-10093), admis, au moins implicitement, que la convention de Paris soumet à une égalité de traitement les marques de produits et les marques de services.
67 American Clothing fait valoir le caractère parfaitement clair et non équivoque de l’article 6 ter de la convention de Paris, en ce que cet article vise uniquement les marques de fabrique ou de commerce et non les marques de services. Une telle interprétation serait d’ailleurs confirmée par la doctrine ainsi que par des rapports du Comité permanent du droit des marques, des dessins et modèles industriels et des indications géographiques de l’OMPI.
68 Le fait qu’une marque de services soit susceptible d’être «notoirement connue», au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris, n’impliquerait aucunement que le texte de cette disposition vise également les marques de services. Par ailleurs, la question posée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Nieto Nuño, précité, serait circonscrite à l’étendue géographique de la notoriété d’une marque antérieure et ne viserait pas l’interprétation de l’article 6 bis de la convention de Paris au
regard des marques de services. Le Tribunal aurait, de surcroît, déjà indiqué que ledit article 6 bis ne viserait que les marques de produits (arrêts du 11 juillet 2007, Mühlens/OHMI, T-263/03, point 54, et Mühlens/OHMI, T-28/04, point 59).
69 Quant à l’insertion, au cours de l’année 1958, de l’article 6 sexies dans la convention de Paris, American Clothing considère que cette disposition n’est aucunement pertinente en l’espèce en ce qu’elle n’a pas d’incidence sur l’article 6 ter de la même convention. Le texte et l’historique de l’Acte de Lisbonne, traité modifiant la convention de Paris, signé le 31 octobre 1958, confirmeraient que la position plus ambitieuse tendant à assimiler, de manière générale, les marques de services aux
marques de fabrique ou de commerce dans l’ensemble de ladite convention n’a pas été acceptée.
70 Concernant l’article 16 du traité sur le droit des marques, adopté à Genève le 27 octobre 1994, American Clothing soutient que ce dernier n’a pas encore été ratifié par la Communauté et que, contrairement à ce que prétend l’OHMI, cette disposition servirait non pas à clarifier l’article 6 ter de la convention de Paris, mais bien à compléter celui-ci en étendant aux marques de services la protection accordée aux marques de produits. Cette lecture serait confirmée par la doctrine ainsi que par les
travaux préparatoires dudit traité.
Appréciation de la Cour
71 S’agissant du refus du Tribunal d’appliquer aux marques de services l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94, il y a lieu de considérer la convention de Paris à la lumière de son article 6 ter auquel renvoie l’article 7 du règlement no 40/94.
72 Ainsi que M. l’avocat général l’a souligné aux points 104 et 107 de ses conclusions, la convention de Paris prévoit un niveau minimum de protection pour les éléments entrant dans son champ d’application, tout en laissant les États parties à la convention libres d’étendre le champ de la protection. Par conséquent, même si, ainsi que le soutient American Clothing, la convention de Paris n’obligeait pas les États parties à enregistrer les marques de services et que les dispositions de cette
convention ne s’appliquaient pas à ces marques, il n’en demeure pas moins que lesdits États sont libres de prévoir unilatéralement une telle application. Ainsi que cela ressort du document de l’OMPI, que le Tribunal cite au point 31 de l’arrêt attaqué, l’article 6 ter de la convention de Paris «n’oblige pas les États parties à la convention de Paris à refuser ou à invalider l’enregistrement et à interdire l’utilisation d’emblèmes d’État ou d’autres signes officiels comme marques de services ou
comme éléments de marques de services. Les États sont néanmoins libres de le faire […]».
73 Partant, ledit article 6 ter laisse à la libre appréciation des États parties l’opportunité d’étendre la protection garantie aux marques de produits à celles de services. Ce faisant, la convention de Paris n’impose pas auxdits États de procéder à une distinction entre ces deux types de marques.
74 Dès lors, il y a lieu d’examiner si le législateur communautaire a entendu exercer cette compétence et étendre la protection accordée en vertu de la convention de Paris aux marques de produits à celles de services.
75 À cet égard, il convient de relever que, comme l’observe M. l’avocat général au point 111 de ses conclusions, l’ensemble des dispositions pertinentes du droit communautaire ne procède pas à une distinction de principe entre marques de produits et marques de services.
76 En outre, la seule circonstance que certaines dispositions du règlement no 40/94 procèdent à une restriction de leur champ d’application, tel l’article 7, paragraphe 1, sous e), j) et k), en ce qui concerne les motifs absolus de refus à l’enregistrement, la restriction qui y est prévue se limitant toutefois à certains types de produits, ne saurait suffire à remettre en cause l’appréciation selon laquelle les dispositions dudit règlement s’appliquent dans leur ensemble indistinctement aux marques
de produits et de services.
77 Un tel constat ne peut que s’appliquer à l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94, lequel ne contient aucune restriction expresse quant aux marques dont il traite. Cette interprétation ne saurait être infirmée par le seul fait que la disposition en cause opère un renvoi à la convention de Paris. En effet, ce renvoi a pour seul objet de déterminer le type de signes qu’il y a lieu de refuser et non de restreindre le champ d’application de la disposition.
78 Par conséquent, comme dans le cas de la plupart des motifs absolus de refus énoncés à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 40/94, il y a lieu de refuser l’enregistrement d’une marque, qu’il soit demandé pour des produits ou pour des services, lorsque l’un des motifs de refus visés à l’article 6 ter de la convention de Paris lui est opposable.
79 Cette interprétation du point h) de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 40/94 est d’ailleurs corroborée par le point i) dudit article 7, paragraphe 1, cette dernière disposition concernant un domaine analogue à celui couvert par ledit point h), à savoir les marques comportant des badges, emblèmes ou écussons autres que ceux visés à l’article 6 ter de la convention de Paris.
80 En effet, l’article 7, paragraphe 1, sous i), du règlement no 40/94 s’applique indistinctement aux marques de produits et aux marques de services, de sorte que le refus de l’enregistrement pourrait, par exemple, concerner une marque de services comprenant un badge. Or, rien n’indique pourquoi un tel refus d’enregistrement devrait être opposé à une marque de services comprenant un badge et non à une marque de services comprenant un drapeau d’État. Si le législateur communautaire a voulu accorder
une telle protection aux badges et aux écussons, il convient de supposer qu’il a, à plus forte raison, également eu l’intention d’accorder une protection au moins aussi étendue aux armoiries, drapeaux et autres emblèmes d’État ou d’organisations internationales intergouvernementales. Ainsi, il apparaît peu probable que le législateur communautaire ait voulu laisser un fournisseur de services utiliser une marque comprenant un drapeau national alors que, parallèlement, il a interdit une telle
utilisation pour des badges tels que ceux d’une association sportive par exemple.
81 Il s’ensuit que c’est à tort que le Tribunal a estimé que, en refusant l’enregistrement de la marque demandée pour les services relevant de la classe 40 au sens de l’arrangement de Nice, la décision litigieuse a violé l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94.
82 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le pourvoi formé par l’OHMI dans l’affaire C-208/08 P et d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il annule la décision litigieuse de la première chambre de recours de l’OHMI, en ce qui concerne l’enregistrement de la marque demandée pour les services relevant de la classe 40 au sens de l’arrangement de Nice.
83 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
84 En l’espèce, la Cour considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour juger l’affaire au fond.
85 En effet, la distinction opérée par le Tribunal entre les marques de produits et celles de services dans le cadre de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous h), du règlement no 40/94 n’étant pas fondée, il y a lieu de constater, pour les motifs exposés aux points 39 à 61 du présent arrêt concernant les produits relevant des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice, que l’enregistrement de la marque pouvait être valablement refusé également en ce qui concerne les services
relevant de la classe 40 dudit arrangement.
86 Dans ces conditions, il convient de rejeter comme non fondé le recours introduit devant le Tribunal par American Clothing, en tant qu’il visait le refus d’enregistrement de la marque demandée pour les services de ladite classe 40.
Sur les dépens
87 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant conclu, aussi bien dans l’affaire C-202/08 P que dans l’affaire C-208/08 P, à la condamnation d’American Clothing et celle-ci ayant succombé en ses moyens dans lesdites affaires, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi introduit par American Clothing Associates NV dans l’affaire C-202/08 P est rejeté.
2) L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 28 février 2008, American Clothing Associates/OHMI (T-215/06), est annulé en tant que celui-ci a annulé la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 4 mai 2006 (affaire R 1463/2005-1) rejetant la demande d’enregistrement d’un signe représentant une feuille d’érable en tant que marque communautaire.
3) Le recours introduit par American Clothing Associates NV dans l’affaire T-215/06 est rejeté.
4) American Clothing Associates NV est condamnée aux dépens dans les affaires C-202/08 P et C-208/08 P.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.