ARRÊT DU 20. 5. 2009 – AFFAIRE C-214/08 P
GUIGARD / COMMISSION
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
20 mai 2009 (*)
«Pourvoi – Recours en indemnité – Conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité non contractuelle de la Communauté – Articles 313, paragraphe 2, sous k), 314 et 317, sous a), de la quatrième convention de Lomé, telle que révisée par l’accord signé à Maurice»
Dans l’affaire C‑214/08 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 20 mai 2008,
Philippe Guigard, demeurant à Paris (France), représenté par M^es S. Rodrigues et C. Bernard‑Glanz, avocats,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission des Communautés européennes, représentée par M. A. Bordes et M. F. Dintilhac, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. Klučka (rapporteur), U. Lõhmus et M^me P. Lindh, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, M. Guigard demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 mars 2008, Guigard/Commission (T-301/05, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à obtenir réparation du préjudice qu’il aurait subi en raison du comportement prétendument fautif de la Commission des Communautés européennes lors du non‑renouvellement de son contrat de travail conclu dans le cadre de
la coopération technique entre la Communauté et la République du Niger financée par le Fonds européen de développement (ci-après le «FED»).
Le cadre juridique
2 La quatrième convention conclue entre les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ci-après les «États ACP») et la Communauté économique européenne, signée à Lomé le 15 décembre 1989 et approuvée par la décision 91/400/CECA, CEE du Conseil et de la Commission, du 25 février 1991, concernant la conclusion de la quatrième convention ACP-CEE (JO L 229, p. 1), telle que révisée par l’accord signé à Maurice le 4 novembre 1995 (JO 1998, L 156, p. 3, ci‑après la «quatrième convention de
Lomé»), prévoit à son article 312:
«1. Le gouvernement de chaque État ACP désigne un ordonnateur national qui le représente pour toutes les opérations financées sur les ressources du [FED] gérées par la Commission […].
2. L’ordonnateur national peut déléguer une partie de ses attributions; il informe l’ordonnateur principal des délégations auxquelles il a procédé.»
3 Selon l’article 313, paragraphe 2, sous k), de la quatrième convention de Lomé, au cours de l’exécution des opérations et sous réserve pour lui d’en informer le délégué de la Commission, l’ordonnateur national décide du recrutement des consultants et d’autres experts de l’assistance technique.
4 Conformément à l’article 314 de cette convention, tout document et toute proposition soumis par l’ordonnateur national à la Commission ou au délégué pour accord ou approbation est approuvé ou réputé approuvé dans les délais fixés par ladite convention, ou, à défaut, dans les 30 jours.
5 L’article 316, paragraphe 1, de la quatrième convention de Lomé dispose:
«La Commission est représentée dans chaque État ACP ou dans chaque groupe régional qui en fait la demande expresse par une délégation placée sous l’autorité d’un chef de délégation, avec l’agrément du ou des États ACP concernés.»
6 L’article 317 de cette convention prévoit:
«Le chef de délégation représente la Commission dans tous les domaines de sa compétence et pour l’ensemble de ses activités.
En ce qui concerne plus particulièrement la coopération, le chef de délégation reçoit les instructions nécessaires et les pouvoirs pour faciliter et accélérer la préparation, l’instruction et l’exécution des projets et programmes, ainsi que l’appui nécessaire pour ce faire. À cette fin, et en étroite collaboration avec l’ordonnateur national, le chef de délégation:
a) à la demande de l’État ACP concerné, participe et offre une assistance dans la préparation des projets et programmes et dans les négociations des contrats d’assistance technique;
[…]»
Les antécédents du litige
7 Les faits à l’origine du litige sont exposés dans l’arrêt attaqué comme suit:
«5 Le 1^er novembre 2001, le ministère des Finances et de l’Économie de la République du Niger, faisant fonction d’ordonnateur national (ci-après l’‘ON’), a donné mandat à la Commission de ‘négocier, établir et conclure le contrat avec l’expert qui sera choisi par le Niger […] sur proposition de la Commission […] et de participer à la gestion du contrat au nom et pour le compte du Niger […] conformément aux dispositions contractuelles prévues dans le contrat type entre la Commission et l’expert
établi par la Commission’ [...].
6 Le 7 mars 2002, le requérant, M. Guigard, a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec la Commission qui, en tant que mandataire du gouvernement de la République du Niger, l’a engagé en qualité d’assistant technique auprès du ministère de l’Équipement et des Transports à Niamey (Niger) (ci-après le ‘contrat de travail’), financé par le [FED].
7 Selon l’article 4 du contrat de travail, celui-ci est entré en vigueur le 10 mars 2002 pour une durée d’un an et venait à expiration le 9 mars 2003.
8 L’article 5 du contrat de travail stipule qu’il est régi par le droit belge et notamment par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, y compris les dispositions de cessation de contrat par l’une ou l’autre des deux parties contractantes.
9 En outre, selon l’article 6 du contrat de travail, tout litige entre les parties contractantes est soumis aux tribunaux de Bruxelles.
10 L’article 3, deuxième alinéa, des dispositions générales applicables aux contrats de travail à durée déterminée des assistants techniques pour les actions de coopération au bénéfice des pays tiers et dans le cadre de l’aide humanitaire ou alimentaire de la Communauté européenne, annexées au contrat de travail et qui en font partie intégrante (ci-après les ‘dispositions générales’), prévoit que le contrat de travail ‘pourra être renouvelé une seule fois, sur une même mission, pour une période
déterminée, si le besoin [se] présente’.
11 Le 27 décembre 2002, l’ON a adressé une lettre au chef de la délégation de la Commission au Niger demandant le renouvellement du contrat de travail pour une durée de 30 mois.
12 Par courrier électronique de la Commission du 4 mars 2003, le requérant a été informé que le contrat de travail n’allait pas être prolongé.
13 Par lettre du 7 mars 2003 adressée au chef de délégation, l’ON a réitéré la demande de reconduction du contrat de travail pour une durée de 30 mois, en se référant explicitement à l’article 314 de la quatrième convention de Lomé.
14 Par lettre du même jour envoyée par le chef de délégation, la Commission a informé l’ON qu’elle ne pouvait accéder à sa demande et que le requérant en avait été informé.»
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 août 2005, le requérant a introduit un recours tendant à obtenir réparation du préjudice qu’il aurait subi en raison du comportement prétendument fautif de la Commission lors du non-renouvellement de son contrat de travail conclu dans le cadre de la coopération technique entre la Communauté et la République du Niger financée par le FED. Ce comportement consisterait dans la violation, d’une part, de la quatrième convention de Lomé et, d’autre
part, des principes généraux de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance légitime.
9 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 14 novembre 2005, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Elle a soutenu que le Tribunal devait décliner sa compétence au motif que le litige découlait de l’interprétation du contrat de travail qui était régi par le droit belge. Selon l’article 6 de ce contrat, tout litige entre les parties contractantes serait soumis aux tribunaux de Bruxelles, sans
qu’une clause compromissoire au sens de l’article 238 CE déroge à cette règle.
10 M. Guigard a déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité le 13 janvier 2006. Il a soutenu que son recours était fondé exclusivement sur la violation d’obligations non contractuelles incombant à la Commission. En premier lieu, il a reproché à cette dernière de ne pas avoir respecté la répartition des compétences entre l’ON et le chef de délégation, telle qu’elle est prévue à l’article 313, paragraphe 2, sous k), de la quatrième convention de Lomé, non plus que, en tout état
de cause, le délai impératif de 30 jours, visé à l’article 314 de ladite convention, dans lequel une réponse devait être apportée à la requête de l’ON relative au renouvellement du contrat de travail. En second lieu, M. Guigard a reproché à la Commission d’avoir méconnu les principes de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance légitime.
11 Par ordonnance du Tribunal du 28 septembre 2006, l’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond.
12 Aux points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, en l’absence de clause compromissoire au sens de l’article 238 CE, il ne saurait, lorsqu’il est saisi d’un recours en indemnité présenté sur le fondement de l’article 235 CE, statuer sur ce recours dans la mesure où il porte, en réalité, sur une demande de dommages et intérêts d’origine contractuelle. Faute de quoi, il étendrait sa compétence juridictionnelle au-delà des litiges dont la connaissance lui est limitativement
réservée par l’article 240 CE, dès lors que cette disposition confie, au contraire, aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître les litiges auxquels la Communauté est partie. Le Tribunal a ensuite constaté qu’une telle clause compromissoire faisait défaut dans le contrat de travail et que l’article 6 de celui-ci soumettait tout litige entre les parties aux tribunaux de Bruxelles.
13 Le Tribunal en a conclu au point 36 de l’arrêt attaqué que sa compétence dépendait dès lors de la réponse à la question préalable de savoir si la responsabilité que la Commission pouvait encourir en raison du comportement qui lui était reproché était de nature contractuelle.
14 À cet égard, le Tribunal a jugé aux points 37 à 40 de l’arrêt attaqué que dans la mesure où le requérant fondait ses allégations sur le non‑renouvellement, dans des conditions irrégulières du contrat de travail par la Commission, il était incompétent pour connaître du recours dont il était saisi.
15 Cependant, aux points 41 et 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé ce qui suit:
«41 […] [I]l ressort également de la requête que le requérant invoque la violation d’obligations non contractuelles incombant à la Commission dans le cadre de l’application de la quatrième convention de Lomé à l’occasion de l’exécution d’un projet d’assistance technique financé par le FED, à savoir la violation de l’article 313, paragraphe 2, sous k), et de l’article 314 de la quatrième convention de Lomé, ainsi que la violation des principes de bonne administration, de sollicitude et de
protection de la confiance légitime.
42 Dans la mesure où l’article 313, paragraphe 2, sous k), et l’article 314 de la quatrième convention de Lomé, de même que les principes de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance légitime, peuvent se rapporter à la conclusion d’un nouveau contrat indépendamment du premier, leur prétendue violation est détachable des liens contractuels unissant les parties au contrat de travail. Le Tribunal est donc compétent pour statuer sur le présent recours en ce qu’il porte
sur la violation de ces dispositions et principes.»
16 Quant au fond, après avoir rappelé, aux points 43 et 44 de l’arrêt attaqué la jurisprudence relative à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, le Tribunal a examiné l’existence d’un comportement fautif de la Commission au regard des articles 313, paragraphe 2, sous k), et 314 de la quatrième convention de Lomé ainsi que des principes généraux de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance
légitime.
17 N’ayant constaté aucune illégalité dans le comportement de la Commission, le Tribunal a rejeté, au point 87 de l’arrêt attaqué, le recours de M. Guigard, sans qu’il ait été nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
18 Le pourvoi a été déposé au greffe de la Cour le 20 mai 2008.
19 Le mémoire en réponse de la Commission ainsi que son pourvoi incident ont été déposés au greffe de la Cour le 4 août 2008.
20 Par lettre déposée au greffe de la Cour le 1^er septembre 2008, le requérant a sollicité, conformément à l’article 117 du règlement de procédure de la Cour, l’autorisation de présenter un mémoire en réplique.
21 Cette demande a été rejetée par une décision du président de la Cour du 12 septembre 2008.
22 Par son pourvoi, le requérant demande à la Cour:
– de déclarer le pourvoi recevable;
– de rejeter le pourvoi incident de la Commission comme non fondé;
– d’annuler l’arrêt attaqué;
– de condamner la Commission à l’indemniser des dommages subis, et
– de condamner la Commission aux dépens des deux instances.
23 La Commission demande à la Cour:
– de déclarer le pourvoi incident recevable et fondé;
– d’annuler en conséquence l’arrêt attaqué en tant que, par ce dernier, le Tribunal a déclaré recevable le recours dont il était saisi;
– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme non fondé;
– en tout état de cause, de condamner le requérant à l’entièreté des dépens de l’instance.
Sur les pourvois
24 Si, par son pourvoi, M. Guigard demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté son recours au fond, la Commission conclut, dans son pourvoi incident, à l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il a déclaré recevable le recours de M. Guigard. Il convient, par conséquent, d’examiner en priorité le pourvoi incident. En effet, si ce dernier était accueilli, il n’y aurait plus lieu de statuer sur le pourvoi principal.
Sur le pourvoi incident
Argumentation des parties
25 À l’appui de son pourvoi incident, la Commission invoque deux moyens, tirés d’une erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal et de l’insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué.
26 Au soutien de son premier moyen, la Commission rappelle que l’acte attaqué par le requérant est la décision du 4 mars 2003 de ne pas renouveler le contrat de travail. Ce faisant, elle aurait agi non pas en tant qu’une autorité publique, mais en qualité de cocontractant appliquant l’article 3 des dispositions générales.
27 La Commission estime que, pour des raisons de sécurité juridique, un même fait ne saurait être à la fois générateur d’une responsabilité contractuelle et d’une responsabilité non contractuelle. Ce serait l’objet du litige, à savoir le non‑renouvellement du contrat de travail, qui devrait déterminer le type de responsabilité engagée. La seule invocation, par le requérant, d’une prétendue nécessité d’interpréter une convention internationale ou d’un principe fondamental ne saurait suffire à
remettre en cause l’incompétence et l’irrecevabilité que le Tribunal a constatées au point 40 de l’arrêt attaqué. Selon la Commission, tant la compétence que la recevabilité ne sauraient se fonder sur un raisonnement seulement hypothétique.
28 À cet égard, M. Guigard considère tout d’abord que, en concluant le contrat de travail avec lui, la Commission n’a pas perdu son statut d’institution communautaire liée par la quatrième convention de Lomé. Son recours viserait en effet à l’indemniser des conséquences dommageables de l’illégalité qui aurait été commise dans la gestion d’un projet d’assistance technique relevant de la politique de coopération au développement prévue aux articles 177 CE à 181 CE.
29 Ensuite, si M. Guigard admet que le type de responsabilité encourue doit être déterminé en fonction de l’objet du litige, il s’oppose à l’allégation de la Commission selon laquelle l’objet du litige se limiterait, en tout état de cause, au non‑renouvellement du contrat de travail. Au contraire, le litige concernerait, en substance, les conditions irrégulières, au regard de la quatrième convention de Lomé, dans lesquelles la Commission aurait mis fin à son contrat. Il s’agirait non pas d’une
question relevant dudit contrat, mais bien d’un acte de mauvaise administration.
30 Selon M. Guigard, un cocontractant de la Commission doit pouvoir s’appuyer non seulement sur les droits qu’il tire du contrat qu’il a passé avec celle-ci, mais également sur les droits qui découlent du cadre général dans lequel s’inscrit ledit contrat. À cet égard, seul le juge communautaire pourrait se prononcer sur la question de l’observation par la Commission des obligations qui s’imposent à elle en dehors du contrat.
31 Enfin, le raisonnement du Tribunal n’a pas, selon M. Guigard, un caractère hypothétique, dans la mesure où le Tribunal, qui n’a soulevé d’office aucun moyen, était appelé à se prononcer sur les moyens qu’il avait lui-même invoqués et par lesquels il avait invité le Tribunal à constater la violation d’une convention internationale à laquelle la Communauté est partie et de principes généraux du droit communautaire.
32 Par son second moyen, la Commission fait valoir que, en se bornant à juger au point 42 de l’arrêt attaqué que, «[d]ans la mesure où l’article 313, paragraphe 2, sous k), et l’article 314 de la quatrième convention de Lomé, de même que les principes de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance légitime, peuvent se rapporter à la conclusion d’un nouveau contrat indépendamment du premier […]» sans expliquer en quoi et de quelle façon ces dispositions pourraient se
rapporter à la conclusion d’un nouveau contrat, le Tribunal a violé son devoir de motivation. Le raisonnement du Tribunal revêtirait dès lors un caractère hypothétique.
33 En outre, le Tribunal n’aurait pas répondu à l’argument de la Commission tiré de la nature contractuelle du litige, étant donné que, pour l’essentiel, les préjudices que le requérant invoque découleraient directement du non‑renouvellement du contrat de travail et relèveraient, par conséquent, de la responsabilité contractuelle de la Communauté.
34 M. Guigard estime, au contraire, que, en se référant aux dispositions pertinentes de la convention de Lomé et aux principes généraux du droit communautaire susceptibles de se rapporter à la conclusion d’un nouveau contrat de travail indépendamment du premier, le Tribunal a motivé l’arrêt attaqué à suffisance de droit sur la question de la recevabilité du recours dont il était saisi. De surcroît, la Commission n’aurait pas justifié les raisons pour lesquelles le second contrat devait, en tout
état de cause, être dépendant du premier. En ce qui concerne plus particulièrement la réponse apportée par le Tribunal à l’argument de la Commission tiré de la nature contractuelle du litige, M. Guigard soutient que le point 42 de l’arrêt attaqué doit être lu à la lumière du point 41 de celui-ci qui fait référence à la violation des obligations non contractuelles incombant à la Commission, ce qui expliquerait les raisons pour lesquelles le Tribunal a établi une distinction entre ce qui relève, d’une
part, de l’exécution d’un contrat et, d’autre part, de l’adoption d’un acte par une institution communautaire agissant dans le cadre de ses activités administratives.
Appréciation de la Cour
35 Afin d’apprécier le bien-fondé des moyens soulevés par la Commission, il convient, en premier lieu, de rappeler qu’il ressort de la description du cadre factuel faite par le Tribunal, notamment aux points 11 et 13 de l’arrêt attaqué, que l’ON n’a jamais demandé qu’un nouveau contrat de travail soit passé avec le requérant. En effet, par ses lettres des 27 décembre 2002 et 7 mars 2003, l’ON a demandé le renouvellement du contrat de travail, puis a réitéré sa demande en ce sens.
36 En deuxième lieu, le contrat en cause a été conclu entre le requérant et la Commission. L’acte qui fait grief à M. Guigard est la lettre du 4 mars 2003 qui lui a été adressée par la Commission et par laquelle cette dernière a rejeté la demande de renouvellement du contrat de travail. Il convient de rappeler que les dispositions du contrat de travail stipulent qu’il est régi par le droit belge et que tout litige entre les parties contractantes est soumis aux tribunaux de Bruxelles.
37 En troisième lieu, dans son recours devant le Tribunal, M. Guigard a conclu à ce que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté soit constaté du fait du comportement fautif de la Commission, consécutif au non‑renouvellement, dans des conditions prétendument irrégulières, du contrat de travail.
38 Enfin, étant donné que le renouvellement du contrat de travail ainsi que les conditions qui s’y appliquent sont prévus à l’article 3, deuxième alinéa, des dispositions générales, l’objet du recours consiste donc, en réalité, en une demande de dommages et intérêts d’origine contractuelle.
39 Or, en ce qui concerne la juridiction compétente pour trancher les litiges auxquels la Communauté est partie, l’article 240 CE prévoit que les juridictions nationales sont compétentes pour connaître de tels litiges, sous réserve de ceux pour lesquels le traité CE accorde compétence exclusive à la Cour (arrêt du 9 octobre 2001, Flemmer e.a., C-80/99 à C-82/99, Rec. p. I-7211, point 39).
40 Aucune disposition du traité ne confère à la Cour une compétence pour connaître des litiges relatifs à la responsabilité contractuelle de la Communauté, à l’exception de l’article 238 CE. Celui-ci présuppose toutefois l’existence d’une clause compromissoire en ce sens. Aux termes de l’article 235 CE, la Cour est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE, disposition qui ne vise que la responsabilité non
contractuelle de la Communauté, la responsabilité contractuelle de cette dernière étant mentionnée au premier alinéa de la même disposition (arrêt Flemmer e.a., précité, point 42).
41 En l’absence de clause compromissoire au sens de l’article 238 CE, le litige en l’espèce échappe à la compétence juridictionnelle du Tribunal telle qu’elle est définie aux articles 225, paragraphe 1, CE, 235 CE et 240 CE.
42 Par conséquent, en jugeant au point 42 de l’arrêt attaqué que les moyens tirés de la violation des articles 313, paragraphe 2, sous k), et 314 de la quatrième convention de Lomé, de même que les principes de bonne administration, de sollicitude et de protection de la confiance légitime peuvent se rapporter à la conclusion d’un nouveau contrat indépendamment du premier, et que la violation de ces articles et principes est détachable des liens contractuels unissant les parties au contrat de
travail, le Tribunal a requalifié l’objet du recours et a commis ainsi une erreur de droit qui l’a conduit à violer les règles relatives à sa compétence.
43 En outre, et contrairement à ce qu’a fait valoir M. Guigard dans sa réponse au pourvoi incident de la Commission, la simple invocation de règles juridiques qui ne découlent pas dudit contrat de travail, mais qui s’imposent aux parties, ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle du litige et de soustraire, par conséquent, ce dernier à la juridiction compétente. S’il en était autrement, la nature du litige et, par conséquent, la juridiction compétente seraient
susceptibles de changer au gré des normes invoquées par les parties, ce qui irait à l’encontre des règles de compétence matérielle des différentes juridictions.
44 Il s’ensuit que, les moyens invoqués par la Commission étant fondés, il convient d’accueillir le pourvoi incident et d’annuler l’arrêt attaqué.
Sur le pourvoi principal
45 Les moyens du pourvoi incident ayant été accueillis, il n’y a plus lieu de statuer sur le pourvoi principal.
Sur le recours de première instance
46 Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
47 En l’espèce, le litige est en état d’être jugé.
48 Ainsi qu’il résulte des points 35 à 42 du présent arrêt, le recours de M. Guigard a, en réalité, pour objet une demande de dommages et intérêts d’origine contractuelle qui échappe, en l’absence de clause compromissoire au sens de l’article 238 CE, à la compétence juridictionnelle de la Cour. Une telle clause fait défaut en l’espèce.
49 Il s’ensuit que le recours de M. Guigard est irrecevable et doit, par conséquent, être rejeté.
Sur les dépens
50 En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
51 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, de ce même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de M. Guigard et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents tant à la présente instance qu’à la procédure engagée devant le Tribunal.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 mars 2008, Guigard/Commission (T‑301/05), est annulé en tant qu’il a déclaré le recours de M. Guigard recevable.
2) Le recours de M. Guigard dans l’affaire T-301/05 est rejeté.
3) Il n’y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de M. Guigard.
4) M. Guigard est condamné à supporter les dépens exposés par la Commission des Communautés européennes devant la Cour de justice des Communautés européennes et devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.