ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)
30 avril 2009 (*)
«Pourvoi – Marque communautaire – Règlement (CE) n° 40/94 – Article 8, paragraphe 5 – Préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure – Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure – Risque – Demande d’enregistrement comme marque communautaire du signe figuratif ‘CAMELO’ – Opposition du titulaire des marques nationales verbales et figuratives CAMEL»
Dans l’affaire C‑136/08 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 3 avril 2008,
Japan Tobacco Inc., établie à Tokyo (Japon), représentée par M^es A. Ortiz López, S. Ferrandis González et E. Ochoa Santamaría, abogados,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance,
Torrefacção Camelo L^da, établie à Campo Maior (Portugal),
partie intervenante en première instance,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. A. Ó Caoimh, président de chambre, M. U. Lõhmus (rapporteur) et M^me P. Lindh, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,
l’avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, Japan Tobacco Inc. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 janvier 2008, Japan Tobacco/OHMI – Torrefacção Camelo (CAMELO) (T‑128/06, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 22 février 2006 (affaire R 669/2003‑2, ci-après
la «décision litigieuse»), qui avait elle-même rejeté l’opposition formée par la requérante contre l’enregistrement de la marque CAMELO demandé par Torrefacção Camelo L^da (ci-après «Torrefacção Camelo»).
Le cadre juridique
2 L’article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), est libellé comme suit:
«Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque nationale
antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice.»
Les faits à l’origine du litige et la procédure devant l’OHMI
3 Le 15 mars 2000, Torrefacção Camelo a, en vertu du règlement n° 40/94, présenté à l’OHMI une demande d’enregistrement comme marque communautaire de la marque figurative suivante:
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4 Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 30 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante: «Cafés torréfiés».
5 Le 8 janvier 2001, la requérante a formé une opposition à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée. L’opposition était fondée sur l’ensemble des produits couverts par quatre marques espagnoles de la requérante, dont la marque figurative espagnole CAMEL, n° 66 030, déposée le 15 décembre 1926 et enregistrée le 10 janvier 1928 pour les produits relevant de la classe 34 (tabac et cigarettes), qui se présente comme suit:
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6 Par décision du 17 septembre 2003, la division d’opposition de l’OHMI a rejeté cette opposition dans la mesure où elle était fondée sur l’article 8, paragraphes 1, sous b), et 2, sous c), du règlement n° 40/94, mais y a fait droit en tant qu’elle était fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du même règlement et a, en conséquence, refusé l’enregistrement de la marque demandée.
7 Le 20 novembre 2003, Torrefacção Camelo a formé un recours contre cette décision.
8 Par la décision litigieuse, la deuxième chambre de recours de l’OHMI a annulé la décision de la division d’opposition et a rejeté l’opposition formée par la requérante. Quant à l’éventuelle application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, elle a tout d’abord considéré que trois marques espagnoles de la requérante, dont la marque n° 66 030, jouissent d’une renommée en Espagne. Ensuite, elle a admis, sur la base d’une comparaison effectuée entre cette dernière marque et la
marque ici demandée, qu’il existe une similitude visuelle suffisante entre les signes en cause pour créer un risque d’association dans l’esprit du public au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Enfin, elle a estimé qu’aucun élément du dossier ne permettait toutefois de conclure prima facie qu’il existe un risque non hypothétique que l’usage de la marque ici demandée permette de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure
concernée, ou de leur porter préjudice, sans qu’il y ait dès lors lieu de se prononcer sur l’existence d’un juste motif pour l’usage de ladite marque demandée.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2006, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et demandant au Tribunal de décider que l’enregistrement de la marque présentement demandée doit être refusé sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94.
10 À l’appui de ce recours, la requérante a invoqué deux moyens, tirés respectivement de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 et de la violation des règles de procédure applicables devant la chambre de recours de l’OHMI.
11 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ledit recours dans son ensemble.
12 S’agissant du premier moyen, il a relevé, aux points 45 et 46 de l’arrêt attaqué, que la protection élargie accordée à la marque antérieure par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 présuppose, eu égard à son libellé, la réunion de quatre conditions cumulatives. En premier lieu, la marque antérieure doit être enregistrée. En deuxième lieu, cette dernière et celle dont l’enregistrement est demandé doivent être identiques ou similaires. En troisième lieu, la marque antérieure doit
jouir d’une renommée dans la Communauté, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, ou dans l’État membre concerné, dans le cas d’une marque nationale antérieure. En quatrième lieu, l’usage sans juste motif de la marque demandée doit comporter le risque qu’un profit puisse être indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu’un préjudice puisse être porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure. Le Tribunal a énuméré trois types
de risque distincts et alternatifs découlant de cette dernière condition, à savoir le risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée, premièrement, porte préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, porte préjudice à la renommée de la marque antérieure ou, troisièmement, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure. Le Tribunal a en outre souligné que, dans aucun de ces cas, l’existence d’un risque de confusion entre
les marques en conflit n’est requise, le public pertinent devant seulement pouvoir établir un lien entre elles, sans toutefois devoir forcément les confondre.
13 Le Tribunal a vérifié d’emblée si la quatrième condition était remplie. À cette fin, il a, au point 54 de l’arrêt attaqué, constaté que, «à l’exception du prétendu lien immédiat que le public fera entre les deux marques en cause, en raison d’un élément figuratif très similaire, la requérante n’a pas invoqué devant les instances de l’OHMI d’autres éléments susceptibles d’être pris en compte par la chambre de recours dans l’appréciation des risques visés par ladite condition».
14 En ce qui concerne plus particulièrement le risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure ici concernée (dilution), les points 56 à 60 de l’arrêt attaqué contiennent les énonciations suivantes:
«56 [...] [L]’élément distinctif de la marque antérieure est principalement constitué par son élément verbal, à savoir le mot ‘camel’. En revanche, ainsi que la chambre de recours l’a à juste titre considéré, l’élément figuratif commun aux deux marques en cause, à savoir l’image d’un dromadaire sur fond de désert égyptien, lequel est composé de trois pyramides à droite et de trois palmiers à gauche, est en soi banal dans la mesure où il est couramment utilisé pour désigner des produits
d’origine orientale. Il revêt donc un caractère distinctif faible.
57 Or, le Tribunal constate que, à cet égard, la requérante se contente de souligner le prétendu lien immédiat que le public établira entre les deux marques en cause, et ce en se fondant uniquement sur l’existence d’une atteinte au caractère distinctif de sa marque, qu’elle tire à la fois de l’élément figuratif et de l’élément verbal de celle-ci. À ce titre, elle soutient que le préjudice en cause est évident et qu’il se dégage du fonctionnement même du marché et de la publicité.
58 Pourtant, l’existence d’un tel lien ne saurait suffire à démontrer le risque de dilution de la marque antérieure, et ce d’autant plus que, dans le cas d’espèce, la similitude relevée entre les marques en cause tient essentiellement à leur élément figuratif qui revêt un caractère distinctif faible. En outre, le risque de dilution paraît d’autant moins élevé en l’espèce que l’élément figuratif dont se prévaut principalement la requérante est fréquemment utilisé pour d’autres marques que la
marque antérieure, pour désigner des produits d’origine orientale [...]
59 Il résulte de ce qui précède que la requérante reste en défaut d’apporter des éléments de preuve suffisants pour démontrer que, en raison de l’enregistrement de la marque demandée, la marque antérieure ne serait plus en mesure de susciter dans l’esprit du consommateur une association immédiate avec les produits pour lesquels elle est enregistrée ou employée.
60 Partant, c’est à bon droit que la chambre de recours a estimé que la requérante n’avait pas démontré que l’utilisation de la marque demandée était susceptible de porter préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure.»
15 Aux points 61 à 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que c’était à bon droit que la chambre de recours avait considéré que la requérante n’avait pas démontré que l’utilisation de la marque ici demandée était susceptible de porter préjudice à la renommée de la marque antérieure concernée.
16 S’agissant du risque de profit indûment tiré du caractère distinctif et de la renommée de la marque antérieure concernée (parasitisme), le Tribunal a émis aux points 64 à 66 de l’arrêt attaqué les considérations suivantes:
«64 [...] [S]i le titulaire de la marque antérieure n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque, il doit apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de préjudice [...] [P]lus le caractère distinctif et la renommée de la marque antérieure seront importants, plus l’existence d’une telle atteinte sera aisément admise. À cet égard, il convient, cependant, également de relever que, [...]
s’il est possible, notamment dans le cas d’une opposition fondée sur une marque bénéficiant d’une renommée exceptionnellement élevée, que la probabilité d’un risque futur non hypothétique de préjudice porté ou de profit indûment tiré par la marque demandée de la marque invoquée en opposition soit tellement évidente que l’opposant n’a besoin d’invoquer et de prouver aucun autre élément factuel à cette fin, il ne saurait être présumé que tel soit toujours le cas [...]
65 [...] Le risque de profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ne pourrait [...] se produire que si le public pertinent, sans confondre l’origine des produits ou des services visés par les marques en conflit, éprouvait une attraction particulière pour les produits ou les services du demandeur, du seul fait qu’ils sont désignés par une marque identique ou semblable à la marque antérieure renommée. Cela nécessiterait la preuve d’une association de la
marque demandée avec des qualités positives de la marque antérieure identique ou similaire, lesquelles pourraient donner lieu à une exploitation ou à un parasitisme manifestes par la marque demandée [...]
66 Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été relevé au point 54 ci-dessus, à défaut pour la requérante d’avoir invoqué devant les instances de l’OHMI des éléments susceptibles d’être pris en compte par la chambre de recours dans l’appréciation des risques visés par la quatrième condition de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, à l’exception d’un prétendu lien immédiat que le public fera entre les deux marques en cause, en raison d’un élément figuratif très similaire, les caractéristiques
habituellement associées à une marque renommée de cigarettes ne peuvent être considérées, en soi, comme étant aptes à apporter un profit à des cafés torréfiés, et ce même si ces produits peuvent parfois être consommés de manière conjointe et être ainsi, dans une certaine mesure, associés tous les deux à des moments de convivialité et de détente [...]. C’est donc à bon droit que la chambre de recours a considéré dans la décision [litigieuse] que la requérante n’avait pas démontré que l’enregistrement
de la marque demandée était susceptible de permettre à [Torrefacção Camelo] de tirer indûment profit du caractère distinctif et de la renommée de la marque antérieure.»
17 Enfin, aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que, dès lors qu’aucun des trois types de risque visés par la quatrième condition d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 n’existe en l’espèce, l’examen de l’existence ou de l’absence de justes motifs pour l’usage de la marque ici demandée est sans intérêt, de sorte qu’il ne saurait être reproché à la chambre de recours de l’OHMI de ne pas s’être prononcée sur cette question.
Les conclusions des parties
18 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour:
– d’annuler l’arrêt attaqué;
– de décider qu’il y a lieu de refuser l’enregistrement de la marque ici demandée, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, et
– de condamner l’OHMI aux dépens.
19 L’OHMI demande à la Cour:
– de rejeter le pourvoi, et
– de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
20 Aux termes de l’article 119 du règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale.
21 À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94. Ce moyen se subdivise en trois branches.
Sur la première branche, relative au préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure concernée
22 Par cette branche, la requérante reproche au Tribunal, d’une part, d’avoir, dans son examen du risque de préjudice porté par l’usage de la marque présentement demandée à la marque antérieure concernée, méconnu l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 ainsi que la jurisprudence imposant une comparaison globale de ces marques, en procédant à une appréciation limitée. En effet, bien qu’il ait constaté la renommée de ladite marque antérieure, la similitude entre celle-ci et la marque ici
demandée ainsi que le lien entre les produits désignés par ces deux marques, le Tribunal, dans son appréciation, n’en aurait ni tenu compte ni tiré les conclusions logiques. Or, ces trois éléments permettraient aux consommateurs d’établir un lien entre lesdites marques et il existerait donc un risque de dilution du caractère distinctif de la marque antérieure en question.
23 D’autre part, outre que le prétendu caractère faiblement distinctif de certains éléments figuratifs de la marque antérieure concernée n’aurait pas été démontré, le caractère unique de celle-ci reposerait sur la combinaison de ces éléments. Au demeurant, sa seule renommée prouverait le caractère fortement distinctif du dessin et il n’existerait pas une seule marque de cigarettes ni de café comportant un dessin identique en Espagne.
24 Par son premier grief, la requérante fait valoir, en substance, que la réunion des trois éléments cités au point 22 de la présente ordonnance suffit à prouver que le public pertinent établira un lien entre la marque ici demandée et la marque antérieure concernée, duquel il résulte un risque que la première porte préjudice à la seconde.
25 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, c’est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu’il ne les confond pas [arrêt du 12 mars 2009, Antartica/OHMI, C‑320/07 P, point 43; voir également, par
analogie, s’agissant de l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), disposition qui est en substance identique à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, non encore publié au Recueil, point 30 et jurisprudence citée].
26 L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, parmi lesquels le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services concernés par les marques en conflit, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par
l’usage, de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public (voir arrêt Antartica/OHMI, précité, point 45; voir également, par analogie, arrêt Intel Corporation, précité, point 42).
27 Si, à défaut d’un tel lien dans l’esprit du public, l’usage de la marque postérieure n’est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice (voir arrêt Antartica/OHMI, précité, point 44, et, par analogie, arrêt Intel Corporation, précité, point 31), l’existence de ce lien ne saurait toutefois suffire, à elle seule, à conclure à l’existence de l’une des atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du
règlement n° 40/94, lesquelles constituent la condition spécifique de la protection des marques renommées prévue à cette disposition (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, précité, point 32).
28 Il s’ensuit que, à supposer même qu’il ait été démontré en l’espèce que le public pertinent établira un lien entre les deux marques en cause en raison de l’existence des trois éléments cités au point 22 de la présente ordonnance, c’est néanmoins à bon droit que, ayant constaté, au point 57 de l’arrêt attaqué, que la requérante s’est contentée de souligner le prétendu lien immédiat que le public établirait entre ces deux marques, le Tribunal a considéré, aux points 58 à 60 dudit arrêt, que
l’existence d’un tel lien ne saurait suffire à démontrer le risque de dilution du caractère distinctif de la marque antérieure concernée et que la requérante restait en défaut d’apporter des éléments de preuve suffisants pour démontrer que l’utilisation de la marque ici demandée est susceptible de porter préjudice au caractère distinctif de ladite marque antérieure.
29 Par ailleurs, c’est à tort que la requérante reproche au Tribunal d’avoir procédé à une appréciation limitée. En effet, il ressort du point 57 de l’arrêt attaqué qu’il a pris en compte le lien allégué, et la requérante soutient elle-même que le Tribunal a considéré que la preuve des trois éléments énumérés au point 22 de la présente ordonnance avait été rapportée. À cet égard, le Tribunal a notamment examiné, aux points 56 et 58 dudit arrêt, à quel degré la marque antérieure concernée est
distinctive et les deux marques en cause sont similaires, et a estimé que le risque de dilution était d’autant moins démontré en l’espèce que la similitude relevée entre ces deux marques tient essentiellement à leur élément figuratif, alors que celui-ci revêt un caractère distinctif faible et est, en outre, fréquemment utilisé pour d’autres marques que la marque antérieure en question, afin de désigner des produits d’origine orientale. Dans ces conditions, il apparaît que le Tribunal a suffisamment
tenu compte des facteurs pertinents du cas d’espèce.
30 Partant, le premier grief, relatif à l’appréciation par le Tribunal du risque de préjudice porté par la marque ici demandée à la marque antérieure concernée, doit être rejeté comme manifestement non fondé.
31 S’agissant du second grief, relatif au caractère distinctif de l’élément figuratif de la marque antérieure concernée, il importe d’observer que l’analyse à laquelle le Tribunal s’est livré à ce sujet au point 56 de l’arrêt attaqué, pour en conclure que ledit élément revêt un caractère distinctif faible, est une appréciation de nature factuelle.
32 Or, selon une jurisprudence constante, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été soumis, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir arrêt du 21 février
2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, Rec. p. I‑833, point 87 et jurisprudence citée).
33 Partant, aucune dénaturation des faits ni des éléments de preuve soumis au Tribunal n’étant alléguée en ce qui concerne les énonciations figurant aux points 56 et 58 de l’arrêt attaqué, le grief relatif à l’appréciation du caractère distinctif de l’élément figuratif de la marque antérieure en question doit être écarté comme manifestement irrecevable.
34 Par conséquent, il y a lieu de rejeter la première branche du moyen unique comme en partie manifestement non fondée et en partie manifestement irrecevable.
Sur la deuxième branche, relative au profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure concernée
35 Par cette branche, la requérante reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 en ce que, tout en admettant la renommée de la marque antérieure en question, la similitude entre celle-ci et la marque ici demandée ainsi qu’un certain lien entre les produits concernés et les sensations positives associées à ceux-ci, il a considéré, à tort, que le risque d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque antérieure n’était
pas démontré. Or, les consommateurs feraient forcément un rapprochement entre les deux marques en cause, étant donné leur importante similitude, la grande renommée de la marque antérieure en question et la corrélation entre les produits.
36 Selon la requérante, il est incompréhensible que le Tribunal ait évoqué, au point 65 de l’arrêt attaqué, la nécessité de la preuve d’une association avec les qualités positives de la marque antérieure identique ou similaire qui pourraient donner lieu à une exploitation ou à un parasitisme manifeste par la marque demandée et ait admis, au point 66 de cet arrêt, que les produits concernés peuvent parfois être consommés de manière conjointe et être ainsi, dans une certaine mesure, associés tous
les deux à des moments de convivialité et de détente, tout en concluant, audit point 66, que les caractéristiques habituellement associées à une marque renommée de cigarettes ne peuvent être considérées, en soi, comme aptes à apporter un profit à des cafés torréfiés. La requérante soutient que le Tribunal n’a pas motivé cette dernière appréciation ni établi quelles sont les différentes qualités positives des deux produits concernés, à savoir le café et les cigarettes. À cet égard, elle souligne que
les caractéristiques positives, telles que la qualité et le prestige de la marque, ainsi que l’association faite par les fumeurs entre le tabac et des moments très agréables et heureux de la vie ont conduit à l’utilisation de ses marques pour le parrainage d’événements sportifs comme le «Camel Trophy» et pour la commercialisation de produits textiles et d’accessoires.
37 En premier lieu, ainsi qu’il ressort du point 27 de la présente ordonnance, l’existence d’un rapprochement ou d’un lien, au sens de la jurisprudence citée audit point, entre les deux marques en cause constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour conclure à l’existence de l’une des atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, lesquelles constituent la condition spécifique de la protection des marques renommées prévue à cette disposition.
38 Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir considéré, au point 66 de l’arrêt attaqué, que le prétendu lien immédiat que ferait le public entre les deux marques en cause ne suffit pas pour démontrer que l’enregistrement de la marque présentement demandée serait susceptible de permettre à Torrefacção Camelo de tirer indûment profit du caractère distinctif et de la renommée de la marque antérieure ici concernée.
39 En second lieu, le grief fait au Tribunal de ne pas avoir respecté sa propre jurisprudence selon laquelle il y a lieu, pour démontrer un risque de parasitisme, de prouver une association de la marque demandée avec les qualités positives de la marque antérieure identique ou similaire, et cela sans motiver ce non-respect, ne saurait non plus prospérer. En effet, ainsi qu’il ressort clairement du point 66 de l’arrêt attaqué, lu en combinaison avec son point 22 dans lequel le Tribunal a fait
état des qualités positives des produits du tabac avancées par la requérante lors de l’audience, de telles qualités sont, à l’estime du Tribunal, les caractéristiques habituellement associées à une marque renommée de cigarettes. En particulier, ce sont les produits eux-mêmes, comme le reconnaît d’ailleurs la requérante, qui peuvent être associés, notamment, à des moments de convivialité et de détente. C’est donc à bon droit que le Tribunal a considéré, ainsi qu’il ressort des points 65 et 66 de
l’arrêt attaqué, que l’éventuelle association avec certaines qualités habituellement reconnues à toute marque renommée de cigarettes, voire à des produits du tabac, ne saurait suffire pour démontrer une association de la marque ici demandée avec des qualités positives de la marque antérieure concernée, lesquelles pourraient donner lieu à une exploitation ou à un parasitisme manifestes par ladite marque demandée.
40 Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen unique doit être écartée comme manifestement non fondée.
Sur la troisième branche, relative à l’exigence de preuve d’une atteinte effective, réelle et actuelle à la marque antérieure concernée
41 Par cette branche, la requérante prétend que le Tribunal a méconnu l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, tel qu’interprété par sa propre jurisprudence constante, en exigeant la preuve d’une atteinte effective, réelle et actuelle à la marque antérieure, alors que, dans une procédure d’opposition, le titulaire de cette marque n’est tenu d’établir, selon ladite jurisprudence, que des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de
préjudice. Selon la requérante, il est manifeste que les éléments permettant de constater l’existence d’un tel risque ont été prouvés, à savoir la grande renommée de la marque antérieure en question, le lien entre les produits concernés et l’identité entre les marques en conflit. Ce risque serait lié au fonctionnement même du marché et du monde de la publicité. En revanche, la preuve irréfutable d’une atteinte au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 serait impossible à fournir,
dès lors que celle-ci présupposerait la coexistence des deux marques pendant des années sur le marché pertinent, de sorte que l’exigence d’une telle preuve serait contraire à cette disposition.
42 Afin de bénéficier de la protection instaurée par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, le titulaire de la marque antérieure doit rapporter la preuve que l’usage de la marque postérieure tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice. À cette fin, ledit titulaire n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte telle que visée par cette disposition qui soit effective et actuelle à sa marque. En
effet, lorsqu’il est prévisible qu’une telle atteinte découlera de l’usage que le titulaire de la marque postérieure peut être amené à faire de sa marque, le titulaire de la marque antérieure ne saurait être obligé d’en attendre la réalisation effective pour pouvoir faire interdire ledit usage. Le titulaire de la marque antérieure doit toutefois établir l’existence d’éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur (voir, en ce sens, ordonnance du
12 décembre 2008, Aktieselskabet af 21. november 2001/OHMI, C‑197/07 P, point 22; voir également, par analogie, arrêt Intel Corporation, précité, points 37 et 38).
43 Or, en l’espèce, force est de constater que, d’une part, le Tribunal a rappelé sa propre jurisprudence en ce sens à plusieurs reprises dans l’arrêt attaqué, notamment aux points 49 et 64 de ce dernier. D’autre part, l’emploi des termes «risque de dilution», «risque de profit indûment tiré» et «risques visés par la quatrième condition de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94» aux points, respectivement, 58, 65 et 66 de l’arrêt attaqué ainsi que des termes «susceptible de porter
préjudice» et «susceptible de permettre à [Torrefacção Camelo] de tirer indûment profit» aux points, respectivement, 60 et 66 du même arrêt, indique que le Tribunal a correctement appliqué cette jurisprudence.
44 En réalité, l’allégation selon laquelle le Tribunal a exigé la preuve d’une atteinte effective, réelle et actuelle, sur laquelle se fonde la présente branche, repose, mais à tort, sur le fait que le Tribunal n’a pas constaté les risques d’une atteinte telle que visée à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 à la marque antérieure concernée que la requérante alléguait, en dépit des preuves prétendument apportées en ce qui concerne la grande renommée de ladite marque, le lien entre
les produits concernés et l’identité entre les marques en conflit. Or, comme il a déjà été observé aux points 27 et 37 de la présente ordonnance, ces éléments ne suffisent pas, à eux seuls, pour démontrer l’existence de tels risques.
45 Partant, il y a lieu d’écarter la troisième branche du moyen unique comme étant manifestement non fondée.
46 Aucune des trois branches du moyen unique présenté par la requérante au soutien de son pourvoi ne pouvant être accueillie, il convient de rejeter celui-ci dans sa totalité comme en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.
Sur les dépens
47 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en son moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Japan Tobacco Inc. est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.